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28/07/2010
Portrait d'Éric d'Éric Werner
Crédits photographiques : Slim Allagui (AFP, Getty Images).
À propos de Portrait d'Éric d'Éric Werner (Éditions Xenia, 2010).
LRSP (livre reçu en service de presse).
Curieux livre d'un curieux auteur que ce Portrait d'Éric, petite autobiographie devant son titre à un beau portrait que le peintre Joseph Czapski (le même qui écrivit le très beau livre intitulé Proust contre la déchéance) réalisa en 1971 de l'auteur. Werner, qui n'aima pas ce portrait de lui, jugé bien trop froid, le commente longuement puis nous donne les raisons de son récent attachement à ce tableau : enfin, il est parvenu à comprendre que ce miroir n'était pas seulement celui qui lui permettait de contempler certains détails symboliques de sa personne mais surtout celui qui lui avait permis de réaliser un bon dans le temps : Czapski n'a pas peint l'auteur tel qu'il l'a vu mais en fait tel que ce dernier lui-même se comprendrait dans le futur, à savoir comme un homme froid, un homme où les facultés intellectuelles paraissent étouffer les autres.
De fait, je crois n'avoir pas lu dans ce livre qui ressemble à une séance d'autopsie, sous la plume de Werner, une seule ligne que nous pourrions rattacher à une minuscule effusion, voire la preuve, pourtant maigre, d'une quelconque sentimentalité, du plus petit attendrissement pour l'une de ses compagnes (Murielle Gagnebin, dont Werner s'est séparé, auteur d'un ouvrage sur Czapski publié en 1974) ou son père, qu'Éric Werner évoque avec une froideur toute protestante.
Dans sa préface, Slobodan Despot, patron des éditions Xenia qui publièrent en 2006 La Maison de servitude, un étrange essai, se déclare heureux d'avoir pu éditer un texte tel que celui que nous tenons sous les yeux. Il aurait dû, afin d'accroître quelque peu ce légitime sentiment de fierté, relire plus attentivement le texte de Werner, déparé par d'horribles quelque part (Et donc, quelque part, je jouais la comédie, p. 69) ou encore par la tournure fort laide et trop souvent employée consistant à commencer une phrase par mais (voir l'avant-propos, truffé de ces occurrences).
Détails sans doute. Reste que la trajectoire intellectuelle et spirituelle de l'auteur, pourtant intéressante, ne m'est point vivifiée par une écriture qui en aurait épousé les failles, les drames, les interrogations et les joies. Il me semble que l'écriture de Werner est celle d'un clinicien qui, froidement, s'interdisant toute forme d'émotion, se contenterait de minutieusement dérouler l'écorché des grandes lignes de sa biographie, depuis le mois d'octobre 1940 qui vit sa naissance à Genève jusqu'en juin 2009 où il s'est installé à La Tour-de-Peilz, en passant par son divorce en 1975, son rôle dans l'affaire Paschoud en 1986 ou bien la mort de son père en 2005.
Lorsqu'il délaisse le terrain purement biographique, Éric Werner évoque Jean-Jacques Rousseau et sa Nouvelle Héloïse, contredisant la thèse ridiculement psychanalytique de son ancienne compagne sur la mort de Julie d'Étange. Bien. Et alors, cher Monsieur ? Pourquoi avoir évoqué le roman de Rousseau, hormis pour nous rappeler que vous vous êtes installé dans la région même, magnifique, où l'écrivain français a fait évoluer ses personnages ? Hormis encore pour nous rappeler que vous avez précédemment évoqué ce même roman dans la partie de votre ouvrage consacrée à l'analyse du fameux tableau de Czapski puisque le titre qui lui fut donné, Le jeune philosophe, par votre ex-femme Murielle Gagnebin, est directement tiré de l'œuvre de Rousseau ? Ne s'agit-il donc, dans le texte de Werner, que de poursuivre un dialogue avec une personne dont, selon son propre aveu, il ne sait plus rien ?
Serait-ce finalement cela, la trame secrète de ce livre, son motif dans le tapis ?
«En tant qu’expression de la parole, écrivait Éric Werner dans sa Maison de servitude (également édité par Xenia en 2006, p. 59), la démocratie moderne n’est pas un état de choses stable mais au contraire en devenir constant, à l’image même de la vie à laquelle s’identifie la parole.» Bien évidemment, il serait grotesque d'affirmer que la vie d'Éric Werner est figée. Son livre même réfute cette vue, puisqu'il s'attache à montrer une partie du cheminement de pensée de son auteur.
Pourtant, aucune chaleur ne paraît brûler les pages de ce livre sec, à tout le moins les réchauffer quelque peu. Cet ouvrage est parvenu semble-t-il à quelque délétère stabilité, depuis laquelle il ne nous offre aucune trouée. Ce livre ne s'élance pas vers d'autres livres, ne nous donne l'envie d'en lire aucun (et surtout pas ceux de Rousseau), comme tout bon ouvrage le fait.
Le peintre Czapski ne s'était apparemment pas trompé en représentant Éric Werner comme un intellectuel au front hypertrophié, dans un tableau aux tonalités elles-mêmes froides.