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24/04/2008
L'Opprobre de Richard Millet
Crédits photographiques : Charlie Riedel (Assoctiated Press).
Nul ne pourra me reprocher d'être complaisant à l'égard des derniers essais de Richard Millet.
Qu'on en juge : sur Harcèlement littéraire.
Sur Désenchantement de la littérature.
Le fait pourtant de prendre au sérieux les thèses exposées par Millet, de considérer sa position comme exaltation saine d'une colère dont je partage bien des points, suppose de se débarrasser, d'un revers de petit doigt pas même bagué comme l'est celui du Doge Sollers, de la critique indigente que Pierre Assouline a consacrée à L'Opprobre.
Je ne reviens pas sur les nombreuses tares qui tavèlent les textes de notre journaliste préféré (en ce sens qu'il cumule tous les défauts ou presque de cette noble profession), tares qui transforment ces articles en fruits blets que colonisent les mouches dorées (à miel paraît-il) et vertes : approximations de toutes formes et couleurs, fautes innombrables de frappe voire d'orthographe, fautes de grammaire, barbarismes, style absent donc supérieurement journalistique, critiques qui survolent la surface des livres, y déposant moins de matière qu'un éphémère posé sur une bulle de savon, volonté d'imposer une norme en matière de goût littéraire, bien que l'intéressé s'en défende, la publicité et l'exposition que Le Monde.fr lui offre en faisant un blog commenté plus qu'il n'est véritablement lu.
Je l'ai écrit et le répète, les textes de Pierre Assouline n'ont qu'une seule vertu ou presque : ils nous renseignent sur les petits secrets d'alcôves où certains écrivains et beaucoup de journalistes tentent d'apaiser le prurit qui les fait bavarder. Je suis dur tout de même, puisque, à la réflexion, les quatrièmes de couverture soupliniennes nous montrent exactement le contraire de ce qu'est une critique littéraire sérieuse, sans parler d'une critique littéraire qui serait réellement inspirée.
Finalement, les textes les plus intéressants du blog de Pierre Assouline sont encore ceux que sa faune coprophage exsude d'abondance, la myriade de pucerons plus ou moins anonymes qui sucent les paroles du maître (dont ils moquent du reste l'autorité et les défauts plus hauts soulignés), nabots zélés engouffrant les miettes d'un Gargantua de salle de rédaction, les expulsant sous forme de petits berlingots malodorants, tristes signatures des wannabee anonymes qui prolifèrent sur la Toile, dont la Toile est le Royaume, Royaume qui n'est sans doute pas complètement de ce monde...
Et puis, comment ne pas rire aux éclats en constatant que Pierre Assouline reproche à Richard Millet son racisme ! Pierre Assouline, le même, l'unique qui n'a pas craint, dans l'une de ses notes les plus stupides, de faire se réconcilier tel immense poète juif mort avec tel surestimé poète palestinien vivant, au prix, bien évidemment, d'un gommage drastique de toutes les belles différences (comme disent les moutons de l'antiracisme) pouvant séparer deux hommes, deux poètes, deux écrivains, un Juif et un Palestinien.
Le voici bel et bien, le racisme moderne, plus discret que celui d'un imbécile confrère de Pierre Assouline, Pierre Marcelle : la suppression des différences au noms d'une supra-territorialité fantasmatique qui aurait pour nom universaliste Littérature.
Comment ne pas rire encore, cette fois aux éclats, en lisant que Pierre Assouline reproche à Richard Millet son autoritarisme et sa volonté délirante de juger la production littéraire contemporaine, Assouline qui, récemment, s'effrayait comme une pucelle prise en flagrant délit de regard appuyé jeté sur les masculines formes d'un bûcheron au travail (ça y est, je vais enfin donner du grain à moudre aux zélateurs du freudien lapsus !), Assouline donc qui n'avait pas de mots assez forts (récupération, manipulation, suspicion, abomination, constipation, etc.) pour condamner le fait que telle exposition photographique pourtant dûment autorisée par la Mairie de Paris (qui, finalement, l'a maintenue) présentât l'Occupation de Paris par les ogres Nazis comme une insouciante virée à la campagne, les belles de France en fleur apparemment ouvertes au rude soleil tudesque ? L'orage, lui, de fer blanc et non d'acier, agita deux ou trois dolentes tiges qui lâchèrent quelques flocons d'une matière grise, comparable à des spores : des commentaires, précieuse manne dont s'alimente exclusivement notre journaliste émérite...
Pierre Assouline, ô combien grand spécialiste de cette honteuse, basse, pitoyable, remarquable, passionnante, géniale époque de notre beau pays qui baissa son pantalon plutôt deux fois qu'une a sans doute oublié que les Résistants aux Nazis ne furent, historiquement, qu'une poignée, certes énergique et déterminée, alors que le gros des troupes, si je puis dire, ou plutôt, le gras du troupeau puisque la troupe, elle, débandait et s'égayait dans la nature, hommes, femmes, chiens et chats, faisait les yeux doux aux Allemands qui, ma foi, n'ont pas rasé Paris que je sache, et ont en tous les cas détruit moins de bâtiments que ne le firent nos lumineux, nos illuminés, nos enluminés Révolutionnaires...
Ayant donc terminé de lire ce nouvel essai de Richard Millet, L'Opprobre, d'un peu plus de tenue que ceux que j'ai commentés il me semble, je ne puis cependant que réaffirmer cette évidence : je ne reproche absolument pas à Millet ses conceptions évoquant une littérature française moribonde sinon morte, des écrivains incapables de se hausser à une verticalité que même le plus minuscule macaque est parvenu à conquérir, l'inqualifiable nullité des journalistes faisant profession de critique littéraire, les dangers évidents d'une islamisation de l'Europe déchristianisée devenue putain que baisent tous les eunuques du multiculturalisme festoyant, la pauvreté, puis l'assèchement inéluctable d'une langue française que ne gonfle plus le sang d'une mythologie nationale, voire réellement supra-nationale, donc chrétienne, etc.
Non.
Ce que je reproche à Richard Millet, c'est de ne point se hisser à la hauteur formidable que ses vues lui commandent : pour exécrer une époque, pour prétendre en constituer une véritable démonologie (point que Pierre Assouline, chaussé pourtant de ses grosses lunettes, n'a pas même relevé) il faut avoir le génie d'un Baudelaire, d'un Barbey, d'un Bloy, d'un Nietzsche, d'un Dostoïevski, d'un Kraus, d'un Bernanos, d'un Orwell même, seuls capables de réellement traverser les apparences du mauvais rêve. Il faut également avoir leur style, leur souffle, alors que Richard Millet, croyant peut-être sauver sa langue en lui adjoignant le tuteur de l'aphorisme, ne fait que la diluer.
En lieu et place de ces grands noms, nous n'avons que Richard Millet, qui certes fait les délices convenues de nos petits soldats droituriers des Épées qui n'eurent pas même honte, récemment, d'inviter à une de leurs conférences le Tartuffe suprême qu'est Philippe Sollers. Il est vrai que, écoutant religieusement le Doge débiter ses sempiternels chapelets de sottises, quelques moustaches de pucelles ont dû sentir un friselis fort agréable les parcourir.
Finalement, ne trouvant rien de bien nouveau à répéter sur les derniers essais de Millet (et sur le pitre François Meyronnis), je ne puis que recopier ci-dessous un extrait de mon Maudit soit Andreas Werckmeister ! (pp. 98-101), où l'on peut lire :
«Je tiens quoi qu’il en soit pour peu de chose deux tentatives apparemment différentes et toutes deux impuissantes qui prétendent cependant faire ressusciter la littérature morte, faire de la prostituée une sainte. L’une n’est qu’un petit jeu existentiel sans conséquences, de peu de poids et d’aucune tenue, Richard Millet nous assurant qu’il est le dernier écrivain et, comme lui-même ne paraît pas certain de ce fait qu’il proclame pourtant en soufflant dans un buccin d’apocalypse, il n’a trouvé rien de mieux à faire que de publier plusieurs livres qui procrastinent utilement l’adieu larmoyant à l’Europe aux vieux parapets. La tentative de François Meyronnis est, elle, absurde et parfaitement ridicule puisqu’il prétend être le premier écrivain qui écrit depuis le royaume sans bornes du néant, d’où croît ce qui sauve, comme il l’a appris par sa lecture superficielle de Heidegger commentant Hölderlin. Millet est tout de même un écrivain, comme nous le montrent ses essais plus lyriques que véritablement cliniques. Meyronnis lui n’est qu’un imposteur bénéficiant des faveurs du doge de la bêtise, Philippe Sollers, un pitre se prenant au sérieux, parfaitement incapable de nous tromper plus de deux lignes sur la nullité absolue de son style et de sa pensée. Premier écrivain selon ses dires, il est de toute évidence le dernier, incarnant de façon étonnante l’ultime stade de la corruption de notre littérature, sa dernière transformation grotesque et d’une prétention sans bornes en texte déclamé par Guignol. Le rideau va tomber, voyez donc comme le public a apprécié le spectacle, en un seul acte de décès ! Millet et Meyronnis ne sont que les plus connus de ces tartuffes qui, à l’exemple de Tzvetan Todorov, commencent à plisser leurs narines, pourtant habituées aux mauvaises odeurs dégagées par leurs propres livres: Dieu, qu’elle pue, cette maîtresse naguère adorée à présent devenue charogne ! Seriez-vous à la fin assez stupides pour penser que Todorov a rêvé de revêtir la défroque miteuse d’un Thibaud de la Jacquière ? Allons allons, nos petits professeurs n’ont guère de goût pour les venelles sombres où surgissent les mauvaises rencontres…
Deux égarés dûment harnachés de boussoles à écran plasma, cela n’est tout de même pas banal. L’un semble être la victime d’un effet d’optique bien connu des guides arpentant le désert profond : en posant au dernier écrivain, Richard Millet, promeneur solitaire et assoiffé d’absolu qui s’est égaré dans un désert de la taille d’un cendrier de café parisien, a cru apercevoir au loin une nouvelle Jérusalem où la langue, enfin, nous serait redonnée enchâssée dans l’or massif, lumineuse et précieuse dans sa sainte, sa pleine présence. On lui aura servi un soda pour étancher sa soif et le drôle aura sans plus de cérémonies reporté l’addition sur une ardoise effacée par le patron de la rue Sébastien-Bottin. Ce n’était donc hélas qu’un mirage, cette image impossible à rejoindre alors qu’elle rissole sur le feu de l’horizon ? Millet, dernier écrivain, ne parvient pas à ne plus écrire et chaque nouvel essai pour affirmer son départ est condamné par avance à s’empêtrer dans la Sargasse d’une prétentieuse infirmité. Comme le personnage de Louis-René des Forêts, c’est un bavard incurable. Marchant sans relâche tout en marmonnant des mots qu’il est condamné, comme le marin de Coleridge, à devoir faire glisser dans des oreilles de moins en moins désireuses d’écouter sa morne complainte, on commence à voir, rôdant autour de lui, les vilaines ombres de petits démons griffus et impudiques qui attaquent, à l’heure brûlante de midi immobilisant sous le soleil la nuque raide, les égarés. Rimbaud, parti sans trompettes ni tambours, s’enfonçant dans le désert, se tait, même s’il continue d’écrire des lettres qui ne pipent mot sur ses anciennes folies, ses rinçures : l’adieu aux lettres est réel, les démons se sont tus d’un seul coup, sans doute parce que l’écrivain était l’un d’entre eux. Millet veut s’enfoncer dans le désert mais il ne s’y enfonce jamais, l’humidité des larmes qu’il verse sur sa propre hébétude l’ayant presque noyé.»