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23/10/2008

De la douleur d'Antoine Blanc de Saint-Bonnet

Crédits photographiques : Jo Yong-Hak (Reuters).

«La douleur est l’écuyer de la mort.»
Antoine Blanc de Saint-Bonnet, De la douleur [1848] (Jérôme Millon, coll. Golgotha, précédé de L’Écuyer de la mort de François Angelier, 2008), p. 41.


Il faudrait, en guise d'unique et salutaire méthode de lecture qui serait bien sûr un pied de nez à toute méthode trop rigoureuse ou simplement devenue folle dans ses prétentions herméneutiques, se contenter de suivre, mais à la lettre, les recommandations de Cristina Campo qui écrivit dans une lettre datée de 1956 : «[...] prenez contact avec le texte. Dressez une liste des citations et le discours qui doit les lier grandira entre elles comme une plante parmi les rochers.»
J'épurerai encore la logique poétique (ou bien je manquerai à la lettre et ne serai fidèle qu'à l'esprit) de cette lectrice remarquable que fut l'auteur des Impardonnables en me contentant, ici, de citer des extraits d'un des classiques de la littérature chrétienne, que lurent bien évidemment Charles Baudelaire, Barbey d'Aurevilly, Léon Bloy, Joris-Karl Huysmans, Ernest Hello, Charles Péguy, Louis Massignon, Georges Bernanos et Paul Claudel, pour ne citer que les noms d'auteurs qui s'imposent immédiatement à l'esprit.
Seul un travail aussi intelligent que précis et inspiré, qui analyserait les résurgences, chez ces auteurs et bien d'autres, des idées exprimées par Blanc de Saint-Bonnet (la plus connue, reprise de Joseph de Maistre, est la fameuse réversibilité des mérites) aurait quelque intérêt intellectuel, vain peut-être mais sans doute nécessaire à de plus profondes méditations. Ce travail existe selon toute probabilité, protégé de trop de regards inattentifs par la pruine poussiéreuse qui recouvre les thèses pesantes.
Contentons-nous donc, dans la Zone, de quelque légèreté à l'endroit de la douleur (le dolorisme mystique ayant été trop souvent cantonné à sa plus ridicule expression, il est, avant tout, joie du don et se moque de choquer la sensibilité contemporaine maladivement terrorisée par l'idée même de la moindre souffrance, comme le scandale que provoquèrent les photographies de David Nebreda le montra récemment), légèreté qui sera aussi déambulation dans les salles et les labyrinthes des châteaux de l'âme, ces demeures que la douleur, selon Blanc de Saint-Bonnet, façonne comme le plus habile des artisans.

41aZzdNrAmL._SS500_.jpg«Il y a dans l’âme des places très élevées où dort la vitalité, et que la douleur seule peut atteindre : l’homme a des endroits de son cœur qui ne sont pas et où la douleur entre pour qu’ils soient !» (De la douleur, op. cit., p. 43).

«La douleur avance, et l’homme sent en lui un noyau immortel qui ne peut être atteint, qui s’enflamme, qui brille, qui se réjouit à mesure qu’elle croit pénétrer en nous. Et ce point où la douleur s’ouvre sur la joie… Vous savez d’où vient l’âme : quand l’émotion descend tout à fait au fond, ne soyez plus surpris si l’on trouve le Ciel ! Oh ! les larmes ne viennent pas de l’homme, je vous le jure !» (p. 45).

«La douleur produit des héros, parce qu’elle ramène au loin les âmes de ses mystérieux champs de bataille.» (p. 51).

«Réjouissez-vous donc, car peut-être, beaux comme des saints, vous portez fixé sur vos épaules par le nœud de la réversibilité, un manteau de douleur qui renferme l’avenir de plusieurs âmes que vous ne connaissez pas, mais que vous reconnaîtrez en Dieu !» (p. 54).

«Qu’on ne s’y trompe plus ! l’homme jamais ne jouira. Le souhait, l’unique souhait du cœur est celui qui ne s’accomplit pas; toute chose se présente au moment où le désir finit.» (p. 66).

«Ne croyez pas que l’homme soit tout fait ! Un peu de bien-être le perd, un travail assidu l’élève. Le plus grand nombre a besoin d’être à tout instant rappelé par la forte question de la vie. J’en ai bien examiné plusieurs : ce sont des commencements d’hommes.» (p. 83).

«Le temps aussi a ses cercles pour l’échelonnement des âmes !» (p. 90).

«Les femmes ressemblent aux âmes des hommes; leur beauté est toujours proportionnée à notre cœur.» (p. 94).

«L’âme va s’élever de motif en motif jusqu’à la pureté de l’être !
Or, le motif qui se rapproche le plus du pur motif du Ciel est celui de la gloire. Aussi, Dieu tâche d’élever à la sainteté ceux qui, dès leur naissance, ont connu le sentiment de l’honneur.
Le motif qui se rapproche le plus du noble motif de l’honneur est celui du juste. Aussi, Dieu tâche d’élever à l’idée de l’honneur ceux qui, dès leur jeunesse, ont trouvé leur âme dans le sentiment du juste.
Le motif qui se rapproche le plus du strict motif du juste est celui de l’intérêt. Aussi, Dieu tâche d’élever à l’idée dominante du juste toutes les âmes qui sont nées près des motifs de l’intérêt.
Enfin, le motif qui reste après le mince motif de l’intérêt est celui du plaisir, qui ferme l’homme dans son corps. Et Dieu tâche d’attirer ces faibles âmes au goût de la possession par le désir du bien-être et de la propriété.
Ainsi s’échelonnent les hommes. (p. 98).

«C’est la douleur seule qui nous trouve. Tout homme est fait comme sa douleur…» (p. 109).

«Or, comme l’univers physique, avec ses myriades d’étoiles éclairant autant de globes habités, se rattache, de système en système solaire, à un centre qui détermine tout; que savons-nous si le monde moral, avec ses myriades d’être placés dans le sentier de la création, ne se rattache pas, de races en races d’âmes, à une seule race qui décide de tout ? De même que, par l’unité de l’être et la communion des saints, une solidarité intime réunit tous les hommes qui ont habité ce globe; que savons-nous si une solidarité universelle n’existe pas entre toutes les créatures intelligentes répandues sur les globes, à cette fin que l’homme, cet être central, soit chargé à lui seul du don prodigieux de la liberté ?...» (p. 141).