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04/12/2013
Kiss me deadly de Robert Aldrich, par Francis Moury
Résumé du scénario :
Los Angeles, une nuit de 1955 : le détective privé Mike Hammer fait monter dans son coupé Christina, une jeune femme terrorisée, évadée d’un asile d’aliénés où elle lui assure qu’on la séquestrait. Christina assassinée, Hammer enquête mais il n’est pas le seul à s’intéresser au secret de Christina et on lui fait comprendre qu’il doit rester secret. A mesure que se précise le danger et que les cadavres s’accumulent, Hammer pressent puis dévoile la terrifiante vérité… apocalyptique.
Kiss Me Deadly [En quatrième vitesse] (États-Unis, 1955) produit et réalisé par Robert Aldrich, est adapté d’un roman de Mickey Spillane mais ce n’est pas pour cette raison – que Larry Cohen nous pardonne : il assure le contraire dans le supplément du Blu ray Carlotta paru le 20 novembre 2013, respectant magnifiquement le format original large 1.66, restituant en vidéo sa splendeur plastique chimique initiale ! – qu’il constitue une date dans l’histoire du film noir américain.
C’est d’abord une œuvre d’Aldrich producteur-réalisateur et c’est son premier grand film noir. Aldrich a touché à tous les genres mais il signera par la suite quelques autres œuvres appartenant au film noir entre 1960 et 1975, notamment les thrillers angoissants au N&B d’un noir d’encre, au clair-obscur expressionniste que sont Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? et Chut… chut, chère Charlotte, puis les films policiers en couleurs des années 1970 : The Grissom Gang [Pas d’orchidée pour Miss Blandish] adapté de James Hadley Chase, The Mean Machine [Plein la gueule], Hustle [La Cité des dangers], The Choirboys [Bande de flics]. Sans oublier le curieux mélange de film de guerre et de film noir que constitue Twilight’s Last Gleaming [L’Ultimatum des trois mercenaires] (1977) que Carlotta vient également d’éditer en version intégrale restaurée.
Raymond Borde et Étienne Chaumeton ont considéré Kiss Me Deadly, dans leur Panorama du film noir américain (Éditions de Minuit, 1979) comme marquant la fin de la période classique, comme étant une sorte d’hommage crépusculaire, pervers et fantasmatique au genre et à sa structure. Kiss Me Deadly – il faut décidément préférer le titre original à son débile titre français d’exploitation – reprend en effet, quinze ans plus tard, la structure du Faucon maltais de John Huston mais en en augmentant d’un cran la violence graphique, d’un cran l’érotisme, d’un cran le sordide et l’insolite. Cette approche critique demeure exacte et permet en outre de bien situer historiquement le film. Mais elle ne suffit pas.
Ce qui constitue surtout l’originalité et la puissance de Kiss Me Deadly, c’est la construction de son scénario. Cette enquête maudite est encadrée (au sens étymologique du terme : Mike Hammer agit, au fond, comme un inquisiteur médiéval mais un inquisiteur qui ne saurait pas ce qu’il cherche) entre deux séquences, d’ouverture et de fin, célèbres par leur innovation scénaristique et technique, avec lesquelles le film de Huston ne pouvait rivaliser techniquement. Larry Cohen a tort de considérer que Kiss Me Deadly perd en puissance, entre la séquence d’ouverture et la séquence finale : c’est précisément l’enquête et la montée graduelle des périls qu’elle illustre qui donnent au spectateur, rétrospectivement, le sens profond de la course à la mort de la jeune femme dénudée du début, le sens profond de la boîte de Pandore ouverte qui conclut le film. Le thème de l’eschatologie atomique au cinéma a été souvent traité par le cinéma de science-fiction, plus rarement par celui du film noir américain : Kiss Me Deadly est un des grands exemples d’alliage réussi des deux genres. Aldrich reviendra explicitement au thème de la fin du monde dans son splendide péplum Sodome et Gomorrhe (États-Unis-Italie,1961 coréalisé par Sergio Leone) et dans l’inégal mais ambitieux Twilight’s Last Gleaming. En réalité, le thème traverse presque toute son œuvre, quel que soit le genre qu’il illustre. Aldrich est bien, d’abord, un peintre de la fin du monde et des derniers instants qui la précèdent : sa peinture en a la fièvre, l’elliptique sécheresse, la puissance prophétique. Ce «baiser de la mort» (le titre américain est aussi une allusion à cette pratique de Cosa Nostra et le dialogue l’emploie aussi dans ce sens) précédant la fin du monde, seul Aldrich pouvait lui donner cette dévastatrice intensité.