Asensio au Kosovo ou la baleine dans le ruisseau (23/06/2019)

Photographie (détail) de Juan Asensio.
Il faut dire que ma Chanson d'amour de Judas Iscariote, parue au Cerf en 2010 et traduite en 2017 sous le titre mélodieux de Kënga e dashurisë e Judë Iskariotit, a reçu un excellent accueil critique dans cette région, par exemple sous la plume d'un Behar Gjoka (qui fit paraître dans sa revue la traduction albanaise de tel de mes articles intitulé Trois piétés en époques troubles) ou d'un Anton Nikë Berisha, dans un article intitulé Misteri i tradhtisë ose hijesimi i dashurisë publié sur ce site puis recueilli dans un recueil d'articles de ce même auteur sous le titre Paanësiae fjalës poetike.
Jusqu'à ma venue à Pristina, je n'échange plus avec ce membre de l'Ambassade que quelques courriels sans grande importance, qui me permettent par exemple de savoir que cette dernière a acheté... trois ou quatre petits exemplaires de mon ouvrage sur Judas, et non, donc, une vingtaine, mais cela n'a à mes yeux aucune importance, puisque je suis heureux de me rendre dans un pays que je ne connais pas, et pour une aussi merveilleuse raison que celle que m'apporte la traduction d'un de mes ouvrages ! Pour faire bonne figure, je mets en relation l'Ambassade et mon dernier éditeur, Ovadia, afin que je puisse, sur place, disposer de quelques exemplaires de mon dernier ouvrage, Le temps des livres est passé. Je ne sais si ces exemplaires sont parvenus à bonne destination mais, comme pour mon livre sur Judas, je n'en ai vu pas l'ombre d'une feuille au Kosovo. Ils y finiront sans doute à une poubelle (de recyclage ?) ou, par un curieux hasard dont les dieux littéraires sont souvent friands, sous les yeux d'un lecteur, jeune ou vieux, connaissant le français.
C'était donc alors, même si je l'ignorais à ce moment-là, la première et la toute dernière fois que je voyais un des représentants de l'Ambassade de France au Kosovo, celle-là même qui sut, lors de la venue de Mathias Enard à Pristina, et cela en dehors de tout événement littéraire particulier, lui dérouler le tapis rouge que ses balzaciens pieds se sont fait un plaisir de fouler, qui plus est en tenant compte de ces fameuses particularités que sont au Kosovo ce que la saleté, les embouteillages, l'insécurité, les camps de migrants et les centres pour toxicomanes sont à la glorieuse capitale de la France, Paris je crois, non seulement une double nature que plus personne ne prend vraiment la peine de considérer avec attention et encore moins n'ose critiquer mais un glorieux attribut de son rang et de son rayonnement planétaire. Ainsi est-ce cette même ambassade aux moyens très variables suivant la personne censée en bénéficier qui rend compte d'une rencontre entre les lycéens de Pristina, Kamenica, de Klina et d’Obiliq et l'auteur internationalement connu dont ils ne connaissaient toutefois même pas le nom deux minutes avant qu'il ne prenne la parole, pour raconter les habituelles fadaises qu'il égrène toutes les fois qu'il parle. Comme Alain Damasio, Mathias Enard parle comme il écrit; non, je me montre injuste car Alain Damasio écrit encore plus mal qu'il ne parle. Cet événement considérable, durant lequel la jeunesse du Kosovo a eu l'honneur de découvrir le plus grand écrivain français depuis Balzac (ou Balzak, comme je l'ai vu orthographier sur une traduction en albanais) a eu lieu le 17 octobre 2018. Nous apprenons aussi que le maire de Pristina, Shpend Ahmeti, n'a pas trouvé exagéré de remettre à notre fierté littéraire nationale les clés de sa ville et, parce qu'il serait tout bonnement indécent de ne point célébrer à sa juste valeur le nouveau BalzaK de la littérature française, Mathias Enard est convié, cette fois-ci le 16 octobre, à l'Alliance française de Pristina pour, là encore, éblouir un public rare quoique concentré par sa maîtrise du verbe.
Je m'amuse de constater que c'est quand même un ambassadeur, ou plutôt un ancien ambassadeur, et de haut vol qui plus est, Besnik Mustafaj, par ailleurs, comme notre nouveau Balzac germanopratin, auteur publié chez Actes Sud, qui a fait, pour moi, un parfait inconnu, le travail que l'Ambassade de France a été bien incapable, elle, alors qu'elle était en toute possession de ses moyens on le devine plus conséquents que ceux de particuliers, de faire, à savoir : me permettre de découvrir cette région à l'histoire extraordinairement complexe, boire et dîner, discuter, jusqu'à des heures impossibles de la division entre Serbes et Albanais, de son ancienne vie dans les hautes sphères de la diplomatie, de la littérature bien sûr, sa grande, son unique passion, littérature pas seulement albanaise puisque Besnik, outre le fait de parler un français impeccable qui m'a été fort utile lorsque j'ai publiquement pris la parole, est un fin lettré. Je le remercie bien chaleureusement de n'avoir pas ménagé ses efforts, avec le concours plus qu'utile et appréciable de l'Ambassadeur d'Albanie à Pristina, et aussi de m'avoir dressé, alors que nous roulions vers Mitrovica, un panorama subtil et érudit des forces en présence et de la situation géopolitique de la région. Je remercie aussi l'étonnant Abdullah Zeneli, mon éditeur et, pour l'heure puisque l'Ambassade de France s'est subitement désistée, unique mécène albanais, Zeneli, l'homme qui projette, en excellent joueur d'échecs qu'il est, des coups cachés dans d'autres coups, et je remercie enfin ma traductrice, Anila Xhekaliu, belle âme s'il en est qui n'aura pas ménagé ses efforts, sans elle aussi m'avoir jamais rencontré, pour me servir de cicérone à Pristina alors qu'elle vit à Tirana et me faire rencontrer quelques lecteurs enthousiastes et érudits de mon Judas !Je me suis dit que la meilleure façon de remercier mon éditeur consistait, après tout, à lui emprunter, en guise de titre, l'image qu'il a utilisée pour évoquer ma venue : avec Asensio au Kosovo, nous avons fait nager une baleine dans un ruisseau !
Légende des illustrations.
Dans l'ordre ou le désordre, les différentes photographies montrent mon éditeur (infiniment plus drôle et avenant qu'il n'en a l'air !), Abdullah Zeneli, au Salon du Livre de Paris, le discours d'ouverture de la Foire internationale du livre de Pristina ou encore le public, essentiellement féminin et qui fut ému jusqu'aux larmes par la lecture de quelques témoignages d'atrocités, assistant à une conférence à la Bibliothèque nationale du Kosovo afin de présenter la traduction albanaise du livre de Sevdije Ahmeti, Journal d'une femme du Kosovo. Cet événement poignant a été relayé ici. Un autre média albanais a évoqué ce moment. Signalons encore que je figure, avec ma traductrice, Anila Xhekaliu et Besnik Mustafaj, sur le pont de Mitrovica séparant les populations serbes et albanaises et, enfin quelques heures avant mon départ pour Paris, lors d'une assez courte conférence à propos de mon Judas, avec Besnik Mustafaj me servant d'interprète de très haut vol. La photographie servant d'illustration principale montre la sculpture (Heroinat Memorial), assez réussie, d'un visage de femme composé de ceux de 20 000 autres, violées durant la Guerre du Kosovo.
Lien permanent | Tags : littérature, critique littéraire, la chanson d'amour de judas iscariote, kosovo, pristina, abdullah zeneli, éditions buzuku, anila xhekaliu, ambassade de france au kosovo, besnik mustafaj |
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