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25/11/2004

La Langue de Dante selon Bruno Pinchard

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Gustave Doré, illustration pour le Chant 1 de L’Enfer.


«Nel mezzo del cammin di nostra vita
mi ritrovai per una selva oscura,
ché la diritta via era smarrita
».

«C’en est fini de cette verticalité, elle est passée, déchue, maintenant c’est la pensée horizontale qui est à l’ordre du jour et à l’ordre du siècle, celle qui s’offre à la mise en mémoire et à la coordination de l’information».
Jean Améry, Lefeu ou la Démolition.

«Il ne faut pas aller chercher ailleurs la fascination exercée depuis des siècles par la Divine Comédie : elle est le chant qui s’avance dans la mort en mettant à profit toutes les ressources de la versification des langues vulgaires. Il n’est d’autre horizon pour saisir l’universalité de la pérégrination de Dante aux Enfers».
Bruno Pinchard, Pour Dante.


Je continue mon exploration des gouffres de Dante par l’admirable présentation, rédigée par Bruno Pinchard, pour le recueil intitulé Pour Dante aux éditions Honoré Champion. En fait, Pinchard y développe quelques considérations qui ne surprendront que les petits derridiens, considérations qui de la langue du Florentin font le creuset de toute expérience potentielle de création, pas seulement poétique mais ontologique. Car, si «Dante est la braise qui passe sur nos lèvres et descelle notre bouche» comme il l’affirme, c’est parce que, en plongeant dans les Enfers remplis de hurlements, la poésie de la Divine Comédie a été capable de nous révéler une langue ayant traversé la plus grande déréliction. Citant l’Art poétique de Charles Maurras («Il n’y a que le vers pour tenir dans ses griffes d’or l’appareil éboulé de la connaissance […]»), dont il tire la leçon toute boutangienne, à savoir que «Seul le chant du vers peut tenir en échec, le temps d’une vie pourtant vouée à la matière, la contingence de nos signes», Pinchard affirme tranquillement que la langue italienne telle que Dante l’a façonnée jouit d’une dimension métaphysique insigne. Il va plus loin : la langue française, contrairement à ce que croient nombre de nos écrivains décérébrés, est elle-même grosse d’une infinie potentialité créatrice et, parce que cette créativité poétique plonge ses racines dans une source immémoriale, Pinchard ouvre des abîmes de mystère pour celles et ceux qui, comme moi et quelques autres heureusement, ne peuvent supporter les outrages que des dizaines de milliers de crétins infligent quotidiennement à leur propre langue. Ainsi, «Dans le vers repose une langue d’avant la langue de la communication vérifiable, une langue plus qu’affective, intuitive parce que colorée de mille sons, dont la langue française n’est pas avare en ses combinaisons infinies». Je termine ces rapides considérations en citant longuement Pinchard qui, ici, retrouve quelques-unes des intuitions fondamentales de Vico ou de Ralph Waldo Emerson dans La Nature (1836) qui affirmait que «À mesure que nous remontons dans le temps, le langage devient plus pittoresque, jusqu’à atteindre sa petite enfance, où il est tout entier poésie, ou bien encore où tous les faits spirituels sont représentés par des symboles naturels.». Pinchard, donc, d’écrire que «Le vers sera notre dernière raison de croire qu’il y a de l’ordre dans le monde. Quoi ! une langue formée par l’usage et le chaos de l’histoire, une langue forgée non par les grammairiens mais par les peuples, détient, comme en filigrane, un ordre latent qui ne demande qu’à paraître au gré de la mémoire du poète inspiré ? La rime n’est rien d’autre que l’épiphanie de l’ordre dans le hasard de la trouvaille verbale».