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30/07/2007

Saraband d'Ingmar Bergman


En hommage à Ingmar Bergman, je remets en Une ce texte écrit pour saluer la sortie en salles du remarquable Saraband.

Il est vrai que, pour sa distraction et sa réflexion, mais surtout pour sa distraction, l’amateur de cinéma français peut tout de même s’honorer, nous disent les médias, des réalisateurs les plus intelligents du monde, des scénarios les plus fins, des intrigues les mieux ficelées, des images les plus somptueuses, d’une générosité, le mot est lâché et il va mordre le large séant des méchants réactionnaires, bien digne de nos idéaux de tolérance et de mixité sociale. J’en fais trop ? Je ne fais pourtant que répéter les plus chers de nos lieux communs martelés par nos expansifs plumitifs. Voyons : cela donne, si je ne me trompe, quelques sphérules prétentieuses et malodorantes à force de clichés psychanalytiques éculés que les bousiers journalistiques ont toutes les peines du monde – on les comprend pour une fois – à pousser vers quelque amateur inconditionnel du Septième art. Cela donne encore : À boire de Marion Vernoux, Victoire de Stéphanie Murat, Les temps qui changent d’André Téchiné, Le silence d’Orso Miret, Les sœurs fâchées d’Alexandra Leclère et, sponsorisé, téléramé jusqu’à l’écœurement d’un spécialiste de la propagande, Rois et reine d’Arnaud Desplechin, le dauphin des bien-pensants. J’oubliais le glandulaire et explicite Tu vas rire mais je te quitte de Philippe Harel, qui, réjouissez-vous pauvres âmes éprises d’absolu, ne va pas tarder à être projeté sur des centaines d’écrans eux-mêmes grassement subventionnés pour promouvoir, selon les termes une fois de plus consacrés par le tout-Paris, le «rayonnement culturel du génie français».
Vous en avez assez ? Moi aussi.
Je suis donc allé voir Saraband à L’Arlequin, le dernier film (une fois de plus, le dernier, après pourtant Fanny et Alexandre, le précédent dernier) d’Ingmar Bergman, unanimement salué par la presse. Dans ce concert d’éloges (après tout faciles car qu’aurait-elle pensé, la critique, d’un tel film, s’il n’était pas venu «couronner», selon ses termes, la carrière de Bergman mais s’il avait lancé celle d’un inconnu ? J’arrête-là mon ironie…), dans ce concert d’éloges donc, bien des banalités : sur la maîtrise que démontre le vieux maître (Jean Roy pour L’Humanité), sur la simplicité de la réalisation (Thomas Baurez pour Studio Magazine, Jean-Philippe Tessé pour Chronic’art), sur la lucide cruauté des rapports dévoilés entre personnages (François Maupin pour le Figaroscope, Olivier De Bruyn pour Le Point) qui n’excluent pas, bien au contraire, une bouleversante harmonie, plus fragile d’être seulement entrevue (Thomas Sotinel pour Le Monde, Didier Peron pour Libération).
Bien, et alors ? Je ne suis vraiment pas qualifié pour parler de cinéma mais je demande néanmoins, benoîtement : où est le critique ayant affirmé que le prologue et l’épilogue entourant le film proprement dit constituaient une espèce d’enchâssement (un seuil métaphorique, ouvert et refermé par ce messager, ce véritable ange qu’est Marianne, joué par Liv Ullman) nous permettant de goûter la subtilité d’une structure plus essentielle, mélodique, celle d’une sarabande où s’isolent toujours, dans le film (et dans la danse française à trois temps, voisine du menuet), deux personnages qui se font face ? Où est le critique ayant remarqué le caractère démoniaque, je dis bien démoniaque, sans aucune afféterie stylistique, d’Henrik (Börje Ahlstedt), le fils de Johan (Erland Josephson), caractère qui n’est jamais plus exacerbé que lorsque ce personnage tourmenté discute avec Marianne dans une église ? Je rappelle que, selon Kierkegaard, l’hermétisme infernal appelle de ses vœux – et redoute bien sûr – l’ouverture que représente le Bien, symbolisé, dans le film, par la prière bouleversante de Marianne, hermétisme lui-même tragiquement signifié par le suicide d’Henrik, qui illustre cette vérité bernanosienne : la haine absolue est d’abord celle que témoigne à sa propre âme celui qui ne s’aime pas. Qui a d’ailleurs remarqué, hormis Didier Peron pour Libération que Johan, recevant son fils, lit Enten-Eller (Ou bien…Ou bien) de Kierkegaard justement, le vertige des possibles étant en somme annulé par la haine que se vouent les deux hommes, le père et son fils, par cette sorte de raideur de Johan à l’endroit de la grâce, peut-être entrevue et refusée lors de la splendide scène de «nuit spirituelle» que traverse le vieil homme, pleurant, suant et nu, cherchant un peu d’amour auprès de celle qui fut sa femme ? Qui a analysé ce film en privilégiant son motif secret, ce visage d’Anna, prénom de l’épouse disparue d’Henrik et premier titre du film de Bergman (qui ne pouvait songer qu’à sa propre épouse, Ingrid von Rösen, décédée d’un cancer de l’estomac en 1995, à laquelle le film est dédié), en comprenant alors quelle espèce de Reprise kierkegaardienne, mais inversée, incestueuse, démoniaque, Henrik, le père torturé, jouait avec sa fille, Karin (Julia Dufvenius) ? Qui a vu qu’à la mort de la femme aimée correspondait, dans un jeu spéculaire qui renvoie à l’admirable Sacrifice de Tarkovski, la renaissance, fût-elle bien éphémère (un bref sourire) de la fille, enfermée à l’asile psychiatrique, de Marianne ? Ainsi Bergman nous fait-il entrevoir qu’une reprise est bel et bien possible mais que, inattendue et miraculeuse, elle est par définition libre comme le souffle de l’Esprit. Sur ce dernier point toutefois, je suis de mauvaise foi car Jean-Michel Frodon, pour Les Cahiers du cinéma, a effectivement analysé cette thématique qui est, sans doute, le motif dans le tapis du film de Bergman.
Pauvre, pauvre cinéma français, enfoncé sous des kilomètres de merde commercialement odorante et incapable, hormis de bien trop rares exceptions, de sonder quelque gouffre que ce soit, non pas ceux (les mêmes ?) de la damnation ou de la grâce – mon Dieu, ceux-là sont totalement hors de sa portée de nain ! – mais uniquement celui d’un solipsisme bavard et d’une insignifiance prétentieusement commentée, d’un onanisme frénétique et d’une hilarante sottise.