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25/10/2007

De la masturbation considérée comme un des beaux-arts : François Meyronnis (encore) perdu dans le labyrinthe du Consortium

Crédits photographiques : Christof Stache (AFP/Getty Images).


Rappel
De la masturbation considérée comme un des beaux-arts, 1.

Lecture de Le ravage comme époque et comme adversité, première partie (pp. 59-86) de l'ouvrage de François Meyronnis intitulé De l'extermination considérée comme un des beaux-arts (évidemment) édité par Gallimard.

Jetons-nous dans le gouffre, qui refermera sa gueule à la fin de ce texte. Résumons ainsi cette première partie de l'ouvrage de François Meyronnis, afin de dégager les maigres nervures argumentatives que du reste nous avions amplement développées dans l'introduction de son ouvrage. Des nervures ? Non, il faudrait plutôt parler de ce lierre grimpant que l'on surnomme parfois le bourreau des arbres. L'écriture de François Meyronnis est en effet le bourreau du style; elle paraît même étouffer toute forme de pensée digne de ce nom.
Il s'agit donc de penser le nihilisme. Comment ? En pensant l'événement (l'Événement ?), qui n'est pas un événement puisqu'il a lieu sans cesse, devant et derrière nous, insaisissable, qu'il est la non-manifestation manifestante de ce qu'il convient donc de penser, le nihilisme, la Chose (p. 63), comme Meyronnis le nomme en lui donnant un nom qui les vaut tous, donc aucun. Sans nom, la Chose.
Vous aurez remarqué que mon style, décidément, s'adapte de plus en plus à celui que François Meyronnis a érigé en guise de tourelle lilliputienne, depuis laquelle il toise le commun des mortels. Car, droit dans ses bottes de nain de l'écriture, tige grimpante ventousant ses crampons sur la plus haute colonne de stylite du Verbe, l'auteur n'en finit pas de tourner, tourbillonner, vrillonner, spiraler, toupiser, virevolter, tournebounicoter, vibrionner, tout cela pour mollement enlacer de fades et creuses phrases à des réalités qui n'ont pas de nom puisque, nous dit-on, François Meyronnis est le premier écrivain tentant de parler ou d'écrire, voire, de vivre (tout cela est tout un pour l'auteur) depuis le Sans-Nom.

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Commencerons-nous par quelques exemples des images de cet homme-toupie, de ce derviche tourneur de la pensée qui nous tourne en bourrique ? Bien sûr : selon Karl Kraus, le seul fait de citer les propos des imbéciles suffit à les ridiculiser ! Et comment donc même, puisque, nous rappelle Meyronnis, «comme nous sommes dans le langage, nous sommes dans la vie : misérable ici, misérable là» (p. 73).

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Et quelle sidérante misère que l'écriture de François Meyronnis, cet homme qui, dans la vie, ne peut faire un seul pas sans éprouver immédiatement le vertige du vide, se voir tomber tel le pauvre marin («Marin, le mentor», ça recommence, p. 67) du conte d'Edgar Poe. Lui aussi se promène avec un gouffre domestiqué qu'il tient par sa laisse. Hélas, son livre, s'il n'est assurément pas la version imprimée d'un manuscrit trouvé dans une bouteille ayant miraculeusement survécu à la catastrophe (d'Igitur ?), a toutefois dû nécessiter le renfort de quelques salutaires cuites intellectuelles, moments durant lesquels l'esprit de notre auteur, s'élançant en spirale, s'est imaginé conquérir le monde ! Il a conquis une place chez Gallimard et cela suffit sans doute à étancher son rêve de domination : une pensée, depuis les hauteurs glacées, paraît presque toujours neuve alors qu'elle n'est que congelée. Sans compter que nous assistons à sa fonte ou, pour le dire avec le vocabulaire requis, à sa débâcle.
Point presque anodin qui nous permet cependant de comprendre quel paradoxal lien unit l'ouvrage de François Meyronnis à la dive bouteille. Effectivement, le style, c'est bien l'homme et François Meyronnis, nonobstant l'ingurgitation de plusieurs barriques d'ambroisie, a le style neutre et improbable de quelque ordinateur qu'on aurait gavé des ouvrages de Nietzsche, Heidegger et Agamben et qui, dans un long renvoi consécutif à une milliseconde d'extase électronique, aura vomi ce délire que Meyronnis nous présente comme étant son propre livre.

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Attachez vos ceintures je vous prie, mes chers lecteurs, de peur que la bénéfique force centrifuge provoquée par le manège meyronien pour enfants attardés ne vous éloigne de quelque central et centripète instinct de conservation.
Vous êtes tous prêts ? Oui, toi aussi, Yannick, attache-toi. Oui, je sais... Tu as beau avoir l'habitude de tourner en rond jusqu'à reprendre des phrases qui ne sont pas à toi mais tout de même... Quoi encore ? Non, ne viens pas me pousser ta petite chanson : Philippe est plus grand que toi, il a donc le droit de ne pas s'attacher, cesse donc d'être bêtement jaloux, j'en ai assez de ces chamailleries. Et puis, dois-je te rappeler, mon petit Yannick, que Philippe, qui, je te le dis gentiment, est tout de même ton mentor, a gagné tous les prix de valse vénitienne, que dis-tu de cela ? Alors, franchement, avant qu'il soit pris de vertige, celui-là... François Meyronnis saura peut-être écrire !
Tournez manège ! «S'il y a quelque chose à penser aujourd'hui, il revêt la forme de cette spirale» (p. 64). Qu'est-ce que je vous disais ! Nous voici arrachés du sol, emportés par la Chose-événement sans nom ni couleur ni principe autre qu'antigravifique. Nous voici désamarrés, désencordés, désemberlificotés, désenglués du monde grâce à la vertu lévitative de ce qui ressemble à une «incurvation spiralée» (p. 63) et qui, sur son passage ébouriffant, soulève tout «dans un emportement tourbillonnaire» (p. 64). «Même la mort de Dieu» ajoute François, cheveux aux vents, même cet insigne événement-Chose proclamé par le plus laid des hommes nietzschéens n'est peut-être «qu'une volte dans une spirale aux tours beaucoup plus amples» que, dans notre ballon dirigeable, nous allons découvrir en beaucoup moins de quatre-vingt jours.
Heureusement, car nous aurons la nausée bien avant une heure passée dans la nacelle de notre baudruche.

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Heureusement, nous sommes accompagnés d'un pilote hors pair, le seul penseur contemporain que François Meyronnis cite, et du bout de ses doigts virevoltants encore : Gérard Guest. Sans doute ému de retrouver son vieil ami, le bon François en est tout tourneboulé, ce qui, vous le savez désormais, provoque sous sa plume l'une de ses habituelles inversions : «Pas nombreux» donc, «ceux qui le tentent» (p. 65). Qui tentent quoi ? Là, la grammaire sommaire de Meyronnis s'est quelque peu vrillibulée dans ses tournicots saltinabulants et emberlificoteurs puisque nos hardis explorateurs aérostatiques tentent non point une exploration mais le fait, donc, d'explorer de près. François, que diable, je te demande de bien serrer les flancs de ton cheval si tu ne veux pas être éjecté hors du manège. Non, non et encore non Yannick, cesse de vouloir rattraper Philippe qui chevauche, lui, un coursier de feu : dans quelques années seulement, tu auras droit, promis, d'enfourcher le poney à lampions multicolores...

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Gérard Guest, penseur éminent puisque François Meyronnis le cite. Gérard Guest, grand spécialiste de Heidegger assurément et qui, contre les petits imbéciles, a ma foi bien raison de le défendre dans la revue que Philippe Sollers dirige. Je lisais récemment son impressionnant et érudit ouvrage consacré au livre impossible de Wittgenstein (Wittgenstein et la question du livre, PUF, 2003). Je suis le premier à saluer la finesse, l'intelligence, l'érudition disais-je, à condition qu'elle serve un autre dessein que celui d'ajouter, sur une carte de visite, le titre d'une prestigieuse revue lue par une poignée de professeurs et d'universitaires répartis aux quatre coins du monde. À ce titre donc, le travail austère de Guest est tout à fait remarquable, se situant, ai-je besoin de le préciser, à quelques années-lumière de la flache de mélasse où barbotte François Meyronnis. Dommage tout de même que l'écriture de Gérard Guest soit apparemment contaminée par l'impuissance stylistique de ses compères. Tant et tant de mots, tant et tant de phrases, tant et tant de pages pour finalement ne pas même parvenir à (ne même pas) dire ce que Wittgenstein a une fois pour toutes gravé, en lettres économes, sur le marbre de la concision : «Ce dont on ne peut parler, il faut le taire». Interprétée par le rigoureux Gérard Guest, voici donc à quelle maigre règle de conduite intellectuelle se trouve rabaissée la sentence finale (à tous les sens de l'adjectif) de Wittgenstein : «Ce que le linguiste ou le philosophe du langage, mais aussi le métaphysicien (et le professeur de philosophie !) – probablement aussi le lecteur, le critique littéraire et l'écrivain de notre temps – sont sans doute seulement en droit d'attendre de Wittgenstein, ce n'est pas tant la mise à leur disposition d'un attirail méthodologique, ni d'un quelconque appareillage théorique, supposés devoir être d'ores et déjà opératoires, concernant la tâche difficile de la description des faits de langage; c'est bien plutôt une inspiration possible concernant la prise en considération de la diversité inextricable d'aspects sous lesquels cette tâche indéfiniment recommencée peut encore être entreprise et menée à bien à la faveur d'un regard neuf» (op. cit., p. 26)... Vous avez bien lu ? Revoici le membre de phrase important : «[...] c'est bien plutôt une inspiration possible concernant la prise en considération de la diversité inextricable d'aspects sous lesquels cette tâche indéfiniment recommencée peut encore être entreprise et menée à bien à la faveur d'un regard neuf», autant dire en somme que Wittgenstein ne risque pas de nous servir tous les jours et que, ma foi, dans le même temps, on peut légitimement se servir des écrits du philosophe pour appuyer n’importe quelle démarche. Je parie que Meyronnis ne va pas tarder à croire que, en tant que probable sinon certain unique dernier-premier écrivain de langue paraît-il française, lui seul a le droit de revendiquer «un regard neuf»… À titre purement scientifique, je suis très curieux de voir ce que Wittgenstein va pouvoir inspirer, en guise de pensées, à François Meyronnis, cette éponge universelle qui, de pensée, n'en a aucune.

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Un regard neuf, c'est cela dont jouit justement notre faucon, alors que, comme le rapace de Yeats, il effectue dans l'azur lointain d'amples gyres avant de fondre sur quelque innocent lapin (à moins qu'il ne s'agisse, plus vraisemblablement, d'un sot cochon) qui confond la littérature avec les romans de Jonathan Littell et Michel Houellebecq. Apparemment, les cochons sont nombreux, plus que les vieilles chouettes poudrées en tout cas qui achètent les ouvrages inutiles de Meyronnis.
Lequel, inlassablement vous aurez compris au moins ce principe giratoire et centrifuge, continue de sombrer, corps et âme, dans le tourbillon, que dis-je, le vortex du nihilisme, dans lequel le grand Edgar Poe s'est jeté avant notre intrépide nautonier. «Une descente dans le Maelström, ça s'appelle» (p. 66). Qu'est-ce-qui-ça-s'appelle, vous demandez-vous en employant les phrases méyronnicoïdales ? : tout simplement «La meilleure approximation du saut dans l'abîme que requiert l'événement», l'événement, n'aurez-vous pas tort de m'opposer, étant déjà l'abîme... Cela ne fait rien, puisque tous les termes qu'utilise Meyronnis sont strictement réversibles, le blanc pouvant devenir, pour les besoins de l'auteur, le noir, l'Être le non-Être, le bas le haut, la mauvaise littérature, la sienne donc et pas celle de Houellebecq, la bonne.
«Couleur d'encre, la mer», puisque bien sûr c'est dans l'abîme de l'événement que l'auteur puise son encre sympathique pour écrire la première véritable thèse de ce livre (pp. 66-67) : la pensée occidentale, pour penser l'impensable, doit se désorbiter, cesser de tourner en rond pour se jeter dans le gouffre. Attention, pas n'importe quel trou, pas même dans le tunnel cher à Sábato et à Gass, non; elle doit se jeter rien de moins que dans «l'abîme de l'événement» qui est tout ce que l'on voudra sauf une posture métaphysique. Au débarras, Dieu, dont la mort a été prononcée par Nietzsche et à présent par Meyronnis, le plus laid des penseurs. Et puis, comment voulez-vous que Meyronnis, ce prince-voltigeur, puisse goûter longtemps les desseins que ce Grand Perclus qu'est Dieu charge son Serviteur de réaliser, lequel, toujours à traîner sur quelque mauvaise route où il éprouve les pauvres Job, jouit qui plus est de la particularité toute meyronnissienne de sans cesse tourner et tourner. Une référence pour Meyronnis, qui bien évidemment ne la connaît pas puisque, sur le diable, il ne sait rien : «Illustrant par de grands gestes ce qui, face au dualisme de l'ancienne religion iranienne singularise la vision hébraïque du péché, ce prophète barbu [Martin Buber], […] pointa d'abord l'un contre l'autre ses deux index pour signifier un affrontement. Faisant ensuite tournoyer son avant-bras, il mima de son doigt une descente en tourbillon vers on ne sait quel Abîme» (1).

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Étonnante, cette faiblesse coupable qui permet à François Meyronnis d'affirmer qu'il pense le non-pensable tout en rejetant Dieu (ce qui est son droit, à condition, comme Nietzsche, d'en tirer les conséquences les plus extrêmes) et, pour le moins comiquement, en adoptant une position christique. Nous nous trouvons à la page 75 de notre ouvrage où, enfin, Meyronnis paraît être tout à coup devenu lucide sur son entreprise, lui qui écrit : «Soyons un peu rigoureux». La rigueur, c'est justement ce qui manque le plus cruellement à l'auteur qui, immédiatement après avoir fait état de sa propre carence intellectuelle, paraphrasé Heidegger jusqu'au pastiche, affirme que nul ne peut être témoin de l'événement (le nihilisme, je vous le rappelle) dont il s'agit de scruter le vortex : «Qui pourrait affirmer de soi : je suis l'Envoyé de la parole ?».
Cher François Meyronnis, j'en connais au moins deux qui peuvent prétendent à cet honneur : d'abord vous-même, comme vous l'avez assez peu discrètement écrit dans votre introduction, ensuite le Christ même si, ne vous en déplaise, le terme «Envoyé» est dans son cas ridicule puisque le Christ EST la parole et qu'il a triomphé de la Chose, du Consortium, du maléfique, du démoniaque, du néfaste, du Sombre, de votre pathétique absence d'écriture, de votre pensée aussi creuse que l'est un livre de Philippe Sollers, appelez comme vous voudrez ce nihilisme que vous prétendez dénoncer alors que vous en êtes l'un des plus bouffons émissaires, qu'Il en a donc triomphé non pas en écrivant des livres sots, non point même en écrivant quelque unique phrase (puisqu'il l'a effacée) mais en hurlant de douleur sur une croix. Il est vrai que vous semblez quelque peu avoir oublié vos trop lointaines leçons de catéchisme puisque, lorsque l'on vous demande ce qu'est la parole, vous nous répondez, l'index levé, qu'elle est, tout en soulignant l'ânerie «l'œil de l'événement» (p. 75), ce voir étant d'ailleurs une «écoute intense» (p. 71). Pauvre Claudel qui a dû se retourner dans sa tombe... Mais il est vrai, suis-je bête, que vous semblez perpétuellement redécouvrir ce que mille écrivains et penseurs ont découvert avant vous, découvertes, notez-le, qui se paraient d'un style que vous n'avez même pas pour tenter de masquer votre sottise par quelque buée d'écriture.

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François Meyronnis est le Christ. Il ne le dit pas mais, malin, éparpille les indices dans ses pages, sans prendre beaucoup de précautions. Un Christ déjanté, non métaphysique, non religieux, non chrétien, un Christ non charnel («Rien d'organique, cette vue-là», p. 75), un Christ non christique puisque sa parole est non-parole, un Christ, pour le dire en un mot qu'affectionne tout particulièrement notre piètre penseur, qui a tourné.
Reste que l'on a beau se vouloir le dernier donc le premier écrivain, le seul capable de plonger dans le puits sans fond du Consortium, que l'on a beau, de toutes ses petites forces et en martelant la surface du grand Nulle Part, proclamer qu'il faut déraciner, au dernier recès de sa chair non-organique, toute trace d'odieux au-delà ou d'arrière-monde, reste donc que François Meyronnis ne peut s'empêcher d'adopter la posture christique qui convient à cet Envoyé de la dernière parole. Le dernier sera le premier, c'est là tout l'évangile de Meyronnis. Ainsi est-il, lui qui pourtant n'est apparemment pas composé de chair, un «fils de la spirale. Un élu du tourbillon» (p. 71) à ce point devenu rien qu'il s'est identifié à la Chose, qu'il «est [lui]-même la catastrophe».
Comme on comprend alors, avançant poussivement dans sa démonstration, le cri de Meyronnis, lâchant, avant de s'envoler sans doute en décrivant quelque torticoïdal mouvement ascendant, «Témoigner de l'événement, ça déracine» (p. 70), déracinement ridicule de feuille morte tombée d'un arbre nain que je mettrai en opposition avec celui, d'une tout autre portée, que préconisait Simone Weil dans La pesanteur et la grâce ([1947], Préface de Gustave Thibon, Presses Pocket, coll. Agora, 1999, p. 50) : «Il faut se déraciner. Couper l'arbre et en faire une croix, et ensuite la porter tous les jours.»

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Amateur de synesthésies, François Meyronnis, tout en continuant de se définir, à mots voilés, comme l'élu chargé d'enquêter sur la Chose redoutable, de gigantesque regard hugolien fouillant le cadavre de Heidegger dans sa tombe, devient écoute claudélienne, puis, apparemment ultime métamorphose de notre protozoaire, membrane : «Si quelqu'un évolue de manière libre à travers le pire, mais sans être figé par lui, cette liberté-là assure un pont vers l'indemne. Avec les yeux octroyés par elle, le ravage change tout à fait de nature. Ne deviendrait-il pas un seuil pour l'événement ?» (p. 80). Voici ce que devient, caricaturé par un penseur sollersien, la prose de Martin Heidegger : quelques jolis mots poétiques mis bout à bout dans une frise digne d'illustrer le cahier fleuri d'une adolescente ayant troqué sa mutine sottise contre une minaudière prétention à la pensée.

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À force de lire François Meyronnis, ma tête a douloureusement commencé de tourner, au mépris d'une sereine progression de notre lecture, puisque je n'ai pas relevé toutes les occurrences de la figure de la spirale tournant sur elle-même. Où en étais-je donc resté ? Peu importe : l'avantage considérable du livre de Meyronnis est qu'on peut commencer de le lire par n'importe quel bout, puisque l'auteur n'avance jamais. Ainsi, par la fin de cette première partie (page 83), où l'événement est déclaré unique et solitaire, «sa spirale ignor[ant] le manque et le bord. Et cependant il ne donne à percevoir que vide et obscurité, étant ce désajustement initial où l'abîme tourne sur lui-même»...
Je vous assure que je n'ai pas modifié une seule virgule du texte de Meyronnis. Tout comme je n'ai pas inventé cette extraordinairement laide métaphore (p. 60) où, selon l'auteur, «les brumes de la haine fouett[ent] le macadam»... Toute honte bue, un auteur a donc pu écrire de semblables phrases. Toute honte bue, un ou plusieurs correcteurs dûment diligentés par Gallimard, hélas sans doute piqués par l'une de ces «vrille[s] mortifère[s]» (p. 80) qui protègent le texte de notre cacographe, ont donc pu laisser paraître telles quelles des phrases et des images qui, de quelque façon qu'on les tourne, ne signifient absolument rien et ne sont pas même vaguement poétiques. Et encore, nous ne nous en lassons pas, à propos de l'événement, voici ce qu'écrit l'auteur : il est un «tourbillon en hélice», le ravage étant donc, fort logiquement, «sa courbure catastrophique» (p. 79). Et puis, comme cela faisait un peu trop de temps (disons : vingt lignes) que Meyronnis ne nous avait pas infligé son unique et lassante et ridicule trouvaille stylistique, voici un aimable «Elle se retourne contre elle-même, la tarasque !» (p. 78) puisque, dans cette «agitation convulsive, tout remue, ballotte. Tout s'affaire, tournicote et vibrionne», puisque l'observateur au-dessus du gouffre, de la Chose, ne peut que sauter dans le vide, puisque pas «moyen, avec sa topologie torsadée, de faire saillie au-dessus d'elle» (p. 69).

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Ainsi avons-nous, habiles marins, déjoué les pièges d'un tourbillon de fond de baignoire et, commençant par son début puis évoquant sa fin, nous sommes-nous retrouvés au beau milieu de cette première partie de l'ouvrage sans queue ni tête de François Meyronnis. Encore une fois : nous avons illustré par l'exemple la folie de ce texte.
Si je m'étais contenté de renvoyer mon lecteur au texte illisible de Meyronnis, je crois que j'aurais tout de même déroulé l'élastique spirale de la pensée meyronicoïdale en l'étalant de l'actantielle façon suivante :

Émetteur : François Meyronnis-le-dernier-premier-écrivain-s'étant-libéré-du-Consortium/le Christ (tout de même bien étrange tel que l'imagine notre penseur).
Destinataires : nous tous, pauvres lecteurs, et plus particulièrement Yannick Haenel, Philippe Sollers et les journalistes du Nouvel Observateur.
Objet : le Grand Rien, la Chose, le Consortium, la gyre spiralante s'auto-retournant en son vortex tourneboulant, le Diable, le maléfique, le Sombre, le Fourchu, le Boiteux, le Couillu, etc.
Les héros de notre Quête : ceux, pardon, celui qui sait écrire dans le nihilisme pour en inverser la Spire involutive, id est : François Meyronnis.
Les (sales) opposants : Jonathan Littell, Michel Houellebecq, tous les crétins qui aiment leurs romans et absolument tous les autres écrivains sauf Yannick Haenel (dont le rôle est trouble : classons-le dans la catégorie des opposants/adjuvants) et surtout, surtout, Philippe Sollers.
Les (gentils) adjuvants : Yannick Haenel (dont le rôle est trouble : classons-le dans la catégorie des adjuvants/opposants) mais surtout, surtout Philippe Sollers et deux ou trois penseurs qui ont eu le culot de penser avant moi, François Meyronnis, c'est-à-dire Nietzsche et Heidegger, ces derniers n'ayant pas osé se jeter dans le nihilisme pour y boire la tasse de jouvence.

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Autre façon d'y voir clair : la mise à plat, ce qui donne : 1) l'événement du nihilisme, la Chose (pp. 59-66) : l'événement est le nihilisme (60) – l'événement est la fermeture (62) – l'événement échappe au temps (63) – l'événement ≠ états de faits (60 et 65) – l'abîme de l'événement ≠ position métaphysique (66) – exemple du conte de Poe, Une descente dans le Maelström (66-69) – il ne peut y avoir de témoin de l'événement (70-71) – la parole est l'œil de l'événement (74-75) – l'événement est tourbillon (79) – le ravage, défini comme courbure catastrophique de l'événement (79-80) – l'événement ne doit pas être pensé à partir du ravage (comme le font Houellebecq et tous les mauvais écrivains) puisque c'est au contraire le ravage qui doit être pensé à partir de l'événement (comme le fait François Meyronnis) (80) – le sauf consiste à se jeter dans l'événement (85) – par manque d'égard pour l'événement, nous sommes lentement mais sûrement conduits au matricide absolu (86).

Note
Maurice de Gandillac Une prétendue inadvertance de Lucifer, in Le diable (colloque de Cerisy), Dervy, coll. Cahiers de l’hermétisme, 1998, p. 131.