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26/12/2008

Prémices de l'Europe de Robert Lafont

«L'histoire est pour moi comme une ruine où j'aurais vécu de la vie la plus intense avant qu'elle ne devînt une ruine. Sensation douloureuse et paradisiaque d'avoir mis son cœur dans des choses très anciennes qui paraissent ne plus exister.
Je visite Byzance […], en soutenant de mes mains faibles, au-dessus de ce grand vestige de mon âme, tout le firmament étoilé.»
Léon Bloy, Constantinople et Byzance, in Œuvres de Léon Bloy, t. V (Mercure de France, 1966), p. 249.


À propos de Prémices de l'Europe de Robert Lafont (éditions Sulliver, collection Archéologie de la modernité dirigée par Thierry Galibert, 2007).


9782351220283.jpgLe meilleur compliment que l'on puisse faire à Robert Lafont, sans doute parce qu'il est celui auquel l'auteur s'attend le moins, est d'affirmer que son essai sur les passionnants, complexes et sanglants débuts de l'Europe se lit comme un véritable roman. Les premières lignes sont superbes : «L'Europe ne fut d'abord, pour les lieux où s'inventaient l'agriculture et la première urbanité, sur le Nil, le Tigre, l'Euphrate et le Jourdain, qu'une direction de l'espace : la racine sémitique 'rb désigne l'Ouest. Cet Ouest, les Phéniciens l'explorèrent jusqu'à forcer les colonnes d'Hercule et faire pour un Pharaon le tour de l'Afrique, ou remonter vers les Hébrides, à la recherche de l'étain. Les Grecs suivirent : l'Odyssée est un western; Pythéas le Marseillais atteignit, dit-on, le cercle polaire. On ne connaissait guère alors de notre Continent qu'un portulan indécis peuplé d'hommes étranges et de monstres imaginaires. Pendant ces longs temps explorateurs, des peuples avançaient depuis la Sibérie, passaient l'Oural au galop de leurs chevaux, les uns poussant les autres, et construisaient à travers steppes et forêts, au nord du Pont Euxin, des Tatras, des Sudètes, des Monts de Géants, des Monts métalliques et des Alpes, une calotte mouvante de «Barbares».»
Le moins que l'on puisse dire est que Robert Lafont, universitaire accompli, n'écrit pourtant point comme ses pâles collègues aux phrases anémiées, aux hypothèses aussi prudentes que le discours d'une pucelle directement envoyée à confesse après avoir fixé d'un regard un peu trop appuyé son innocent cousin Jules-Édouard !
Prémices de l'Europe, surtout quand son auteur déroule, avec une érudition et un plaisir parfaitement visibles, la trame pour le moins complexe (1) de l'histoire des premiers siècles du Moyen Âge, me fait penser à l'un des ouvrages les moins connus de Léon Bloy, Constantinople et Byzance, pour lequel le Mendiant ingrat accumula des lectures encyclopédiques. N'étant pas un médiéviste (et cela malgré une difficile mais passionnante année de licence de Lettres modernes, à Lyon 3, une université qui, à l'époque, était réputée pour les professeurs enseignant cette matière), je ne puis me prononcer sur les débats complexes que commente remarquablement Robert Lafont, par exemple lorsqu'il démontre (2), patiente lecture à l'appui, connaissance sans faille des langues et des étymologies et surtout capacité, comme lui-même l'écrit, à marcher son texte (cf. p 10), c'est-à-dire à le confronter avec la réalité géographique du terrain, que l'épisode fameux de Roland à Roncevaux trouve son origine dans «un Ur-Roland, cérémonie chantée, préparée pour une danse collective ou carole, ou tresca, de la fin du XIe siècle sur le Chemin de Saint-Jacques» (p. 221).

Notes
(1) Voire surprenante, lorsque nous apprenons par exemple que Saragosse, au XIe siècle cité puissante sarrasine, finance indirectement l'abbaye de Cluny, «qui ne pense qu'à lancer contre elle, écrit l'auteur, la croisade, et qui agrandit ses constructions bourguignonnes avec l'or de l'ennemi de Dieu», cf. p. 76.
(2) Voir tout le chapitre 3 intitulé La foi, la haine, des pages 101 à 148. Page 125 peut se lire cet autre résumé condensant la lecture de Lafont : «Le sens profond du mythe rolandien est que le Fils paie pour le crime du Père, comme le Christ a payé pour les crimes de l'humanité. Plus encore qu'un martyr, Roland est l'hostie même. Il meurt sans communion, mais le Ciel ne peut faire autrement que de le reprendre».