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28/05/2005
Zoran Music ou l'impossible témoignage
«Sur le moment, j'ai dessiné ce que j'ai vu. Puis j'ai cherché à oublier ce que j'avais vu. Mais, en dessous, ça travaillait.»
Zoran Music (1909-2005) à Jean Clair.
Avec d'autres peintres comme Miklos Bokor, David Olère, Leo Hass, Isaac Celniker ou encore Yehuda Bacon, Zoran Music a tenté, et tenté seulement, de témoigner, par son art et par sa chair survivants (revenus, même, des morts puisque les peintures de Music furent déterrées...), de l'infigurable horreur des camps d'extermination. Je ne sais s'il a échoué. Lui-même semblait le croire d'ailleurs, estimer que son échec était patent puisque, disait-il, il n'avait pu, à l'instar du Goya des célèbres Désastres, rapporter un peu de lumière des ténèbres absolues. Il crut à son échec, il ne chercha pas à la cacher ni même à l'occulter et c'est pour cette même raison qu'il fut grand, comme un Primo Levi ou un Imre Kertész, en littérature, ont également estimé n'avoir rien pu dire qui pût s'approcher de ce qu'ils vécurent, malgré l'écriture implacable de Si c'est un homme ou d'Être sans destin.
Gardant en mémoire ce que Music confiait à Jean Clair, non pas l'intention de témoigner (puisqu'il fallait seulement tenter de survivre) mais celle de montrer l'horreur absolue qui était donnée à voir, passons à présent de la noblesse de l'artiste véritable au tripot du scribouilleur. Ainsi Pierre Assouline, dans un billet inepte du mois de mai 2005 dont j'ai honte de citer les quelques premières phrases, truffées de fautes et d'imprécisions grammaticales (certaines corrigées depuis, je cite l'original), écrit, n'a aucune gêne pour écrire cette rinçure abjecte de bêtise : «D'accord, il avait 96 ans. N'empêche, la mort de Zoran Music, peu après celle de Paul Rebeyrolle, ça fait quelque chose. Deux grands et deux rares artistes. Né à la frontière entre l'Italie et la Slovénie, Muzic [sic] était autant l'un que l'autre [!]. La guerre a fait basculer son univers de pastel et de douceur dans une palette aussi rude que celle du Fautrier des Otages. Et pour cause ! Arrêté pour faits de résistance en 1944 à Venise (où il a vécu jusqu'à la fin de ses jours), il fut emmené par la Gestapo en gondole [!]. Direction : Dachau. La centaine de dessins qu'il a réalisé [sic] au camp au risque de sa vie (scènes de pendaisons, fours crématoires, amoncellements de cadavres) est à ranger entre L'espèce humaine et Si c'est un homme car le témoignage est de cette puissance là [sic]».
Mon Dieu ai-je envie d'écrire, mon Dieu !, pauvres morts réduits à une poignée de cendres, pauvres femmes et hommes bafoués, pauvres inconnus qui, après tant d'avanies, doivent encore subir l'injure d'un tel eunuque littéraire qui, ne sachant pas écrire, écrit pourtant sur le dos des morts, contre eux et d'un coup de pied sale, repousse les visages qui se tendent vers toute voix, fût-elle, comme ici, celle de la plus inqualifiable nullité, de l'intelligence la plus veule, de la dignité la plus soupçonnable... Le pauvre Assouline, dans un style qui ferait hurler de jalousie une amibe tant il est d'une absolue platitude, n'est même pas un bon lecteur du Monde qui pourtant héberge, à grand renfort de publicité, son virtuel tripot, quotidien auquel Music donna pourtant un long entretien (à l'occasion de la rétrospective consacrée à ses peintures qui eut lieu au Grand Palais en 1995) où nous pouvions lire ceci : «On m'a demandé parfois si j'avais fait ces dessins pour témoigner. Mais comment aurais-je eu la volonté de témoigner alors que j'ignorais si je serais encore vivant le lendemain ?» Et le peintre de continuer en affirmant que, à son retour à Venise, nul de ses amis ne désirait voir les croquis qu'il avait rapportés de l'enfer nazi...
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