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12/03/2025

Questions (encore) sans réponses sur Pierre Couturier en Benno von Archimboldi

Photographie (détail) de Juan Asensio.

IMG_0583.JPGLes Français de la décadence d'André Lavacourt : (riche) dossier sur un roman maudit.










LN5.JPGQue la réalité rejoigne la fiction est une métaphore tellement usée que Leïla Slimani elle-même, sous le regard journalistique le plus vide de ce système solaire, disons celui d'Augustin Trapenard, pourrait tiquer en y ayant recours mais, si l'on se souvient de la scène inaugurale du monstrueux 2666, «La première fois que Jean-Claude Pelletier lut Benno von Archimboldi, ce fut pendant les fêtes de Noël de 1980...», je crains pour ma part de m'être embarqué dans une quête aussi fascinante que difficile, non plus cette fois-ci en lisant puis en analysant Les Français de la décadence, mais en essayant de reconstituer une ne serait-ce qu'assez vague biographie de celui qui a écrit ce roman pas vraiment loin, aussi, d'être monstrueux, et d'autant plus monstrueux que nous manquent incroyablement les indices nous permettant d'en reconstituer la genèse, puisque nous n'en sommes même pas au stade où nous pourrions avec certitude assigner à notre homme, de son propre aveu «timide et schizoïde» et n'aimant pas à s'étaler, souhaitant même «volontiers qu'on ne s'intéressât pas à [sa] personne», autre chose que de vagues déductions sur une vie dont nous ne savons pas grand-chose en fin de compte, et dont le peu que j'ai pu apprendre tient à des déductions et une mince pochette cartonnée contenant sa correspondance avec celui qui fut son éditeur en 1960, Gallimard.
Je ne prétends pas que cet homme, Pierre Couturier, a vécu comme s'il n'avait pas vécu, car il a bel et bien évidemment vécu, en s'amusant même, selon toute logique, au moins autant voire bien plus que n'importe quel autre homme d'une condition comparable à la sienne, ou exerçant un métier approchant, qui sait, le sien, qui aurait vécu aux mêmes endroits et à la même époque que lui; affirmer cela serait ridicule. Non, je ne dis pas cela, et du reste toute nouvelle pièce du puzzle que je parviens à IMG_6894.JPGdécouvrir puis à placer correctement dans un cadre qui, avouons-le, n'en compte pas beaucoup, de ces pièces, aurait tendance à me laisser penser que ledit Couturier s'est, après tout, et contre l'affreuse morale puritaine qu'il exécra copieusement, bien amusé. Je dis en revanche que tous ces éléments, tous ces indices, toutes ces bribes, tous ces morceaux d'images qu'il n'est vraiment pas facile de rendre moins floue, se trouvent quelque part, ou alors dans plusieurs endroits, mais existent là où nous ne saurions les soupçonner d'exister ou, même, où nous ne penserions même pas devoir aller les chercher.
Bien sûr, je ne me cache même pas derrière le maigre paravent consistant à remarquer, avec l'auteur des Détectives sauvages, que l’œuvre, l'Œuvre comme il dit, poursuit toujours son voyage vers la solitude, une fois qu'elle s'est débarrassée de la Critique et des Lecteurs (ces majuscules sont toujours celles de l'auteur), et qu'elle est destinée à voyager irrémédiablement seule vers l'Immensité, car c'est en fait comme s'il n'y avait eu ni Lecteurs ni Critique pour Lavacourt, et même, en fin de compte, d'Œuvre puisqu'elle ne sera jamais parvenue à pénétrer la plus secrète mémoire des hommes, qui elle aussi finira par s'éteindre, sans toutefois avoir pu faire obole au néant, ou à cela qui, inimaginable, le suivra, du texte qu'elle aura porté. C'est en fait comme si Pierre Couturier signant André Lavacourt n'avait strictement aucune réalité, oui, pas même celle de son roman pourtant massif, celle encore de quelques textes disséminés dans une presse introuvable ailleurs qu'en bibliothèque ou à un prix souvent prohibitif chez les bouquinistes, hormis celle que je lui donne par ces notes, ou celle, antérieure à mes recherches, que lui donna l'auteur de ce blog, Images enfuies, évoquant, voici plusieurs années, celui que, par chance, il eut le loisir de considérer et donc de mieux connaître grâce aux souvenirs d'un homme dont Couturier fut l'ami.
Commençons par l'évidence, déposée sous nos yeux en toutes lignes sur la quatrième de couverture du roman d'André Lavacourt, où nous apprenons qu'au moment où il est publié par Gallimard, Couturier a quelque 45 ans, ce qui fait assez logiquement remonter sa naissance à l'année 1915, un peu avant peut-être, si l'on tient compte du nécessaire décalage entre le moment où l'auteur (ou l'éditeur, ou les deux ensemble) rédigea son court texte de présentation et la publication de son roman.
Il n'y a pas trace de ce Couturier-là, né en 1915, mais, un temps du moins, j'ai suivi la piste d'un autre Pierre Couturier, né, lui, en 1921 à Gallardon, le 27 août précisément, et mort à Issy le 26 septembre 2006; je me suis adressé aux mairies concernées et j'ai pu prendre connaissance, ici d'un acte de naissance, là d'un acte de décès. Le premier nous informe qu'un certain Jean Pierre Henri Couturier, de sexe masculin nous sommes certains de ce point (ce qui, à notre époque pour le moins peu assurée en matière LN5-3.jpgd'identité sexuelle, est une première pierre ferme depuis laquelle s'élancer), est né à 19 heures 30 à la date indiquée, d'Eugène Henri Georges Couturier, 42 ans, épicier, et de son épouse, Hélène Octavie Trouvé, 42 ans, épicière et mort, nous sommes aussi bien renseignés sur ce point, à Issy-les-Moulineaux à la date indiquée.
Je ne suis visiblement pas le seul à m'être intéressé à cet homme que nous supposerons brave puisqu'il a été décoré, en raison de ses actes de résistance, durant la Seconde Guerre mondiale, un premier correspondant (1), puis un second qui se fourvoya (2) en m'indiquant un autre Pierre Couturier également résistant m'ayant appris que ce même Couturier possédait un dossier au SHD (ou Service historique de la défense du ministère des Armées) que je ne suis donc pas allé consulté sur place, puisque, grâce à l'obligeance dudit correspondant (le premier des deux) et du personnel de cet organisme qui a su me guider correctement dans les dédales des archives et celles de l'Administration quand on lui pose des questions sur la meilleure façon de bien s'orienter au sein desdites pléthoriques et même labyrinthiques archives, j'ai pu m'écarter de cette piste sur laquelle je n'avais pas posé la moitié d'un pied. Il faut savoir s'économiser lorsque l'on recherche un individu qui n'a pas été extrêmement avare de confidences, et n'a pas laissé énormément de traces dans la mémoire si faillible des hommes.
Il est tout de même étrange, me suis-je dis en lisant, au moment de mes recherches, le si vif petit essai de Jean Rouaud intitulé La constellation Rimbaud, que le génial poète ait pu avoir la chance (je dirais : la malchance) de voir identifiés chaque lieu (ou presque) qu'il a traversés, chaque correspondant (ou presque) auquel il a écrit et même, bien moins que ceux-là, tel ou tel témoin fortuit de son errance dans l'Europe exponentiellement industrielle de la fin du 19e siècle qui rendait (c'est la thèse de 464410493_8596351987126211_681433994019229386_n.jpgl'auteur) caduque et parfaitement ridicule, à vrai dire, l'exercice d'une poésie oraculaire, oui, il est franchement étrange que sur Arthur Rimbaud nous sachions tout (ou presque tout, et c'est une malchance je le répète) alors que, sur André Lavacourt, nous ne sachions rien (ou presque, mais c'est tout comme rien), et ce n'est pas aussi loin d'être une malchance, à mes yeux en tout cas.
Le mythe, bien sûr, qui assez vite a capturé dans ses filets, quasiment vivant ou le cadavre pas encore complètement refroidi, l'auteur des Illuminations suffira, me dira-t-on, à expliquer cette sidérante différence de traitement entre deux auteurs, l'un pourtant plus éloigné de nous que l'autre, mais cette cristallisation opérée par le mythe, qui a bien sûr également pu déchaîner les passions et les efforts du moindre chercheur de traces en herbe, n'est pas valable si nous songeons à des écrivains ayant vécu à la même époque que Lavacourt et dont nous savons, là aussi, tout ce qu'il faut savoir, ou presque, quelle chance tout de même pour leurs lecteurs et ceux qui, maigrement, essaient de révéler quelque pan peu connu de leur histoire très amplement renseignée. Mais alors, comment Jean Rouaud, qui après tant d'autres rimbaldiens a apporté sa pierre au monument assez impressionnant du savoir entourant la plus minuscule des dates de la vie du poète, peut-il sincèrement feindre de se désoler qu'Arthur Rimbaud nous échapperait toujours, lui dont nous possédons plusieurs portraits et photographies, peu importe en fin de compte que l'on puisse pinailler sur leur authenticité et ergoter quant à l'identité réelle de l'homme photographié, quand nous ne possédons, de Pierre Couturier signant ses productions littéraires sérieuses (autrement dit, la seule qui nous soit parvenue, Les Français de la décadence), qu'une seule photographie ?
IMG_6898.JPGIl y a en a sans doute bien d'autres, enfouies dans des cartons dévorés par l'humidité ou alors complètement détruites, dont une au moins, elle pour le coup, a été vue de ses propres yeux par celui qui fut l'un des rares témoins des années algériennes de Francis Lavacourt, Francis Marmier que j'ai mentionné plus haut. Sans rentrer dans les détails d'une correspondance privée, nous savons que l'un des personnages de la photographie en question était le colonel Chabani (ou Chaabani), chef, parmi d'autres, des rebelles algériens, et qui commandait la wilaya de Biskra, c'est-à-dire tout le sud algérien. Ce haut responsable avait, apparemment, organisé une rencontre entre des notables français, parmi lesquels se trouvait Lavacourt / Couturier, donc, comme il ne manque pas de le confirmer à notre témoin qui m'a rapporté l'affaire, et des chefs algériens de l'insurrection. Les deux parties se mirent d'accord à cette occasion, qui se termina par un méchoui (et une photo !), pour qu'il n'y ait pas d'affrontement au Sahara, cette entrevue se révélant apparemment efficace sur ce point. J'ai tenté de me renseigner sur Chabani, qui on le sait fut exécuté, en commençant par concentrer mes recherches sur de la documentation iconographique, ce qui m'a permis de constater que ledit colonel n'était pas rétif au fait de figurer sur une multitude de photographies, parfois entouré d'hommes armés, ou de ce qui pouvait à l'époque passer pour des notables, mais, déficience de vue ou piètre qualité des documents consultés, je n'ai pas cru voir le visage de Pierre Couturier. Je suis allé évidemment plus loin en m'adressant aux responsables de deux ou trois groupes, sur les réseaux sociaux, évoquant ce personnage qu'il s'agissait à leurs yeux de saluer et de réhabiliter, mais jamais ils ne m'ont répondu, sauf par un courtois message automatique rédigé en arabe, auquel je ne pipe mot. J'ai alors décidé de consulter Benjamin Stora, puits de science paraît-il, sur tout ce qui a trait à l'Algérie durant cette période troublée; après bien des efforts pour que l'on daigne me communiquer une toute banale adresse électronique, l'intéressé me répondit, fort poliment, qu'il n'avait aucune information d'aucune sorte sur ledit colonel Chabani. Je doute qu'il ait beaucoup cherché à me répondre mais enfin, à de telles altitudes de savoir, l'aigle royal ne peut que surplomber majestueusement la corneille que je suis, noble volatile toutefois, plus endurant que l'autre, dont on associe la présence à la mort qui rôde. Ce n'est à vrai dire même pas un mort que je poursuis, dont la tombe serait indiquée dans quelque registre de cimetière, mais une espèce de construction mentale qui, tel un poltergeist, s'amuse à me jouer des tours pendables, se rit des efforts que je déploie pour tenter de reconstituer son parcours d'écrivain apparemment ptolixe mais visiblement très malchanceux avec les éditeurs qu'il aura contactés pour publier non seulement >em>Les Français de la décadence, mais d'autres textes dont nous ne connaissons que les titres projetés.
LN5-1.JPGMes recherches menées dans le domaine des publications proprement scientifiques de Couturier, chirurgien-dentiste de son état nous le savons, n'ont pas donné de résultat jusqu'ici. Pourquoi diable, d'ailleurs, m'être intéressé à cet aspect-là de la vie de Pierre Couturier / André Lavacourt, qui ne touche guère, on me le concédera, l'amateur de littérature ? Tout d'abord parce que Lavacourt en parle lui-même à Jean Dutourd (si ses héritiers me lisent, qu'il est apparemment impossible de contacter...), dans l'une de ses lettres datée du 25 décembre 1959, où il s'amuse d'apprendre à son prestigieux correspondant que, du temps où il versait «dans les querelles de [sa] profession, [ses] articles [lui] valaient des protestations régulières des différents ordres qui se partagent la médecine. Personne n'était content».
Il m'a paru logique, donc, de commencer mes recherches morticoliques dans le domaine qui fut spécifiquement celui de Couturier, et d'y tenter quelques sondages durant les périodes allant des années 40 à 60, puisque notre homme est né en 1915, ou pas loin de cette date. Ô divine surprise, un Couturier a bien écrit plusieurs articles publiés dans les Annales odonto-stomatologiques dont j'ai épluché, consciencieusement, plusieurs dizaines de numéros mais, las, ce Couturier se prénommait Paul et exerçait à Aix-les-Bains. Ces mêmes recherches, menées cette fois-ci dans La revue odontologique n'ont pas davantage donné de résultat et c'est avec beaucoup d'espoir mais non sans une certain malice que je me suis intéressé à une thèse pour le doctorat en LN5-2.JPGmédecine soutenue en 1940 par un certain Pierre Couturier, apparemment né le 26 juin 1911 à Saint-Nazaire et qui, de ce fait, pouvait difficilement prétendre être notre homme, au titre poétique suivant : Les rétrécissements amibiens du rectum depuis la réaction de Frei (dont la notice au sein de la BnF est : FRBNF11338860), dont l'utile et ma foi assez poétique conclusion affirmait que «le rétrécissement amibien du rectum est très rare». C'est en relisant cette note que je viens de comprendre que... Patience, nous évoquerons d'ici peu ce Pierre Couturier-là, près duquel nous sommes passés sans lui accorder, visiblement, l'attention qu'il eût mérité de recevoir, et qu'un de mes lecteurs, suivant une autre logique de prospective bien qu'elle se soit attachée, elle aussi, à la pratique médicale de Couturier, a suivi quelque temps, avant de me communiquer le résultat de ses recherches !
Les choses étaient donc parties d'un assez bon pas puisque je pouvais constater qu'en ses arcanes le monde scientifique s'amusait parfois à nous délivrer de cryptiques messages, que j'espérais une nouvelle fois être riches d'enseignements biographiques, en déployant de remarquables efforts, ma foi couronnés de succès, pour obtenir copie d'une autre thèse, soutenue à l'Université de Nantes, au sein de l'UFR d'odontologie, en 1976 et par un certain J.-P. Couturier, intitulée Utilisation d'un courant galvanique en endodontie : l'ionophorèse; je finis par en obtenir copie, malgré le fait rédhibitoire, on me le fit bien comprendre, que je ne pouvais prétendre à aucune qualité d'étudiant en université, que la thèse était ancienne, trop ancienne en tout cas pour figurer dans les archives commençant en 1983 pour les thèses de doctorat, en 1993 pour les thèses d'exercice, et pour bien d'autres raisons encore tenant à une foule de données qui n'avaient sans doute rien à voir avec les usages au sein de l'Alma Mater, dirait-on de plus en plus pointilleuse à mesure que s'effondre, là comme ailleurs, son niveau général de culture et d'attention à la chose écrite. Il me fallut donc faire appel à un ami universitaire, qui comme il se doit se reconnaîtra, pour constater, bien sûr allais-je dire, que cette thèse ne nous disait rien de son auteur, sinon qu'il était, à la date de sa soutenance, domicilié au 9 rue Dupaty à La Rochelle, et que son jury était présidé par M. J. Tanniou ayant pour assesseurs MM. H. Hamel, auquel cette thèse est dédiée, et à un certain P. D. Bernard.
Au fait, après plusieurs relances et des semaines ou plutôt des mois d'attente, j'ai fini par recevoir une réponse, hélas négative, à ma requête auprès de l'Ordre national des chirurgiens dentistes; ainsi, alors que j'avais espéré obtenir quelques indications biographiques sur un certain Pierre Couturier ayant exercé l'art si noble de la chirurgie dentaire, l'Ordre qui eût dû tout (ou presque) savoir sur notre praticien ne sait strictement rien ! Mais qui est donc ce chirurgien dentiste dont l'Ordre ne sait rien IMG_6680.jpgdu tout ? Pour un peu, malgré mon âge qui commence à mûrir doucement mais inéluctablement, je me mettrais presque à suivre des cours de chirurgie dentaire, dans le seul but de pouvoir disposer, qui sait, après de longues et complexes études, d'un quelconque passe-droit pour aller forer dans les archives de l'Ordre en question, dans toutes les archives existant de par la Terre elle aussi ignoblement cariée et dont les multiples racines, bien que profondes, sont dévitalisées, pour en extraire, par une belle opération d'avulsion d'un genre peu commun, du nouveau !
Attendons encore un peu toutefois car, dans son infinie sagesse, cet Ordre m'a suggéré de m'adresser au Docteur Xavier Riaud, auteur de plusieurs ouvrages réputés savants sur les riantes thématiques que sont l'histoire de l'art dentaire, celle de la stomatologie ou celle encore de la chirurgie maxillo-faciale. Au point où j'en suis, n'est-ce pas... Je l'ai donc contacté, puis relancé, et je n'ai toujours pas reçu de sa part la moindre réponse. Je dois dire que je me suis étonné, auprès de mon interlocutrice (car c'en est une) de l'Ordre, du fait que ce dernier ne puisse visiblement rien savoir d'un dentiste et, excellente précision, il m'a été dit que c'est à un autre Ordre, celui des médecins, que je devais m'adresser, puisque Pierre Couturier était aussi, et peut-être même avant tout, stomatologue ! Me voici donc parti pour contacter ce puissant organe qu'est le Conseil national de l'Ordre des Médecins, attendant donc la réponse ordinale, qui ne pourra me donner, je n'en doute pas, que de nouvelles et utiles précisions.
J'ai commencé à explorer une autre piste. Nous savons donc que Pierre Couturier, dentiste de son état, à la fin des années 70 aurait exercé dans un cabinet dentaire situé au 2, rue de Colombes, à Nanterre. Or, j'ai pu constater assez rapidement que cette rue n'existait plus à Nanterre, alors que ce semblerait être le cas dans des communes voisines. Je me suis adressé à la Société d'histoire de Nanterre qui n'a pas tardé, bien aimablement et par la personne qui s'en occupe, à me répondre ce qui suit : ledit IMG_6983.JPGcabinet dentaire, très connu à l'époque, n'existe plus c'est une évidence, lequel se trouvait au début de la rue de Colombes, aujourd’hui la rue Raymond-Barbet, du nom de tel ancien maire, place Plainchamp, soit l'ancienne Porte de Saint-Denis, quand Nanterre était encore ceint de remparts ! La suite logique serait que je puisse consulter des actes notariés quelconques ou même une autorisation d'exercer livrée par la préfecture comme c'est le cas pour tout chirurgien-dentiste ouvrant son cabinet, éléments qui, à tout le moins, me fourniraient une date de naissance de notre fantôme insaisissable, dont j'ai même cru retrouver une trace dans les archives du ministère de l'Intérieur (précisément : le département Justice et Intérieur des Archives nationales) où j'ai pu demander à consulter un dossier d'un certain Pierre Couturier s'avérant n'être qu'un homonyme, électricien de métier !
En tout cas, il semble que notre écrivain fantôme et pléthorique, ce qui est une assez curieuse façon de signifier son retrait au monde, ait été, aussi, un praticien assez, disons... furtif, du moins par la trace qu'il a laissée dans les archives départementales des Hauts-de-Seine qui, consultées, ont eu l'obligeance de me répondre ce qui suit, à propos de recherches effectuées dans trois dossiers : l'un, portant la cote 1213W220, intitulé Cabinet du Préfet. Affaires sanitaires et sociales, suivi des organismes professionnels et consultatifs : Conseil départemental de l’Ordre des chirurgiens-dentistes (1968-1974), dans lequel Pierre Couturier ne figure pas dans la liste des chirurgiens-dentistes de Nanterre, et cela bien que le 1, rue de Colombes soit indiqué. Pour le second dossier, portant la cote 1823W116 et intitulé Sanctions disciplinaires de chirurgiens-dentistes, décisions d'amnisties ou plaintes rejetées (1985-1993), pas davantage trace de notre fantôme, tout comme dans le troisième et dernier dossier (cote 1999W170/1, Services de l’État : Affaires sanitaires et sociales dans le département. Tutelle hospitalière. Recensement des praticiens opérant dans les Hauts-de-Seine (1975)).
IMG_6200.JPGPuisque nous voici égarés dans les dédales archivistiques, j'ai essayé de m'aventurer dans celles ayant trait au monde feutré de la diplomatie vu que, après tout, la France a possédé un consulat à Ouargla et à Alger de nombreuses années durant. Las, la plupart des fonds pour Alger et Ouargla sont exclus de la communication et le resteront durablement, malheureusement, d'après ce qui m'a été directement répondu. En effet, dans «le cadre d’une démarche de prévention du risque lié à la présence potentielle de fibres d’amiante dans les «cartons d’archives, des analyses sont en cours» ce qui implique que, «par mesure de précaution, et dans l’attente de résultats plus complets, certains fonds ont été isolés et demeurent inaccessibles jusqu’à nouvel ordre». Je joue décidément de malchance car avouez qu'est particulièrement prometteur, si l'on aime ingérer des quantités anormales de poussière (et de pousière d'amiante !) un tel énoncé, pour le consulat de Ouargla, sous la référence 500PO/A/1-44, Série A, 1962-1981, composé de «41 cartons et volumes, numérotés de 1 à 44, soit 2,76 ml (État de versement, Marie-Andrée Guyot, Pascal Even, conservateurs, mai 1985, mise à jour, CADN, juin 1995, 12 p., dactyl.)», sans oublier une seconde série, «500PO/B/1-13, Série B (Immatriculés radiés), 1963-1981» regroupant, elle, «13 cartons (1,54 ml; État de versement, CADN, décembre 1994, 8 p., dactyl.), n'est-ce pas ? L'état des relations, de plus en plus déplorable, entre la France et l'Algérie risque je crois de freiner considérablement mes ardeurs à poursuivre dans cette voie, de toute façon laborieuse à suivre, selon les déclarations de plusieurs autochtones qui, par courriel, m'ont adressé un ironique bonne chance !, vu que leur accès aux arcanes de l'Administration algérienne ne semble guère plus aisée que celle du métropolitain que je suis.
Devant tant de difficultés, considérant mon peu de goût, assez manifeste du reste, pour les très patientes recherches qu'il ne faut pas craindre d'assumer (y compris financièrement, la consultation de certaines archives n'étant pas gratuite) quand on se lance à la poursuite d'une personne ayant, tout aussi méthodiquement, pris le soin de disparaître des radars germanopratins, peut-être, oui, peut-être alors me faudrait-il décider de laisser Pierre Couturier à la farouche voire hystérique volonté de discrétion dans laquelle il a souhaité enclore sa vie de tous les jours et ne m'attarder qu'à André Lavacourt et son unique roman publié, Les Français de la décadence, voilà qui, au moins, est simple, en notant par exemple que c'est dans les toutes dernières pages du Chevalier, la Mort et le IMG_2484.jpgDiable que Jean Cau interpelle son lecteur futur en lui rappelant que le livre qu'il vient de lire a été écrit «en l'an 1975, en Europe et à Paris» (3), c'est-à-dire «quelques années avant que l'Europe ne fût domestiquée par le Communisme russe qui décida, pour elle, d'une nouvelle histoire active et sinistrement optimiste à la fois...», cette toute banale prophétie constituant une assez peu commune figuration de nos destins placés sous la férule soviétique et l'ouvrage de Cau finissant donc «pilonné et interdit par les bureaux des nouveaux fonctionnaires qui encadraient la multitude à laquelle nous fûmes désormais soumis». Après tout, assez rares sont, finalement, les exemples romanesques d'invasion de la France, cette si doulce contrée, par les brutes communistes, non ?
Peut-être me faudrait-il davantage m'intéresser aux possibles influences littéraires de Lavacourt, selon l'un des rares personnages à l'avoir côtoyé en Algérie sous le nom de Couturier, Francis Marmier, qu'il s'agisse de Simenon dont il admirait le talent ou encore de François Augiéras signant sous le pseudonyme d'Abdallah Chaamba son Vieillard et l'Enfant, évoqué dans les numéros 7 et 8 datant des mois de juillet-août 1954 de la revue Arcadie à laquelle, nous l'avions écrit, Lavacourt a participé et qu'il devait donc lire, qu'il y participe ou pas, Augiéras écrivant encore Le Voyage des morts, cette fois-ci mentionné dans le numéro 76 de cette même revue publiée en avril 1960, sans oublier d'indiquer de possibles liens avec Les Sept Piliers de la sagesse de T. E. Lawrence, également mentionnés par celui qui rencontra notre fantôme et ne parut point en être effrayé, voire m'attarder sur La mort IMG_6978(1).JPGétrange de Conrad Kilian, inventeur du pétrole saharien par Pierre Fontaine, essai romancé publié aux Sept couleurs en 1959 et qui inspira peut-être, qui sait, certains des textes de Lavacourt dont nous avons perdu toute trace, et renforça son goût pour les enquêtes plus ou moins officielles, tel que le figure sa longue nouvelle, Il pleut sur l'Oise dont nous avions découvert l'existence, comme je l'ai rappelé dans une note précédente.
Peut-être faudrait-il établir un peu plus qu'un trop rapide rapprochement entre Les Français de la décadence et Les Hommes de bonne volonté de Jules Romains, comme le fait l'auteur, qui ne signe pas de ses prénom et nom une très courte et pourtant excellente recension du roman de Lavacourt pour La sélection des Libraires de France dans son n°9 du mois d'octobre 1960, où il ose même affirmer que la publication du roman est «un événement littéraire comparable à la parution de Voyage au bout de la nuit» et, comme dans le texte le plus connu de Céline, qu'existent «des passages, voire des chapitres entiers, d'une véhémente crudité», puisqu'il est assez visiblement clair que «M. Lavacourt vomit le siècle et ses totems, singulièrement la morale de midinette dénoncée jadis par Montherlant». Peut-être faudrait-il, encore plus directement, écrire une note comparant le roman de Lavacourt et Le Camp des Saints de Jean Raspail sans me contenter, comme le fit un certain J.-F. Setze dans son étude (voir le numéro 111 datant des mois de mai-juin 1973 de la revue Défense de l'Occident, p. 41) sur ce dernier roman, de déplorer la disparition de celui de Lavacourt ou bien de L'Occident de Marcel Clouzot. Qui sait, oui, si je ne dois pas me résoudre à laisser en paix, lui qui à vrai dire n'a été que fort peu inquiété par le monde littéraire, André Lavacourt qui n'aura jamais été que l'auteur d'un seul roman publié de son vivant !
IMG_6560.JPGJ'en étais là, il y a quelques jours, de mes considérations il faut bien l'avouer assez désabusées lorsque, à la suite d'une après-midi (une de plus) passée dans la salle V (dédiée à la littérature) de la BnF, j'ai tenu sous mon regard très rapidement fatigué de ce que je voyais toute la collection des numéros de trois titres qui n'en sont finalement qu'un, Don, sous-titré Les cahiers de l'homophilie dans le monde dont le premier numéro parut au mois de décembre 1975, Incognito Magazine, vers 1977 je pense car aucune année de publication n'est mentionnée et, presque du même nom mais se bornant à ne donner, dans une foule de pays s'étendant au cours des années, qu'une liste de bonnes adresses et à offrir des pages de publicités assez aisément identifiables, une série de guides intitulés Incognito, dont les publications se sont étalées de 1967 à 1976.
C'est un chercheur, Arno Schmitt, auteur d'un travail érudit intitulé Bio-Bibliography of Male-Male Sexuality and Eroticism in Muslim Societies, résolument introuvable quel que soit le biais par lequel je suis passé, quel que soit le nombre de bibliothèques que j'ai pu contacter, quelles que soient mes supplications auprès de personnes fort honnêtes travaillant dans plusieurs librairies anglo-saxonnes, et qui toutes m'ont aidé non seulement très vite mais aussi bien qu'elles l'ont pu, c'est ce chercheur émérite disais-je qui, en mentionnant, en passant pour ainsi dire, André Lavacourt dans son ouvrage, évoqua deux de ses contributions, l'une dans une revue que nous connaissons désormais bien, Arcadie, l'autre dans une revue qu'il orthographia, à tort, Incogniti, erreur ou inattention bien vénielle qui provoqua pourtant des bouffées d'énervement lorsque je me mis à la chercher et que, conséquemment, je n'en trouvai aucune trace puisqu'elle n'existait tout simplement pas.
IMG_6566.JPGDe guerre franchement lasse, je décidai de tenter de contacter Arno Schmitt par l'intermédiaire d'un site assez bien agencé en plus d'être efficace puisqu'il me permit d'arriver à mes desseins, Academia mettant les chercheurs, donc leurs travaux, en relation les uns avec les autres, Schmitt qui finit donc par me répondre très aimablement, et dans un français plus que correct, en répétant ces deux références (dont l'une, donc, mal orthographiée) qu'il avait dénichées voici bien des années, comme il me le confia; je lui fis remarquer que la revue, ou le magazine, ou le périodique Incogniti restait introuvable et il me dit alors qu'il s'était peut-être trompé d'une simple lettre dans le titre, remplaçant, en toute innocence ou par erreur, un o par un i et c'es armé de cette si utile correction, minime et même aussi infinitésimale qu'un plancton dans le vaste océan mais pour moi essentielle, que je me mis derechef à rechercher, pour les années 60 et 70 (vu qu'Arno Schmitt avait précisé une date, 1967, mais que moi j'ai pris la sage habitude d'étendre, par définition, mes recherches, puisque l'on n'est jamais certain de rien avec ce maudit Lavacourt), et que je finis alors par tomber non pas sur un mais sur plusieurs titres contenant le mot incognito, des guides, donc, ainsi qu'une revue ayant apparemment survécu quelques numéros seulement, née sur les cendres d'une autre revue intitulée Don, sans compter Vedettes incognito, sous-titré le mensuel des grands noms du cinéma et de la télévision qui, en fait de grands noms, me fit voir les formes IMG_6564.jpgavantageuses de pépées et de jeunes femmes fort peu vêtues, clichés que je dus abandonner, à regret, au risque d'attirer quelques regards soupçonneux dans cette salle V de la BnF que je commence à connaître comme ma propre chambre, pour me plonger dans les photographies à mes yeux beaucoup moins excitantes d'hommes eux franchement nus, d'âge respectable (mais aucun vieillard, tout de même, agitant son vit flaccide) ou bien franchement prépubères, que je trouvais donc dans Don et sa suite, Incognito Magazine, née sur les cendres de la censure qui, dans ces années-là, ne plaisantait pas avec les amusements homosexuels ou homophiles selon le patron d'Arcadie, encore moins avec les jeux pédophiles. En fait, le premier éditorial de cette revue expliquait qu'il s'agissait de donner une suite à Don qui eût dû s'appeler, si le propriétaire du titre ne s'y était pas opposé, Don nouveau mais, comme le nouvel éditeur (ASL pour Arts, spectacles, loisirs) publiait le guide Incognito, il décida d'intituler sa nouvelle revue Incognito Magazine avec, pour directeur de publication, Jean de Satrat et pour rédacteur en chef Stéphane Perrault puis Claude Tissot dès le n°6. J'étais relancé sur une piste que je n'ai pas fini de suivre, plusieurs semaines après l'avoir empruntée.
Quoi qu'il en soit, c'est dès le premier numéro de cette dernière revue, Incognito Magazine, qu'André Lavacourt apparaît non seulement comme l'auteur d'un texte, mais aussi comme faisant partie des complices de ladite revue, selon les indications de son ours, avec d'autres personnes dont les patronymes se sont perdus dans les strates complexes de l'histoire de la presse homosexuelle des années 70, Jean Coquelle, directeur-rédacteur en chef et prolifique patron de ce genre de presse, nous le verrons, Stéphane Perrault, Philippe Bonnard, Claude Courouve, Pierre Schricke, Mark Freedman, Jean de Satrat, IMG_6989.JPGdirecteur de la publication ou encore Michael Fastman. André Lavacourt a signé dans le premier numéro de cette revue, vendue, heureux temps !, 10 francs, dans la rubrique Reflets, un texte intitulé Les Opinions de Jérôme Coignard : Les Sodomites, chapitre non prévu par Anatole France (pp. 71-3) se terminant par cet envoi qui n'étonnera pas les habitués, s'il y en a bien sûr, des Français de la décadence mentionnant plusieurs fois cet écrivain peu amène avec le Clergé, ses combines et ses pratiques réputées ténébreuses : «Pour feu Anatole France, en belle imitation».
Notons que nous retrouvons dans Incognito Magazine quelques-uns des noms, comme celui de Jean Coquelle, dont nous apprenons qu'il est psychosociologue ou celui de Mark Freedman, professeur à l'Université d’État de San Francisco et décédé en 1976, dans l'éphémère revue Don qui la précéda, sous-titrée Les cahiers de l'homophilie dans le monde ainsi que, dès son sixième numéro, la rubrique intitulée Sel & Vinaigre qui passera, telle quelle, dans Incognito Magazine et dans laquelle André Lavacourt écrira non seulement un mais plusieurs textes, de celui que nous avons précédemment indiqué, dans la première livraison de la revue, jusqu'à sa cinquième, le nom de Lavacourt IMG_6561.JPGdisparaissant, une fois de plus assez mystérieusement, dès l'ours comme des pages du sixième numéro. Voici donc les titres de ces textes signés par notre Machiavel de la feinte, paradoxal timide qui ne cessa apparemment pas d'écrire non seulement avant mais aussi après la parution des Français de la décadence :
Incompatibilité d'humeur : l’Église et la morale culière (n°2, pp. 52-9).
Toutes les avenues du pouvoir (n°3, pp. 46-50).
Nous sommes les autres. Lettre ouverte à André Baudry (n°4, pp. 16-20).
Grandes amours et petites annonces (n°5, pp. 36-41) et, un bonheur n'arrivant jamais seul, Les histoires de Brahim : le Terroriste... (pp. 57-62), le titre même, bien qu'incomplet, pour lequel Arno Schmitt, notre chercheur émérite quoique distrait, je vous le rappelle, avait évoqué André Lavacourt officiant dans Incogniti. Notons encore que ces textes, à l'exception de ce tout dernier, ont tous été publiés dans la rubrique précédemment citée, Sel & Vinaigre qui disparut avec la mention d'André Lavacourt, du sixième et dernier numéro, selon toute probabilité, d'Incognito Magazine qui, lui, à la différence de Don, ne sembla pas capable de renaître de ses cendres, mais fut définitivement stoppé par la censure, dès 1978.
Les chercheurs amateurs de ces thématiques, je suppose qu'il doit y en avoir car ce genre de revues plus ou moins éphémères IMG_6571.JPGregorge de précieuses indications socio-culturelles sur l'histoire des luttes homosexuelles voire pédophiliques (je ne confonds donc pas ces deux orientations) et de leur très longue conquête d'une espèce, certes fragile, de tolérance (ne parlons pas d'acceptation, à l'époque, qui fit interdire ces revues avant de les laisser paraître, de guerre lasse dirait-on), ces chercheurs-là, disais-je, auraient sans doute leur mot à dire sur la controverse qu'André Lavacourt, qui participa comme nous l'avons bien documenté à plusieurs numéros de la revue Arcadie (4), autrement plus pérenne que Don et Incognito Magazine, initia avec le patron de cette revue, André Baudry, controverse que nous ne commenterons pas puisque j'ai pour habitude de ne m'exprimer que sur des sujets dont je maîtrise, à peu près du moins et comment pourrait-il en aller autrement, les principaux enjeux et problématiques. En tout cas, à lire l'article de Couturier / Lavacourt, il semble que notre homme ait, un temps du moins, admiré Baudry pour sa pugnacité, personne, écrit-il, ne s'ébahissant plus que lui «du formidable courage qu'il [lui] a fallu pour [se] lancer dans une si périlleuse affaire», car, lui affirme-t-il directement, «ce que vous avez fait, personne ne l'aurait fait et tous les roquets qui, autrefois, vous ont couru aux chausses ne seraient rien du tout si vous n'aviez pas existé». Et Lavacourt de citer le Père Oraison, «tombant des nues» en demandant si Baudry avait osé cela, créer Arcadie, essayant de savoir si cette revue «était en vente dans les kiosques» et, apprenant qu'elle ne l'était pas, écoutant ce que ledit Baudry avait à dire : «Je ne pouvais, l'autre jour, en feuilletant son livre sur notre problème», La question homosexuelle parue en 1975 au Seuil, IMG_6574.JPG«me défendre d'un tout petit peu de malice. Aurait-il, le bon Père, publié son livre, si vous n'aviez d'abord déblayé le terrain ? C'était le temps que, pour avoir effleuré des sujets tabous, il était en délicatesse avec le Vatican. Oui, ça commençait déjà...».
Dans ce domaine-là, l'une de mes intuitions s'est révélée fructueuse : puisque André Lavacourt a participé à plusieurs revues homosexuelles et que ces dernières, dans les années 70, ont été le plus souvent interdites à la vente, je suis allé chercher dans le bien nommé Dictionnaire des livres et journaux interdits par arrêtés ministériels de 1949 à nos jours de Bernard Joubert, paru en 2007 aux éditions du Cercle de la Librairie, une véritable mine disposant, qui plus est, d'un impression Index des noms, énorme et très savant ouvrage qui m'a indiqué non seulement un titre que je connaissais déjà, Incognito Magazine, mais un autre auquel le nom de Jean Coquelle, qui nous est quelque peu familier, était associé, et que j'avais décidé de consulter : Gay Magazine qui très vite deviendra Gaycontacts (comme Don devint Incognito Magazine) ne dépassant pas à ma connaissance les deux numéros, alors que le titre précédent sera allé, IMG_6961.JPGlui, jusqu'à sa troisième livraison. Le nom de Lavacourt n'apparaît nulle part dans le premier numéro de Gay Magazine qui n'a même pas d'ours, alors que nous y trouvons une nouvelle histoire de Brahim, intituléeFaddoul ou la bénédiction, alors qu'il apparaîtra dans l'ours du n°2 de Gay Magazine, comme dans celui de Gaycontacts, dans le n°2 duquel il a signé un texte, de nouveau inséré dans une rubrique dont le titre nous est lui aussi familier (Sel & Vinaigre), intitulé C'était un malentendu ! (pp. 16-20). Dans l'éditorial du premier numéro de Gaycontacts, Jean Coquelle put écrire, au noms des homosexuels qu'il s'imagina je le suppose représenter peu ou prou, qu'il n'avait à s'excuser d'être, ni à entériner ce qui les plaçait, lui et les siens, «au fond d'un puits, livrés à l'opprobre». Nous nous y attendions : Gaycontacts va lui aussi renaître sous le titre, aussi sobre qu'explicite, Man, d'bord de même format que ce titre, puis devenant plus grand de ses numéros 12 à 15; dès le premier numéro de cette revue, nous retrouvons André Lavacourt dans la traditionnelle rubrique Sel & Vinaigre, avec un titre intitulé Oyé Paydérastoye (pp. 28-34), unique IMG_6974.JPGoccurrence à ma connaissance de notre auteur puisque Man finira par fusionner avec Gay homme pour devenir une revue pornographique.
André Lavacourt a-t-il écrit d'autres articles, durant ces années 70, dans l'une ou plusieurs des nombreuses et même incroyablement nombreuses revues homosexuelles à tropisme plus ou moins pédophilique disponibles, avec plus ou moins de fortune là encore, en France, à condition de débourser quelques francs (heureux temps !), qu'il s'agisse de L'Antinorm, du Fléau social, d'Olympe, de Futur qui, accueillant des nouvelles, eût pu intéresser Lavacourt, d'Andros ou de Marge ? Je ne le sais pas, le temps et la motivation me manquent, même si je puis répondre par la négative pour au moins trois de ces titres, pour devoir de nouveau passer des heures entières à effectuer d'aussi méthodiques et longues recherches et puis, ma foi, je m'en voudrais de ne plus rien laisser découvrir à de jeunes chercheurs qui deviendront tôt ou tard émérites, même s'ils se trompent d'une seule lettre dans un titre et que, par cette petite quoique coupable faute d'inattention, ils ne manqueront pas de plonger à leur tour quelque hypothétique continuateur de mes explorations dans d'indicibles tourments. Qu'ils entreprennent ces recherches, avec, pour guides, l'Histoire de la pédophilie. IMG_6984.JPGXIXe-XXIe siècle d'Anne-Claude Ambroise-Rendu (Fayard, 2014, notamment le chapitre 7 intitulé Les seventies et la plaidoirie pédophile, pp. 163-96), Le Rose et le Noir. Les homosexuels en France depuis 1968 de Frédéric Martel (Seuil, 1996), notamment le chapitre ayant trait à la revue Arcadie, décidément incontournable même si elle a pu être rejetée par des mouvements homosexuels plus radicaux (Arcadie et les homophiles, pp. 98-117) ou, encore plus détaillé, l'ouvrage que Julian Jackson a consacré à cette revue, Arcadie. La vie homosexuelle en France, de l'après-guerre à la dépénalisation (Autrement, coll. Mutations / Sexe en tous genres n°256, 2009), et tant d'autres, et tant d'autres, et tant d'autres titres, certains d'entre eux passablement amusants comme Qui sème le vent récolte la tapette (sous-titré Une histoire des groupes de libération homosexuels en France de 1974 à 1979 du très inclusiviste et matriarcaliste Mathias Quéré, chez Tahin Party, et disponible gratuitement au format PDF, s'il y a des amateurs.
Ce que j'ai trouvé est donc assez maigre, au regard des heures que j'ai passées à m'user et, parfois, à me salir les yeux, même si je préfère me les salir en tournant page après page des revues contenant des petites annonces aux abréviations euphémistiques, des publicités ma foi graphiquement léchées et des photographies d'hommes ou de jeunes hommes aux poses évocatrices ou ne laissant guère place à l'imagination qu'en tournant celles d'un mauvais roman contemporain, qui représente bien trop souvent une IMG_6584.JPGforme de pornographie beaucoup moins excitante, somme toute, que celle dispensée par ces publications que plus personne n'a, je crois, besoin de consulter, si ce n'est pour terminer de rédiger un mémoire ou, comme c'est mon cas, pour remonter la piste d'un écrivain prolixe et pourtant parfaitement oublié, englouti.
C'est pourtant au moment même où j'ai fait ce constat assez dur bien qu'irrécusable qu'un double événement est venu ranimer ma flamme exploratrice, toute proche de s'éteindre, faute d'oxygène pour la maintenir vaillante et fièrement dressée à dissiper les ténèbres ou, de façon moins grandiloquente, la grisaille d'une recherche assez peu exaltante, affreusement terne et jamais dispensatrice de découvertes remarquables : le premier de ces événements est la lecture, comme toujours retardée lorsqu'il s'agit d'un roman ayant reçu les acclamations de la presse germanopratine, du prix Goncourt 2021, La plus secrète mémoire des hommes de Mohamed Mbougar Sarr, le second, lui, tenant à l'aide inopinée qu'un lecteur, grand amateur de quêtes archivistiques, m'a apportée en me livrant, pieds et poings liés par les cordes de ses déductions, la date de naissance et la date de décès de Pierre Couturier signant André Lavacourt.
J'en reparlerai bien sûr, dans ce qui sera alors la sixième note que j'aurais consacrée à ce qu'il est je crois légitimement possible d'appeler, si romanesquement que j'en souris, le mystère André Lavacourt.

Notes
(1) Lequel a pu effectuer bien des recherches de son côté, m'évitant de perdre un temps précieux, qu'il en soit sincèrement remercié ! Ainsi a-t-il pu m'écrire que les «naissances à Paris entre 1913 et 1922 n'ont rien donné (pour l'anecdote, on trouve un Michel Pierre Couturier né le 8 avril 1915 dans le 17e, étudiant en 1939 et décédé au Maroc en 1970; son père était banquier et l'oncle de sa mère, médecin». Ce même correspondant s'est lui aussi intéressé à la piste Herbelin, me donnant quelques informations précises, mais je lui ai rappelé que, contactés par mes soins, aucun de ses descendants ne savait quoi que ce soit d'un cousin ou neveu de Pierre Herbelin : «Comme vous, je m'interroge sur cet oncle d'Algérie, Jean Herbelin né en 1912 en Tunisie. Son père Léonce est né à Noirmoutier tandis que sa mère Germaine Calmet, née en Algérie, descend d'une lignée de colons. D'ailleurs la famille quitte la Tunisie et s'installe en Algérie où Anne, la sœur de Jean, naît en 1915. La mère de PIerre Couturier étant censée vivre à La Baule, y aurait-il un axe familial algéro-vendéen ? Dans la presse d'Alger je n'ai trouvé que deux avis de décès avec les noms Herbelin et Couturier. J'ai cherché sur Geneanet dans ces familles Herbelin, Calmet, Boudon, Bérard, mais je n'ai trouvé aucune trace d'un Couturier. Contacter des descendants, ce que vous avez fait je crois, est possible. Jean Herbelin, marié avec Baya Sid Cara (née en 1913), a une fille qui porte le prénom masculin Stéphane. Née en 1946 à Alger, IMG_6246.JPGl'artiste peintre Stéphane Herbelin est décédée en 2017. Par ailleurs, un frère de Baya s'appelle Cherif Sid Cara (1902-1999). Il a une fille prénommée Beya (avec un e) née en 1950 : on la trouve sur Internet sous le nom Beya Sid Cara. Mariée avec Michel Ravel, elle a une fille Malika Ravel d'après Geneanet. Sur Internet existe une Malika Ravel ostéopathe mais je n'ai pas su trouver le moyen de la contacter.» Ce n'est pas fini car notre fin limier s'est lui aussi orienté vers la terra incognita que représente à mes yeux l'Algérie, où André Lavacourt, nous le savons, a vécu plusieurs années : «Ayant constaté sur Geneanet un grand nombre de patronymes Couturier en Algérie, je me suis demandé si Pierre Couturier n'y était pas né. Les recherches sur les archives d'outre-mer, le site internet ANOM, sont compliquées : de nombreuses tables décennales ou annuelles sont manquantes, les recherches nominatives s'arrêtent en 1904, entre autres difficultés. Pour les naissances de 1915 à Alger, par exemple, il faut se cogner 750 pages. On peut IMG_6390.jpgtoujours y passer 20 ou 30 minutes et compter sur le hasard...»
(2) Qui lui m'a écrit ce qui suit : «Il y a bien un Pierre Couturier inscrit Force Française de l'intérieur (maquis), né en 1915, le 25 janvier à Thiviers en Dordogne. Ce qui concorderait avec publication à 45 ans, 1960, des Français de la décadence et serait donc mort en à Trélissac, toujours en Dordogne, le 16/07/2005», que l'on retrouve ici et qui je le crains ne saurait être notre homme qui, a priori, a aussi peu participé à la Résistance qu'à l'effort de repeuplement français ! D'autres éléments, notamment un portrait minutieux fourni par un de ses amis combattants, mais aussi une photographie, ou encore l'acte de naissance indiquant sa date de mariage en 1936 écartent la prétention de cet homme vaillant à être notre Benno von Couturier !
(3) Jean Cau, Le Chevalier, la Mort et le Diable (La Table Ronde, 1977), pp. 170-1.
(4) Voir par exemple, sur le cas spécifique de la revue Arcadie, Julian Jackson, Arcadie. La vie Homosexuelle en France, de l'après-guerre à la dépénalisation (éditions Autrement, 2009). Cet ouvrage ne mentionne pas la réponse de Lavacourt à Baudry. Toujours sur Arcadie, cet article de Christopher Miles intitulé Arcadie ou l'impossible éden, paru dans la Revue H, n°1, 1996.

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