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19/04/2010
Dracula, 11 : The Vampire Lovers de Roy Ward Baker, par Francis Moury
Résumé du scénario
Empire autrichien, XIXe siècle : le baron Hartog se souvient de la terrible nuit d’épouvante où il extermina la maudite famille vampire des Karnstein. Au même moment, à des kilomètres de là, le général Spielsdorf donne un bal en l’honneur de l’anniversaire de sa jeune fille Laura. Ses nouvelles voisines, une comtesse et sa fille Marcilla, sont invitées. Un subterfuge permet à Marcilla de demeurer quelques nuits dans la demeure du général : elle vampirise Laura qui finit par mourir. Marcilla disparaît mais… réapparaît quelques temps plus tard sous le nom de Carmilla et, à la suite d’un autre subterfuge, se fait cette fois-ci inviter dans la maison de Sir Morton où elle s’en prend à sa fille Emma et à sa gouvernante…
Fiche technique succincte
Réalisation : Roy Ward Baker
Production : Harry Fine et Michael Style (Hammer Film & A.I.P.)
Distribution DVD PAL zone 2 : Sidonis Calysta, «Les grands classiques de la Hammer»
Scénario : Tudor Gates d’après Carmilla de J. Sheridan Le Fanu
Directeur de la photographie : Moray Grant
Montage : James Needs
Musique : Harry Robinson et Philip Martell
Direction artistique : Scott McGregor
Costumes : Brian Cox
Casting succinct
Ingrid Pitt (Marcilla/Carmilla/Mircalla Karnstein), Peter Cushing (le général), Dawn Addams (la comtesse Karnstein), Madeline Smith (Emma), Kate O’Mara (la gouvernante), Pippa Steele (Laura), George Cole (Sir Morton), Douglas Wilmer (baron Hartog), John Forbes-Robertson (l’homme en noir), etc.
Critique
The Vampire Lovers (Grande-Bretagne, 1970) de Roy Ward Baker est un cas d'école.
Il fut présenté en France assez tardivement, à l'occasion de la Deuxième convention française du cinéma fantastique qui eut lieu au cinéma parisien Le Palace, rue du Faubourg Montmartre, du 8 au 15 avril 1973. Alors que son metteur en scène Roy Ward Baker recevait, à l'issue de cette mémorable manifestation, une Licorne d'or pour récompenser son remarquable Asylum (Grande-Bretagne, 1972) présenté à cette occasion, et alors que l'actrice Martine Beswick recevait le prix d'interprétation féminine pour sa performance dans le non moins remarquable Dr. Jekyll & Sister Hyde (Grande-Bretagne, 1971) du même Roy Ward Baker, The Vampire Lovers demeura totalement inédit en France ! C'eût été, de toute évidence, le moment de le distribuer puisque trois films de Roy Ward Baker avaient été présentés cette semaine-là et que leur cinéaste obtenait une importante récompense. Pourtant il demeura invisible chez nous, ce qui explique qu'il n'en existe aucune VF. Pendant de très longues années, on dut se contenter de le visionner au compte-gouttes dans les festivals, à l'occasion d'hommages rétrospectifs à la Hammer, et en parcourant des articles illustrés parus dans diverses revues spécialisées. La situation évolua avec l'arrivée des VHS au début des années 1980 puisqu'une édition anglaise PAL et une édition américaine NTSC sortirent mais sans sous-titres français. Elle évolua davantage avec l'apparition des télévisions privées : Canal + télédiffusa ainsi le film en VOSTF vers 1995-2000. En 2003, M.G.M. en sortit une édition DVD NTSC zone 1 intégrale («unrated») dans sa célèbre collection Midnite Movies, en double programme avec le beau Countess Dracula (Grande-Bretagne, 1970) de Peter Sasdy, dans lequel la magique Ingrid Pitt tient aussi la vedette, mais avec une voix qui n’est hélas pas la sienne. Enfin, en ce début d'année 2010, un DVD Pal zone 2 en est édité en France, au format 1.85 identique au format du DVD américain : n'était-ce pas du 1.66 d'origine qui aurait été recadré en 1.85, suivant les mœurs américaines ? Il faudrait arriver à en avoir le cœur net même si les masters sont, en l’état, très beaux et semblent ne rien modifier du format original. Cette exploitation vidéo PAL zone 2 française est de facto la première d'un point de vue administratif : il aura donc fallu attendre 40 ans pour que The Vampire Lovers soit réellement distribué chez nous !
The Vampire Lovers est si plastiquement beau et si thématiquement passionnant qu'on ne peut que s'étonner d'un tel retard qui constitue, assurément, un des plus grands scandales de toute l'histoire de l'exploitation de la Hammer Film chez nous. Et cela d'autant plus que le très violent et important Scars of Dracula [Les Cicatrices de Dracula] (Grande-Bretagne, 1970) de Roy Ward Baker, tourné la même année 1970, avait été distribué chez nous sans encombre ! L'explication est certainement à chercher du côté de la censure française : l'érotisme visuel de The Vampire Lovers, qui était alors assez agressif avec une Ingrid Pitt au sommet de sa beauté et, durant quelques plans, intégralement nue, peut avoir été la cause du refus de visa. On ne se l'explique pas autrement. The Vampire Lovers repose sur un scénario admirablement charpenté, enchâssé entre deux séquences cauchemardesques d'ouverture et de fin, d'une belle violence graphique (deux décapitations sanglantes) et est admirable de rigueur. Mythologiquement hésitant, cependant : le vampire ne peut entrer dans une maison que s'il y est invité mais Ingrid Pitt se reflète dans un miroir alors qu'elle ne devrait pas. Son découpage sophistiqué est adapté du célèbre Carmilla (1871*) de J. Sheridan le Fanu (1814-1873). Les connaisseurs du cinéma et de la littérature fantastique savent que le texte classique de Le Fanu - entrelaçant vampirisme et lesbianisme de la plus perverse manière - avait été à l'origine déjà de quelques films antérieurs d'horreur et d'épouvante, heureusement distribués en leurs temps : Et mourir de plaisir (France-Italie, 1960, scope-couleurs) de Roger Vadim, La Cripta e l'incubo [La Crypte du vampire] (Italie, 1964, écran large N&B) de Camillo Mastrocinque.
La séduction vampirique d'Ingrid Pitt ajoute à ces versions antérieures, d'ailleurs dotées de scénarios différents, un jeu authentiquement dialectique sur l'ambivalence humanité-inhumanité : c'est l'un des films fantastiques classiques de la Hammer où la dimension tragique du vampire est réellement mise en évidence. Et cela grâce à la précision de la mise en scène de Roy Ward Baker d'une part, à la conviction des grands acteurs que furent Peter Cushing, Dawn Addams, Ingrid Pitt, Madeline Smith, Kate O'Mara d'autre part. On peut également, concernant son érotisme graphique, mettre The Vampire Lovers en parallèle avec deux autres productions Hammer : Twins of Evil [Les Sévices de Dracula] (Grande-Bretagne, 1971) de John Hough et Lust For a Vampire (également inédit en France au cinéma] (Grande-Bretagne, 1971) de Jimmy Sangster. Autre aspect fascinant de The Vampire Lovers : le cauchemar de Laura, filmé en N&B qui relève, par certains de ses aspects plastiques, du cinéma expressionniste allemand muet. Roy Ward Baker met en relief l'aspect évanescent, fragile de sa vampire lesbienne. Lesbienne enfin... vue par les femmes humaines avant qu'elles ne découvrent trop tard la vérité, mais en réalité un monstre fantastique simplement conscient des moyens les simples et les plus directs pour arriver à ses fins, pour « sur-vivre » en étant constamment sur le qui-vive, dotée cependant de suffisamment de conscience pour être» tragique au sens strict du terme, et à la manière d'un être humain à certains moments. Baker rend poétiquement fragile Ingrid Pitt et sa belle voix grave lorsqu'il filme à plusieurs reprises ses apparitions et disparitions magiques, sa démarche hésitante dans le cimetière où sa silhouette diaphane semble presque flotter à travers le brouillard. Il rend saisissant le contraste lorsqu'elle devient un être à la puissance physique redoutable, dotée d'une capacité de destruction terrible, et d'une intelligence rusée. Cette poésie et cette violence, sous un vernis apparent de sagesse syntaxique, c'est tout le charme secret du cinéma de Roy Ward Baker, un cinéma vénéneux qu'il faut redécouvrir. Ultimes aspects quasi-expérimentaux en raison de leur présentation presque abstraite : les silhouettes (silhouettes davantage que personnages incarnés : presque des apparitions, à peine humaines) démoniaques de la comtesse jouée par Dawn Addams et de son garde mystérieux, introduisant leur loup à apparence féminine dans la bergerie humaine, et le très court dessin animé symbolisant la découverte et la destruction de l'héroïne, juste avant le générique final.
Note
(*) Tony Faivre, dans son excellente Introduction à Dracula à la version intégrale du roman original de Bram Stoker, Dracula (1897) traduit par Lucienne Molitor, éd. Gérard, Bibliothèque Marabout, série fantastique n°182, Verviers 1963-1971 signale p. 15 que le Carmilla de S. Le Fanu influença considérablement Stoker qui le découvrit à l’époque où il était critique littéraire, et que Carmilla a été traduit en français par Jacques Papy, aux Éditions Le Terrain vague dirigées par Éric Losfeld, Paris 1962.