L'âme de François Hollande (21/05/2013)

«We are the hollow men
We are the stuffed men
Leaning together
Headpiece filled with straw. Alas !
Our dried voices, when
We whisper together
Are quiet and meaningless
As wind in dry grass
Or rats' feet over broken glass
In our dry cellar

Shape without form, shade without color,
Paralysed force, gesture without motion;

Those who have crossed
With direct eyes, to death's other kingdom
Remember us – if at all – not as lost
Violent souls, but only
As the hollow men
The stuffed men.
»
T. S. Eliot, Les Hommes creux (1).



«Mir fällt zu Hollande nichts ein». C'est la phrase par laquelle le grand Karl Kraus aurait pu ouvrir sa terrifiante Troisième nuit de Walpurgis si, à la place d'Adolf Hitler à qui ces mots sujets à bien des mauvais procès faits à l'auteur étaient adressés, le satiriste autrichien avait eu sous ses yeux un peuple d'ombres dolentes, fonctionnaires et demi-soldes de l'État plutôt que des meurtriers et si, à la place de la prise de pouvoir méthodique et acharnée d'Adolf Hitler, il avait assisté à l'ascension laborieuse, méthodique et acharnée elle aussi, patiente, vaine, bonhomme, en un mot : grise plutôt que brune, de François Hollande aux fonctions de Président de la République française.
Les prudents et les imbéciles jugeront douteux, voire scandaleux mon rapprochement entre deux beaux-parleurs, l'un doué d'une aura et d'un verbe démoniaques, l'autre dépourvu de la moindre qualité susceptible de faire, d'un homme, un chef, d'un homme politique, un dirigeant à tout le moins compétent sinon respecté et d'un beau-parleur, autre chose qu'un lamentable amateur de petites blagues servies entre deux cocktails.
Il est pourtant clair qu'aux yeux de Karl Kraus, les meurtriers nazis, y compris leur Führer charismatique, n'étaient pas grand-chose de plus que des ombres bavardes, des médiocres qui, alliant cependant le geste à la parole, précédant leurs innombrables meurtres de paroles elles-mêmes criminelles, n'hésiteraient pas à tuer, et à couvrir leurs crimes (pour Kraus : en les exposant) de paroles et de mots tellement banals que des personnalités aussi remarquables qu'Hannah Arendt pourraient, à juste droit, estimer que leurs millions de victimes avaient été assassinées deux fois : une première fois par la violence, aussi banale qu'innommable, une seconde fois par l'extrême banalité du Mal, justement, se disant au travers de termes strictement techniques, solution finale par exemple étant la plus connue de ces expressions, Victor Klemperer en ayant analysé bien d'autres dans son remarquable LTI, la langue du 3e Reich. Je me demande d'ailleurs ce que Klemperer eût pu écrire d'une expression telle que redressement productif qui, après tout, n'aurait pas été incongrue comme slogan des camps, staliniens sinon nazis. Ce que nous pourrions appeler la puissance utopisante du langage est presque toujours meurtrière lorsqu'elle est utilisée par des politiciens plutôt que par des écrivains.
Il faut donc croire qu'existent, moins que des qualités de médiocrité différentes comme il y a des qualités différentes de bonté, des facteurs historiques et sociaux, des spécificités tenant au génie individuel aussi, d'épanouissement et de croissance de cette médiocrité, et que la médiocrité d'un homme qui ne ferait certainement pas de mal à une mouche, François Hollande bien évidemment, n'est pas, dans sa nature ontologique, fondamentalement différente de celle du Führer, qui a tué des millions d'hommes comme s'ils n'étaient rien de plus que des larves de mouches. La bonté est une, tout comme la médiocrité, au sens que Kraus donnait à ce mot, laquelle n'impliquait donc pas forcément qu'un homme médiocre baisse les yeux devant sa femme en colère ou qu'il souhaite se rendre au sommet des plus grandes puissances du monde sur un vélo, afin de paraître le faux humble qu'il n'est bien évidemment pas.
Un homme médiocre peut être un assassin, un père de famille tranquille ou même un socialiste arborant une cravate éternellement de guingois, mais sans doute ferais-je mieux comprendre l'apparent paradoxe que constitue mon propos en citant Ernest Hello, qui consacra des pages remarquables à la médiocrité faite homme, à la médiocrité parvenant, l'espace d'une vie et dans une enveloppe labile de chair fade, à s'incarner de façon parodique : «L'homme médiocre est juste-milieu sans le savoir. Il l'est par nature, et non par opinion; par caractère, et non par accident. Qu'il soit violent, emporté, extrême; qu'il s'éloigne autant que possible des opinions du juste-milieu, il sera médiocre. Il y aura de la médiocrité dans sa violence» (2). Autant dire que tous les génies, selon Hello, qu'il s'agisse du plus courageux des aventuriers, du plus admirable des artistes ou du scientifique le plus original, peuvent tous, au dernier recès de leur conscience, être qualifiés de médiocres.
Si la médiocrité est une, tentons de préciser les contours, forcément flous, du visage qui l'incarne et l'arbore comme une distinction éminente, la face blême de Homais capitaine du rafiot Feue la France, aux yeux de millions de Français et, apparemment, d'un nombre pas moins conséquent d'Anglais, d'Allemands, d'Américains ou même d'Espagnols et d'Italiens, tentons donc de qualifier de quelle pâte molle est composée l'homme creux qu'est François Hollande, un Président empaillé, une silhouette sans forme, une ombre décolorée dont les gestes sont sans mouvement, dont la force [est] paralysée selon la traduction donnée par Pierre Leyris du grand poème de T. S. Eliot, un homme dont la caboche [est] pleine de bourre et dont la voix, desséchée, est aussi sourde et inane que le trottis des rats sur les tessons brisés [d'une] cave sèche.
François Hollande est, paraît-il, Président de la République française. Il est même, ce sont les commentateurs politiques les plus avisés, les journalistes d'expérience et ceux qui l'ont personnellement connu qui n'ont pas peur de l'affirmer, il est même un homme. Un homme creux, certes, mais un homme tout de même, avec des passions creuses, médiocres, des colères creuses, médiocres, des enthousiasmes creux, médiocres, des petitesses et des grandeurs creuses, médiocres, un homme qui aura été Président d'une nation autrefois grande, respectée et crainte et qui ne survit plus, médiocrement, parmi les autres nations qui la regardent en souriant, qu'à crédit, un homme médiocre de pouvoir médiocre qui aura sans doute besoin de son écrivain médiocre, pourquoi pas Frédéric Beigbeder écrivant dans Un roman français (Grasset, 2009, pp. 20-21) cette phrase qui convient admirablement à la destinée médiocre de François Hollande et à sa geste translucide et flasque : «Ce livre serait alors une enquête sur le terne, le creux, un voyage spéléologique au fond de la normalité bourgeoise, un reportage sur la banalité française». Un reportage sur la banalité française ne pourrait convenablement ignorer celui qui en est le chantre, proposition inverse de celle affirmant une exception française mais tout aussi fausse, la seule marque dont s'honore la France ne pouvant être ni la banalité ni l'exception mais le génie, qui n'a aucun compte à rendre. Potachons quelque peu en écrivant que François Hollande pourrait peut-être être défini comme étant le génie de la banalité, celui qui, devant les amateurs de la médiocrité que nous sommes, en impose.
L'évidence, strictement scientifique, définit l'homme comme un corps vivant interagissant avec son milieu et ses semblables, occupant un certain volume et, surtout, doué de parole, ce qui suffit à le distinguer d'un colibri ou même d'un concombre de mer. Une partie évidente, la plus grande sans doute, des pouvoirs de la parole échappe aux expériences de laboratoire, tout comme l'âme, et peut donc être qualifiée d'irréductible.
Il ne serait pas charitable d'affirmer que François Hollande, s'il est un être doué de parole, d'une parole molle, d'une parole creuse, de la parole vide de l'homme creux, d'une parole dont la seule force de persuasion, donc la pesanteur selon Carlo Michelstaedter, réside dans sa capacité à faire des blagues de potache, ne possède néanmoins pas d'âme car François Hollande est doué de parole, d'une parole destituée puisqu'elle n'est que l'écho perpétuel de l'ondée monotone du sous-langage si brillamment évoquée par Armand Robin.
Le mystère est que François Hollande possède, comme nous tous, une âme. Le mystère absolu, avant même l'existence de Dieu, avant même la possibilité d'admettre que le pire des criminels possède une âme, réside dans ce pari qui eût effrayé Pascal, Hello et Bloy : il faut admettre que François Hollande possède une âme, une âme creuse, vide, comblée seulement par une parole creuse, vide, dont elle est à la fois l'origine et la fin, la matrice et le corollaire, la cause et la conséquence. L'âme étant par essence infinie, nous devons donc supposer l'existence d'une médiocrité infinie, étale, qui par son inaction même peut venir à bout du bien et du mal, ces dépenses inutiles aux yeux du médiocre. Le prodige incompréhensible est que le royaume de la médiocrité ne peut être confondu avec celui de l'absurdité : «Si l’homme, écrit ainsi Sören Kierkegaard dans Crainte et Tremblement, n’avait point de conscience éternelle, si au fond de toutes choses il n’y avait qu’une puissance sauvage et bouillonnante qui tout produit, le grand et le futile, dans le tourbillon de passions obscures; si sous toutes choses se cachait un vide sans fond que rien ne peut combler, que serait alors la vie sinon désespérance ? François Hollande et son gouvernement sont les marionnettes de ce vide sans fond dont le nihilisme est peut-être un des noms.
«Il y a des hommes, innocents ou criminels écrit ainsi Léon Bloy, en qui Dieu semble avoir tout mis, parce qu’ils prolongent son Bras et Napoléon est un de ces hommes» (3).
François Hollande, lui, n'est pas innocent. Il n'est pas criminel. François Hollande n'est ni l'un ni l'autre, n'a jamais été et ne sera jamais ni l'un ni l'autre, innocent ou criminel, et si, toujours selon Bloy, «Napoléon, c'est la Face de Dieu dans les ténèbres» (4), alors François Hollande est l'inimaginable face du Vide dans le rien. «Nul ne sait, ajoute le Mendiant ingrat en parlant d'un homme creux quoique prodigieusement dépensier d'actions et dévorateur d'hommes, Napoléon, nul ne sait ce qu'il est venu faire en ce monde, à quoi correspondent ses actes, ses sentiments, ses pensées; qui sont ses plus proches parmi tous les hommes, ni quel est son nom véritable, son impérissable Nom dans le registre de la Lumière. Empereur ou débardeur nul ne sait son fardeau ni sa couronne» (5).
Que savons-nous du nom réel de François Hollande, le nom, rigoureusement imprononçable, par lequel le néant commande pardon, laisse faire, se répandre, infuser, l'un de ses commis les plus efficaces ? Pouvons-nous imaginer, aussi, que des mots tels que couronne ou fardeau ne désignent pas des réalités absolument incompatibles avec les frêles épaules de notre Président qui pourtant, comme Napoléon, doit être considéré comme étant le bras de Dieu, celui (Celui) par lequel Il veut nous signifier la cohérence et la beauté de sa création, celui (Celui) par lequel Il accomplit sa volonté insondable ?
Évoquer l'âme de François Hollande est un exercice moins périlleux, d'un point de vue philosophique, que d'évoquer les qualités, ou plutôt l'absence de toute qualité qui distingue ce Président blagueur et le fond dans la masse, l'indistingue si je puis dire dans une foule grise d'hommes en costume sombre, et le réduit à n'être rien de plus qu'un homme creux, un homme qui pourtant possède, comme nous tous, un nom inconnu des hommes et qui sert, comme nous tous, son créateur, à moins, bien sûr, qu'Hollande, comme Napoléon, ne serve personne, comme le suggère, encore, Léon Bloy à propos de son grand homme médiocre : «Napoléon, semblable à un monstre qui aurait survécu à l'abolition de son espèce, fut vraiment seul, sans compagnons pour le comprendre ou l'assister, sans anges visibles et, peut-être aussi, sans Dieu, mais cela, qui peut le savoir ?» (6).
Le vide, le creux, deux notions que je ne confonds que pour les besoins de cette courte note, impliquent donc, dès qu'on les mentionne, un horizon ontologique immense et souverain, que tentèrent de scruter les plus grands philosophes et, bien sûr, les plus grands romanciers et poètes.
Si écrire c'est, peu ou prou, créer, François Hollande, quoi qu'il en dise, est l'ennemi fondamental de tout créateur, qui sera néanmoins, le cas échéant, heureux de recevoir les subsides des officines étatiques que son ministre de la Culture dirige.
Pour un poète hanté par l'idée de vide, de creux, de néant, François Hollande, qui n'a d'autre existence que celle que le vide, temporairement, lui a accordée, ne peut jamais surgir que par surprise, mais une surprise attendue, morne, étale, comme une interrogation non pas extrême mais banale, grise et même fade, un Sphinx légèrement souriant qui jamais n'exigera de vous une réponse qui peut engager votre vie. François Hollande, puisqu'il est un homme creux (7), est une surprise plate, un bouleversement attendu, une exception commune, une intrusion placide, l'homme qui jamais ne part puisqu'il est toujours-déjà-là comme la banalité la plus intime, à la différence de celui que prétendit chasser Sébastien Lapaque dans un livre très vaguement bernanosien, autant de modes d'intrusion qui ne peuvent en aucun cas se confondre avec la violence entraînant le corps et l'esprit du poète frappé par la brutale déhiscence du rien :

«One evening like the years that shut us in,
Roofed by dark-blooded and convulsing cloud,
Led onward by the scarlet and black flag
Of anger and despondency, my self :
My searcher and destroyer : wandering
Through unnamed streets of a great nameless town,
As in a syncope, sudde, absolute,
Was shown the Void that undermines the world.
»

«Un soir semblable aux années qui nous enferment
Réfugié sous le nuage convulsif et sombre comme le sang,
Entraîné par le drapeau écarlate et noir
De la colère et de l’accablement, moi-même :
Mon inquisiteur, mon destructeur : errant
À travers les rues innommées d’une grande ville sans nom
Quand, syncope soudaine, illimitée,
Apparut le vide qui mine le monde.» (8)



C'est une autre évidence qui saisit le romancier lorsqu'il décrit, dès les toutes premières lignes de son livre, le vide qu'est devenu le monde : «Le froid et le silence. Les cendres du monde défunt emportées çà et là dans le vide sur les vents froids et profanes. Emportées au loin et dispersées et emportées encore plus loin. Toute chose coupée de son fondement» (9).
Toute chose coupée de son fondement, écrit Cormac McCarthy. François Hollande n'a pas de fondement puisque, comme tout vide, il est sans fond. Il reste quelques fondations, plus solides que le croient sans doute les techniciens de Bruxelles et les énarques de Paris, à notre pays et il est donc normal que l'homme creux qu'est François Hollande ait prétendu désamarrer un navire qui fait pourtant eau de toutes parts, la France, de son môle en coupant par exemple le lien de la filiation et, par exemple encore, en donnant quelque crédit aux ridicules théories dites du genre qui se proposent de mettre en place, sans le moindre à-coup politique, l'utopie meurtrière d'une société où femme et homme se confondent, bientôt vieillard et enfant, ces mots suspects n'étant considérés comme rien de plus que de réactionnaires conventions lexicales recouvrant une réalité perpétuellement modelable, changeante et indéfinissable.
Bien évidemment, il serait faux de croire que, une seule fois dans sa vie, François Hollande ait pu fermement décider de conduire une action politique ou même de prendre une décision. L'excès répugne au médiocre qu'est l'homme creux et jamais celui-ci ne décide ou ne se décide, tout comme il ne décide même pas de ne rien faire : il flotte, comme une méduse, au gré des courants, et filtre l'eau qui passe à sa portée, comme une moule, y trouvant sa maigre nourriture. L'homme médiocre, s'agitant aux quatre vents, ne possède aucune assise, qu'elle soit intellectuelle, philosophique ou religieuse, morale ou politique, ce qui ne signifie pas qu'il aime particulièrement être ballotté par des courants qu'il ne peut maîtriser. Du moins essaie-t-il de ne pas trop s'éloigner du rivage, car il n'aime pas le grand large, et la perspective que des millions de mètres cubes d'eau se trouvent sous ses pieds le terrorise. Il flotte, certes, mais il déteste plus que tout perdre pied, devoir se résoudre à ne plus s'enter sur l'être, ne plus le parasiter, car l'homme médiocre ne tire sa force réellement prodigieuse que de sa capacité à vampiriser ce qui est. Il ne détruit pas. Il dilue. Il ne dévore pas. Il mâchonne. Il n'abat pas. Il digère sans fin.
Notre placide Président s'est donc contenté de laisser faire, puisqu'il ne décide de rien, ne dit jamais oui et ne dit jamais non, envoyant au front l'un de ses ministres, une femme dont les ennemis politiques, eux-mêmes creux, saluent la pugnacité et même le courage, une femme devenue ministre et elle aussi parfaitement creuse, l'hélium de l'idéologie étant finalement le gaz le plus commun que les usines universitaires françaises aient produit depuis des décennies, qui plus est en quantités massives. Heureusement, le gaz idéologique ne réchauffe pas l'atmosphère mais la refroidit : l'idéologie, quelle qu'elle soit, est le froid le plus pur et François Hollande, en médiocre émérite qu'il est, s'en tient à raisonnable distance.
J'ai écrit que François Hollande n'aimait pas dire oui, tout comme il n'aimait pas dire non. Ernest Hello analyse cette banale incapacité du médiocre, son arme la plus destructrice : «Il trouve insolente toute affirmation, parce que toute affirmation exclut la proposition contradictoire. Mais si vous êtes un peu ami et un peu ennemi de toutes choses, il vous trouvera sage et réservé. Il admirera la délicatesse de votre pensée, et dira que vous avez le talent des transitions et des nuances» (op. cit., p. 60).
François Hollande ne croit pas en Dieu bien qu'il Le serve, et il ne croit bien évidemment pas au diable même s'il ne dédaignera jamais, pour montrer l'étendue considérable de sa liberté intellectuelle, d'en moquer les romantiques atours.
François Hollande n'admire rien, pas même sa constante jovialité, son sens de l'humour si fin et la politique, car c'est une politique, c'est-à-dire une symbolique, que la politique hollandaise, qu'il laisse à ses collaborateurs le soin de mener à sa place. En un mot, François Hollande ne s'admire pas mais, bien sûr, il ne se déteste pas : «L'homme vraiment médiocre admire un peu toutes choses; il n'admire rien avec chaleur. Si vous lui présentez ses propres pensées, ses propres sentiments rendus avec un certain enthousiasme, il sera mécontent. Il répétera que vous exagérez; il aimera mieux ses ennemis s'ils sont froids, que ses amis s'ils sont chauds. Ce qu'il déteste par-dessus tout, c'est la chaleur» (ibid., 59). La chaleur, oui. Le froid également.
François Hollande n'est pas le froid, tout comme il n'est pas la chaleur. François Hollande doit même répugner à être tiède car la volonté de se tenir, toujours, au centre, reste encore une volonté, alors même que François Hollande n'aspire qu'à une seule chose, le vide, pour lequel la volonté, même la plus ténue, constitue un affront impardonnable.
François Hollande parle, et même, ne fait que cela, parler. Serait-il dès lors possible de rattacher l'homme creux au domaine du langage qui, nous le savons, est bien obligé, pour dire, pour dire ne serait-ce qu'une banalité ou un mensonge, d'être rattaché à l'être ?
Rien n'est moins sûr, car la parole, face au vide, est impuissante : «Question au néant, au vide; question du vide autour de laquelle s’affole la parole impuissante et, pourtant, maîtresse de la question» (10).
Si elle est impuissante face au vide, le vide, néanmoins, parle, puisque François Hollande ne fait que parler, parler et encore parler, c'est-à-dire mentir, comme l'a avoué un menteur et médiocre, Jérôme Cahuzac, qui s'exonère finalement de son mensonge et de sa propre médiocrité en prétendant avoir déniché un mensonge total, une médiocrité irréfragable, ceux d'un Président de la République française qui mentirait sur l'état réel de la nation qui l'a porté au pouvoir, et qui ne tromperait que les imbéciles sur la nature du vide qu'il anime, de blague en blague, la dernière de ces blagues pouvant finalement nous coûter cher et ne pas se révéler si drôle que cela, puisque le doigt insigne du Président peut déclencher à tout moment la puissance nucléaire.
Je ne crois pas que François Hollande mente, il n'en a pas la capacité, qui prouverait à tout le moins qu'il est, encore, du côté de la vie et de la vérité : celui qui ment, sauf à le supposer menteur par omission ou distraction, sait qu'il ment contre la vérité. Il prend un risque, ne serait-ce que celui d'être mise à nu et d'être ainsi confondu comme ce qu'il est, un menteur, alors même que le risque est un mot, une réalité, une exigence que François Hollande ne peut connaître.
Pourtant l'homme creux parle, comme Kurtz, comme Ouine, comme le Marius Ratti de Broch : «Au lieu de cela, son regard m’atteignit et c’était qui ne contenait absolument rien, si ce n’est un vide effrayé et effrayant, c’était le creux en soi, dans son amertume la plus douloureuse, et je reconnus le visage modelé autour de ce regard sans regard, je reconnus que cette face […] n’était rien qu’un masque avec deux trous pour les yeux» (11).
Et une bouche aussi, d'où sort ce que j'ai appelé une parole viciée, non point mauvaise ou, comble de l'inélégance hyperbolique, démoniaque, mais creuse, blanche, vide. Non pas une parole qui sonne faux (12) mais une parole qui sonne creux.
L'homme creux est un maître du langage creux, qui est un langage brisé, le langage de la discontinuité selon Max Picard dont je ne peux que recommander la lecture de L'Homme du néant, qui écrit : «Les paroles de l’homme, dans le monde de la continuité, semblaient n’avoir pas de commencement, mais venir de quelqu’un qui les transmettait, comme font les ouvriers dans un chantier lorsqu’ils se passent des tuiles du sol jusqu’au faîte, et les mains des hommes forment comme une route unique où circulent les tuiles. Les paroles des hommes semblaient n’être que les moments perceptibles d’une conversation qui venait de très loin et qui se poursuivait. Les hommes d’autrefois se trouvaient présents dans ces paroles, et quand on s’arrêtait sur l’une d’elles, on croyait y percevoir la rumeur de ceux qui avaient été et de ceux qui n’étaient pas encore» (13).
L'homme creux qu'est François Hollande n'a pu accéder au pouvoir qu'à la faveur d'une distraction du peuple français (à moins que lui aussi n'ait décidé de faire une blague à un homme qu'il savait être médiocre et incompétent), et cette distraction est encore l'une des figures de la discontinuité qu'évoque Max Picard.
Cette discontinuité essentielle de la modernité explique sa fringale de changements, de progrès et même, de révolutions : qui a tout perdu n'a plus qu'à se jeter dans l'inconnu et troquer la certitude d'une vie quotidienne moins grise que pérenne, conservatrice au sens noble de cet adjectif, contre le courage politique (et même, simplement : humain) mais aussi la folie qu'il faut incontestablement posséder pour prétendre faire table rase du passé, de l'assise inébranlable que confère la tradition au geste le plus humble.
Les publicistes comparent souvent notre époque trouble avec celle que connut la France à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Ils nous disent que la société française est désormais prête à vivre toutes les aventures, comme l'était celle des années 30 dont nous rappelons ici, au travers de l'une de ses revues les plus fameuses, l'inquiétude politique et spirituelle : «La crise est totale, sociale et politique, administrative et économique. Les remèdes particuliers ne suffisent plus. À quoi bon dépenser nos forces à vouloir rendre la jeunesse à un moribond ? Prolonger son agonie, c’est préparer la nôtre. Pactiser avec lui, c’est se laisser contaminer. La tentation réformiste mène aux complicités avouées ou tacites. Les mesures partielles ne sont que des leurres ou chantages. Un changement de plan total est nécessaire» (14). François Hollande se veut réformiste et il serait assez comique de l'imaginer promouvoir un changement de plan total que du reste pas même un conflit mondial terrifiant n'a été capable d'imposer en France ou en Europe.
Impuissant, ne désirant de toute façon pas agir, fût-ce pour réformer, ce prurit des dirigeants politiques, le médiocre parle, ne fait rien d'autre que parler, en utilisant des mots morts selon Henry de Montherlant, dans le creux desquels la nation s'engouffre (15), dans le creux desquels le pays s'effondre, révélant, même aux plus bornés des optimistes, la réalité de sa fragilité et, aux plus téméraires thuriféraires du Président, la nature réelle de son gouvernement de commis, de paltoquets et d'ombres d'ombres (16).
Des mots morts dans lesquels la parole qui est la vie s'engouffre, puisque le hollandisme n'est pas un humanisme mais la ruine tranquille de tout humanisme et de la vie réduite à sa plus creuse mécanique, le filet intarissable de parole limoneuse capable de fissurer puis faire éclater une muraille de diamant.
Finalement, c'est le rien qui m'est venu à la bouche en évoquant François Hollande.

Notes
(1) La traduction est celle de Pierre Leyris, dans Poésie (Seuil, coll. Le don des langues, 1976), p. 106.
(2) L'homme. La vie. La science. L'art (Librairie académique Didier, Perrin et Cie, Libraires-éditeurs, 1894), p. 57.
(3 Le Sang du pauvre, Œuvres de Léon Bloy, t. IX (Mercure de France, 1983) p. 90.
(4) L'âme de Napoléon, Œuvres de Léon Bloy, t. V (Mercure de France, 1966), p. 271.
(5) Ibid., p. 273, l'auteur souligne.
(6) Ibid., p. 285.
(7) Commentant les vers célèbres de T. S. Eliot, Helen Gardner écrit ainsi : «Les hommes creux sont comme les personnages se lamentant que Dante rencontrera dans le no man’s land avant de traverser la rivière pour entrer en Enfer, ceux qui vivaient sans reproche et sans louange, rejetés par l’Enfer, car s’ils y entraient, les méchants auraient quelque sujet de gloire», in T. S. Eliot (Seghers, 1975), p. 127.
(8) David Gascoyne, Miserere (éditions Granit, 1989), pp. 48-9.
(9) Cormac McCarthy, La Route (traduction de François Hirsch, Éditions de l’Olivier, 2008), p. 16.
(10) Edmond Jabès, Le Livre des marges (Le Livre de poche, coll. Biblio essais, 1987), p. 52.
(11) Hermann Broch, Le Tentateur (Gallimard, 1991), p. 123. Hannah Arendt évoque l'exemple de Kurtz dans un passage qui nous permet de comprendre que l'homme médiocre ou creux, parce qu'il ne possède aucune attache, peut être l'homme de toutes les aventures : «La nouveauté de la ruée vers l'or sud-africain tenait à ce que, cette fois, les chercheurs de fortune n'étaient pas nettement à l'extérieur de la société civilisée, mais au contraire très clairement un sous-produit de cette société, un inévitable résidu du système capitaliste, voire les représentants d'une économie produisant sans relâche une superfluité d'hommes et de capitaux. Les hommes superflus, «les bohémiens des quatre continents» qui se ruèrent vers le Cap avaient encore beaucoup de traits communs avec les aventuriers du passé. [...] Leur seul choix avait été un choix négatif, une décision à contre-courant des mouvements de travailleurs, par laquelle les meilleurs de ces hommes superflus, ou de ceux qui étaient menacés de l'être, établissaient une sorte de contre-société qui leur permit le moyen de réintégrer un monde humain fait de solidarité et de finalités. Ils n'étaient rien en eux-mêmes, rien que le symbole vivant de ce qui leur était arrivé, l'abstraction vivante et le témoignage de l'absurdité des institutions humaines. Ils étaient l'ombre d'événements avec lesquels ils n'avaient rien à voir. Comme M. Kurtz dans Au cœur des Ténèbres de Conrad, ils étaient «creux jusqu'au noyau», «téméraires sans hardiesse, gourmands sans audace et cruels sans courage». Ils ne croyaient en rien et «pouvaient se mettre à croire à n'importe quoi – absolument n'importe quoi». Exclus d'un monde fait de valeurs sociales reconnues, ils s'étaient vus renvoyés à eux-mêmes et n'avaient toujours rien sur quoi s'appuyer, si ce n'est çà et là, une étincelle de talent qui les rendait aussi dangereux qu'un Kurtz. Car le seul talent qui pût éclore dans leurs âmes creuses était ce don de fascination qui fait un «splendide chef de parti extrémiste». Les plus doués étaient des incarnations ambulantes de la rancœur, tel l'Allemand Carl Peters (peut-être le modèle de Kurtz) qui admettait ouvertement qu'il en «avait assez d'être compté au nombre des parias et voulait faire partie d'une race de maîtres». Mais, doués ou non, ils étaient «tous prêts à tout, du pile ou face au meurtre prémédité», et, à leurs yeux, leurs semblables n'étaient «rien de plus, d'une manière ou d'une autre, que cette mouche». Ainsi introduisirent-ils – ou, en tout cas, apprirent-ils vite – le savoir-vivre convenant au futur type de criminel pour qui le seul péché impardonnable est de perdre son sang-froid», Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme. Eichmann à Jérusalem (Gallimard, 2002), pp. 456-7.
(12) Bruno Le Maire déclarait ainsi, le 17 mai 2013 sur l'antenne de France Info : «C'est une parole qui sonne faux. C'est une parole qu'on n'écoute plus, parce qu'il a dit tellement de choses et il a fait tellement le contraire que plus personne ne peut le croire». L'homme creux ne ment pas, sa parole étant le morne flot du vide qui jamais ne prend parti, se moque de la vérité tout autant que du mensonge.
(13) Max Picard, L’Homme du néant [1945] (traduit de l’allemand par Jean Rousset, Neuchâtel, éditions de la Baconnière, 1946), p. 101.
(14) Ordre Nouveau, n°9, mars 1934, p. 5.
(15) «Gouvernants, méfiez-vous des mots. Ils soulèvent les montagnes quand ils sont des mots vivants ; ils les sapent quand ils sont des mots morts. Rappelez-vous que, de même qu’il est préférable de ne pas donner un ordre, à en donner un dont l’exécution ne sera pas exigée, de même il est préférable de se taire, à lâcher des mots qu’on a privés de leur aiguillon; je vais jusqu’à croire que le vice du verbiage est une des causes de notre décadence : on avait beau nous dire (comme aujourd’hui) les meilleures choses du monde, personne n’écoutait plus. Qu’on me pardonne un concetto : dans ce creux, la nation s’engouffre», Henry de Montherlant, Le solstice de juin (Grasset, 1941), pp. 172-3.
(16) Henry de Montherlant, encore, évoquant l'armée française, le changement qui fut à ses yeux le sien et qui l'a affectée jusqu'à ses racines, et qui en modifia, tout simplement, l'être même, en le remplaçant par un leurre : «Et c’était bien cela, l’armée chrétienne, c’était bien une armée académique qui se battait, ou, plus exactement, qui était battue : rouscaille, genre affranchi, et en réalité académisme et conformisme effrénés; couplets sur la jeunesse (sa propre jeunesse !), et en réalité sénilité conformiste, académique et chrétienne : tradition ! tradition ! Alors que l’armée qui nous poussait devant elle était celle d’un pays qui avait fait une révolution, et qui ne se souciait ni des conventions, ni des codes ni des usages. Officiers de réserve qui commandaient non parce qu’ils étaient des chefs nés, mais parce qu’ils avaient une bonne mémoire, et officiers d’active qui commandaient non parce qu’ils étaient des hommes de caractère, mais parce qu’ils avaient de bonnes notes de conduite, lesquelles prouvent généralement le manque de caractère : guerriers qui avaient peur de tout, de leurs supérieurs, du qu’en-dira-t-on, du «lendemain», des lois, de «Dieu», – de la mort, de la vie. [F]aux aventuriers, qui ne s’étaient jamais aventurés que dans les salles de rédaction, pour y dicter à un copain complaisant leurs exploits imaginaires; faux «durs» (les belles épaules étant du rembourrage); faux bronzés (le hâle était obtenu à l’électricité) : une société où tout était chiqué et trompe l’œil, où tout était fait pour la phrase, la caméra, le reportage, l’opinion; une société où tout était creux, et qui de là s’écroulait au premier choc, comme un cartonnage de théâtre […]», in ibid., pp. 299-300.

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