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28/04/2004

La revue Place au(x) panses d'Olivier Pascault

Crédits photographiques : Arno Burgi (AFP/Getty Images).

José Bergamín a été révélé en France à la faveur de la publication de certaines de ses œuvres les plus marquantes par les éditions de l’Éclat. Il y a quelques années, je décidai de contacter Yves Roullière, son excellent traducteur, qui offrit à Dialectique un texte inédit de cet extraordinaire auteur basque, admirateur de Unamuno (on s’en serait douté, un autre Basque génial) mais aussi de Bernanos (certes pas Basque mais qui se voulait quelque lointaine ascendance espagnole), au départ pour le Brésil duquel il assista. C’est Yves Rouillère qui me mit en relation avec l’équipe d’Études, revue qui refusa, après moult atermoiement et remarques d’une jésuitique prudence (pour ne pas employer le mot qui conviendrait mieux, celui de trouille), un de mes textes sur Ernesto Sábato, au prétexte que le comité de rédaction n’en comprenait guère la fougue torrentielle, expression qui sans doute signifiait, dans l’esprit de ces petits moineaux lustrés d’eau bénite, que je ne m’étais pas fendu d’une sèche et scolaire rédaction en trois parties dialectiquement amovibles. Curieux de remarquer que la même mésaventure, au demeurant exagérée, m’était arrivée lorsque le directeur éditorial des éditions du Cerf, Philippe Verdin (le nom semble comiquement prédestiné, à une lettre-couac près, pour une piteuse débâcle) m’avait tout simplement demandé de réécrire mon essai sur George Steiner, à son goût trop bernanosien, il voulait dire, tout simplement, trop violent, d’une écriture qui n’était pas «châtrée» afin de passer sous les «fourches caudines» de sa maison (ce sont là les termes imagés de la lettre qu’il m’adressa, truffée de fautes comme il se doit). J’oubliai de dire, pour être tout à fait honnête, que Conférence me refusa un texte sur Ernest Hello au prétexte qu’il n’en saisissait pas l’enthousiasme et l’exaltation d’un autre âge… !
Le constat est simple : la majorité des revues de langue française est dirigée par des veules, ce qui n’étonnera guère celles et ceux qui osent encore déchiffrer les lingettes imbibées de règles blanches que l’on veut nous faire prendre pour des morceaux de lave encore chaude. Olivier Pascault, maître des troubles destinées de Place au(x) sens, se pique donc d’être un rédacteur en chef. À dire vrai, point n’est besoin de connaître ce personnage, ni même de tenter, ce que j’ai fait en y perdant mon temps et mes forces, de dialoguer avec lui. Qu’il me suffise de paraphraser l’éditorial torve du numéro huitième de sa revue, qui, selon les termes mêmes de Pascault, prend là un nouveau départ, on se demande bien vers quel mirage de surface.
Voyons, l’affaire commence rondement puisque, selon le titre de la revue, nous (vous et moi, la communauté des lecteurs) sommes face à un «sens politique» qui bien sûr n’est rien d’autre qu’une «résistance», selon la métaphore lexicalisée (les savants parlent de catachrèse) pratiquée, j’ai appris cela en lisant les romans de chevalerie, par les Perceval de la noble cause. Quelle cause ? Mais voyons : LA cause ou bien, si j’étais thomiste, la Cause, celle de toutes les résistances. Oui me dira-t-on, mais résistance à quoi je vous prie : à la fatigue, à la tentation, à la prise d’intérêts, soyez précis que diable ! Quoi ? Êtes-vous donc un imbécile monsieur, à moins que vous n’usiez à mes dépens d’un louche humour ? Sachez que la résistance ne peut qu’être, à son tour, Une et indivise puisqu’elle résiste au Mal multiple, jamais acculé comme pourrait l’être un seul homme contre un mur à qui l’on trouerait le corps d’une rafale de balles, vite fait bien fait. Le Mal au contraire est Hydre perverse aux multiples bras sifflants ou bien peste brune aux milliards de rhizomes purulents ou bien… Cela suffit ! La leçon est claire, enfin, puisque la Résistance héroïque, aujourd’hui, ne peut que lutter contre l’infamie nazie, c’est-à-dire raciste, xénophobe et, cela va de soi, affreusement réactionnaire, donc soutenant pêle-mêle Bush l’exalté du Texas et Sharon le bourreau des Arabes, peu importe d’ailleurs l’incohérence de ces égalités puisque Dieu, après tout, saura reconnaître les siens pas vrai et, du coup, rétablir les différences sans lesquelles la pensée n’est rien de plus qu’un numéro de cirque ?
Poursuivons dans ce difficile exercice de lecture : «Une nouvelle équipe rédactionnelle, un nouveau calendrier de parution, un nouveau songe, de nouvelles épreuves, nous préparons notre esquif pour les hautes mers, les seules qui vaillent, en attendant l’armateur de l’importance à glaner». Apparemment donc, c’est le prurit de la nouveauté qui démange nos hardis moussaillons, embarqués dans une étrange galère plutôt qu’un fragile esquif, assez mal adapté pour affronter les maelströms que Pascault, l’œil en visière comme le disaient les vrais marins, croit voir sur sa route périlleuse, dont l’amer est bizarrement constitué par une cale de radoub hantée par un curieux «armateur» glanant, si j’ai bien compris, «l’importance». Je passe sur la stupidité d’une métaphore aussi lourdement filée, tanguant comme un rafiot mal calfaté : l’esquif de Pascault serait donc armé par un armateur qui, au milieu d’une mer devenue champ, et jouissant de l’antique droit de glane, grappillerait de ci de là quelques épis de blé épeautre, sans doute pour en nourrir ses innombrables matelots (au fait Pascault, combien ne sont-ils que des pseudonymes ?). Ligne suivante, la mer devient fleuve puisque Place au(x) sens, plomb minable devenu subitement or au creux de l’athanor, tel un Phénix, a pu renaître de ses cendres afin d’affiner «le lit de la détermination». Après l’esquif, la dragueuse de fond, cela est logique, même si, au passage, l’or semble être redevenu plomb, voire sable, voire… boue (baudelairienne bien sûr). Pascault, excellent capitaine mais fort mauvais technicien, a sans doute oublié de préciser que nous n’étions plus dans les fonds mais bel et bien dans les abysses, dans la fosse, de Marianne comme nous allons le voir.
Le deuxième paragraphe de l’éditorial est à ce titre riche d’enseignements. Lisons-le : «En ces temps complexes et sombres, nous devons faire face […]. Ainsi, nous continuerons et ne donnerons pas voix à l’éclatement politique en fractions, à son éclectisme méthodique, fertile à l’émergence des pensées autoritaires [puisque] des principes solides s’imposent de nos jours». Mon professeur de philosophie de Terminale m’apprenait, il y a longtemps, que l’on ne commence jamais une rédaction par un truisme, ce qu’apparemment Pascault, pourtant philosophe de son état, semble avoir oublié ou même jamais appris. Oui Olivier, les temps, même pour Vincent Mac Doom, sont toujours «complexes et sombres», surtout lorsque l’orage menace de crever au-dessus de la ferme, entourée de champs de blé, ceux-là mêmes que glanent, je vous l’ai dit, l’armateur de l’esquif devenu péniche poussive. Désarmante prose en tout cas, qui ne peut résister à la tentation d’aligner de nouveaux poncifs déboussolés puisque l’éclectisme y est «méthodique», puisque l’éclatement politique, nous apprend-on, est lié aux divisions, en «fractions» plutôt qu’en factions, «éclatement» d’ailleurs fertile (nous sommes sur une bonne terre arable, je vous le rappelle) à ces honteuses «pensées autoritaires» qui, comme de menaçantes éteules tutorisées par des «principes solides», poussent dru. Continuons cette courageuse profession de foi laïque avec ce «sens idoine [qui] doit être relevé» tel «un gant blanc», j’ai failli écrire le mot «gland», déformation paysanne oblige et métaphores agricoles. J’avoue avoir beaucoup ri en imaginant le spectacle comique d’une poignée de placides rédacteurs élevant tous, au-dessus de leur chef déterminé, un gant blanc… ! Vous en voulez encore, chers lecteurs ?
Vous voulez apprendre, grâce à notre bravache revue, quelle doit être la seule et unique «ligne de conduite dans l’espace du conflit» (lequel Pascault ? Celui d’une salle de rédaction douillette subventionnée par les deniers de l’État ou les sables brûlants de l’Irak ?), comment dissiper le mensonge d’une «guerre de religion» (l’auteur souligne l’horrible et puante expression; on verrait presque la grimace de dégoût qu’il fait) inventée par qui vous savez pour des fins électorales que vous n’ignorez point ? Vous voulez vous aventurer, tel un stalker, sur «le terrain de l’établissement des empires», explorer le gouffre grammatical du «repartage du monde entre empires» ? Vous désirez encore apprendre que «la bataille sur la langue et les mots employés, les concepts et expressions, doit être menée pour faire front» (faire front à qui ou à quoi : les «empires» ? Faire front lorsque l’on n’a pas de cerveau, macaque énucléé ? Batailler pour la langue lorsque l’on écrit aussi dramatiquement mal ? Est-ce une blague ?) ? Vous souhaitez assister à l’étonnante naissance du (le mot est masculin Pascault) «novlangue totalitaire», dont le berceau paradoxal est le «confusionnisme et l’éclectisme», encore lui, non plus méthodique mais confus, éclectiquement confus ? Hein, vous en voulez encore, semble hurler Olivier Pascault à ses hypothétiques lecteurs, cochons que vous êtes, vous en voulez encore, de cette ignoble purée que je vous sers sans aucune honte et en première page ? Si cela vous tente, cette revue, qui du reste compte un article intéressant de Giovanni Dotoli sur Léon Bloy et une critique imbécile de François Cizaire sur Villa Vortex (critique qui empile les lieux communs mâchonnés par la Gauche alter-mondialiste depuis des années : en résumé, le méchant Dantec oublie que l’Occident EST COUPABLE. Mais de quoi ? Mais voyons… DE TOUT !), cette revue est disponible dans les bien évidemment bonnes (épithète de nature, c’est le cas de le dire !) librairies.

Allez mes amis, vous vous rincerez demain les yeux de toute cette merde faussement généreuse, en fait prétentieuse et débile, avec la prose impeccable et subtile de José Bergamín.