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04/02/2008
Maljournalisme, 1, par Jean-Pierre Tailleur
Crédits photographiques : Ted Grambeau (National Geographic Photo Contest).
«Puis la rhétorique «entourbillonne» tel le courant d’un fleuve grossi, dont on ne peut approcher la berge sans qu’il ne vous entraîne au cœur même de ses eaux».
Carlo Michelstaedter, La Rhétorique et la Persuasion.
Je remets en ligne, avec ce premier texte, le long témoignage de Jean-Pierre Tailleur, intitulé Maljournalisme à la française, publié par l'association culturelle de Vouillé, en Poitou-Charente. J’ai rencontré, il y a maintenant assez longtemps, Jean-Pierre Tailleur dans un bar huppé du Trocadéro où nous avons bavardé assez longuement. Il ne nous aura fallu pourtant que quelques minutes pour nous rendre compte que le mal que décrit le livre de Jean-Pierre est endémique et nullement cantonné aux médias, fûssent-ils aussi vérolés que la verge de Casanova.
La même gangrène pourrit à l’évidence la littérature contemporaine, en tous les cas les tristes moignons de ces auteurs qui fréquentent davantage les salles de rédaction que le cloître intérieur du silence, sans l’expérience duquel, aussi douloureuse qu’on le souhaitera, une œuvre n’est rien de plus qu’une trace de bave sur une feuille sale (c’est le cas de le dire avec toute cette malpresse qui nous gouverne…).
Déjà d’habiles rumeurs et de judicieux indices, pour qui sait flairer les délicieux fumets de la décomposition, nous indiquent quel sera le degré de fermentation du cirque médiatico-littéraire prochain : les augures nous ont annoncé un excellent cru et, comble de l’originalité, les plus autorisés s’aventurent à conjecturer, selon l’affreux lieu commun, que la surprise pourrait bien venir de là où on ne l’attend point, peut-être même, allez savoir, la proclamation d’un puissant Veni foras provenant d’on ne sait quel puits de ténèbres, seul capable en tous les cas de faire se dresser le cadavre de la littérature française…
Je parlai d’une universelle pourriture, d’une mascarade et d’une chute médiatico-littéraire qui n’ont absolument rien à envier à leur cousine parlementaire… Quoi d’étonnant d’ailleurs puisque le langage est un, qu’il soit saint ou prostitué, vérolé sous la plume sale de Pierre Marcelle et de ses risibles clones pornographes, mangé par le prurit de la bêtise avec Sollers, Meyronnis et Haenel, royal et éminent sous celle de… De qui…? Je ne sais pas, je ne sais plus, ne me traversent l’esprit, immédiatement, que quelques noms d’hommes depuis longtemps réduits en poussière, comme si notre âge tout entier était décidément (à tout le moins le devenait de plus en plus) incapable à mes yeux de susciter une parole haute et claire ou bien comme s’il ne parvenait pas à s’oublier pour sonder l’Impénétrable, à se taire pour, selon le commandement de Heidegger habilement repris aux Pères de l’Église, écouter bruire le Verbe…
Autopsie d’un boycott médiatique et voyage dans l’édition
Un an, jour pour jour, après la sortie de Bévues de presse, mon essai sur le manque d'autocritique et de rigueur dans nos journaux – sur le maljournalisme en France –, notre pays a été saisi par un vent de remise en cause des médias. Il s'est déclenché avec la parution d’un témoignage de Daniel Carton sur les rapports incestueux entre journalistes et politiciens français, suivi de peu par un brûlot contre le conformisme au Centre de formation des journalistes de Paris (1).
Quelques semaines plus tard, le pamphlet-enquête de Pierre Péan et Philippe Cohen dont les meilleures pages étaient parues dans L’Express, La face cachée du Monde (2), transformait le vent en bourrasque. Ces quatre livres avaient en commun la critique médiatique mais le premier était autant boycotté que les autres médiatisés.
Bévues de presse montre comment, indépendamment de leur ligne éditoriale, les médias de notre démocratie ne remplissent pas suffisamment leur fonction citoyenne – ou civique, pour prendre un mot moins galvaudé. Il demande pour quelles raisons beaucoup de journaux américains et même espagnols exercent davantage un contre-pouvoir et sont souvent plus crédibles que les nôtres. En effet, contrairement à ce que laisse entendre la démonstration partiale du duo Péan-Cohen, la plupart des reproches faits au Monde concernent d’autres publications. Notamment celles qu’ils ménagent beaucoup dans leur essai, du Figaro à L’Express (pour cause…) et au Canard enchaîné.
À l’occasion de ce feu de paille polémique de février 2003, deux radios hispanophones et une suisse romande ont sollicité mes commentaires. La plupart des journalistes français susceptibles de parler de Bévues de presse – dans les rubriques livres, médias, société ou dans les émissions-débats – ont affiché le même désintérêt qu’un an auparavant. Pourquoi tant de bruit d’un côté et de silence de l’autre ? Probablement parce que le champ critique de mon essai ne se limite pas à une institution ou à un microcosme. Parce qu’il revient en détail sur la médiocrité de certains articles de journaux sans échappatoires et sans fausses excuses, et parce qu’on peut difficilement lui attribuer un parti-pris idéologique.
L’attitude de Daniel Mermet, sur France Inter, illustre cette forme de censure au sujet d’un livre au cœur des débats sur la démocratie. Ce commentateur souvent virulent des phénomènes de société a consacré au moins quatre heures d’émission à la critique des médias en février 2003, en effet. Il a cité à plusieurs reprises toutes sortes d’ouvrages sur le thème, mais en se gardant de mentionner celui qui est particulièrement consacré au manque d’ambition ou de professionnalisme dans notre journalisme (3). Cette façon de cacher l’existence de Bévues de presse, que le rebelle de France Inter n’a pas été le seul à pratiquer, d’ailleurs, me rappelait les photos soviétiques où l’on effaçait les visages que le régime totalitaire voulait rayer des mémoires. Il n’y a pas mort d’hommes mais la mécanique intellectuelle est la même et elle s’est remise en marche ailleurs. Le Nouvel Observateur fera de même fin 2003 à l’occasion d’un dossier d’une dizaine de pages sur la face cachée du journalisme, tout en se corrigeant peu après (4).
Le suivisme journalistique
Essai plus argumenté et pas moins polémique que ses cadets d’un an, Bévues de presse a fait seulement l’objet de rares critiques acerbes ou de quelques éloges, généralement succincts et confiés en privé. L’indifférence à laquelle il a eu droit publiquement illustre d’abord la faible curiosité des journalistes pour les travaux d’auteurs et d’éditeurs dont ils ne sont pas familiers ou qu’ils ne peuvent pas attacher à une famille de pensée. Elle traduit, aussi et surtout, leur réticence à réfléchir en profondeur, de façon dépassionnée et par l’analyse des contenus, sur les mauvaises pratiques de la presse écrite, celle qui est à la base de l’information civique. L’attention requise pour la lecture d’un texte plutôt dense, mon manque de notoriété ou bien nos maladresses d’éditeur et d’auteur expliquent peu ce relatif silence.
Dans les mois qui ont suivi la sortie de Bévues de presse, j’ai pourtant bénéficié d’un contexte extrêmement favorable. L’actualité mettait au grand jour la menace islamiste ou lepéniste, la gestion controversée de Vivendi ou la coupure entre la France d’en haut et d’en bas, des thèmes sur lesquels je m’attarde à travers leur (mauvais) traitement journalistique. La crise de la représentation citoyenne rendue visible le 21 avril 2002 tient aussi de l’incapacité de nos rédactions à briser l’indifférence devant certaines réalités sociales, en effet. Un problème de courroie de transmission qui dépasse largement le cas du Monde, d’une école de journalisme ou de la connivence des journalistes avec la classe politique. Mais l’autoflagellation dans les médias, suite à l’échec imprévu de Lionel Jospin, s’est limitée à la rengaine juste mais insuffisante et convenue des journalistes amplificateurs du sentiment d’insécurité.
On observe une réticence à se remettre vraiment en cause dans beaucoup d’autres professions mais la dissimulation des vrais problèmes y est plus difficile car par définition, elles ne contrôlent pas l’information. Nos intellectuels, nos médiacrates, ont du mal à s’interroger sur les déficits spécifiques de la presse française par manque de courage ou de clairvoyance. Pierre Bourdieu et ses adeptes, fers de lance de la critique des médias en France, ont eu raison de s’inquiéter de la spectacularisation, des conflits d’intérêt ou de la précarité dans le métier d’informer. Mais on entretient avec ce discours assez univoque une critique biaisée de notre culture journalistique, trop people, parisienne ou politiquement correcte.
Les attaques ciblées contre le magazine Voici ou contre le journalisme carpette et cumulard d’un Alain Duhamel sont nécessaires mais insuffisantes. Elles procèdent de considérations idéologiques, morales ou matérielles qui occultent certaines questions qui dérangent davantage la corporation des journalistes. De même, lorsque l’on considère que tel journal est mauvais uniquement parce qu’il est d’un bord opposé ou parce qu’il manque de moyens, on néglige la responsabilité individuelle et professionnelle de ses rédacteurs. Les fautes de quelques figures du journalisme sont parfois dénoncées à juste titre, comme la fameuse interview de Fidel Castro par Patrick Poivre d’Arvor ou bien, depuis peu, les scoops dopés d’Edwy Plenel. Mais ces critiques prennent une tournure si personnelle et démesurée que ces derniers ont beau jeu de crier au lynchage.
Pourquoi certains journaux français sont-ils pires que leurs équivalents étrangers à contexte néo-libéral égal ? (5). Pourquoi nos quotidiens régionaux couvrent-ils si mal la France profonde ? Les agissements aujourd’hui décriés du Monde sont rendus possibles dans un pays où les standards de qualité dans l’enquête ne sont pas assez définis et partagés. Un contexte que, jusqu’à aujourd’hui, Bévues de presse est le seul essai à décrire dans son ampleur. L’accueil qui lui a été fait offre une série d’illustrations, désolantes ou désopilantes, sur ce maljournalisme aux conséquences parfois dramatiques.
I – UN DÉFICIT DÉMOCRATIQUE MAL DÉBATTU
La genèse et l’accueil fait à mon essai illustrent de façon éclatante son contenu. Il devait en effet être publié par Le Seuil au début de l’automne 2001 sous le titre d’Erreur à la Une, dans la collection L’épreuve des faits co-dirigée par Patrick Rotman. Cet éditeur, par ailleurs essayiste et documentariste reconnu m’avait proposé de signer un contrat d’exclusivité en février de cette année, moyennant une avance correcte pour un auteur débutant (plus de 2000 €). Il me demandait de réduire de moitié le manuscrit afin de le rendre plus concis et agressif, ce que j’acceptais volontiers. Mais après quatre mois de collaboration, une fois les modifications effectuées et entièrement approuvées, Le Seuil a rompu le contrat sans s’expliquer véritablement.
Mon essai pouvait entraîner 115 poursuites en justice, selon un rapport juridique de 60 pages rédigé par un avocat de la maison. Le Seuil ne semblait pourtant pas remettre en cause le contenu d’un texte dont le lancement était programmé. Un de ses photographes venait de me mitrailler avec une quinzaine de pellicules aux Buttes Chaumont, et on avait convenu de m’envoyer les épreuves par courrier express en Argentine, où je devais me rendre fin juin. La lecture finale du manuscrit par l’avocat ne devait être qu’une simple formalité devant déboucher sur quelques demandes de précision ou de reformulation.
«C’est la première fois, dans ma carrière d’éditeur, qu’on abandonne un projet de publication si avancé» m’a confié Patrick Rotman au téléphone. Mais il a refusé de me recevoir et de me montrer des extraits de cet obscur rapport-de-60-pages. Je n’ai pas eu droit à des éléments d’explication consistants pour comprendre ce changement d’avis qu’il ne semblait pas partager. Le livre ne contient aucune attaque personnelle, en effet, et se base sur des faits incontestables comme mon interlocuteur l’avait souligné à maintes reprises les mois précédents. J’y montre simplement comment des journaux respectés, du Monde à Télérama et à La Dépêche du Midi, et comment des instances de la profession ou des médiologues estimés font parfois preuve de beaucoup de légèreté sans que cela n’émeuve personne.
Le Seuil a probablement changé d’avis après avoir subi des pressions, internes ou externes. Mes propositions de nettoyer le texte de tous les propos qui pouvaient paraître diffamants ont été rejetées. Patrick Rotman a admis que son invitation à rendre le manuscrit plus incisif a peut-être également contribué à cette rupture, mais je n’ai pas de regrets sur ce plan. Grâce à ses recommandations, ce qui pouvait ressembler à une thèse de doctorat, trop longue et lourde, est devenu un texte destiné à tout public intéressé par la thématique du mal français. Cette mésaventure m’a cependant mis dans une situation difficile car j’ai perdu une activité salariée en partie à cause du temps consacré à réduire le manuscrit. Elle m’a aussi confirmé que dans notre pays, on peut s'invectiver dans des pamphlets mal argumentés sur la presse ou bien multiplier les discussions sur la malbouffe tout en ignorant la question du maljournalisme.
Après cette première expérience des milieux de l’édition et sur les conseils dépités et défaitistes de Patrick Rotman, je me suis tourné vers des maisons plus modestes. Elles ont répondu favorablement pour la plupart durant tout l’été 2001, via un courriel dépaysant CAR consulté dans un cybercafé au pied des Andes ou dans la rue Florida, la principale artère piétonne de Buenos Aires. Elles étaient convaincues du caractère pertinent et non diffamant d’Erreur à la Une, ou bien plus prosaïquement intéressées de prendre la relève d’un grand confère.
De retour en France, j’ai failli signer avec les éditions Carnot. Leur sympathique patron s’est fait beaucoup connaître, depuis, en publiant L’Effroyable imposture, essai délirant de Thierry Meyssan sur les attentats du 11 septembre 2001. Mais mon choix s’est finalement porté sur Le Félin, un éditeur qu’Alain Woodrow, ancien journaliste du Monde et auteur de deux livres sur les médias, m’avait présenté et recommandé. Son catalogue d’ouvrages historico-journalistiques me paraissait plus convaincant que celui de Carnot, en effet. On y trouvait des livres de mon mentor (qui a ensuite rédigé une des postfaces de Bévues de presse), de Paul Webster, autre journaliste anglais reconnu, de Christophe de Ponfilly et même de Jacques Ellul et de Voltaire !
Un alibi juridique qui tient mal
Après bientôt deux ans de présence en librairie, je constate que nous n'avons pas reçu la moindre plainte, la moindre assignation, contrairement aux craintes ou au mensonge du Seuil. On imagine mal le lauréat du prix Albert Londres dont je montre les négligences, par exemple, contester ce qu'il a publié sans aucun scrupule dans des enquêtes annoncées en première page du Figaro. Bévues de presse n’est pourtant qu’un clone d’Erreur à la Une, allégé de certains adjectifs mordants ou de quelques bévues qui m’avaient échappé (eh oui !). J’ai également actualisé le texte avec plusieurs lignes sur le 11 septembre, notamment, car les événements de New York nous avaient fait changer de siècle. Le cas de Zacarias Moussaoui me permettait d’illustrer de façon assez spectaculaire la mauvaise couverture de la menace islamiste en France mais il n’était pas question d’aller au-delà de quelques rajouts ou modifications d’ordre cosmétique.
Je savais, à l’instar des éditeurs consultés, que l’essai était plus nuancé et documenté que la plupart des ouvrages polémiques proposés en librairie. Quelques milliers de personnes ont eu connaissance de son contenu, le livre s’étant vendu à environ 2 000 exemplaires (un chiffre normal pour un auteur inconnu mais inacceptable pour un livre qui soulève des questions qui intéressent des millions de Français). La plupart des lecteurs qui m’ont fait part de leur réaction ont jugé la démonstration sévère mais modérée. Ceux qui l’ont trouvée virulente ont généralement confondu le ton mesuré du récit avec la gravité des pratiques dénoncées. Je suis sûr, pourtant, qu’une lecture critique permettrait de me retourner quelques bévues à la figure. Mais c’est trop demander à ceux qui pourraient s’y atteler dans les pages livres ou médias des journaux, en termes de travail et de disposition à débattre de maljournalisme.
C’est l’empirisme qui m’a orienté vers cette recherche hors des sentiers habituels… et permis de dissiper les peurs des éditeurs qui pouvaient s’interroger sur le désistement du Seuil. La qualité d’un journal procédant moins de sa ligne éditoriale que du sérieux de ses enquêtes, j’ai choisi de tester la production journalistique française à travers ce dernier critère avant tout. Un restaurant n’est pas mauvais parce qu’il est chinois ou mexicain, en effet, mais parce qu’il sert des plats avariés ou insipides. D’autre part, je ne me suis pas intéressé aux trains qui arrivent à l’heure, de nombreux traités descriptifs sur la presse française ayant déjà été publiés. Il m’a semblé plus pertinent d’opérer comme beaucoup de journaux lorsqu’ils couvrent une problématique, en portant mon regard sur les locomotives en retard, ou mieux, sur les navires qui dégazent incognito en pleine mer.
Cette approche m’a conduit à critiquer des magazines qui, à l’instar des hebdomadaires Marianne ou Valeurs Actuelles, jouent plus sur la rhétorique que sur la substance journalistique. Elle m'a également permis de constater qu'il y a des rédacteurs respectés qui respectent très peu les règles professionnelles de base. Le fait que cela s’effectue trop souvent ouvertement mais dans une indifférence généralisée montre qu'il y a un malaise, des dysfonctionnements profonds dans la production de l’information. Les grands journaux nationaux tels que Le Monde et Le Figaro, L’Express et Le Nouvel Observateur, sont généralement d’un bon niveau bien entendu. Cela ne les empêche cependant pas de commettre des fautes graves, parfois, sans les reconnaître et sans offusquer leurs confrères.
Au début du livre, je reviens par exemple sur le scandale du sang contaminé qui a éclaboussé des journalistes du quotidien du soir au début des années 90. L’essai L'Omerta française co-écrit par Sophie Coignard a rappelé trente mois avant le mien certaines compromissions répréhensibles avec le docteur Michel Garretta. Mais Bévues de presse montre comment malgré les affirmations de Bruno Frappat, son directeur à l’époque, Le Monde ne s'est pas expliqué sur les accusations portées contre ses collaborateurs. Il faut comparer cette pusillanimité avec l’attitude de la presse américaine, du Washington Post en 1981 au New York Times en 2003. Lorsque leurs rédacteurs, Janet Cooke et Jayson Blair respectivement, ont été pris en flagrant délit de bidonnage, les deux quotidiens ont lancé une véritable investigation interne, publiée sur de nombreuses pages. Du jamais vu en France.
Je dénonce aussi les enquêtes du Canard enchaîné mal ficelées, bâclées ou biaisées, et excessivement focalisées sur le microcosme politico-parisien. Ces défaillances d’un hebdomadaire considéré à tort comme un modèle d’investigation me semblent cependant moins inquiétantes qu’un delta: le décalage passé sous silence entre une réputation et une réalité journalistique. Il en est ainsi, comme je le souligne aussi, parce que les instances de la profession ne s’occupent pas ou très peu de la qualité des articles. À l’instar des intellectuels qui critiquent le contenu des journaux en ne considérant que l’orientation des enquêtes et en dédaignant les questions de méthodologie. Lorsqu’un sociologue s’inquiète de la surmédiatisation de la délinquance dans une catégorie de population, la question est de savoir si le sujet correspond à la réalité et si la collecte d’information a été faite correctement. Le reste n’est que conjecture et posture.
Le niveau de qualité des quotidiens régionaux français sort du radar des observateurs des médias, curieusement. Leurs colonnes retranscrivent imparfaitement la réalité démocratique des quatre cinquièmes du pays, pourtant. Ce déficit d’informations alimente beaucoup d’incompréhensions, qui se concrétisent par des chocs électoraux comme celui du 21 avril 2002. Le rédacteur en chef d’un journal national, un ancien localier, m’a d’ailleurs confié que cela le préoccupe, mais en privé.
Notes
(1) Bien entendu c’est off de Daniel Carton (Albin Michel, janvier 2003) et Les petits soldats du journalisme de François Ruffin (Les Arènes, février 2003).
(2) Mille et une nuits (26 février 2003). Bévues de presse, publié par Le Félin le 26 février précédent, est présenté sur plusieurs sites Internet, notamment celui au titre de Maljournalisme qui lui est dédié (bien référencé sur Google).
(3) Daniel Mermet a reçu Bévues de presse, à l’instar de nombreux journalistes et prescripteurs, et sait bien que l’ouvrage existe comme me l’ont rapporté deux confrères.
(4) Le Nouvel Observateur du 30 octobre et du 13 novembre 2003. Je reviens sur cette enquête et sur le rectificatif de l’hebdomadaire dans la conclusion de ce récit.
(5) Lire en annexe la critique d’un appel éloquent d’Ignacio Ramonet pour un Observatoire français des médias.