« Le beau mariage d'Éric Rohmer, par Francis Moury | Page d'accueil | Carnets d'un vaincu de Nicolás Gómez Dávila »
15/02/2010
Pauline à la plage d'Éric Rohmer, par Francis Moury
Mise en scène
Éric Rohmer
Casting
Amanda Langlet (Pauline), Arielle Dombasle (Marion), Pascal Greggory (Pierre), Feodor Atkine (Henri l’ethnologue), Simon de la Brosse (Sylvain, jeune dragueur), Rosette (Louisette, la marchande ambulante sexy), etc.
Résumé du scénario
Après son divorce, Marion passe l’été en compagnie de sa jeune cousine Pauline sur une plage de Normandie : elles discutent de ce qu’est l’amour – perdu pour l’une, à découvrir pour l’autre ? – et, surtout, de sa nature. Elles rencontrent sur la plage Pierre, un jeune et beau moniteur de planche à voile que Marion n’avait pas revu depuis cinq ans et qui est toujours amoureux d’elle. Mais le hasard/destin se manifeste : Henri, ethnologue lui aussi divorcé et élève occasionnel de Pierre, venait justement prendre un cours. Marion tombe amoureuse de lui. Elle veut jeter Pierre, afin de s’en débarrasser, dans les bras de Pauline qui a, de son côté, rencontré un garçon du même âge qu’elle…
Critique
Illustration de : «Qui trop parloit, il se mesfait […]» de Chrétien de Troyes. La formule provient sans doute de son Perceval adapté cinématographiquement (et à la langue médiévale un peu modernisée) par Rohmer en 1978 sous le titre de Perceval le Gallois. Le prud’homme Gornemant de Goort y donnait déjà comme conseil à Perceval, afin qu’il soit bon chevalier, de ne pas trop parler.
Sorti à Paris le 23 mars 1983, Pauline à la plage reçut l’Ours d’or au Festival de Berlin 1983. Pour les spectateurs de l’époque qui suivaient forcément l’ordre chronologique de vision de l’œuvre de Rohmer, c’est son film le plus érotique jamais réalisé : tout y conspire et le le choix des acteurs semble obéir à l’impératif de réunir des êtres beaux des deux sexes : comédiens professionnels comme occasionnels mélangés harmonieusement par la grâce du casting. Ces jeux de l’amour et du hasard se passent en été, les corps s’y dénudent le jour comme le soir, dans l’intimité comme en société. Il suffit de comparer les chroniques intimistes et «psychologiques» (Passions, Fièvres d’été, etc.) que donnait au même moment Pierre B. Reinhard au cinéma pornographique français pour être frappé de la parenté de ton même si Rohmer coupe au moment où les choses se corsent et se maintient dans le cadre du cinéma français traditionnel. On sait que Rohmer avait déclaré à la presse en 1981 à propos de la nouvelle série des Comédies et proverbes qu’il entreprenait qu’elle concernerait davantage les moyens que les fins. De fait il sont donc orientés par les personnages mis en scène vers une pratique cherchant à s’organiser elle-même d’une manière désordonnée mais paradoxalement autonome. On y parle de l’amour mais surtout on veut le vivre : «vouloir vivre» schopenhauerien qui échoue parce que tout le monde se trompe (se «mesfait» comme disait la langue médiévale) sur les attentes du partenaire. Critique cinglante de la libération des mœurs et constat de son échec total. Mais surtout peinture à nu du désir le plus charnel. Arielle Dombasle est presque trompée par Henri avec Rosette, actrice d’ailleurs très étonnante. Quant à l’adolescente qui donne son titre au film, elle est l’emblème intellectuel du réalisateur. Elle domine finalement la situation car elle sait davantage que sa cousine Marion ce qui s’est réellement passé. Mais elle la domine dans l’impuissance et sa victoire est une victoire à la Pyrrhus si l’on peut dire : elle non plus n’aura pas trouvé l’amour qu’elle pensait, tout comme Marion, avoir trouvé. Du point de vue moral, on peut se demander à qui revient la palme de l’innocence et celle de la perversité ? Le personnage démoniaque joué par Feodor Atkine qui interprétait déjà le peintre libertin dans Le Beau mariage ne l’est peut-être, en fin de compte, pas tant que ça et Rohmer pose sur lui la même qualité sympathique de regard que sur le bon Pierre. Les dialogues ont parfois un caractère authentiquement philosophique et certains sont franchement platoniciens, période socratique. C’est dire qu’il s’agit d’une interrogation en acte du début à la fin, et que réflexion et action y sont inextricablement liées. L’échec des personnages féminins vient de ce qu’elles parlent et pensent trop alors que les hommes y suivent leur impulsion première, sincère, anté-discursive : illustration littérale du proverbe placé en exergue. Mais les hommes n’en sortent pas vainqueurs pour autant. L’image la plus symbolique du film est peut-être cette visite en un plan du Mont Saint Michel, posé dans son immortalité minérale et silencieuse, qui l’oppose à la folie humaine, constamment mouvante.