Ceux de Falesa de Robert Louis Stevenson (30/05/2017)
Photographie (détail) de Juan Asensio.



C'est ainsi que Stevenson, s'il «inventa littéralement la forme de fiction exactement adaptée aux besoins nouveaux de l'édition», nous «fascine encore aujourd'hui par son style diamantin, son ébouriffante virtuosité technique» (p. 47) résidant dans un emboîtement de récits ainsi présentés par le préfacier : «Case raconte des histoires à Wiltshire, Uma raconte des histoires à Wiltshire, Case raconte parallèlement des histoires aux indigènes, et Wiltshire raconte au lecteur l'histoire qui les contient toutes», la question centrale de cette nouvelle ne pouvant donc qu'être, selon Michel le Bris, la question suivante : «Qu'est-ce donc que raconter une histoire ?» (p. 58), interrogation à laquelle ce texte apporte sa propre réponse, aussi figurative, juste, consciente de ses propres ressources et lacunes, qu'elle est en un même sens supérieur aporétique, et vaine, et condamnée à l'échec. S'il y a bien quelque chose que nous montre un grand texte, qu'il figure comme un vortex menaçant toujours de le disloquer, c'est bien son infinie capacité à ne jamais se taire, et à toujours se poursuivre, de nouvelles mille et une nuits complétant celles qui, du reste, jamais n'ont pu se résoudre à écrire le mot «fin» sur une dernière page inexistante.
Comme toujours avec les plus grands écrivains, tout est affaire de langage dans ce texte, puisque dire «la vérité des mers du Sud", cela revient donc pour Stevenson, «à restituer la vérité de ses langages, le brassage des idiomes, des cultures, l'abracadabrant télescopage des argots américain, anglais, du jargon technique des marins, du pidgin des Samoa, du Bêche de Mer, des parlers indigènes, en trouvant des équivalents à leur rudesse, à leur brutalité. Parce que le langage contient tout", conclut Michel le Bris, «la vérité des êtres, le monde, et son histoire» (pp. 50-1) (2) et, bien sûr, sa propre vérité qui est de ne jamais pouvoir se taire, comme l'indiqua si puissamment William Faulkner.
Pour ne rien cacher à mes lecteurs, je dois dire que la préface de Michel le Bris m'a plus impressionné que le texte de Stevenson, pourtant qualifié de chef-d’œuvre, «d'une brutalité, d'une complexité bien supérieure aux meilleures nouvelles de Maugham ou de Greene» (p. 53). Certes, cette nouvelle est brutale, sombre et ironiquement grinçante à souhait, crue même, et elle présente un portrait assez peu reluisant de l'aventurier (le beachcomber) occidental des mers du Sud, cupide, manipulateur, truqueur (voir l'épisode final des balances, qui concerne pourtant le héros principal, Wiltshire, censé être moins malhonnête que l'ignoble Case), n'hésitant pas à jouer de l'incrédulité des autochtones jusqu'à profiter de leurs croyances animistes mais aussi des faveurs arrangées de leurs jeunes femmes, meurtrier le cas échéant, bref : une espèce de Mr Hyde qui n'aurait plus besoin de la caution du Dr Jekyll.
Notes
(1) Robert Louis Stevenson, Ceux de Falesa (The Beach of Falesa, traduit de l'anglais par Éric Deschodt, édition établie et présentée, mais aussi en partie traduite par Michel le Bris, Éditions de La Table Ronde, 1990, puis 2016). Ainsi, à la page 30, nous trouvons un «y» inutile à la première ligne ou, à la page 41 : «je ne sais trop qui ajouter» au lieu bien sûr de quoi. Outre l'apparat critique de la préface n'ayant donc pas été mis à jour depuis 1990, signalons quelques fautes dans le corps de la traduction comme les «événements dont je vai (sic) vous parler» (p. 145), un trait d'union manquant (p. 159 : «celle là»), un comique «Après quoi il recueillit ma déposition, celui d'Uma et celui de Maea», etc. Nul doute que ces quelques fautes, d'autres encore, ne seront pas corrigées dans la prochaine réimpression (car il ne faut pas rêver d'une réédition) de ce titre. Signalons encore une hésitation entre harpe éolienne (cf. p. 160) et, quelques pages plus loin, harpe tyrolienne.
(2) En fait, le terme «beach» renvoie selon notre préfacier au «Beach of Mar», à savoir le Bêche de Mer, autrement dit la langue créole parlée au Vanuatu.
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