Les Français de la décadence d'André Lavacourt (20/11/2023)
Photographie (détail) de Juan Asensio, Philippe-Auguste Hennequin, La Rage et le Désespoir, Musée de la vie romantique.
Léon Bloy, Raclure de tiroir in Le Chat noir, 12 juillet 1884.
«Le roman est un labyrinthe qui emprisonne le monstre du romanesque».
José Bergamín, L'importance du Démon et autres choses sans importance (Éditions de L’Éclat, coll. Philosophie imaginaire, 1993), p. 195.
«M. Lavacourt aura des lecteurs, et les amateurs de cochonnerie sous prétexte de vérité ne seront pas volés pour les 2 000 francs que leur coûtera le bouquin. Je passe la philosophie de l'auteur et ses vaticinations sur l'avenir de Dieu, qui est l'homme, M. Lavacourt étant un penseur, comme on voit. Je crois que je l'aime encore mieux devant les choses que devant les idées. Car, pour avoir montré des bêtes brutes, des tueurs, des ivrognes, des crapules et des malheureux, est-il en droit de parler des «Français de la décadence», fût-ce en les plaçant dans douze ans d'ici ? Malgré l'épaisseur de ce livre et sa pesanteur, son titre ambitieux ne fait pas le poids et ne correspond pas à son contenu.»
Extrait d'un article (payant) d’Émile Henriot, de l'Académie française, publié dans Le Monde daté du 29 juin 1960.
Rubrique La vitrine du libraire par Raguenaud, revue Pensée française, n°10, octobre 1960, p. 67.
Rêve ridicule de grandeur retrouvée, reconquise : la France redevient la France
Je sais bien, comme le grand Léon Bloy, que, naturellement, tout est bien perdu, flambé et fricassé, surtout en France, où l'abus de tous les dons a été porté à un excès incroyable, mais je voudrais moi aussi, avant de mourir, qu'il me fût accordé de contempler encore un enthousiaste, un fanatique, un adorateur de quelque chose.... Je crois en avoir découvert un, rendez-vous compte, de ces enthousiastes réels, de ces fanatiques patentés, de ces adorateurs inflexibles (mais de quoi,
Je sais bien. Comme Léon Bloy, je dois rêver les yeux grands ouverts : irruption d'une catastrophe d'ampleur nationale, continentale, planétaire qui seule nous laisserait penser qu'enfin, enfin, quelque chose se passe qui va radicalement modifier le cours de nos existences de plus en plus prises dans les mailles du réseau, réseau de pierre, réseau de fer, réseau de normes et de contraintes d'une incroyable complexité, presque toutes mortifères, réseau immatériel peu importe, prisons dans tous les cas ! Modestement, je tente de hâter dans ces lignes la survenue d'un événement rarissime, après tout, quand on y songe réellement : la redécouverte d'un grand texte de notre patrimoine littéraire si réputé, et peu importe, vieux Raguenaud atrabilaire, qu'il comporte des défauts, puisqu'il nous emballe et nous redonne le sens de l'urgence, nous refait nous enthousiasmer.
Imaginons quand même l'impossible, dans un monde de plus en plus verrouillé, un pays qui, naguère (jadis) pouvait imaginer lutter contre les robots et ne s'est pas posé beaucoup de questions au moment d'en élire un, en Bakélite ripolinée, en guise de Président d'une République faisant eau de toutes parts.
Je parle de la France pourtant, je parle de ce qu'on a appelé l'esprit français, qui rappelle la bête crevée de Baudelaire et dont les journalistes sont la vermine !
La France, cette nation qui, jadis, a guidé les peuples par la prodigieuse vitalité de sa langue et de sa littérature, après une très longue période de vaches maigres et de complaisante repentance qui aura failli la dissoudre dans l'acide de sa mauvaise conscience, redevient mâle et n'hésite plus à déverser, mois après mois, les richesses accumulées dans les soutes de ses énormes navires,
La puissance de la France est celle, d'abord, de sa langue. La grandeur de la France est celle, aussi, de sa littérature.
Alors, les éditeurs, au lieu de prétendre rassasier notre faim en organisant des raouts végétariens où le moindre bout de viande et même de chair de poisson vaudrait, au barbare qui saliverait devant le spectacle répugnant d'une mastication satisfaite, rééducation mentale immédiate, nous offriraient de véritables morceaux de littérature à déchiqueter puis longuement mâcher, de grandes bolées de cidre brut ou de breuvages encore bien plus forts, sans être obligés d'agiter sous nos nez les chiffons poisseux, dont nous finissons tout de même assez vite par identifier la provenance ignoble, qu'Annie Ernaux, ainsi que tous ses clones plus ou moins phocomèles, prétendent être des textes, et que les journalistes, qui ont un très bon odorat c'est connu, ont qualifiés comme étant de subtiles fragrances, exhalées par des paquets de linge souillé qu'ils affirment même être des livres dignes d'être lus.
Alors, la France redeviendrait la France et, qui sait, se dépasserait elle-même, dans une espèce d'assomption flamboyante dont la brièveté le disputerait à l'incandescence, la France ne pouvant dépasser les sommets qu'elle a conquis que par sa langue, les plus téméraires de ses écrivains comme autant de premiers de cordée tirant vers de nouvelles altitudes les moins téméraires, les plus fragiles et, parce que la force emporte tout sur son passage, l'ignoble queue de peloton des vivandiers, des parasites et des putains, au moins liés, dans leur escalade, par une mission qui les dépasse, l'idée d'une exemplarité, d'un sacrifice probable, qui sait.
Imaginons quel serait le spectacle inouï, le choc instantané se répercutant de caboche vide de journaliste à tête à peu près creuse d'attachée de presse, en passant par les boîtes crâniennes réduites à un chiffre de compte en banque des demi-mondaines qui ne manqueraient toutefois pas, sans rien savoir du livre scandaleux et en se gardant de le lire comme s'il s'agissait de renifler du jus de morgue, d'en parler dans tous les raouts qu'elles honorent de leur présence, le bruit n'en finissant pas de grossir jusqu'à toucher
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Il y aurait ainsi, dans le puissant sillage de Villon, Rabelais, Baudelaire, Balzac, Proust, Bernanos, Daudet (fils bien sûr), Claudel, Céline, Rebatet que nous allons retrouver, sillage qui s'amenuisera en ruisselet avec Frédéric Dard et en flache croupissante avec Michel Houellebecq grand adepte des bains de siège dont il filtre le moindre dé à coudre de liquide suspect pour en faire un livre, la possibilité de faire émerger une île ou même d'aborder sur un îlot tout pelé, nous ne demandons pas davantage, où nous pourrions poser le pied, faire le point et, la main en visière vers l'horizon point complètement obstrué par un parc maritime d'éoliennes géantes, décider la direction à prendre, pour étendre notre empire, pour piller sans vergogne de nouvelles terres et rapporter, dans les cales remplies jusqu'à menacer le bateau de couler, des trésors que nous jetterions sans ménagement dans l'implacable maelstrom de notre langue, que nous incorporerions dans le vortex infatigable de notre littérature, dévorant de nouveaux mots puis les expulsant, mais transformés, à peine reconnaissables et composant le nuage organique descendant lentement vers les profondeurs invisibles, où il nourrira les monstres qui n'ont pas reçu de nom depuis Léviathan et Béhémoth. Ainsi grandit une langue, avant de mourir, dans l'explosion dirimante d'une supernova ou dans la contraction implacable d'une étoile qui s'écroule sous sa propre masse. Je crains fort que nous assistions, avec l'effondrement de notre littérature, au minuscule typhon se formant au moment où le rince-pieds se vide lentement de son épaisse crème de crasse.
Ce que la disparition soudaine d'un grand roman peut dire à propos de l'état de l'édition, de la réception critique et donc de la littérature françaises. The centre cannot hold
Plus personne ou presque ne l'a lu, ce livre épais, jauni, dont la couverture est abîmée et les pages en surnombre, plus de 600 de bon format, se détachent, hormis quelques écrivains morts qualifiés de sulfureux, ou ceux qui s'en souviennent encore et qui ont l'âge de postuler pour bénéficier, moyennant une somme rondelette, d'une chambre strictement utilitaire dans une maison de retraite, car il reste à peu près introuvable, même à un prix élevé, et son auteur lui-même est mystérieux, puisqu'il n'a écrit qu'un seul roman sous ce nom qui n'est même pas le sien, André Lavacourt cachant, apparemment, un certain Pierre Couturier (tel que le mentionne le Catalog of Copyright Entries. Third Series de la Library of Congress, paru en 1961, à la page 1 185), médecin stomatologiste ayant décidé d'exercer en Algérie française, dans un gourbi aménagé sommairement par ses soins, où quelques livres sont visibles, dont ceux d'Augiéras signant alors lui aussi sous pseudonyme et de Simenon (1), mais également d'Anatole France qui sait, car il a été cité longuement dans notre texte (cf. p. 102).
Pas besoin de filer outre-mesure nos métaphores de gloutonnerie coloniale ou d'exposer les forts maigres fruits d'une recherche sur Les Français de la décadence qui n'est même pas un titre original puisqu'il fut celui que choisit Henri Rochefort pour un recueil de ses textes journalistiques, car notre roman appartient assez évidemment à la catégorie des monstres, où nous trouvons, rangés sans beaucoup d'application scientifique mais avec l'enthousiasme de ces chasseurs de cicindèles dans lesquelles Ernst Jünger voyait un infini microscopique, image et reflet de l'infini grandiose, des romans tels que 2666, Sous le volcan, Nostromo, La Mort de Virgile, Absalon, Absalon !, Voyage au bout de la nuit, Le Cheval rouge ou encore Moby Dick, auxquels nous pouvons sans trop d'exagération je crois ajouter, désormais, Les Français de la décadence, même s'il ne s'agit absolument pas de prétendre qu'il pourrait être rapproché plus profondément d'une façon ou d'une autre de ces textes remarquables, si ce n'est, sans doute, par le désir de décrire le monde tout entier,
Ajoutons que Les Français de la décadence répond admirablement au tropisme déclaré de Roberto Bolaño pour les textes labyrinthiques, dont le feu s'entretient par la dévoration de tout ce qui l'entoure, roulant à toute allure sur chaque parcelle de vivant combustible, avant de s'éteindre subitement, sans le moindre signe annonciateur de faiblesse, comme s'il avait consumé le monde entier des choses, attisé par de puissants vents, ou bien comme si, tel le Lord Byron de Childe Harold (au chant III, XCVII), c'est dans un seul mot, alpha et oméga de la Création, étiré de page en page puisqu'il est censé contenir l'univers observable, que son auteur avait voulu faire tenir ses pensées les plus intimes, son esprit, ses passions, ses sentiments, tout ce qu'il sait, tout ce qu'il souffre, tout ce qu'il méprise et tout ce qu'il hait : André Lavacourt, à notre connaissance du moins, n'a publié qu'un seul texte d'une telle ampleur mais, à vrai dire, il eût été inconcevable qu'il en publiât un autre après Les Français de la décadence, à moins de se dédire ou de retomber, après avoir fixé sans ciller le pic à flanc vertigineux, dans la morne pénéplaine des soirées parisiennes et des grimaçantes rinçures qui dégoûtaient tant Rimbaud : un renvoi aigre en somme, ce qui passe, je crois bien, pour de la littérature en France, notre pays pouvant indéniablement compter sur plusieurs dizaines d'écrivaillons souffrant de problèmes gastriques qu'un peu d'Oméprazole, ce glorieux inhibiteur de la pompe à protons, réglerait assez vite.
Un faible signal peut encore être capté, qui nous indique que cet astre glouton se situe tout près de nous, à quelque 60 années-lumière : notre toute proche banlieue astronomique, pour ainsi dire.
Ou bien, version parodique de notre champ lexical lorgnant vers l'astrophysique, nous pourrions prétendre, reprenant en le déformant le grand mot de Lamennais (qui affirma plutôt que le blé ne poussait pas sur les grandes routes), que si les grandes routes, comme les courtisanes, sont stériles, les chemins qui ne mènent nulle part, en matière de romans, n'ont visiblement pas davantage de postérité.
De la Presse française, à peu près acéphale, estomaquée, mâchoire pendante dans le meilleur des cas. Et aussi : quel éditeur pour un tel roman ? Gallimard qui l'a laissé disparaître ? On m'a dit que (feu) Philippe Sollers et (feu aussi, hélas) Dimitrijevic, un temps, avaient envisagé la possibilité d'une réédition...
Imaginons la suite de notre idyllique vision, c'est-à-dire le spasme épileptique, le hoquet ou même le franc renvoi de la Presse française qui, de gauche à droite du bassin crasseux où elle patauge depuis sa naissance, n'en finirait plus, pendant quelques jours ou semaines, de presser le goitre rempli de bile, de morve et de pus qui lui sert de cerveau ! Quelle fantastique clameur ce serait, quel scandale assuré, aussi, quel dégorgement d'étrons et de sanie ! La Presse dite progressiste clouerait au pilori les saillies très franchement réactionnaires et même spontanément fascistes de l'auteur, son homophobie assez paradoxale, sa misogynie, sa haine des pauvres (lorsqu'ils sont vulgaires, et ils le sont presque toujours) et des riches (dans tous les cas de figure), son racisme contre les Arabes (cf. p. 279, Houellebecq eût aimé l'insulte !) et les Juifs, son coruscant mépris des Français, lamentables crevures dont les mœurs dégoûtantes sont analysées, selon la vieille technique ma foi efficace des Lettres persanes,
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Roger Nimier a raison d'affirmer que, de ce roman, «la valeur tient à sa violence dans le réalisme, violence qui lui enlèvera tous les lecteurs délicats qui constituent notre public littéraire». Ah oui, elle s'étoufferait de rage, cette Presse si bellement progressiste dont la disparition, certes impossible, hâterait pourtant la venue du Messie précédé d'un silence inimaginable, bloyen, krausien, et trouverait décidément bien suspecte la facilité avec laquelle André Lavacourt évoque les odeurs intimes, tel «déploiement démesuré d'odeurs» est-il ainsi dit à propos d'un des innombrables accouchements de Mme Pichegru (p. 249), odeurs qui sont toutes pestilentielles, l'étendue de ses connaissances en matière de suintement de liquides, essentiellement féminins (3), ou encore sa fascination pour la merde, et tous les moyens de la produire et l'évacuer (4), sans oublier l'expulsion, par une belle femme parfaitement idiote, d'un ténia, dans un passage dont le rythme semble mimer le fait de hacher en plusieurs morceaux l'intestinale créature : «Est-elle habillée sous sa robe ? Sans doute pas. Un geste souple de la taille et des hanches, celui qu'elle doit avoir, dans sa maison de couture, pour mettre en valeur les petites robes simples du matin, et Breuil, en se retournant, peut admirer, sur le chemin, dix bons centimètres de ténia qui s'étalent dans les herbes» (p. 408). Ce n'est là qu'une scène rocambolesque parmi tant d'autres du même tonneau ou plutôt, du même bocal rempli de formol.
La Presse dite conservatrice, elle, qui, sous prétexte qu'une phrase est riche d'un sujet, d'un verbe et d'un complément crie au chef-d’œuvre, après avoir toutefois humé l'air ambiant de son petit museau tout rose et frémissant, au cas où elle y décèlerait la présence lointaine d'une fouine cherchant qui dévorer, s'extasierait devant la trouvaille somptueuse, cette colossale créature résistant aux classifications taxonomiques, rapprocherait sans nul
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Et puis je n'ai pas besoin de forcer beaucoup mon imagination car, à vrai dire, l'effroi des épiciers et des dépendeurs d'andouilles à peu près incultes de la droite actuelle n'a pu que s'aggraver depuis l'époque où ce même Lucien Rebatet, dans Rivarol (4 août 1960), déclarait que Les Français de la décadence ne pouvaient être que «naturellement épouvantablement outranciers aux yeux de la bourgeoisie littéraire du type figarien», alors qu'ils «appartiennent au contraire au rayon des livres lucides, salubres, dans leur violence réaliste et leur pessimisme qui toujours ont précédé les vraies redressements». Bien entendu poursuit Rebatet, «ils ont toute la saveur du non-conformisme, qui a complètement déserté la littérature «de gauche», rabâchant les truismes antiracistes et progressistes qui appartiennent désormais au répertoire officiel, académique». Louons la justesse de l'analyse, et modérons toutefois l'optimisme de Rebatet affirmant que ce genre de livre
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Nous sommes décidément coincés. Nous sommes les hommes sans volonté, pour reprendre le titre de l'article que Nimier a consacré aux Français de la décadence, nous sommes les hommes creux, le cerveau rempli d'un peu de bourre, nous sommes les Français de la décadence. Nous sommes les Français qui méritent le mépris que leur cracha à leur face blême André Lavacourt.
Le problème d'un pareil roman est qu'il est inclassable ! Là commence, en théorie du moins, l'angoisse du critique littéraire
On comprend assez vite la raison superficielle pour laquelle Rebatet a pu tenir en haute estime ce roman rongeant comme l'acide de Leurs Figures de Maurice Barrès, s'écoulant goutte à goutte par un minuscule trou percé dans l'acier le plus pur ou, au contraire, tour à tour, balayant tout sur son passage, comme un torrent dont les flots, parfois, rappellent ceux de La Route de la chapelle de Louis Paul Boon. Ce torrent ne se contente pas de tout emporter sur son passage, et d'abord la prétention des Français, car il est maîtrisé grâce à un texte savamment construit selon une technique chère à John
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Les raisons plus profondes, elles, sont d'ordre politique ou plutôt : esthético-politiques, puisque Rebatet écrit qu'il serait sans doute possible de «gloser à l'infini sur la difficulté d'insérer dans la vraie littérature la politique contemporaine, cet immense, cet éternel sujet qui n'a jamais été plus obsédant, plus omniprésent» qu'à l'époque de sa chronique mais qui, à la nôtre, semble avoir été remplacé par l'exploration obstinée des différents conduits dont s'honore le corps humain, surtout s'ils ont été salis ou profanés. Cette littérature des orifices plus ou moins vierges porte un beau nom : c'est la littérature du témoignage.
Ces raisons tiennent aussi à une autre préoccupation esthétique bien que farcesque, carnavalesque, inversée puisque Rebatet salue l'écriture savante et ordurière (savante et ordurière, Philippe Bordas, prends-en de la graine !) d'André Lavacourt, inventive en diable, ultra-technique parfois dans certains de ses termes
«Qui c'est-y qu'c'est
Qui m'a fait ça ?
C'est-y Julot
Ou bien Toto,
C'est-y Dédé,
Sinon qui ça ?» (p. 137).
Décadence ?
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Cette décadence, malgré plusieurs passages assez didactiques évoquant ses effets, n'est finalement jamais mieux exprimée que par la stupidité de plusieurs des personnages, comme le pauvre type qui se fera prendre en train de montrer son sexe à une gamine sortant d'école, puis se fera manipuler, en échange de sa compréhension, par un inspecteur de police qui l'emploiera comme espion, ou bien par l'insurmontable déchéance, d'une dimension quasiment sacrale, de la famille Pichegru rompue à tous les vices, lâcheté, ivrognerie, inceste, crasse millénaire; cette inintelligence profonde, cette stupidité obsidionale menaçant de tout submerger, cette décadence de la race, appelons les choses par leur nom, est bien évidemment, aussi, celle de nos représentants politiques, incapables de résoudre la crise de Madagascar où l'armée française subit une nouvelle déroute, comme elle sera tout aussi incapable d'anticiper l'invasion russe, puis de lutter contre elle, et que dire de l'armée elle-même. C'est bien simple, ce n'est plus une décadence, d'ailleurs évoquée par de puissantes références historiques rendant la situation de la France parfaitement ridicule, mais une véritable débandade, et même, selon Michel Déon, un «grouillement maléfique» (op. cit., p. 54), qui rappelle, je l'ai dit, Les Décombres mais aussi plusieurs romans de Céline, ou encore La Grande Peur des bien-pensants de Georges Bernanos, un essai que l'on dirait avoir été écrit d'un seul cri de colère, et qui se lit comme un roman.
Du reste, «la France est si largement noyautée par l'ennemi que les Alliés ne peuvent jamais compter sur un appui certain» (p. 538). Qu'attendre, en plus, d'un ministre de la Défense qui cite Racine, même s'il est rusé et mène prudemment sa barque, et d'un Président de la République qui ne songe qu'à se venger de la France, et sabote sa défense ? Il n'est vraiment pas étonnant que Lucien Rebatet ait aimé ces pages impitoyables qu'André Lavacourt a consacrées à la déroute de l'armée française car, comme Michel Déon a raison de le dire, le romancier ne semble jamais manifester l'ombre d'un regret lorsqu'il tape méthodiquement sur les immenses colonnes, à la base certes bien vermoulue et, désormais, en voie de saponification accélérée, de l'édifice majestueux que fut la France.
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Haine du religieux ?
Aux premiers communiants à sourire lustral et aux rédacteurs en chef ne manquant jamais de s'alarmer lorsqu'une paroisse désaffectée depuis des années, faute de paroissiens et de prêtres pour y célébrer la messe, est transformée en salle de concerts ou bien tout bonnement rasée, je dois tout de suite dire qu'il serait assez comique de faire d'André Lavacourt le Léon Bloy d'un seul ouvrage, fût-il un Bloy mineur même (7), car ce serait une erreur assez manifeste de considérer que l'une des raisons de la décadence évoquée par notre roman tiendrait à la si fameuse mort de Dieu, que tant de grands esprits corrosifs ont affirmé être à l'origine profonde de tous nos maux, du moins des plus essentiels, intimes et secrets, expliquant, par exemple, la médiocrité du (petit) personnel politique se succédant à la tête de républiques de plus en plus corrompues et pourries (8). La préoccupation religieuse semble être parfaitement étrangère à André Lavacourt, comme elle le fut à Lucien Rebatet qui pourtant consacra à cette question un roman aussi intelligent que puissant, puisque notre auteur ne se prive jamais, par l'intermédiaire de son personnage révolté et matérialiste, Jarteaud, de critiquer ce qui paraît-il fut l'opium du peuple; ainsi, c'est en évoquant avec son ami la question du Mal dont il est parfaitement inenvisageable, lui déclare-t-il, de s'accommoder, qu'il est impossible encore d'admettre et qu'il faut donc détruire, qu'il raille vertement la religion, le «Dieu juif» de Breuil et, dans ce passage, le christianisme
Ce mépris voire cette haine pour la religion est pour le moins paradoxale, puisque plus d'un des personnages de notre roman semble adopter une position assez ouvertement pessimiste, et, même, contre-révolutionnaire (9), comme c'est le cas de l'Américain MacLellan, plus français que n'importe quel Français nous l'avons dit; ainsi, parlant de nos compatriotes, il n'hésite pas à dire qu'ils se sont «vautrés avec une férocité innommable dans le sang de tout ce qui se réclamait du roi, mais ils en gardent la nostalgie comme s'ils sentaient que la République, ils n'en sont encore ni capables ni dignes»; en fait, c'est comme si «la tête coupée de Marie-Antoinette» leur flanquait «des cauchemars». MacLellan, lorsqu'il nourrit ces sombres pensées, se promène dans ce qui fut autrefois Marly, dont tel guide touristique vante «la rigoureuse ordonnance du site, l'incomparable descente des bassins, l'harmonie sans égale du plus parfait ouvrage classique» (p. 392), et il faut alors bien se dire, devant l'évidence de la réalité beaucoup moins grande et noble, la «solitude immense» étant seulement traversée par «les cris des coucous qui semblent se répondre», il faut bien se dire, oui, que «les Français qui viennent ici chercher le souvenir de leur grandeur déchue ne manquent pas d'imagination !». Il se peut ainsi, poursuit MacLellan en silence, «que les crimes de l'histoire soient plus durs à porter que les crimes individuels» (p. 393), comme s'il y avait, de façon certes profane, une transmission de quelque faute inimaginable, perpétuellement réactualisée, reprise, comme le montre le désastre des troupes françaises décimées à Madagascar, que ne cessent d'évoquer les différents personnages, non pour s'en désoler, ou bien si peu, mais pour consigner une confondante évidence : la France est fichue et, mon cher Monsieur, elle l'est tout de même depuis quelque temps déjà.
Du terrorisme : que l'un est plus puissant que l'autre, qui n'en est pas vraiment un
Notons encore cette magnifique définition du terroriste, qui est «un de ces hommes dont le destin est de faire toujours courir un risque à leurs contemporains» (p. 406). Qu'attend le terroriste ? Certainement pas la guerre, ou plutôt, sa burlesque parodie, qui va arriver avec l'invasion russe de la France; la fin des temps bien sûr, «arrêt brusque dans le déroulement d'une jeunesse qu'est une
Remarquons aussi cette analyse, ô combien juste à notre époque, ô combien pertinente pour expliquer l'état de molle sidération et, surtout, de comique, d'irréparable impuissance se diluant dans des bassines de slogans et de formules mais restant incapable d'agir, de produire ne serait-ce qu'une seule action un peu honorable, forte, décisive, dans laquelle se trouve un pays comme la France, plusieurs fois frappé par le terrorisme : «La physionomie de la guerre moderne est tout entière dominée par une autre réalité : le terrorisme. Il est surprenant d'avoir à constater qu'il a fallu attendre la seconde moitié du XXe siècle pour qu'un moyen si simple de gouverner les foules devienne, dans tout conflit, un facteur décisif. Une dizaine d'individus, décidés et immoraux, terrorisent toute une ville, une centaine tout un pays, et la frayeur décide des âmes, plus sûrement que des corps. On prend toujours et partout le parti du plus fort. Devant une menace de tous les instants, rares sont les hommes qui ne pensent pas : «Pourvu qu'on en finisse vite !», rares sont les hommes qui ne sont pas prêts à tout abandonner pour sortir d'un cauchemar et plus rares encore ceux qui ne sont pas disposés à prêter une oreille complaisante aux sirènes du défaitisme et de la trahison. Les soldats qui combattent veulent combattre coude à coude. Quelques bombes à l'arrière font plus pour l'ennemi que dix attaques de front» (p. 540). Du reste, Jarteaud, ayant juré de se venger de la République et, plus largement, d'un pays à l'agonie où le ciment judéo-chrétien, vaille que vaille, continue de condamner des pratiques sexuelles jugées déviantes comme les siennes et celles d'un pauvre diable exhibitionniste, tapissier de son métier travaillant pour l'ambassade américaine, par qui il apprendra toute l'affaire (n'en disons pas davantage aux lecteurs, hormis cela : le roman d'André Lavacourt se lit aussi, d'abord, comme un roman policier), sera l'homme par qui le scandale arrivera puisque c'est lui qui, au gré de péripéties dignes d'un vaudeville, apportera aux espions russes l'information qu'ils voulaient à tout prix posséder avant de lancer leur invasion, au mois de juillet 1973, d'un pays défait, mûr pour tomber entre les mains puissantes de n'importe quel assaillant.
C'est la pente d'André Lavacourt, et cette pente est révolutionnaire, pour ne pas dire apocalyptique, et comment ne le serait-elle pas, puisque «trop d'Occidentaux jugent encore la France d'après des souvenirs de la guerre de 14»; c'est en effet «le malheur de l'Occident d'avoir à défendre une nation âgée et faible et de devoir soutenir un peuple effondré» (p. 486). Plus loin, au moment où la France est envahie, Paris quasiment occupé par les troupes russes, émerge dans la conscience de Breuil une explication de la décadence manifeste de la nation française. Dans ce superbe passage, André Lavacourt pourrait être rapproché de Léon Bloy : «Sourde, obstinée, térébrante, la peur gagnait Paris. Non pas l'inquiétude sœur de l'imagination créatrice, l'anxiété, inexplicable et maladive, mais bien la peur déshonorante. Ce soir, Breuil supposait à tous les Parisiens des sentiments ignobles. Il avait descendu le boulevard Saint-Michel jusqu'à la place. Maintenant sur un banc, près de Saint-Julien-le-Pauvre, il lui semblait comprendre la vraie cause du mal qui rongeait cette ville, son ver intérieur, son avarie : la peur. Elle venait de loin, la peur de Paris. Elle avait commencé son règne quand on enlevait à peine, en 1918, les oriflammes de la victoire. Elle avait grandi, insensible d'abord, vaguement cachée sous les plis des drapeaux, sa voix disparaissant dans les flonflons des proclamations conquérantes. C'était pourtant cette voix qu'on avait seule entendue en France, tandis qu'en Allemagne une jeunesse omniprésente, dictatoriale, régissait le pays tout entier, et Breuil croyait en retrouver partout la navrante réalité, sur la rue, sur les visages des hommes, sur la ville illustre et, planant derrière les tours de Notre-Dame, sous ce ciel trop bleu malgré le soir, tellement immobile, tellement éternel» (p. 499).
Art poétique
Mais la langue française, elle aussi, finira par disparaître, à tout le moins s'appauvrir de façon drastique car le monde qu'elle a magnifiquement signifié au travers des siècles aura disparu, laissant la place à «un lendemain asiatique et balourd» qui finira forcément par «remplacer le règne des jeux et des grâces faciles», et parce qu'il n'y aura plus de «femmes élégantes ni de foules heureuses», il n'y aura plus jamais de «restaurants de luxe, de revues d'art ni de cocktails mondains où se côtoient toutes les classes décentes d'une société superficielle, mais, de bas en haut, acharnée à construire de l'homme une idée supportable. Il n'y aura plus jamais, sur la Croisette, de gens pour se retourner sur une jolie robe puisqu'il n'y aura plus de jolies robes. Il n'y aura plus jamais de cavaliers joyeux, dans les matins du Bois, pour la saluer et lui sourire. Elle a vécu d'un univers qui s'écroule, qui, en ce moment même, entraîne vers le chagrin des obligations dures, des certitudes imposées, des vérités apprises» (p. 590).
C'est encore et toujours la possibilité d'une île que cherche l'écrivain
Il est assez étonnant de constater que ni le savoir ni la langue ne nous permettront de bien mesurer l'ampleur du désastre s'il est vrai que «c'est l'énormité même de la catastrophe qui empêche de la bien situer. Il y faudra dix ou vingt ans... Car, dans Byzance envahie, les rares survivants des massacres ont dû mettre quelques années à réaliser l'exacte ampleur du massacre»; dès lors, «cet écroulement de la France», et MacLellan corrige immédiatement son propos, «dans cinq cents ans, plus personne n'y pensera...» (p. 606), et
Que faire ?
Vers quel port se diriger, sinon vers la quête d'une réelle présence qui aurait, miraculeusement, résisté à cette décadence rongeant, salissant, déformant tout, y compris les mots qui ne veulent plus rien dire ? Les dernières pages du roman d'André Lavacourt, peut-être, nous donnent une piste à explorer, qui consisterait à abandonner la France à son sort et se confronter à la beauté inaltérable, pour qui sait voir, comme c'est le cas de Breuil : «Il prend, avant l'aurore, un bateau grec qui doit le conduire à Haïfa. C'en est fini pour lui des hésitations; voici bientôt le port. Légère, irréelle dans la lumière incomparable, une montagne bleutée, la première montagne d'Afrique, émerge de l'eau pâle où se confondent et se séparent, deux mers, deux continents, deux mondes» (p. 598). Rien à faire pourtant, car même la miraculeuse aube grecque paraît être contaminée par «des régurgitations
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La libération, par le voyage, hors de l’Europe aux anciens, à vrai dire croulants parapets est un leurre, tout comme elle l'était du reste à la fin du XIXe siècle, ainsi que le montrent plusieurs romans décadents comme Monsieur de Phocas de Jean Lorrain, et c'est à une autre forme de libération, païenne dans un premier temps par rejet du Dieu monolithique des trois révélations, puis par lente compénétration, au travers des siècles, entre les efforts des générations humaines et leur volonté de chercher le Créateur semblant de plus en plus affaibli et nécessiteux, qu'André Lavacourt nous invite, dans le dernier chapitre de son roman au si beau titre, ...Où dorment les dieux morts, si, en effet, nous ne vivons que dans «un christianisme de convenance, celui de tant de «croyants» indifférents ou endormis» qui ne se soutient que «grâce à la vitesse acquise» (p. 618), notre rôle, mais éminent, n'étant plus que de tenter de concourir à la préservation et à l'édification du monde car «votre indignité, c'est nous comme c'est encore nous toutes les qualités d'un Dieu qui ne peut naître à l'existence et à la conscience que par notre désir».
Et voici les toutes dernières lignes du roman boursoufflé et génial et impubliable et oublié d'André Lavacourt, Les Français de la décadence : «Et votre indignité, Seigneur, c'est Votre traduction de nos crimes contre la vie. Elle cesserait avec eux. Alors, il n'y aura plus besoin ni de Dieu ni de nous et peu importe au fond que le jour de justice vienne demain ou plus tard puisque l'acharnement des hommes à Vous construire date du début des âges et qu'il doit continuer dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il» (p. 619).
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Je n'ai aucun pouvoir particulier dans le journalisme, encore moins dans le monde si feutré de l'édition, et ne prétends même pas que j'en aurais, comme un Maxence Caron faisant preuve d'un désopilant narcissisme lorsqu'il répète qu'il n'a aucune influence réelle en cette matière, bien qu'il ait édité chacune de ses exponentielles baudruches gonflées à l'hélium de la plus comique prétention chez un éditeur différent, mais, au moins, aurai-je tenté de desserrer quelque peu l'étau de silence ayant entouré ce livre, l'ayant étouffé puis fait disparaître comme s'il n'avait jamais existé, ajoutant ainsi mon nom à la fort maigre liste des lecteurs enthousiastes de «l'extraordinaire roman d'André Lavacourt» selon Michel Déon, véritable «déchaînement dans le sordide et l'horreur qui étrangle le lecteur», extraordinaire roman qui est bien davantage que cela, nous l'avons vu, et que j'espère au moins avoir donné envie de découvrir, même s'il reste pour l'heure introuvable.
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Mais voilà, ce livre n'existe plus, c'est un fait incontestable, une de ces évidences sur le ciment desquelles les maisons d'édition comme Gallimard bâtissent leurs résultats financiers, fait et évidence après tout assez peu susceptibles de nous étonner, dans un pays dont la littérature, comme bien d'autres domaines qui devraient témoigner pour l'Esprit et non contre lui, pour la Beauté et non contre elle, pour la Force et non contre elle, tombe sous le couperet d'une belle phrase désolée de Léon Bloy, extraite d'un article où il évoquait la disparition, dans notre monde, de l'enthousiasme, qui est un cri, un sanglot, un râle, et encore, une poussée de clameurs farouches dont le désordre même atteste la puissance, article dans lequel il écrit (13) ces mots qui nous serviront de conclusion : tout est parti, tout est éteint, déteint, atone, pâle, desséché, branlant et jaunissant.
C'est dit.
Notes
(1) Je dois ces quelques précieux renseignements à l'auteur du blog intitulé Dans les diagonales du temps, qui fait état de nombreuses hypothèses concernant l'auteur dans une première note datée de 2014, très riche également en pistes de lecture, puis revient plus spécifiquement sur l'identité réelle de Lavacourt dans une seconde note publiée en 2020.
(3) Voir ce passage, où il est fait référence à une pratique des Français point si ancienne que cela, le sang de cheval étant réputé vivifier l'organisme humain. Notons aussi que ce même sang de cheval, «qui fumait dans les seaux», a «un goût violent, surgi du fond des âges» (p. 98); mais revenons au sang féminin, à propos de Léontine Pichegru qui «ne doutait pas que trente ans de pertes rouges, blanches, jaunes-verdâtres, de lochies, de trichomonas, de fausses couches et de gonocoques ne finissent un jour ou l'autre par céder au sang de cheval» (p. 97).
(4) Dans un chapitre à la verve résolument bloyenne, André Lavacourt évoque le ménage Pelot, tout préoccupé de parvenir à un équilibre digestif; ainsi, Mme Pelot «souffrait, elle aussi des entrailles et, quelque résistance qu'elle eût suivi jusque-là, elle n'avait jamais atteint à l'idéal de sa vie intestine, au pyramidion de ses désirs inassouvis, à l'espoir de ses nuits sans sommeil : la selle exacte et parfaite et moulée comme au tour, façonnée comme un rêve et remplie d'harmonie» (p. 39).
(6) J'ai noté deux allusions au prochain triomphe de l'Islam en France : dans une conversation entre Jarteaud et un certain Mostefa, ce dernier livrant le conseil selon lequel «dans dix ans, il y aura, dans le monde, deux sortes d'hommes : ceux qui sauront de l'arabe et ceux qui n'en sauront pas» (p. 107). La seconde occurrence se trouve aux toutes dernières pages du roman.
(7) Soulignons tel admirable chapitre, que nous pourrions presque lire comme une très courte histoire désobligeante, intitulé Joyeux Noël (cf. pp. 273-277), qui évoque quelques heures de la vie de deux vieux misérables.
(8) «Le gouvernement Vrain-Lucas est tombé comme un fruit trop mûr; il s'est mollement détaché de l'arbre fécond des Républiques, arbre éternellement refleuri où déjà bourgeonnaient cinquante ministères en puissance» (p. 218).
(9) Nombreuses sont les saillies contre le régime républicain; ainsi : «Dites-moi, quel est le pays qui aurait résisté à deux cents ans de République ?» (p. 404) ou encore, à propos du fait que les Juifs, auxquels on a tellement dit qu'ils étaient lâches, affirme un des personnages, Delatre, «qu'ils sont prêts à se faire tuer pour n'importe quelle niaiserie plutôt que de le laisser dire une fois de plus», l'évidence selon laquelle ladite «niaiserie» n'est pas tant la France que la République car : «La France ayant accompli son temps ne risque plus de disparaître» (p. 447). Ou encore : «Le Conseil des ministres était une assemblée morne de soixante personnes où l'on ne décidait jamais rien. Les ministères se multipliaient à l'infini et leurs passagers, largement fécondés de semence parlementaire, pondaient indéfiniment des sous-secrétaires d’État» (p. 507).
(10) André Lavacourt revient sur «l'absolue résistance au mal» qui n'a pas «à postuler une vue spéciale du mal : le mal [est] une des données les plus immédiates de l'esprit». Jarteaud se demande si, pour «la résistance en elle-même, il fallait qu'elle fût un programme suffisant et qu'on pût y fonder un monde. On en fonde sur n'importe quoi», et de poursuivre : «Est-il fou ? Ou tout à fait imbécile ? Et qui parle de fonder des mondes ? Voilà qu'il s'exprime comme un orateur de réunion publique... Et ceci au
(11) Dans une lettre adressée à Michel Déon le 2 octobre 1960, Paul Morand affirme que c'est Nimier qui lui en a parlé «quand le livre était à l'imprimerie», et le caractérise comme étant «massif, étrange, vulgaire, plein de sève et d'une force débordante», in Lettres à des amis et à quelques autres (La Table Ronde, 1978), p. 83. La lettre de Morand à Nimier figure dans le volume intitulé Correspondance. 1950-1962, édition présentée, établie et annotée par Marc Dambre (Gallimard, coll. NRF, 2015, p. 233); datée du 30 août 1960, Paul Morand se contente de remercier Roger Nimier pour l'envoi du livre de Lavacourt.
(12) Raymond Queneau a tenu une liste assez imposante, puisque ce sont quelque 9 926 lectures qu'il a effectuées, des ouvrages qu'il a lus; ainsi, Les Français de la décadence porte le numéro 6 550, et c'est au mois de février 1959 qu'il a pu prendre connaissance du roman à l'état de manuscrit. Une
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(13) Bloy journaliste. Chroniques et pamphlets (choisis et présentés par Pierre Glaudes, Flammarion, coll. GF, 2019, dans un article évoquant Madame de Staël du 22 février 1879 paru dans Le Foyer, p. 62). L'extrait donné au tout début de mon article provient du même texte de Bloy, p. 71 de l'ouvrage cité.
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