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06/04/2004

Consensuel ad nauseam : sur Immortel d'Enki Bilal



Toujours, le danger est de se mettre à la merci des imbéciles et de l’art le plus élémentaire. Toujours, le défi consiste à tenter de s’extirper de leur glu puante. L’Internet multiplie ce risque inhérent à tout échange par mille, par un million, par un milliard. Par exemple, mes sobres lignes sur le navet prétentieux d’Enki Bilal m’ont valu quelques répugnants échanges avec un crétin propriétaire d’un site crasseux et larmoyant son admiration bilalienne lequel, flairant de son immense odorat le piège, a tout de suite compris que mes références étaient droiturières, pardon, réactionnaires, pardon encore, nazies. Le cornichon cinématographique me reproche aussi d’avoir démoli un film en quelques lignes : j’avoue qu’il a marqué un point et que j’ai hésité, quelque temps, à étayer ma radicale critique de quelques solides arguments puisque, après tout, j’avais reproché aux ignares pseudo-critiques d’avoir expédié Villa Vortex de Dantec en quelques lignes poisseuses. Certes, mais la comparaison est biaisée car, à l’évidence, le travail d’un Dantec (je parle de son travail et non pas de la réussite de son roman) est infiniment supérieur à celui de Bilal, habile compilateur de quelques-uns de ses albums les plus connus, prétentieux cinéaste du vide qui a sans doute oublié qu’un dessinateur, fût-il bon (je ne parle pas de scénariste notez-le…) et bien évidemment encensé par les navrantes palourdises des Inrocks (ce qui aide sans doute à obtenir le label de l’excellence…) n’est certainement rien d’autre que cela… un dessinateur. À titre purement informatif, je rappelle que la toile illustrant cette note a été réalisée par... un singe. Ma foi, exposée dans quelque musée d'art moderne, je suis pratiquement certain qu'elle aurait attiré des centaines de spectateurs commentant doctement la suprême habileté de ses formes, le génie de sa composition, le judicieux choix des couleurs, la maîtrise du geste, etc.
Et que dire, pour en revenir à notre navet, du papier (Libération du 24 mars), bien évidemment de pure complaisance et ridicule jusqu’à l’excès, du critique Antoine de Baecque, bien plus inspiré lorsqu’il disserte sur l’œuvre de Tarkovski ? Rien, ces lignes ne valent strictement rien et, pour le coup, dénotent un étrange malaise qui toujours signe sa vacuité par des phrases qui tournent en rond : «Immortel est une anticipation flottante, qu'on traverse comme si elle était projetée sur le cortex des spectateurs. On en ressort chargé de plus de questions que de réponses, et cette incertitude plaît». Des questions ? Oui, j’en ai effectivement quelques-unes : comment, alors que sont égrenées jusqu’à satiété les qualités techniques de la production (1 500 dessins, 200 infographistes, 1 400 plans avec effets spéciaux, s’extasie mollement Baeque), Bilal n’a-t-il pas eu honte de nous livrer un film dont l’esthétique est à peu près comparable à celle de ces jeux vidéo d’antan conçus par Atari et autres Mattel (le plaisir de jouer en moins..) ? Comment avoir osé nous livrer un aussi ridicule travail scénaristique qui n’hésite devant aucun poncif et se clôt par une pathétique fin à l’eau de rose flétrie ? Et enfin, que penser de la signification philosophique (pardon pour un mot qui dans ce contexte ridicule jure) du film ? Bilal veut-il nous faire comprendre que les femmes aux cheveux bleues sont redoutables bien que paumées ? Qu’Horus est un sacré cochon plutôt qu’un pseudo-dieu de carnaval égyptien en quête de l’immortalité que lui conférera un adorable bambin à la houppette elle aussi céruléenne ? Que les manipulations génétiques sont décidément une bien vilaine chose, puisqu’elles transforment un chasseur de prime extraterrestre en sanguinolente merguez à dents d’acier ?
Oui, j’avoue humblement avoir deviné que c’est bien dans ce dernier point que réside la quintessence de l’œuvre de Bilal, qui du moins n’aura pas réussi à me mener en bateau, pardon, en voiture volante. En tout cas, le seul élément qui, dans ce film bessonnien, donc nul, résiste à un écroulement généralisé, est encore la poésie baudelairienne, que récitent d’ailleurs fort mal les acteurs, avec des trémolos entendus et un beau soleil couchant. Encore une fois donc, je le répète : ce film est stupide, prétentieux et parfaitement inepte dans sa volonté évidente de concurrencer les prouesses technologiques propres aux productions américaines qui, beaucoup plus naïvement certes, parviennent au moins à ne pas nous faire regretter un argent mal gaspillé. Ce film est nul, prétentieux et inepte dans ses thématiques bricolées à partir d’autres films (Alien, Stalker, Blade Runner, etc.) mal vus aussi bien qu’ils ont été mal compris. Ce film est nul, prétentieux et…
Et puis zut ! L’évocation critique d’une œuvre, qu’elle soit cinématographique, musicale ou littéraire suppose encore, n'en déplaise à ces petits messieurs les criticaillons mille fois achetés, une force d’enthousiasme et d’admiration tapie au sein-même de l’œuvre, par là-même transmissible, un cœur qui bat. Celui d’Immortel n’est pas autre chose que l’organe ridicule, battant la grosse caisse, impuissant, démesuré mais creux d’une prétention sans bornes.