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19/07/2005
Le Miroir de Tarkovski, par Francis Moury
Fiche technique succincte
Réalisation : Andreï Tarkovski
Production : Eric Waisberg et Mosfilm
Scénario : Alexandre Micharine et Andreï Tarkovski
Directeur de la photographie : Guéorgui Rerberg
Musique : Édouard Artemiev et extraits de Bach, Pergolese et Purcell.
Casting succinct
Margarita Térékhova, Anatoli Solonitsyne, Nikolaï Grinko, Ighnat Danitsev, Philippe Iankovski, Alla Demidova, etc.
Une fiche exhaustive résumant les caractéristiques des différentes versions DVD de ce film peut être consultée ici.
Résumé du scénario
Aliocha, un cinéaste de 40 ans, est sur le point de mourir. Il se penche sur son passé, rassemblant les souvenirs de son enfance pendant la Seconde guerre mondiale, de sa vie familiale d’adulte aussi, en les alternant à d’étranges visions personnelles et à des souvenirs issus des profondeurs de l’histoire russe comme soviétique.
Critique
Le Miroir (Zerkalo, URSS, 1974) d’Andreï Tarkovski fut distribué par Gaumont à Paris le 18 septembre 1978, soit avec quatre années de retard. Mieux vaut tard que jamais. Mais enfin, en l’occurrence, il ne l’aurait pas été que cela ne changerait pas grand chose à l’appréciation globale de Tarkovski : c’est un film à moitié raté et d’un ennui mortel qui regroupe tous les tics du cinéma introspectif intellectualiste de l’époque. Il y ajoute bien sûr un éclat formel et quelques moments inspirés mais l’ensemble est interminable et ne contient fondamentalement rien de plus qui ne soit déjà en filigrane dans les trois films antérieurs chronologiquement distribués par MK2. Son originalité provient de ce qu’il s’agit d’un film comme on en voyait beaucoup en Occident mais qui surprenait car il venait de l’Est. On n’était pas habitué à un cinéma subjectiviste en provenance de la patrie du réalisme social. Seuls les cinéphiles qui suivaient Tarkovski à mesure que son œuvre était révélée en France y retrouvaient les qualités du maître : âme, corps et objets, êtres animés comme inanimés sont filmés de manière à être indissociés, en relation directe avec la spiritualité russe que Vladimir Lossky analysait si magistralement dans sa Théologie mystique de l’Église d’Orient (éd. Aubier Montaigne, coll. Les religions, Paris, 1944) et considérés comme icônes divines. Mais le problème est ici que Tarkovski a voulu se mettre lui-même en scène, en dépit de ses dénégations qui ne trompent personne : ses souvenirs s’élèvent régulièrement à une objectivité universelle par la magie de sa réalisation (ce plan récurrent du vent qui ouvre son chemin violent dans une forêt) mais lorsque ce n’est pas le cas, on a affaire soit à du pur formalisme esthétisant (ce plan lourdement symbolique de la femme enceinte en élévation – apesanteur au-dessus de son berceau), soit à une parabole très lourde sur la liberté de conscience préservée du stalinisme et les affres subies par les hommes au sein d’un matriarcat étouffant. À moitié dispensable mais intéressant pour les passionnés du cinéaste qui voudront voir l’intégralité de sa filmographie autant que possible.
«Je suis convaincu que le Temps est réversible» écrivait Tarkovski dans son Journal. Certes. Mais depuis Proust et même depuis Homère, nous le savons. Et si cet alliage d’introspection et de rétrospection fait encore aujourd’hui les délices des sémioticiens structuralistes, il n’apportera pourtant guère d’éléments nouveaux (sauf allusivement biographiques, sans doute, et aussi quelques notations historiques issues de stock-shots parfois très frappants visuellement) au jeune cinéphile qui a découvert Tarkovski avec les trois films précédents dans l’ordre chronologique de cette offre MK2. On y discerne des constantes mais elles apparaissent ici comme ce qu’il faut bel et bien nommer des redites stylistiques. Cette matière intime a beau être analysée et décomposée poétiquement en fragments soignés, l’ensemble tourne pourtant à vide. Cette tentative de réaliser un Citizen Kane à rebours était ambitieuse : elle a échoué.