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25/10/2005
Monsieur Ouine de Georges Bernanos
Photographie (détail) de Juan Asensio.
«This is the dead land
This is cactus land
Here the stone images
Are raised, here they receive
The supplication of a dead man's hand
Under the twinkle of a fading star.»
T. S. Eliot, The Hollow Men (1952).
Voici, au format PDF, l'un des chapitres de ma Littérature à contre-nuit évoquant une œuvre fascinante qui à mes yeux, sans conteste, demeure l'un des plus grands romans du siècle passé.
Ce texte a connu, avant de trouver dans mon essai sa forme définitive, bien des publications en revue : il m'a toujours paru essentiel en effet d'évoquer, chaque fois que je le pouvais, Monsieur Ouine, roman que je n'ai lu qu'après avoir dévoré plusieurs fois l'ensemble des livres de Georges Bernanos. Je n'ai pas de honte à avouer qu'une sorte de crainte, une méfiance respectueuse me gardaient d'aborder, trop vite, sans la moindre préparation, un roman que tous ses lecteurs, y compris universitaires (j'ai ainsi retrouvé, avec plaisir, sous la plume de Sarah Vajda, une évocation sensible et... mitterrandienne de l'ancien professeur de langues !), avaient déclaré difficile, opaque, ténébreux, elliptique, profondément étrange pour finir. Monsieur Ouine forme, avec une poignée d'autres romans tels que Absalon, Absalon !, Héros et Tombes et La mort de Virgile, une sorte de constellation noire, illuminant faiblement un monde désertique, spectral, où se dressent les étranges monuments de pierre évoqués par T. S. Eliot, une brèche par laquelle s'échappe la friable réalité de notre monde, une lézarde qui nous permet de regarder... Quoi ?
Qui a lu, qui a relu ces romans, qui a pris la peine, à propos de Bernanos, de lire les envoûtants Cahiers de Monsieur Ouine patiemment déchiffrés par Daniel Pezeril, buttant sur bien des difficultés stylistiques et formelles de pareilles écritures tentant de sonder le Mal et le Néant, parfois pris d'un malaise physique comme il en va des plongeurs en mer victimes de l'ivresse des profondeurs, n'est plus le même je crois, et soyez bien certains que je n'emploie pas à la légère un tel cliché.
Certes, un tel lecteur (qu'aucune caractéristique particulière ne saurait distinguer de tant d'autres si ce n'est son opiniâtreté, une vertu qui aujourd'hui se perd et inquiète...) n'a pas traversé le miroir, puisqu'il n'est pas certain que les romanciers en question aient accompli un tel voyage, en dépit de leurs propres innombrables confessions parfois désespérées, même si je n'occulte pas le fait que, pour au moins deux de ces livres, évoquer une sorte d'expérience initiatique n'est pas une sottise.
Du moins ce lecteur a-t-il cru entrevoir l'univers qui se cache derrière le miroir déformant dont parle l'apôtre.
J'ajoute, pour finir, que les lecteurs déjà familiarisés avec Monsieur Ouine peuvent lire deux longues études récemment publiées dans les Études bernanosiennes dirigées par Michel Estève et éditées par Minard.