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21/02/2005

Démocratie quand tu nous tiens, par Serge Rivron

Crédits photographiques : Kin Cheung (Associated Press).

Démocratie ! Démocratie ! La démocratie est notre combat, il FAUT la défendre ! elle est notre salut, il FAUT l’aimer !
Le problème que j'ai, avec la démocratie, c'est que je n'ai jamais été très sûr qu'elle était seulement et gentiment «le pire des régimes possibles, à l'exception de tous les autres», comme disait Churchill avec une note d'humour.
Je ne sais pas si la démocratie a jamais pu être aussi vertueuse qu'on nous le chante et nous l'assène depuis des lustres. On a voulu croire que c'est dans son principe qu'elle s'opposait à la tyrannie, et on ne cesse de nous faire croire qu'elle est le garant de la liberté individuelle. On nous le rabâche de la façon la plus insidieuse et la plus insistante en excommuniant et en fustigeant toute pensée qui ne poserait pas dans ses prémisses que la démocratie est le contraire de la tyrannie, tout discours qui ne prendrait pas la précaution préalable de se plier à l'allégeance démocratique. Tout ce qui ne respecte pas les fumeuses (j'ai bien écrit fUmeuses, et non fameuses) «lois de la démocratie», dont personne ne connaît exactement le contenu ni le nombre, est immédiatement soupçonnable d'en vouloir à l'homme, en tant qu'espèce, que race (le non-démocrate étant obligatoirement d'une race qui se voudrait supérieure à je ne sais quel fantasme de «races inférieures»), que statut social (le non-démocrate étant inéluctablement du côté du pouvoir et de l'argent contre le pauvre et l'exclu).
Et quand cette démocratie, produit de culture auquel on s'accroche comme à un bien qu’on voudrait de nature, révèle qu'elle n'est qu'un mythe, quand on pourrait commencer à découvrir que la valeur de quantité sur laquelle elle fonde la supposée suprématie des garanties qu'elle offre aux humains n'est qu'un leurre qui n'a presque jamais servi qu'à permettre à ses casuels et innombrables bénéficiaires à défendre la position qu'ils avaient obtenue d'elle, on se met, comme des animaux domestiques échappés au licol, à pleurer et à vociférer qu'on nous rende notre avoine et la chaleur de notre étable.
Alors oui, les journaux télévisés qui ne sont que des magazines, l’information confondue avec l’anecdote et qu’on livre pêle-mêle pour qu’on y dissimule mieux l’essentiel qui aurait pu échapper à la déconstruction... Mais qu’on n’omette pas de voir et de dire que cette déconstruction, si elle est voulue, l’est d’abord par le plus grand nombre, malignement arc-bouté sur les faux-fuyants que réclame à grands cris sournois sa bien-pensance !
Alors oui, les caméras partout, la surveillance permanente, la traque de nos moindres mouvements, de nos moindres désirs, Big Brother à l’affût de nos rêves et de nos joies... Mais qu’avec on dénonce l’exigence mortifère des masses pour toujours plus de sécurité physique et d’omniprésent confort, et l’impatience des «citoyens responsables» à consommer et à communiquer la stérile mesure de leurs frustrations ou de leurs satisfactions !
Alors oui l’effacement progressif des frontières du réel et du virtuel, l’effraction de la Chair par une technologie de formatage qui est toujours en dernier ressort le moyen d’un meilleur rendement social, l’incapacitation de la conscience individuelle et l’abêtissement des populations... Mais qu’on convienne tout simplement que de la plus simple à la plus complexe à réaliser, ces innovations (ah ! «l‘innovation» ! on pourrait aussi faire un chouette poème de la relation qu’entretient ce concept de bas marketing avec la ferveur démocratique) recueillent l’assentiment complet et très facile des citoyens responsables, dès lors qu’elles les sollicitent toujours au nom de leurs plus bas instincts, de leurs rêves les plus odieux, de leurs peurs les plus grégaires !
A ce jeu je ne vois pas en quoi la démocratie, qui est le règne revendiqué de la quantité sur l’esprit et sur la chair, pourrait opposer une quelconque résistance. Ce serait imaginer qu’une avalanche à force de grossir puisse finir sa course en posant sur les toits les délicats flocons qui l’ont rendue possible, au lieu d’avec leur boue écraser le village qui est sur sa trajectoire.
Est-ce à ce point désespérer des hommes que d’oser ce constat ? La démocratie est la plus efficace tyrannie qui soit, parce qu’elle est consentie par ceux-là même qu’elle avilit. Cette réflexion n’est certes pas nouvelle, mais elle n’est plus jamais dite, parce que ceux qui l’oseraient s’exposent à être instantanément taxés de tyrans, ou de suppôts de tyrans. Et si on accepte de les écouter, c’est pour les sommer aussitôt de proposer autre chose, un autre modèle que d’avance on ricane de démontrer détestable et inique. Certes. Il n’y a pas de modèle politique juste, parce que la politique c’est précisément d’essayer de gérer le collectif et les rapports du collectif avec l’individu ; quand la justice serait, si elle était «de ce monde», que chaque individu fonde spontanément sa volonté et son existence sur le salut de la collectivité. C’est à dire le contraire absolu de la démocratie, en même temps que sa morbide illusion.

Alors que faire, et de quoi rêver – puisqu’il est toujours besoin qu’on «rêve» ? Je n’ai pas trouvé encore de réponse. Je ne crois qu’en l’unique, et je sais la puissance du nombre contre lui, et sa faiblesse aussi. Élu moi-même et quelque temps installé à quelques de ces vagues et innombrables postes de commande illusoirement exposés à la défausse publique, j’ai tenté d’agir pour ce que je crois être «l’intérêt public» et n’ai quasiment jamais rencontré aucun autre écho que la paresse de mes pairs, l’idiotie des égoïsmes et des intérêts divergents des «administrés», l’impuissance organisée, légiférée et réglementée des instances démocratiques, la calomnie vipérineuse de vieux potentats que j’avais osé défaire, et mon découragement. Je ne croyais pas à la démocratie avant d’être élu, les raisons pour lesquelles je l’ai été m’y ont encore fait moins accroire ; je ne croyais pas à la démocratie en exerçant mes fonctions d’élu, les conditions de cet exercice m’ont démontré combien j’avais vu juste ; je ne crois pas à la démocratie après ces mandatures électives, et pourtant je continue d’aider quelques-uns de mes amis, sans distinction de tendances ni de partis, à accéder démocratiquement à telle mairie, telle députation, telle présidence. Pourquoi ? Certainement pas en tout cas pour nourrir je ne sais quel «rêve» d’une société meilleure, ni pour permettre la meilleure défense d’intérêts personnels que je m’épuise depuis 30 ans à desservir par tous les moyens. Alors pourquoi, bon Dieu ?... Peut-être parce que ce sont des hommes et des femmes dont j’aurais aimé qu’ils fussent rois et dont j’espère qu’ils gardent en eux cette petite lumière dans leurs yeux au moment où le troupeau bêlant qu’ils sont censés représenter leur demandera de l’exécuter... Pas pour qu’ils s’y refusent, ils «représentent» si bien ; non : pour qu’ils puissent encore, à cet ultime moment qui est devenu le quotidien de la démocratie, élever un peu la voix au nom des quelques brebis égarées qu’ils ne représenteront jamais.