2666 de Roberto Bolaño (20/10/2019)
Crédits photographiques : Olivier Grunewald.
LRSP (livres reçus en service de presse).
Carmen Muñoz Hurtado a écrit ce texte complétant la note ci-dessous, illustrée par des photographies de Jack Delano.
Le lecteur conséquent pourra utilement lire cet étrange ouvrage, Des os dans le désert de Sergio González Rodríguez, dont l'auteur de 2666 s'est inspiré.
Je parcours le dernier numéro de L'Atelier du roman (publié par Flammarion) consacré au roman de Marek Bieńczyk, Tworki où je lis un texte, passable, de Thierry Guinhut intitulé Roberto Bolaño ou l'artiste devant le mal (cf. pp. 106-116) qui ne lie guère à mon sens le mal et l'art, sauf en évoquant les deux clichés bien jaunis que sont l'indécidabilité et l'incertitude, autrement dit ce que d'autres ont appelé, à propos de Monsieur Ouine de Bernanos par exemple, une structure lacunaire.
En revanche, Thierry Guinhut n'ose pas vraiment développer une métaphore qui eût été intéressante : celle du trou noir (et non de la naine brune, comme l'auteur l'affirme à tort p. 116 !) qui, effectivement, paraît siéger au centre de 2666 et en constituer le centre dévorateur, par essence hors de portée de la lecture comme de l'écriture.
Ne soyons point trop dur avec Thierry Guinhut dont l'article se lit sans réel déplaisir (malgré l'horrible expression quelque part qu'une simple relecture aurait dû éliminer, «Les personnages, énigmatiques, fascinants et quelque part inquiétants», p. 109), car il me semble évident que 2666 risque encore longtemps de décourager la critique littéraire, y compris celle qui est universitaire, cette dernière plus que tout autre peut-être, tant la charge de l'auteur contre ce petit milieu est assassine.
Je songe tout d'un coup qu'il me faut relire non seulement 2666 mais l'ensemble des romans de Roberto Bolaño afin d'en avoir quelque chose à dire qui ne soit point seulement paraphrase journalistique plus ou moins enlevée...
«De ce qui est perdu, de ce qui est irrémédiablement perdu, je ne désire récupérer que la disponibilité quotidienne de mon écriture, des lignes capables de me saisir par les cheveux et de me remettre debout quand mon corps désormais n’en pourra plus.»
Roberto Bolaño, Anvers (Christian Bourgois, traduction de Robert Amutio, 2004), p. 123.
«Lorsqu’ils arrivèrent, les écrivains disparus se trouvaient dans la salle à manger, en train de dîner et de regarder la télévision, qui à cette heure-là donnait les informations. Ils étaient nombreux, et presque tous français, ce qui étonna Archimboldi, qui n’aurait pas imaginé qu’il puisse exister autant d’écrivains disparus en France.»
Roberto Bolaño, 2666 (Christian Bourgois, traduction de Robert Amutio, 2008*), p. 972.
«2666 es uno de esos monumentos que han llegado para quedarse, para permanecer. Bolaño, para nuestra felicidad, y con modales de faraón todopoderoso pero mortal y ateo, ha erigido esta pirámide que lo sobrevive y lo honrará por siempre. Pirámide frente a la que nosotros, afortunados testigos, turistas privilegiados – como suele suceder con las pirámides –, no dejaremos nunca de preguntarnos, una y otra vez, cómo cuernos fue que lo hizo.»
Rodrigo Fresán.
Une évidence : ce ne sont certainement pas les très piètres articles de la presse française dite littéraire, à l'exception, peut-être, de la critique de Philippe Lançon pour Libération (elle-même ne valant pas grand-chose comparée à la méditation sur l'impossibilité d'écrire une critique sur 2666 plutôt que critique, signée par Rodrigo Fresán pour El País), qui peuvent nous apprendre quoi que ce soit sur 2666.
Au mieux, elles nous permettent de lire, sans tenir le livre dans nos mains, la quatrième de couverture, et peut-être même, pour les meilleures de ces bluettes journalistiques, le service de presse qui a accompagné l'envoi du roman de Bolaño. Ainsi, le lecteur qui aura lu, sur la Toile, les quelques textes-clones consacrés au roman posthume de ce magnifique écrivain chilien, sauront, émerveillés que son dernier livre est : gros, même très gros, qu'il brasse presque tous les genres littéraires (ce qui est faux), qu'il est épique, qu'il est truculent, qu'il est apocalyptique (ce qui est faux, puisqu'il ne révèle rien), qu'il évoque l'amour, le sexe, la corruption, la peur, la solitude, la mort et le mal, comme à peu près tous les livres qui ont été écrits ou seulement rêvés depuis l'invention de l'écriture et que, puisqu'il est gros et même très gros voire franchement imposant, c'était tout de même le minimum que l'on était en droit d'attendre de semblable pavé.
C'est peu ? Non, au contraire, c'est le maximum que la critique littéraire telle que la pratiquent les médias et les revues semble capable de produire.
Du reste, ne le blâmons point trop injustement, cet eunuque bavard exerçant la noble profession de critique : il est illusoire, après une seule lecture de 2666, peut-être même après une deuxième et une troisième, stylo à la main, fiches dûment remplies, de prétendre écrire autre chose que des généralités. François Monti d'ailleurs, dans une magnifique esquisse, a évoqué cette impossibilité, pour le moment, de rentrer, de s'y enfoncer même, au centre de ce roman, d'en déployer les rayons non point infinis mais assurément très nombreux.
Nous essaierons de livrer quelques généralités que, du moins, le service de presse de Christian Bourgois ne nous a point susurrées. Espérons aussi que l'éditeur aura l'idée de livrer au public les carnets de notes que Bolaño tint, selon Ignacio Echevarría, durant la rédaction de son roman tentaculaire, ce qui aidera sans doute les critiques, du moins les vrais critiques (les faux, eux, se contenteront une fois de plus de la quatrième de couverture et, s'ils ont du temps, des dix premières pages et de la conclusion de ce futur livre), à faire correctement leur travail, à ouvrir de nouvelles pistes, à écarter de faux indices, à échafauder de coruscantes hypothèses bref, à accomplir à peu près correctement leur office de vigie.
La suite de cet article figure dans Le temps des livres est passé.
Ce livre peut être commandé directement chez l'éditeur, ici.
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