La Religion perverse. Essai sur le charisme, de Jean-Luc Evard (12/01/2016)
Photographie (détail) de Juan Asensio.
Jean-Luc Evard dans la Zone.
La théologie politique dans la Zone.
La voie de recherche de Jean-Luc Evard, contributeur passé assez régulier et passionnant de la Zone, dont j'avais évoqué deux des ouvrages, Ernst Jünger, autorité et domination et Signes et insignes de la catastrophe, est originale puisqu'elle tente de sonder le cœur de l'anomie du pouvoir politique dans ce très intéressant livre qu'est La Religion perverse. Essai sur le charisme (1). Comme dans son étude sur Ernst Jünger, c'est la question du langage qui, une fois encore, est centrale dans le livre que nous évoquons, et dont le premier chapitre, qui sert de longue introduction, éclaire la problématique assez simple, telle qu'elle est exposée et en partie rappelée dans le dernier chapitre, intitulé La fusion perverse : «Les «religions politiques» ou «séculières» identifiées par Voegelin et Aron ne sont», aux yeux de Jean-Luc Evard, «qu'une des formes possibles de la régression fusionnelle consécutive à l'érosion de la tradition et de son autorité» (p. 176). C'est cette érosion de la tradition, décrite comme étant un «processus irréversible», qui «alimente discrètement une formidable demande charismatique, susceptible de cristalliser à n'importe lequel [sic] des interfaces de champs, social ou culturel, politique ou religieux» (p. 179), qui aura pour effet après tout logique de provoquer l'émergence d'une tradition de contrebande pourrait-on dire, d'un marché noir de l'offre charismatique ou, pour le dire avec Carlyle, des grands hommes, au sens purement historique de cette expression, qui n'a que peu de rapports, pour ne pas dire aucun, avec une quelconque appréciation morale de leur action.
De fait, «l'émergence de l'offre charismatique» aura été, selon l'auteur, «l'événement inattendu auquel la philosophie politique n'aura pas su répondre» (p. 178), peut-être en raison de sa capacité, nous dit Jean-Luc Evard, à faire fusionner plusieurs champs qui, autrefois parvenaient vaille que vaille, en demeurant plus ou moins étanches, à assurer la rigidité d'une colonne vertébrale garantissant «le principe de séparation «des pouvoirs» laborieusement réglé par les Temps modernes» (p. 182). Ainsi, les «religions politiques» qui sont je crois l'une des plus fascinantes questions de théologie politique (donc de politique tout court, et cela encore à notre époque laïcisée à outrance, du moins en apparence; peut-être plus que jamais à notre époque même, avec le réveil de l'Islam guerrier et conquérant), ne représentent qu'une «appellation par défaut, visant un des aspects les plus spectaculaires des sociétés closes [ou totalitaires]» et peuvent selon Jean-Luc Evard être assimilées à des «tendances à la confusion du religieux et du politique» (p. 175, l'auteur souligne). C'est de cette fusion entre plusieurs sphères que va naître le charisme, notion inégalement traitée au travers des chapitres de notre livre, mais qui ne sera jamais complètement perdue de vue.
Revenons pour le moment au premier chapitre de l'ouvrage de Jean-Luc Evard, qui décrit le processus allant de l'économie à l'anomie du pouvoir.
Il s'agit, dans ces premières pages générales, de savoir d'où les régimes totalitaires tirent leur «force de dissuasion», «force forte de toute la force de l'imaginaire», laquelle «leur permit de paralyser longtemps leurs adversaires» (p. 14), et aussi d'analyser le caractère inattendu de l'événement qui peut «débusquer les significations» d'une époque, à savoir ce que Jean-Luc Evard nomme «l'inouï» (p. 17). Cette réflexion s'insère elle-même dans les linéaments d'une problématique que l'auteur expose en ces termes : «Comment aller au-delà de l'étonnement que suscite la déflation sans fin de la transcendance ?» (p. 20), déflation dans laquelle prospère la maladie autoritaire, ou encore : «puisqu'il n'y a ni ne peut y avoir de limite à cette déflation, comment les substituts d'autorité aménagés au fil de cette transformation peuvent-ils eux-mêmes résister à l'érosion ?» (p. 21). Il y a en tout cas, au cœur de ce complexe motif de signes, de symboles et d'ambiguïtés, «un nœud d'hétérogénéité» (p. 25), provoquant la conséquence selon laquelle «des discours pris dans des champs hétérogènes peuvent néanmoins concourir à la genèse de l'argument et de l'affect du pouvoir absolu», non pas tant que ce dernier cherche à être tyrannique, «mais parce qu'il cherche à couvrir d'un seul et même mouvement les trois champs jusqu'alors tenus pour distincts et non permutables du politique, du religieux et de la culture» (pp. 32-3, l'auteur souligne).
S'attardant au caractère hétérogène de ce que nous pourrions appeler une sorte d'abcès de fixation du pouvoir autoritaire, qui peut parfaitement faire vibrer de concert les deux cordes en apparence différentes de l'apathie et de la férocité (cf. pp. 34-5), de l'élitisme et de la fange, Jean-Luc Evard récuse non seulement «le concept-baudruche de l'idéologie», mais repère «le point aveugle du syntagme «religion politique» ou «séculière», et relève «qu'il n'y a pas moins d'hétérogène que d'homogène à l’œuvre dans la passion mélancolique des totalitaires pour l'absolu asymptotique du pouvoir» (p. 35), absolu dont il souligne par ailleurs la continuation «dans l'époque totalitaire, après la disparition des régimes totalitaires en société industrielle» (p. 36). Ainsi, choisissant d'évoquer tour à tour les travaux remarquables d'Ernst Kantorowicz, les thèses sujettes à caution de Martin Heidegger lecteur de Hölderlin ou encore le navet «des plus lamentables, qui ne trouva pas d'autre éditeur que le parti nazi» (p. 40) de Joseph Goebbels lecteur de Van Gogh et de Dostoïevski, Jean-Luc Evard peut-il légitimer sa démarche herméneutique, en soulignant que son corpus lui permet non seulement de «vérifier la portée de l'hypothèse syncrétiste (notre corpus est hétérogène mais il présente une unité, le leitmotiv de la «Révolution allemande»)», mais lui permet aussi de la pousser à ses limites : «cette unité ne se donne pas là où ces textes la cherchent (pas là où ils imaginent la Révolution qu'ils invoquent), mais dans un ailleurs dont nous pouvons présumer et dont nous voulons nous assurer qu'il correspond à ce qui dans le totalitarisme passe infiniment le totalitarisme» (p. 41). C'est ailleurs, c'est celui d'une autorité au sens le plus fort du terme, d'un charisme qui ne trouve plus aucune solution pour se fonder, se légitimer, si ce n'est en faisant figurer, comme dans le livre de Goebbels, «l'attente du pouvoir absolu d'essence apocalyptique» (p. 40).
Et l'auteur de définir ce qui, dans le totalitarisme, «passe le totalitarisme», et qui «tient moins à ce qu'il dit de l'homme à venir comme absolu de volonté infatuée d'infinitude et ce qu'il tait de l'aboulie secrète de cet homme, qu'à ce qu'il fait des morts» (p. 42) ou plutôt, plus précisément, des textes des morts. C'est parier non seulement sur une possible déformation de ces textes, tordus et gauchis pour faire servir les intérêts du commentateur qui ainsi disposera, croit-il, du levier d'Archimède nécessaire pour conjurer le prestige des dieux enfuis, mais c'est aussi parier sur l'émergence d'une catégorie que l'auteur tentera d'approcher durant tout son ouvrage, et qui lui a donné son sous-titre, à savoir le charisme.
Le deuxième chapitre, intitulé immutator mundi est consacré au magistral Frédéric II d'Ernst Kantorowicz, historien qualifié de «révolutionnaire conservateur» (p. 56) et c'est au long de ces pages remarquables évoquant la passion de l'historien pour le pouvoir absolu (cf. p. 80) que la notion de charisme est délaissée, pour ne réapparaître qu'à la toute fin du chapitre, par le biais d'une cheville assez rhétorique (cf. p. 81). Pourtant, Frédéric II n'a certes pas dû être dépourvu de ce charisme, lui qui est décrit par l'auteur comme l'homme seul capable de concilier les vertus du révolutionnaire et du monarque absolu : «vers le haut, il redistribue sans ménagements les insignes du pouvoir légal et légitime (investitures, fiefs, emblèmes dynastiques), vers le bas, il capitalise l'énergie des séditions et sécessions anti-institutionnelles au sein de la chrétienté» (p. 56). Mais c'est ne donner là, du charisme, que son acception la plus commune, qui n'est pas celle qui, de chapitre en chapitre, est méticuleusement et si finement tissée par l'auteur : le charisme, tel que Jean-Luc Evard l'entend, est comme une espèce d'aura sémantique circulant dans une multitude de sphères de la société et, d'abord, dans ses sphères les plus hautes, les plus cultivées, Stefan George et son cercle lisant Ernst Kantorowicz, rêvant d'une «contre-évolution» qui serait imaginée pour construire «l'image d'un pouvoir indivis, unité inconditionnelle du «droit», de la «justice» et de la «grâce» en la personne de Frédéric II. La société quelque peu fermée des georgiens rêve d'un État qui aura absorbé en soi le tout de la société et de la communauté, qui sera et ce Tout et le Verbe de ce Tout» (p. 78). C'est évoquer, point assez à notre goût, la question de la langue dans son rapport à un sacré affaibli, affadi, et qu'il va donc s'agir de réinvestir, en lui insufflant une vie. Paradoxe de nos clercs (car ils sont des clercs, quoi qu'ils disent) : comment redonner vie à une langue anémiée si ce n'est pas le sang, ce sang qui ne coule jamais que métaphoriquement dans les poèmes de Stefan George ?
C'est au tour de Martin Heidegger de lire Hölderlin, sur les brisées de Norbert von Hellingrath, initiateur de la «première édition intégrale et critique des œuvres de Hölderlin, à partir de 1913» (p. 83), un érudit auquel Heidegger rendra hommage dans Hölderlin et l'essence de la poésie traduit en 1937 par Henri Corbin. Dans ce troisième chapitre, Jean-Luc Evard montre, une fois de plus, la circulation subtile entre les textes et les époques : «Ainsi replacés dans l'enchaînement effectif des textes et des péritextes (des textes et de leurs dédicaces), ces énoncés nous font entendre quel est le programme de cette «Allemagne secrète» : le poète (George) et le penseur (Heidegger) rendent hommage au moine-soldat (Hellingrath), clercs et soldats rendant à leur tour hommage au Hohenstaufen clerc et roi dans la même personne, basileus germain régnant en Italie, fondateur d'empire, de cet empire qui avait brièvement réuni et la Germanie et la Petite-Grèce» (p. 102). Il s'agit toujours, en somme, comme l'écrit Hellingrath que cite longuement Jean-Luc Evard, d'opérer une fusion entre plusieurs ordres distincts : la politique et la religion, la religion et l'art, l'art et la politique, autant de sphères entre lesquelles circulent les signes plus ou moins torves qui fonderont la prétention au pouvoir charismatique, censé englober toutes ces sphères. Comme l'écrit Evard, il est urgent de «reconstituer la chaîne des transitions qui, d'une œuvre poétique (Hölderlin), mènent à un discours sur la poésie (Hellingrath) et, de ce discours, à un discours politique construit comme discours poétique, à un discours poétique construit comme discours politique (en 1934-1935, le second Heidegger les déclare équivalents)» (p. 117, l'auteur souligne). Hellingrath, donc, dans son Préliminaire de présentation de son édition des Œuvres complètes de Hölderlin, peut écrire : «Et là encore l'annonciation même engage l'annonce, la rauque voix intérieure qui dit la vie et la venue des Célestes atteste ce qui laisserait incrédule : même de nos jours, une foi véritable comme celle d'enfance peut convoquer les dieux, la légende, ce penser authentiquement mythique, n'a pas encore expiré parmi nous qui sommes nés sur le tard; atteste que, même si nous savons à quel point nous sommes nés «désamarrés», nous voyons dans l'Hellade notre préhistoire et notre passé, que, d'une manière ou d'une autre, ce foyer de notre jeunesse et les dieux anciens de ce foyer natal vivent encore parmi nous, qu'il leur presse de trouver nouvelle existence et nom nouveau» (p. 108, tout le passage est en italiques, puisqu'il s'agit d'une traduction donnée par Jean-Luc Evard). Si nous sommes nés sur le tard, comme l'affirme Hellingrath en s'autorisant de sa lecture de Hölderlin, du moins pouvons-nous tenter de rejouer le drame d'une fusion où politique, art et religion seraient le plus étroitement possible déclarées indivisibles. Cette esthétique est le contraire même de l'art pour l'art, et Jean-Luc Evard souligne qu'il faut lire «Stefan George», mais aussi les autres, Kantorowicz et bien évidemment Heidegger, «comme un anti-Benda : l'essence du clerc georgien est de reprendre le pouvoir, d'en restaurer le principe ouvertement charnel et mortel» ou bien, «de mettre fin, aurait dit Maurras, à la vacance de l'«intelligence» désœuvrée dans la religion de l'art pour l'art ou dans le ministère de l'opinion» (p. 119). Il n'en reste pas moins que seul Heidegger se compromettra durablement avec le pouvoir nazi.
C'est dans le quatrième et avant-dernier chapitre de l'ouvrage de Jean-Luc Evard, intitulé L'illettriste et consacré à un aspect peu connu de la carrière de Goebbels, sa passion pour un certain type de littérature mâle et grandiloquente, que l'auteur va analyser à notre sens le plus finement la notion de charisme, évoquant les noms de Van Gogh (l'épistolier plutôt que le peintre) et de Dostoïevski dans leur figuration commune du personnage du Christ, mais aussi de Moeller Van den Bruck,que Goebbels plongera dans son bouillon peu appétissant.
C'est dans Michael que Goebbels, mettant en scène son double selon Evard, poussera le plus avant l'identification entre le Christ charismatique et le Führer, seul personnage digne de sauver celui qui dans ses Journaux notait dans les années 1920 son désarroi : «Chaos... Révolution en moi... Désespoir... Idées de suicide... L'inflation. Quelle époque dingue... Joie secrète en moi. Oui, il faut que le chaos arrive pour que les choses s'arrangent. Le communisme. Juifs. Je suis un communiste allemand» (p. 140). L'allusion, que l'on devine (a posteriori seulement ?) peu amène aux Juifs en moins, Ernst von Salomon aurait sans doute pu signer ces lignes lorsqu'il rédigeait ses Réprouvés.
Voici de quelle manière Jean-Luc Evard analyse ce que nous pourrions appeler la reductio ad Hitlerum du Christ. Je me permets de citer longuement ce passage remarquable, condensé des pages denses du Tentateur où le grand Hermann Broch analysera le phénomène du faux guide au charisme noir : «le charisme en question est à la fois la charis paulinienne (le remplissement de l'être-là par l'Esprit et par l'intercession baptismale d'un témoin de cet Esprit) et l'emprise exercée sur cet être-là par celui qui s'instaure ce témoin et ne le fait – comment ferait-il autrement – que par imposture. La charis ne survient que d'elle-même et dépasse infiniment celui à qui elle se donne. Qui l'invoque en argument d'autorité – en est l'aboyeur, l'Imprécateur qui, au nom de son bruyant ministère d'envoyé du Seigneur, en prive ceux à qui il la distribue : sur la scène communielle qu'il simule et manipule, il érige la «communauté-du-Peuple» qui va mettre à mort les juifs et les chrétiens. Il est proprement terrifiant que la destruction hitlérienne du christianisme ait trouvé son arme la plus efficace dans cette reproduction théâtrale de la scène originaire de l'histoire chrétienne (terrifiant, parce qu'on eût été en droit d'escompter que la chrétienté, elle justement, reconnût en son temps ce qui germait en son sein. La chrétienté étant ce qui reste du christianisme, il est possible que cela, cette «fascination», soit précisément la raison de cette impuissance et de cette cécité : ne sait-on pas que, Stefan George le rappelle dans un de ses poèmes les plus cruels, l'Antéchrist a ceci de singulier que nul ne peut le distinguer de Christ ?)» (p. 142). L'évocation du la figure de l'Adversaire final du Christ ne peut que nous rappeler les figurations qu'en furent Soloviev, Dostoïevski, à sa façon cryptée, Carl Schmitt ou encore David Jones.
Analysant le charisme ou, plutôt, ce qui se fit passer en Allemagne, dès avant la Deuxième Guerre mondiale, pour du charisme et qui n'était, dans le meilleur des cas, que la crâne et aristocratique volonté de donner plutôt que de redonner, par exemple dans le cercle de Stefan George, une aura mystique à la langue allemande censée porter jusqu'à son incandescence la grandeur du peuple allemand et, dans le pire des cas, rien d'autre que la vieille prétention à la littérature d'un Goebbels, Jean-Luc Evard peut proposer la formule du «magma» que fut «la révolution conservatrice allemande œuvre de Moeller Van den Bruck passeur allemand de Dostoïevski» : «elle fut la première grande crise d'exaspération dans la tension croissante du religieux et du politique. Tous ses auteurs cherchèrent ardemment à la résoudre, soit, comme les hitlériens, en pariant pour une simulation religieuse de l'institution politique, soit, comme Jünger, en affirmant que le règne de la technique annonçait la mise à mort de la civilisation chrétienne, soit, comme Carl Schmitt, en entreprenant un «retour» à la théologie politique des origines. Quant à Heidegger, personne n'a encore réfuté la lecture qu'en fait Hans Jonas et sa monstration des accents gnostiques de cette œuvre (du premier au dernier texte). Religion politique, religion ou politique, domination charismatique... : l'impensé et l'impensable de l'articulation apparaissent au grand jour, et déclinent les possibles modes de résolution de l'exaspérante énigme surgie au cours de la sécularisation» (p. 145).
La question finale que pose Jean-Luc Evard est aussi complexe que fascinante puisqu'il analyse les phénomènes de religions politiques théorisés par l'historien italien Emilio Gentile comme émergence progressive, qui s'est cristallisée dans la figure d'un Duce ou d'un Führer (et certainement dans celles des si aimables conducteurs communistes de peuples entiers), d'un faux charisme en lieu et place de la disparition lente mais inévitable du véritable charisme, qui fut incarné, une fois pour toute, par le Christ. Ainsi, à la «disparition progressive de la scène et cène eucharistique, dès la Renaissance, a succédé celle de la charis, qui n'a de réalité qu'aux mains d'une instance charismatique (par nature et par définition, le charisme est une situation de monopole, il s'exerce d'Un vers tous, ou n'est qu'un mot pédant). Mais ce qui complique cette histoire de la sécularisation et de la déchristianisation de la chrétienté, c'est la série inattendue de ses retombées hobbesiennes sur le politique : il voulut parquer le religieux dans la sphère privée – et se trouva malgré lui en charge d'une demande charismatique et eucharistique sur laquelle il n'avait, loin s'en faut, pas compté. C'est cette demande qui le menace (devant elle, il est désarmé comme l'est un aveugle sourd-muet), et c'est elle qui, après sa première irruption (l'ère totalitaire), en prépare une seconde» (p. 146).
Il ne nous est rien dit de cette seconde irruption, mais nous savons quelle fut la difficile question avec laquelle le Christ fut tenté : «Qui t'a fait roi ?», figurée dans le génial Parabole de William Faulkner. Et Jean-Luc Evard de répondre que le «Christ de la charis" ne pouvait prévenir «la charis de l'Antéchrist», de la même façon que l'anarchiste ne peut «empêcher le Grand Inquisiteur» (p. 147).
Notes
(1) Jean-Luc Evard, La Religion perverse. Essai sur le charisme (Les Éditions du Rocher, 2008). Pour l'anecdote, Jean-Luc Evard m'envoya le manuscrit de ce livre, que je songeai immédiatement à adresser à Pierre-Guillaume de Roux, alors en poste au Rocher, et qui eut l'excellente idée de le publier très rapidement. Si j'étais méchant, je pourrais affirmer que c'était l'époque, désormais aussi lointaine que révolue semble-t-il, où Pierre-Guillaume ne se souciait pas de publier l'indigent Richard Millet au rythme de deux ou trois ouvrages par an, s'avisant apparemment de croire, bien à tort comme je n'ai cessé de le démontrer, que ce cacographe larmoyant était un essayiste, voire un penseur digne de ce nom.
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