Apprendre à prier à l'ère de la technique de Gonçalo M. Tavares (05/04/2019)

Crédits photographiques : Rahmat Gu (AP Photo).
«À l'évidence, on commençait à entrer dans un monde nouveau. Une action plus puissante avait mis les dieux à terre; l'éclat des choses était désormais l'éclat exclusif des choses, un feu de joie émettait de la lumière en raison de ce qui le constituait concrètement, le divin n'était plus un élément qui illumine plus encore, désormais il était simplement autre chose [...].»
Gonçalo M. Tavares, Apprendre à prier à l'ère de la technique.


Cet étrange ouvrage de Gonçalo M. Tavares, un écrivain d'ores et déjà présenté comme un futur prix Nobel par José Saramago et encensé par la critique journalistique, que l'on dirait avoir été écrit par quelque improbable Gottfried Benn qui aurait décidé de fondre en un seul personnage, Lenz Buchmann, le fou maléfique Moravagine de Blaise Cendrars et le spéculaire et radical Monsieur Teste de Paul Valéry (cf. p. 68), clôt d'énigmatique manière le cycle intitulé Le Royaume (qui comprend Um Homem : Klaus Klump, A Máquina de Joseph Walser, et Jérusalem, seul titre de cette série ayant été traduit en français).
Chacun des très courts chapitres, autant de saynètes qui m'ont semblé avoir un impact plus fort dans Monsieur Kraus, qui constitue ce livre étonnant peut être lu comme le développement circonstancié d'une question que le personnage principal, Lenz Buchmann, tente d'analyser ou, mieux, essaie d'incarner, puisque, à l'évidence et malgré sa grande intelligence, nous confie le narrateur, Lenz est un homme d'action, qui traduit chacun de ses actes comme la manifestation idoine d'une volonté de fer héritée de son père, qui n'a pas hésité à tuer et, le moment venu, à se tuer.
Incarnation sujette à caution puisque ce didactisme, d'autant plus évident que Tavares ne songe nullement à donner une biographie réellement consistante à ses personnages ni même à planter le décor qui, de fait conviendrait tout aussi bien au XXe qu'au XXIIe siècle, peut très vite lasser, malgré l'évidente qualité de certaines réflexions de l'auteur (je songe par exemple à celle sur la charge littéralement explosive de certains noms propres, cf. pp. 173-5, qui rappelle telle notation d'Elias Canetti).
Mais une suite de réflexions, aussi bien vues et, parfois, surprenantes soient-elles, ne constituera jamais un véritable roman : une contre-initiation, la relation d'une vie dévorée par la soif de puissance et la tentation du surhomme inscrivant celle du célèbre vagabond Lenz de Büchner sur le fond d'une époque en guerre intestine contre le monde et l'humanité qu'elle porte, peut-être est-ce là encore prêter trop d'intentions à l'auteur qui déclare écrire sans intention précise, comme un fou avant d'ordonner la matière brute qu'il a couchée par écrit, sans y prendre garde comme s'il s'agissait d'un livre dont il fallait se défaire avant de le faire ou refaire. Ainsi la fin de ce livre me paraît-elle manquer son but qui consiste peut-être à nous faire comprendre que l'homme de l'ère technique, l'implacable Lenz Buchmann ayant tué d'un coup de fusil sa propre femme, a l'illumination finale qu'il mérite, parfaitement ridicule donc...
Ainsi éprouvons-nous assez rapidement, en lisant le livre de Tavares, une gêne voisine, bien que plus subtile, de celle qui fut la nôtre au moment de refermer le bizarre ouvrage de Yann Martel, bien trop commercialement taillé pour être honnête, Béatrice et Virgile...

La suite de cet article figure dans Le temps des livres est passé.
Ce livre peut être commandé directement chez l'éditeur, ici.


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