Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

« Il ne faut pas lire Richard Millet. À propos de L'Enfer du roman | Page d'accueil | Un Léon superbe et généreux, par Ian Wambrechtein (Infréquentables, 15) »

28/06/2011

À propos de Richard Millet

Crédits photographiques : Joshua Lott (Reuters).

41eSii0KsuL._SS500_.jpgExtrait de Maudit soit Andreas Werckmeister ! (Les Éditions de la Nuit, 2008, pp. 98-101).


8.1 Bouton Commandez 100-30

«Je tiens quoi qu’il en soit pour peu de chose deux tentatives apparemment différentes et toutes deux impuissantes qui prétendent cependant faire ressusciter la littérature morte, faire de la prostituée une sainte. L’une n’est qu’un petit jeu existentiel sans conséquences, de peu de poids et d’aucune tenue, Richard Millet nous assurant qu’il est le dernier écrivain et, comme lui-même ne paraît pas certain de ce fait qu’il proclame pourtant en soufflant dans un buccin d’apocalypse, il n’a trouvé rien de mieux à faire que de publier plusieurs livres qui procrastinent utilement l’adieu larmoyant à l’Europe aux vieux parapets. La tentative de François Meyronnis est, elle, absurde et parfaitement ridicule puisqu’il prétend être le premier écrivain qui écrit depuis le royaume sans bornes du néant, d’où croît ce qui sauve, comme il l’a appris par sa lecture superficielle de Heidegger commentant Hölderlin. Millet est tout de même un écrivain, comme nous le montrent ses essais plus lyriques que véritablement cliniques. Meyronnis lui n’est qu’un imposteur bénéficiant des faveurs du doge de la bêtise, Philippe Sollers, un pitre se prenant au sérieux, parfaitement incapable de nous tromper plus de deux lignes sur la nullité absolue de son style et de sa pensée. Premier écrivain selon ses dires, il est de toute évidence le dernier, incarnant de façon étonnante l’ultime stade de la corruption de notre littérature, sa dernière transformation grotesque et d’une prétention sans bornes en texte déclamé par Guignol. Le rideau va tomber, voyez donc comme le public a apprécié le spectacle, en un seul acte de décès ! Millet et Meyronnis ne sont que les plus connus de ces tartuffes qui, à l’exemple de Tzvetan Todorov, commencent à plisser leurs narines, pourtant habituées aux mauvaises odeurs dégagées par leurs propres livres: Dieu, qu’elle pue, cette maîtresse naguère adorée à présent devenue charogne ! Seriez-vous à la fin assez stupides pour penser que Todorov a rêvé de revêtir la défroque miteuse d’un Thibaud de la Jacquière ? Allons allons, nos petits professeurs n’ont guère de goût pour les venelles sombres où surgissent les mauvaises rencontres…
Deux égarés dûment harnachés de boussoles à écran plasma, cela n’est tout de même pas banal. L’un semble être la victime d’un effet d’optique bien connu des guides arpentant le désert profond : en posant au dernier écrivain, Richard Millet, promeneur solitaire et assoiffé d’absolu qui s’est égaré dans un désert de la taille d’un cendrier de café parisien, a cru apercevoir au loin une nouvelle Jérusalem où la langue, enfin, nous serait redonnée enchâssée dans l’or massif, lumineuse et précieuse dans sa sainte, sa pleine présence. On lui aura servi un soda pour étancher sa soif et le drôle aura sans plus de cérémonies reporté l’addition sur une ardoise effacée par le patron de la rue Sébastien-Bottin. Ce n’était donc hélas qu’un mirage, cette image impossible à rejoindre alors qu’elle rissole sur le feu de l’horizon ? Millet, dernier écrivain, ne parvient pas à ne plus écrire et chaque nouvel essai pour affirmer son départ est condamné par avance à s’empêtrer dans la Sargasse d’une prétentieuse infirmité. Comme le personnage de Louis-René des Forêts, c’est un bavard incurable. Marchant sans relâche tout en marmonnant des mots qu’il est condamné, comme le marin de Coleridge, à devoir faire glisser dans des oreilles de moins en moins désireuses d’écouter sa morne complainte, on commence à voir, rôdant autour de lui, les vilaines ombres de petits démons griffus et impudiques qui attaquent, à l’heure brûlante de midi immobilisant sous le soleil la nuque raide, les égarés. Rimbaud, parti sans trompettes ni tambours, s’enfonçant dans le désert, se tait, même s’il continue d’écrire des lettres qui ne pipent mot sur ses anciennes folies, ses rinçures : l’adieu aux lettres est réel, les démons se sont tus d’un seul coup, sans doute parce que l’écrivain était l’un d’entre eux. Millet veut s’enfoncer dans le désert mais il ne s’y enfonce jamais, l’humidité des larmes qu’il verse sur sa propre hébétude l’ayant presque noyé.

Lien permanent | |  Imprimer