L'Ami des bêtes de Léon Bloy et La Terreur d'Arthur Machen (02/08/2017)
Photographie (détail) de Juan Asensio.





Partant, une fois de plus, du constat selon lequel «On ne connaît pas l'Amour universel parce qu'on ne voit pas la réalité sous les figures...» (Léon Bloy, op. cit. indiqué dans la note ci-dessus, p. 352), nous apprenons que, pour le personnage dont le narrateur de Bloy conte l'histoire, les animaux étaient «les signes alphabétiques de l'Extase», car il lisait en eux «la seule histoire qui l'intéressât : l'histoire sempiternelle de la Trinité, qu'il [lui] faisait épeler dans les caractères symboliques de la Nature». Pour cet étrange personnage, les animaux «sont, dans nos mains, les otages de la Beauté céleste vaincue» (l'auteur souligne) car, précisément «parce que les Bêtes sont ce que l'homme a le plus méconnu et le plus opprimé, il pensait qu'un jour, Dieu ferait par elles quelque chose d'inimaginable, quand serait venu le moment de manifester sa Gloire» (p. 353). Plus loin, nous savons que ce même personnage, comparé à une «similitude parabolique de ce Christianisme gigantesque d'autrefois dont ne veulent plus nos générations avortées» (p. 355), voyait dans les animaux «les détenteurs inconscients d'un Secret sublime que l'humanité aurait perdu sous les frondaisons de l’Éden et que leurs tristes yeux, couverts de ténèbres, ne peuvent plus divulguer, depuis l'effrayante Prévarication...» (p. 354) qui ne peut être, pour Léon Bloy, que le péché d'Adam. Ainsi considéré, ce personnage, qualifié de «brûlant de la Croix», qui représente pour le narrateur «la combinaison surnaturelle d'enfantillage dans l'Amour et de profondeur dans le Sacrifice qui fut tout l'esprit des premiers chrétiens», ne peut qu'être «l'image et le raccourci très fidèle de ces temps défunts où la terre était comme un grand vaisseau dans les golfes du Paradis !» (p. 356). Nous n'en saurons pas plus dans ces quelques pages qui, en effet, ont davantage leur place au sein d'un ensemble plus vaste qu'elles ne forment véritablement un conte à part entière, doué de sa propre logique narrative, autonome.

Je cite longuement Arthur Machen : «l'origine de la grande révolte des bêtes doit être recherchée parmi des causes plus subtiles. Je pense que les sujets se sont révoltés parce que le roi avait abdiqué. A travers les siècles l'homme a dominé les animaux, le spirituel a régné sur le matériel grâce à cette qualité particulière de spiritualité qui est l'apanage de l'homme et qui fait de lui ce qu'il est. Tant qu'il exerce son pouvoir et manifeste sa bienveillance je cois qu'il existe, cela est clair, entre lui et les animaux une sorte d'alliance. D'un côté, il y a la suprématie, de l'autre, la soumission; mais, en même temps, ils étaient liés par cette cordialité qui s'observait entre les seigneurs et leurs sujets dans un état bien organisé» (pp. 269-70). Les dernières lignes du texte sont éloquentes : «Cependant les bêtes possèdent quelque chose qui correspond à cette spiritualité de l'homme et que nous nous contentons d'appeler instinct. Elles se sont aperçues que le trône était vacant. L'amitié elle-même n'était plus possible entre elles et un monarque ayant abdiqué. Si ce n'était pas un roi, c'était un simulateur, un imposteur, quelqu'un qu'il fallait détruire. De là est venue, je pense, la terreur. Les animaux se sont soulevés une fois, ils peuvent se soulever encore» (p. 271).
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