Who wants the sinner, coming 'round for dinner ? : sur Le grand scandale d'Hubert Gonnet (11/05/2025)
Photographie (détail) de Juan Asensio.




Le roman de Gonnet traduit ou plutôt trahit une réelle et très palpable tension que l'auteur a caractérisée comme étant l'expression d'un combat dans son Voyage au Strömland (Éric Losfeld, 1969, p. 330). Il est à mes yeux notable pour sa technique narrative assez bien maîtrisée consistant à mettre en regard l'un de l'autre le récit proprement dit des événements s'enchaînant, dans un sens comme dans l'autre d'ailleurs, passé et présent se répondant, sur la page de gauche, avec l'évocation, par le personnage principal lui-même, de ses actes et de sa vie passée, de ses pensées aussi, de ses doutes et de sa propre enquête, de plus en plus labile, dans sa conscience, au dernier recès de son esprit, sur la page de droite et en italiques, et cela en tentant au mieux de faire se correspondre l'image avec son reflet (un soin d'ailleurs redoublé, c'est le cas de le dire, dans la réédition du roman), même si l'un et l'autre de ces deux termes sont résolument impropres. En effet, qu'est-ce qui a le plus de réalité : l'atroce double crime perpétré par le prêtre, dont les indices sont incontestablement relevés par les gendarmes, dont la recomposition est assurée par des policiers, dont la sanction sera l'affaire d'un juge et d'un procureur, ou bien la méthodique introspection à laquelle se livre l'homme, de foi comme de doute, de désirs comme de solitude, les premiers dont l'élan semble incompressible, à la mesure de la profondeur insondable de la seconde ?
Cette volonté de clarté tout autant que de clarification met à distance et dissipe les vapeurs du démoniaque, même si je me dois d'ajouter immédiatement que ce n'est pas tant l'apparence d'une démarche cartésienne, qui après tout peut parfaitement s'accommoder de la présence de Satan, à condition que le fantastique entre en jeu et qu'un doute s'immisce sur la santé mentale du protagoniste confronté à d'étranges événements, ce n'est donc pas tant cette démarche clairement structurée qui contient l'épanchement cauchemardesque que la très sèche intention de n'avoir affaire qu'avec des hommes, tout prêtre meurtrier qu'est l'un d'entre eux. C'est ainsi qu'il n'y a pas, à strictement parler, de démonologie clairement définie dans le roman d'Hubert Gonnet comme nous avions pu la relever dans L'Assaut de Guillaume Gaulène, à l'exception peut-être de la mention du «miracle satanique de l'excarnation» (pp. 21 et 71, au sein d'un passage curieusement répété mot pour mot par l'auteur) (2), d'une allusion à la messe noire et, surtout, des habituelles images et comparaisons qu'un prêtre, du moins tel qu'il peut être figuré dans un roman, utilisera pour évoquer les tentations charnelles, mais aussi certaines maladies (cf. p. 49). D'ailleurs, Le grand scandale pourrait être lu comme le roman de l'évacuation du diable, personnage finalement assez malcommode à utiliser sans tomber dans le fantastique, je l'ai dit, ou le grotesque fantasmagorique tel qu'il explose magnifiquement dans Le Maître et Marguerite de Boulgakov, comme l'indique ce passage explicite : «Qu'avons-nous besoin du diable ? Le mal est en nous, que n'efface qu'un instant le baptême. Il nous colle à la peau, fait partie intégrante de chacune de nos cellules. C'est par le mal que nous connaissons le bonheur. Est-il quelque chose qui n'ait été défendu qui m'ait jamais causé de la joie ?» (p. 273).

On me dira, bien sûr, que l'abbé Cénabre est un monstre froid, minéral jusque dans son nom, finalement assez rare exemplaire en ce monde, fût-il celui de l'imagination, ce que n'est évidemment pas le curé à la sensualité débordante que figure Hubert Gonnet, mais j'évoquerais alors l'exemple de Monsieur Ouine qui, lui aussi, non seulement a cédé mais paraît devoir céder à ses appétits charnels, assez clairement pédophiles même si, à l'occasion, on a pu lui supposer une aventure avec Jambe de Laine devenue folle errante, sur sa jument de conte de Poe, par les chemins de Fenouille, Ouine qui lui aussi est un meurtrier (qu'on le soupçonne du moins de l'être suffit à l'intrigue car, là encore, Bernanos se moque de prétendre tout savoir des faits et gestes de son personnage), sans pour autant que l'auteur de Sous le soleil de Satan ne suppose ces actes comme étant à l'origine de la damnation de l'ancien professeur de langues vivantes, Hubert Gonnet remarquant d'ailleurs qu'il faudrait imaginer l'existence d'un «déterminisme au-delà qui ne nous empêche pas, dans une certaine mesure, d'être libres» (p. 277), autrement dit, pour reprendre la comparaison de l'auteur, un train fonçant vers l'inconnu mais permettant à celui qui s'y trouve de contempler le paysage traversé par le bolide qui, parfois, peut même s'arrêter sur le quai d'une gare au nom inconnu, où il sera possible de faire quelques pas, de humer l'air avant de remonter dans le train. C'est en tout cas dans cette ornière très étroite, dans cet interstice écrira Gonnet, que Bernanos lâche ses créatures marquées tout à tour du sceau de Dieu et de celui de Satan, renonçant, pour les plus implacables d'entre elles, à quelque secours extérieur, alors que le prêtre d'Hubert Gonnet, lui, jamais ne semble réellement abandonner l'idée de s'évader de cette prison de très haute sécurité si je puis dire, dans laquelle il affirme s'être volontairement enfermé : «Il n'est pas de prison plus sûre, plus rude que celle qu'on porte en soi, qu'on se crée soi-même et que l'on traîne partout à sa suite» (p. 239).
C'est d'ailleurs une image qui ne cesse de courir sous la plume d'Hubert Gonnet, qui fait dire à son curé qu'il est et a toujours été prisonnier, car «le mur le plus cruel, c'est celui qu'on porte en soi, on n'en est jamais débarrassé. Toujours il est là, et toujours plus haut, et la plage, les grands espaces disparaissent derrière lui» (p. 361). Bien sûr, il ne cessera d'attendre un secours qui jamais ne lui sera apporté, qui ne pourra pas lui être apporté, car, lorsqu'il sonde ses propres actes et pensées, il ne peut se tenir, malgré tous ses efforts, au-dessus de lui-même, adopter le point de vue de Sirius comme il dit, déjouer l'inflexibilité de la force qui l'entraîne «sur cette pente dangereuse dont on ne revient pas» (p. 353). De la même manière, il estimera que le juge qui l'interroge ne sera pas assez intelligent, ou ne pourra que lointainement le comprendre, par la seule évocation des tourments charnels qu'il évoque, car manque à cet homme au vieux fond radical d'anticléricalisme la perception du signe surnaturel reçu par le prêtre, le sceau de sa vocation : «Ah ! ce n'est pas facile de vivre. Je le sais, pour personne. Mais pour nous en particulier. Il y a ce quelque chose en nous qui ne peut s'effacer, la marque du sacrement comme une cicatrice». Quel homme eût pu servir au prêtre tel que le peint Gonnet, qui jamais n'aura aimé qu'au niveau de sa chair, ce qui n'est pas aimer vraiment comme il le lui fait dire, pour le comprendre et, qui sait, alléger son tourment ? Un Donissan ou un Cénabre assurément, mais l'époque, semble nous dire ici ou là le romancier, n'est pas vraiment aux athlètes de la foi, l’Église préférant, ayant toujours préféré, à ces êtres incontrôlables, la pâte malléable de curés sans histoire, qui n'ont aucunement besoin d'être exceptionnels pourvu qu'ils plient leur chair ainsi que leur conscience, éteignent leur pauvre imagination dans de secrètes macérations, s'il est bien vrai qu'on veut «nous faire accomplir une œuvre pour laquelle nous ne sommes pas faits. Comment pourrions-nous mener une vie d'ange puisque nous ne sommes pas des anges ?» (p. 369). Alors, décidément, le prêtre du Grand scandale est irrécusablement seul : «Votre interrogatoire pourtant, c'était une occasion, mais il eût fallu quelqu'un de plus intelligent que vous. Il n'est pas d'homme qui puisse me confesser, me rendre clair à moi-même» (p. 377), et c'est bien dans une semi-inconscience, comme guidé et manipulé par un autre, que le l'abbé Dupin livrera son secret, mais pour d'autres yeux que les siens, ceux de ses ouailles sidérées de le revoir accomplir les gestes qu'il a faits sur sa pauvre maîtresse, lors de la reconstitution de la scène du crime où le prêtre parodiera les gestes sacrés qu'il a l'habitude de réaliser depuis son ordination. C'est que «au lieu d'une crosse d'évêque, celle dont [il rêvait] enfant, au lieu de l'auréole de la sainteté, il [lui] faut tenir le dérisoire sceptre, supporter le mépris de la foule qui [le] juge trop bien, et sa haine» (p. 113).
Rien ne semble donc pouvoir enrayer la chute ou, pour filer une métaphore qu'utilise plusieurs fois le prêtre d'Hubert Gonnet, ralentir le train dans lequel, sans pouvoir faire quoi que ce soit, il se dirige tout droit vers le choc final, qui n'a rien d'une révélation apocalyptique puisqu'il s'agirait plutôt de parler d'involution, en retrouvant l'image de l'excarnation qu'utilise l'auteur, et qu'il précise ainsi de la façon suivante : «Je n'étais pas le seul à pourrir, à mon contact tout se corrompait, le miracle de l'incarnation se déroulait à rebours. Tout ce que je touchais se décomposait» (p. 365).

Quel témoin faudrait-il donc au prêtre assassin d'Hubert Gonnet ? Un bienheureux, seul homme plus qu'homme devant lequel le meurtrier, prêtre pour l'éternité, serait transparent, seul qui l'excuserait pour «toutes ces misères» (p. 421), seul peut-être, aussi, qui lui permettrait de comprendre combien il s'est fourvoyé en croyant avoir été l'instrument de Dieu, avoir, même, été visité par un ange, alors qu'il a été celui du démon (cf. p. 423) ? Le surnaturel a été évacué, nous le savons, dans le texte d'Hubert Gonnet, dont le lyrisme froid, si je puis dire, est contenu comme le serait l'épanchement d'un corps se décomposant sur une table de dissection en inox, et le personnage du prêtre de Gonnet ne peut donc que compter sur lui-même, alors que sa conscience et surtout sa volonté sont friables, Dieu étant absent et le diable n'étant pas exactement un allié sur le prestige duquel il est encore possible de compter : «Je ne veux plus rien dire mais il faut que je parle, et je raconte, raconte, et ce que je raconte, ce n'est pas encore la vérité, ce ne sont que des faits et des gestes et la vérité est bien plus complexe. C'est le dessous qu'il faudrait voir et ma vie n'a pas de fond pour le retenir, ce qui était vraiment important, cela a disparu, et ce que je pourrai dire maintenant, ce ne sera jamais que laborieuse reconstruction, et fausse» (p. 163).
Le démon est l'ami qui jamais ne reste, n'est-ce pas ?, et si c'est bien lui qui, selon notre personnage, a motivé puis animé et même : accompli le geste, les gestes du prêtre («Je chasse le démon [...], agissant sans la participation de ma volonté, sans le contrôle de ma conscience qui n'était capable que d'enregistrer après coup des actes dont elle ne se sentait pas responsable», p. 57), alors il ne pourra même pas l'accuser et le désigner comme étant le véritable monstre, le véritable coupable ayant ouvert le ventre de son ancienne maîtresse pour en extraire l'enfant, le baptiser et le défigurer avec son canif afin qu'on ne constate pas que l'enfant ressemble à son père (peine perdue, car «peut-être faut-il que le crime se marque, peut-être se marque-t-il toujours sur le visage et sur les mains de l'assassin» (p. 41), et c'est là le véritable cœur des ténèbres (5), la subite perte de mémoire (cf. p . 432) devant la double monstruosité accomplie comme un rite sacrificiel, le point d'aveuglement ultime que seul un saint, Dieu peu-être, mais réellement tout-puissant, ce qu'il n'est plus dans le roman d'Hubert Gonnet, pourrait percer.
Pas de démon agissant mais sa seule trace supposée, après tout bien commode pour expliquer les errances du prêtre, pas ou si peu de Dieu, dont le messager lui-même est pour le moins sujet à caution, et cela dans l'esprit même de l'abbé Dupin, le Christ, lui, figurant dans le texte comme une espèce de motif finalement convenu, logique, l'arrière-plan parabolique où projeter la parodique incrustation d'une fausse agonie, la surnature finalement réduite à une scène finale pouvant autoriser plusieurs interprétations, il n'y a pas davantage de saint dans le roman d'Hubert Gonnet, il n'y a pas d'ami véritable (6), ni même lointain sauf, dans les dernières pages, dans la personne du juge qui tente de comprendre son geste, et qui ordonnera pour ce faire une reconstitution de la scène du meurtre, en présence du prêtre, pour essayer de résoudre le mystère et le point d'achoppement que représente la motivation profonde de l'abbé, et, surtout, afin de suivre le méthodique déroulement des gestes eux-mêmes du prêtre, dont ce dernier prétend ne plus se souvenir après qu'il a abattu à bout portant sa maîtresse.
Non, en effet, il n'y a pas de démon, même à la tête du train qui fonce dans la nuit selon une métaphore que Gonnet file tout au long du Grand scandale, pas plus que de Dieu, malgré une identification de plus en plus évidente durant les dernières pages du roman, blasphématoire, entre le prêtre et le Christ, le premier finissant par ressembler au Macbeth de la tragédie, qui, lui aussi, une fois consommé son geste meurtrier, est incapable d'aller plus loin dans l'horreur et, surtout, ne peut remonter à contre-courant du meurtre, vers une source d'eau limpide où, pourtant, sont d'ores et déjà présents, mais invisibles, les bacilles de la contamination future symbolisée dans la pièce de théâtre par la survenue des trois sorcières et, dans le roman d'Hubert Gonnet, par une forme d'érotisme spirituel diffus entourant le jeune Dupin : «Partout maintenant je suis bien ou, plutôt, l'état où je suis n'a plus d'importance : je suis au bout et je ne puis aller plus loin, et avoir cette certitude m'est une sécurité» (p. 185), un propos se voulant rassurant qui sera bientôt plus d'une fois contredit par les affres dans lesquelles sombre le personnage.
La surnature disparue, comme évaporée, reste la religion me direz-vous, s'il est vrai bien vrai que ni Dieu ni diable ne se livrent bataille dans le cœur du prêtre, il y a la religion, le grand scandale véritable en fin de compte ou plutôt : l'ombre portée d'un scandale plus grand encore, qui serait la survivance parodique de la foi dans une société qui n'aurait été convertie au christianisme que fort superficiellement, comme le montre Monsieur Ouine, l'un des romans les plus crépusculairement prophétiques donnés à l'Occident finissant, lui montrant son avenir et son présent déconstruit, laissant ouvrir les puits, un temps condamnés, par lesquels remontent les vieux monstres aux noms pratiquement oubliés, et c'est le juge qui prononce le verdict, le prêtre s'étant évanoui dans ses bras aux toutes dernières lignes du texte, épuisement, mutisme ou folie définitive ressemblant à celle de Cénabre dans La Joie, comme si Hubert Gonnet nous montrait que la condition du prêtre, à notre époque, ne pouvait être qu'une aberration, une monstruosité plus ridicule qu'inquiétante qui se traduira, dans un dernier éclat torve de lumière louche, satanique, par un crime de sang dont il faudra à tout prix tenter de montrer, une dernière fois, la part sacrée, en l'enduisant des mots consacrés signifiant une présence décidément invisible, rôdant, cherchant qui dévorer tout en trompant sa proie, présence torve par définition puisque l'on ne sait trop si elle est divine ou satanique ou même si elle n'est plus rien du tout qu'un vague souvenir, un peu d'écume salée que la mer de la foi qui s'est retirée aura laissée sur le rivage, et qui se manifeste peut-être, une dernière fois, de manière fantomatique, parodique, aux dernières pages du roman devenu ascension du Golgotha, les gestes de l'abbé d'Hubert Gonnet nous rappelant, qui sait, le Gilles de Rais de Huysmans, meurtrier à la cruauté insurpassable et pécheur impénitent demandant finalement pardon à la foule sublime du Moyen Âge, qui n'est plus du tout celle que décrit notre écrivain dans Le grand scandale, foule qui est déjà la nôtre, mélange de ce qu'il reste de bons sens paysan, de franche rapacité, de bêtise crasse et d'irrécusable ardeur au vice, milieu pas encore complètement dégénéré où le sentiment religieux ne peut survivre que comme le souvenir d'une aberration un peu ridicule, un vieux rêve de pureté que sera bien incapable d'exaucer un prêtre hanté par son incapacité à briser le cercle infernal de l'érotisme, et de l'érotisme qu'aura fait fermenter le levain d'une religion elle-même privée de sa substance, rien d'autre, en somme, qu'un mauvais rêve dont les filaments, au réveil douloureux, hagard, sont plus résistants que d'autres, poisseuse et lourde atmosphère que ne dissipe aucun orage, une irresponsabilité finale sinon pénale étant déclarée, comme si les hommes que décrit Hubert Gonnet, et pas seulement son prêtre meurtrier, étaient passés «de l'autre côté de la barricade», et que ce n'était pas lui qui aurait accompli cet acte, mais un autre, «tout le temps un autre que [lui] agit à travers [lui]» (p. 59), ou comme si, encore, toute espérance était morte, comme si la perfection, son idée plutôt, avait «disparu derrière les nuages de sang [...] et [que] jamais plus [le prêtre, se souvenant de ses jeux d'enfant] ne pourrai[t] meubler la pièce du grand jeu de construction qui devait nous permettre d'atteindre le ciel» (p. 81) et, ainsi, à tout le moins, donner un sens, fût-il scandaleux, au meurtre par un père de la femme ayant porté sa fille, et de sa fille dont il défigurera le visage à coups de canif, pour qu'on ne reconnaisse pas son propre visage ne pouvant se tourner vers aucun autre témoin, aucun autre visage.
Notes
(1) La copie du texte initialement paru en 1966 chez Buchet-Chastel, dont je possède un exemplaire dédicacé, est assez propre même si, comme toujours, le texte n'a probablement pas été relu, ou alors mal voire très relu, en faisant une confiance aveugle au logiciel de transcription utilisé. C'est ainsi que l'on trouve un (involontairement) comique «solder les reins et les cœurs» à la page 171, cette faute correspondant, dans le texte orignal, à un n mal imprimé. C'est le même problème page 198, avec un point final ajouté entre sa et main, et c'est toujours le même problème de confiance aveugle en la technique qui a remplacé, là encore de façon amusante, moi par mol (p. 243), et c'est encore lui qui a mis un t à la place d'un l dans «comme je ne t'eusse pas voulu (p. 265) et c'est lui lui lui, encore lui qui a transformé sous un prétexte en «sons un prétexte» (p. 267), et nous pourrions encore méthodiquement relever plusieurs autres fautes (y compris d'espaces, cf. p. 276 ou de ponctuation, cf. pp. 279 ou 337), et nous pourrions nous déclarer consternés quand de vraies fautes sont ajoutées au texte initial (ainsi de : «on les avait laissés parler», p. 415), que ce serait toujours la même paresse qu'il faudrait accuser, la même confiance en la bêtise efficiente de la machine, la même volonté de lui balancer tout le boulot, de se décharger sur elle de son travail d'éditeur, de relecteur à tout le moins, quitte à ne même pas relire un texte que l'on va pourtant donner à lire à des lecteurs, texte paru en 1966 et pourtant plus propre qu'un texte paru en 2025, texte auquel on a ajouté pas mal de fautes, point toutes discrètes, ne figurant pas dans le texte original en tout cas, fautes qu'on aurait pu amender si seulement on s'était donné la peine somme toute modeste de faire ce qu'un éditeur devrait toujours faire, relire, ou faire relire, quand on est trop paresseux ou bien incompétent en la matière, et qu'on dispose de quelques centaines d'euros il n'en faut décidément pas beaucoup plus pour faire honnêtement son travail d'éditeur : la peste soit donc de ces éditeurs modernes qui non seulement nous donnent des livres peu, mal ou pas du tout relus mais qui ajoutent des fautes qui n'existaient pas dans la version publiée voici des années, lorsqu'on faisait moins confiance à la machine, pourtant bien moins complexe qu'elle ne l'est désormais, et que, c'est vrai, on maîtrisait tout de même un peu plus sa propre langue ! Concluons cette tirade pour le moins énervée (et encore, je cèle le fond de ma pensée sur cette gabegie si commune qu'elle en devient invisible), et changeons radicalement de propos, en disant que j'ai rapproché le texte de Marcel Jouhandeau de celui de Léon Bloy qui est cité une seule fois, en note, par Hubert Gonnet (cf. p. 182).
(2) Passage rigoureusement identique ai-je dit, à l'exception d'un seul mot, la conjonction de coordination et, qui disparait entre la première et la seconde occurrence de celui-ci, oubli ou inattention peut-être dus à l'auteur. Remarquons aussi que ce n'est pas le seul passage imprimé sur la page de droite que le romancier fait reprendre tel quel à son personnage principal (voir ainsi celui qui commence par «Je me baigne, je me roule dans le sang et celui-ci ne peut me purifier.», pp. 19 et 69).
(3) Voir ainsi ce passage : «Je décide de me mettre à la tête de ces recherches. C'est comme si j'étais passé de l'autre côté de la barricade, ce n'est pas moi qui ai accompli cet acte, c'est un autre, tout le temps un autre que moi agit à travers moi, et cet autre je vais pouvoir le traquer et le protéger tout à la fois» (p. 59).
(4) Remarquons ainsi que, comme le Bernanos de Monsieur Ouine, le prêtre du roman de Gonnet estime que «l'enfer, ce n'est pas seulement les flammes, c'est le froid jusqu'à la moelle des os, le froid qu'il est impossible de vaincre» (p. 327). Indiquons aussi que Gonnet, par la bouche de son curé, considère que l’Église fait tout ce qu'elle peut pour n'être servie que par des hommes médiocres, ce que n'est visiblement pas notre prêtre érotomane selon ses propres dires : «L’Église est faite pour les médiocres, les châtrés. Eux seuls on le courage (ce n'est même pas du courage, mais de l'inertie), la possibilité de ne pas se révolter. Nous n'avons pas le droit d'être des hommes» (p. 300). De telle sorte que j'en viens à me demander si le sujet véritable, profond, du Grand scandale n'est pas tant le dévoiement de la mission sacerdotale que le fait que l’Église condamne de facto les hommes embrassant sa voie à la monstruosité, puisqu'elle les contraint à refuser la chair, la longue confession de Jacques visant moins à tenter d'exposer les raisons du double meurtre qu'il commet que de montrer qu'une fois qu'on s'y est engagé, cette voie du renoncement à la chair ne peut conduire qu'à la folie survenant lorsque l'on finit par comprendre de quoi il en retourne réellement : «Mon Dieu, comme il est difficile de se comprendre, de se mettre au point devant son juge» (p. 245). C'est même le juge qui l'interroge, un certain Péret, figure traditionnelle du laïcard pétri de certitudes mais n'en tentant pas moins de comprendre le prêtre meurtrier, c'est même lui qui considérera l’Église «comme une machine à faire des monstres, ou tout au moins des êtres d'exception [pouvant] aussi bien se tourner vers la sainteté que vers le diabolisme qui sont leurs deux pôles» (p. 422). Dans sa courte bien qu'excellente postface, Christy Magnin, auquel on doit la redécouverte d'Hubert Gonnet, évoque de façon quelque peu paradoxale «des images de la Passion à la toute fin du roman, dans une scène de possession bernanosienne d'une rare intensité» (p. 480), suggérant ainsi que l'abbé Dupin n'obéit pas vraiment au Christ mais à son Adversaire ricanant de ce triomphe final.
(5) Significativement, le prêtre pense être entouré de ténèbres, «comme s'il y avait eu une éclipse de soleil» (p. 431).
(6) Je rappelle la conclusion de mon article sur le roman de Jean-François Colosimo, Le Jour de la colère de Dieu : «Je crois bien que la vraie question que pose cet ouvrage zébré d’une impatience surnaturelle est celle-ci : comment sauver celui qui s’enferme dans son désespoir ? Comment sauver le méchant, comment tenter de rédimer sa faute, contre sa propre volonté hermétiquement close ? Et la réponse, murmurée, quel que soit le résultat de la folle gageure : jamais un homme, dont le cœur tressaille «de porter au-dedans tout le cosmos et toute l’histoire», qui bat «d’attendre une autre lumière», ne pourra admettre d’abandonner aux ténèbres un de ses frères, frère humain, enfant de Dieu, captif du démon.»
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