Inactualité de Jean-René Huguenin (06/03/2016)

Photographie (détail) de Juan Asensio.
1597858161.JPGJean-René Huguenin dans la Zone.





Huguenin1.JPGS'il vivait encore, Jean-René Huguenin, jeune mort à jamais vivant, visage rimbaldien, capable de cruauté, d'intelligence et de force, aurait 80 ans.
Que serait-il devenu, aujourd'hui, dans une France qui n'a pas eu honte d'élire aux plus hautes fonctions politiques une baudruche inculte telle que François Hollande, qui s'enthousiasme encore, rituellement, chaque année, plusieurs fois par année même, pour des livres qui on été faits plutôt qu'écrits, faits comme on a fait dans un pot, étant petits, et comme continuent de le faire sans honte et même publiquement tout un tas d'écrivants, journalistes, nègres de journalistes, d'hommes politiques et nègres d'écrivants, et auteurs aussi, phocomèles, bouts de femmes et d'hommes à la langue pelée dont la liste est désormais tellement longue que nous ne verrons aucune impossibilité fondamentale, sinon quelque dernière répugnance à nous avouer vaincus, à devoir l'étendre à à peu près tous les auteurs français vivants ? Aurait-il été le créateur à la lucidité douloureuse, implacable, d'une grande œuvre, romanesque mais aussi polémique, sur les brisées de celui que Roger Nimier appela le Grand d'Espagne, Georges Bernanos qu'il admira, œuvre que laissaient présager, qu'annonçaient même peut-être, les quelques centaines de pages qu'il nous a laissées, publiées de son vivant ou bien posthumes ?
Serait-il devenu quelque vieil homme à la conversation éblouissante, aux milliers de souvenirs, vous regardant de cette manière étrange et vivifiante qu'ont celles et ceux qui ont beaucoup vécu, réellement ou en imagination, lorsqu'ils traversent votre regard, accommodant le leur sur un point invisible se trouvant derrière votre propre visage, comme vous regardent, parfois, Christian Guillet et Guy Dupré ?
Se serait-il transformé, lui l'ardent, l'assoiffé (Qui suis-je ? Qui étais-je ? Je ne trouverai jamais ma nuit. C’est moi que je prie, c’est moi qui m’exauce. Dieu dans sa haine nous a tous laissés libres. Mais il nous a donné la soif pour que nous l’aimions. Je ne puis lui pardonner la soif) en momie journalistique pitoyable, embaumée dans l'alcool et la prétention bavarde comme Philippe Sollers, dont il eut raison, si vite, de se méfier ?
Se serait-il éteint doucement, sans laisser beaucoup de bruit ni de traces, y compris même sur le tableau gris plutôt que noir du journalisme littéraire ou plutôt : ce qu'il en reste, comme celui qui fut son ami, Renaud Matignon, aussi oublié que s'il n'avait jamais vécu ?
Se serait-il laissé journaliser vivant, comme Philippe Muray tombé dans le gâtisme de la rime insignifiante, appendice jamais bandé du rap, Philippe Muray qui, lui aussi, estima dangereux Philippe Sollers avant de commencer à s'en méfier, se serait-il donc laissé faire, plumer ou baiser c'est tout un, par quelque vivandière de la presse, vendant à la criée ses maquereaux à l’œil vitreux ?
Aurait-il bercé ses vieux jours, lui, l'insoumis qui comme son personnage Olivier est du bois dont on fait les croix, d'un dernier cri de révolte tout gâté de lyrisme trouble (le passé, la pureté, la Femme, l'écriture, l'Occident, le Moyen Âge) d'inauguration de rond-point réactionnaire, tel Grégoire Dubreuil dans son plaintif Au large du siècle ?
Aurait-il ménagé sa précieuse et inutile vieillesse en faisant, comme Jean Cau, la part du feu entre les exigences incompressibles de la mondanité et les nécessités harassantes de la colère, jetant comme un pulsar épuisé ses jets de mots implacables à mesure que se réduit inexorablement le dernier carré des résistants, et la voix qui autrefois portait aussi loin qu'il y avait des imbéciles ?
Huguenin2.JPGAurait-il toléré que des gommeux bavards, fardés comme des godelureaux un soir de premier bal, la raie de cheveux faussement destructurée par des heures de préparation spéculaire bien davantage que spéculative, prétendent venir gifler son visage de vieillard artificiellement bronzé par le néon des mondanités ?
Traînerait-il son ennui, comme une demi-mondaine siliconée son caniche portatif, à tous les raouts germanopratins, tout en gueulant, de moins en moins clairement à mesure qu'il est imbibé d'alcool et que sa nostalgie frelatée exsude de ses pores, sa formidable liberté de hussard éternel ?
Tenterait-il, comme il le peut, dans les pages littéraires de plus en plus étriquées du Figaro ou de Valeurs actuelles, de défendre ce qu'il penserait être de bons livres, quitte à fermer prudemment les yeux sur la nullité de textes provenant, comme on dit pudiquement, consanguinement, de son propre camp ?
Serait-il devenu éditeur, et publierait-il tel phalangiste fantoche et érotomane, proscrit de pacotille publiant trimestriellement un texte plaintif et lacrymal, alors que, quelques années auparavant seulement, le père de ce même éditeur fit découvrir aux lecteurs français Pound ou Gombrowicz ?
Serait-il devenu comme tel ridicule vieillard haineux ayant dilapidé sa jeunesse dans la baise facile, stérile, solipsiste et le tripatouillage de nouille barthésienne, le crachat jeté aux curés et à Dieu retombant désormais sur son dentier claquant des slogans contre les Arabes et les Noirs, tout ce qui n'est point Français de souche depuis au moins 100 générations, maître en son petit château, dernier Beaufort confortable comme une garçonnière face à la vague musulmane menaçant de recouvrir la France et même l'Europe ?
Contemplerait-il, entre deux manucures ou pédicures et les bavardages vite écourtés d'idiotes d'un peu plus de seize ans dont il consignera méthodiquement les galipettes, le pistolet en plastique légué par Montherlant, qui lui utilisa quand même un vrai pistolet pour se tuer, sa réplique enfantine (car, toujours, c'est une règle infernale, le vieillard parodie l'enfance) enfoncé dans la bouche et jouant à se faire peur, en jurant sur le Christ rédempteur qu'il finira, à tout le moins c'est sûr il l'a juré sur l'offertoire de sa dernière conquête pubère, par laver sa vie dans quelque monastère orthodoxe ?
Serait-il devenu l'image grimaçante si banale de la jeunesse perdue, tout fier, quoi qu'il en dise, de crouler sous les honneurs, comme si son esprit ratatiné tel une crotte poussive, craintif et arc-bouté à la vie fuyant comme une couche de vieil incontinent, ne pouvait décidément admettre de verser à Charon une autre obole qu'un volume de la Pléiade ?
Aurait-il sombré dans la méchanceté et la haine de tous ces libellistes oubliables crevant de trouille sauf lorsqu'ils roulent des biceps verbaux devant une glace magique les embellissant, redoutant les seules guerres homériques qu'ils devront mener contre leurs calculs rénaux et leurs grains de beauté suspects, et qui reluquent les jeunes croupes, féminines ou masculines, balançant leur vice primesautier et anodin dans les arrière-salles des grands restaurants et des maisons d'édition, en croyant qu'ils vont rejouer le geste antique, sublime, d'un passage de témoin dans un monde où tout le monde, désormais, témoigne, d'abord de sa propre et irrécusable insignifiance ?
Il est impossible d'imaginer Jean-René Huguenin en vieillard atteint de tremblements des mains ou de la langue, devenue incontrôlable comme une vessie récalcitrante, alors qu'il était parfaitement possible de le faire dès le moment où le double d'Huguenin, certes moins talentueux mais infiniment plus roublard, Jean-Edern Hallier, faisait passer sa folie pour du génie, le regard exorbité quêtant quelque improbable apaisement à on ne sait quel mal, urticaire ou fringale de Dieu, danse de Saint-Guy télégénique ou conscience abrasive de son ratage.
Il est tout simplement impossible, même, de l'imaginer devenir vieux comme un sphinx gracquien réécrivant toujours le même roman vaporeux de fin de journée et de monde, de beautés mollement fatales et d'amoureuses vaguement prises par des Gauvains en pâte d'amande, L’automne, déjà ! – la note déchirante, panique, de Rimbaud, qui ouvre la plus longue pente de la Saison en enfer – c’est, je crois bien, tout le sujet du livre.
Il est impossible d'imaginer Jean-René Huguenin vieux comme il eût été inconcevable que Rimbaud se constitue une confortable retraite retour du Harar, de même qu'il eût été scandaleux, ridicule et, pour tout dire abject, que Paul Gadenne finisse au Collège de France ou que Georges Bernanos se résolve à penser avec son cul, posé confortablement dans un fauteuil de l'Académie française, comme il est, de la même manière, proprement inconcevable que Michel Bernanos, tels les personnages de La Montagne morte de la vie, se fût pétrifié dans les souvenirs de la vie au grand air, agitée comme un mauvais rêve dans une tête d'aventurier flapi vissé sur une chaise à bascule.
Car Jean-René Huguenin est de la race explosive des enfants prodigues et géniaux dont rien, aucune force au monde ne semble pouvoir contenir le rêve cruel, et qui ne savent rien garder, surtout pas la vie, qui fuient de leurs mains comme la part la plus sacrée de l'homme, notre jeunesse : Nous avons les bras cloués, nous ne pouvons rien étreindre.

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