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13/05/2011
Ainsi parlait Zoroastre, par Francis Moury
Crédits photographiques : Raul Arboleda (AFP/Getty Images).
À propos de Joseph Bidez et Franz Cumont, Les Mages hellénisés - Zoroastre, Ostanès et Hystaspe d'après la tradition grecque, un fort volume in-8° relié, illustré H.T., de 297+412 pages (710 pages environ) avec notes, addenda, deux tables des matières, trois index des sources bibliographiques, des noms propres, des mots grecs et latins, Éditions Les Belles lettres, collection Études anciennes / série grecque : volume n°134, 1938, nouveau tirage 2007.
«[...] Quel sens faut-il donc attacher à l'idéal ascétique chez un philosophe ? Voici ma réponse – on l'aura d'ailleurs devinée depuis longtemps : à son aspect le philosophe sourit, comme à un optimum des conditions nécessaires à la spiritualisation la plus haute et la plus hardie, – par là il ne nie pas «l'existence», il affirme au contraire son existence à lui, et seulement son existence, au point qu'il n'est peut-être pas éloigné de ce voeu criminel : pereat Mundus, fiat philosophia, fiat philosophus fiam !...».
Friedrich Nietzsche, La Généalogie de la morale, troisième dissertation, § 7, traduit de l'allemand (première édition : 1887) par Henri Albert (Éditions Gallimard-NRF, retirage in collection Idées, section Philosophie, 1966), p. 160.
«[...] le papier est ancien et décoloré, tombant en morceaux, l'écriture passée, presque indéchiffrable, mais significative, familière dans sa forme et son sens, dans le nom et la présence des forces instables et subtiles : on les mélange dans les proportions requises, mais rien ne se produit; on relit la formule, lentement, attentivement, intensément, pour s'assurer qu'on n'a rien oublié, qu'on ne s'est pas trompé dans ses calculs : on mélange de nouveau, et, de nouveau, rien ne se produit : rien que les mots, les symboles, les formes elles-mêmes, vagues, inscrutables et sereines, sur cette toile de fond déclamatoire d'une atroce et sanglante mésaventure humaine».
William Faulkner, Absalon ! Absalon ! (avec chronologie, généalogie, plan dessiné et annoté par Faulkner, traduit de l'américain par R.-N. Raimbault et Ch. P. Vorce, Éditions Gallimard-NRF, collection Du monde entier, 1953), p. 88.
Ainsi, du moins, le faisait-on parler, et ainsi ne parlait pas toujours le Zarathoustra de Nietzsche mais il faut pourtant bien, après lecture de ce monument de la philologie que sont Les Mages hellénisés, admirer l'ampleur et la profondeur des connaissances philologiques de Nietzsche qui furent bien à l'origine du choix qu'il fit de ce fondateur mythique d'une religion afin d'exprimer sa propre pensée sous formes d'aphorismes poétiques, des aphorismes qu'il fallait interpréter, comme il fallait interpréter les oracles chaldaïques. Ce furent, comme on le sait, les Grecs qui interprétèrent ces mystérieuses énigmes, les Grecs avides de religions inconnues ! Ces Grecs, de Pythagore et des présocratiques jusqu'aux commentateurs alexandrins néo-platoniciens ou aristotéliciens qui collationnaient et annotaient les manuscrits de la bibliothèque d'Alexandrie, influencés par Zoroastre (ou ses autres noms dont les variantes sont d'abord iraniennes, puis babyloniennes, syriennes, judaïques, grecques et latines) que Nietzsche avait si admirablement étudiés, et sur lesquels il avait si admirablement médité, d'abord dans sa Naissance de la tragédie, ensuite dans ce qui demeure un de ses livres majeurs (et pourtant pratiquement jamais étudié à l'université d'une manière réellement suivie ni sérieuse) : nous voulons bien sûr parler de La Naissance de la philosophie antique à l'époque de la tragédie grecque. Ces Grecs qui discutaient de l'origine iranienne du mythe d'Er le Pamphylien à la fin de la République de Platon, et qui discutaient aussi de problèmes zoroastriques (tantôt les rattachant tant bien que mal à leur source, tantôt se les appropriant en les attribuant, légendairement, à une autre source grecque) métaphysiques : le Temps avait-il précédé le couple primordial de la Lumière et des Ténèbres, assimilés ou distingués du couple Bien et Mal, Dieu positif et Dieu négatif ? Quelle était la durée du cycle, en millénaires formant des sous-cycles à part entière, à partir de la création du Monde jusqu'à son terme apocalyptique ? Quelles relation le monde sublunaire entretenait-il avec les sept planètes qui l'entourent ? Les Dieux pratiquaient-ils l'inceste, reproduits dans certaines dynasties proche-orientales ? Celui qui voulait être sauvé devait-il consommer de la viande ? Plus tard, après qu'une sorte de «diaspora magique» iranienne ait fait concurrence en discussions sophistiquées à la diaspora judaïque dans le monde méditerranéen et oriental, Zoroastre fut commenté par les Pères de l'Église, puis les théologiens médiévaux. On se souvient que saint Augustin avait été manichéen (source gnostique voisine du zoroastrisme en dépit du fait qu'il ne faille pas confondre les deux courants) avant de se convertir au catholicisme et qu'il écrivit sur le manichéisme. Les relations tissées par la mémoire individuelle et collective, par l'érudition, les mythes, les légendes, la littérature et l'histoire aboutirent à un corpus (800 manuscrits environ dans la Bibliothèque d'Alexandrie) et à des commentaires considérables de ce corpus. Avec cette conséquence ahurissante, lorsqu'on y réfléchit, que ce sont nos Grecs qui nous ont transmis, en raison des heurs et malheurs linguistiques de l'antiquité orientale, la majorité de nos sources sur le courant original comme sur les courants dérivés. Zoroastre : contempla-t-il un feu sacré surnaturel au sommet d'une montagne ou fut-il au contraire brûlé par ce feu ? Fut-il ennemi de la magie ou au contraire le premier des magiciens et des alchimistes ? Fondateur d'une religion révélée ou sage antique ? La plupart des grandes questions dérivent de ce grand passage, de cette transmission par la Grèce, dépositaire puis subtile modificatrice de ces mythes et rites orientaux. Un Orient où on ne devait ni enterrer ni brûler les morts mais les laisser être dévorés par les oiseaux, en arrière-plan du temple grec classique, aux colonnes doriques, ioniennes, corinthiennes.
En 1938, au carrefour de l'histoire des religions, de l'histoire de la philosophie, et de l'histoire littéraire, les deux grands philologues, épigraphes, archéologues belges francophones Joseph Bidez (1867-1945) et Franz Cumont (1868-1947) (1) publièrent Les Mages hellénisés, résultat d'une alliance à laquelle leurs travaux respectifs les prédisposaient : Bidez qui enseigna assez longtemps à l'université de Gand avant que la néerlandisation ne le contraignit à interrompre son enseignement francophone (oui à Gand, la ville natale de Jean Ray... aussi fréquentée par Bidez et Cumont !) était un spécialiste de l'Empereur Julien mais aussi l'auteur de recherches sur la biographie d'Empédocle et sur la Vie de Porphyre, le philosophe néo-platonicien. Cumont de son côté avait suivi très jeune en Allemagne les cours de certains des plus grands savants allemands (Usener, Th. Mommsen, Wilamovitz-Moellendorff, Erwin Rohde) et avait publié, après des Textes et documents figurés relatifs aux mystères de Mithra, son classique Les Religions orientales dans le paganisme romain (c'est la quatrième édition de 1929 parue chez Geuthner qui est systématiquement citée dans Les Mages hellénisés) avant de se spécialiser dans les problèmes de la mort et de la survie de l'âme dans l'antiquité : Lux perpetua, édité posthume en 1949 est toujours l'un des livres majeurs à consulter concernant le milieu païen dans lequel évoluaient les premiers disciples du Christ (2).
Religion antique, alchimie, magie, apocalypses proches-orientales pré ou para-bibliques, philosophies présocratiques, platoniciennes, aristotéliciennes et néo-platoniciennes sont les fils entrecroisés tissant, à travers des témoignages iraniens, babyloniens, syriens, judaïques, grecs, romains, médiévaux, les étranges phénomènes que constituèrent, en Iran d'abord puis dans les pays voisins, ensuite en Grèce, les figures apocryphes de ces mages, aux origines de la magie noire comme de la magie blanche, mais aussi aux origines de certains éléments philosophiques pythagoriciens, et aux origines enfin du dualisme manichéen (peut-être le courant religieux le plus persécuté dans l'histoire des religions, en dépit de son immense influence) comme mazdéen, de cet univers religieux du dualisme qu'Henri-Charles Puech et Simone Pétrement (3) devaient, dix ans plus tard, à nouveau illustrer et enrichir de leurs propres recherches.
Une ultime remarque matérielle : ce nouveau tirage des Mages hellénisés comporte deux tables des matières distinctes, une située pp. 292-297 concernant les études, une seconde située pp. 411-412 concernant les textes. Cette difficulté de présentation (qui n'est pas éclaircie par un avertissement de l'éditeur et dont on s'est rendu compte assez tardivement durant notre lecture : à l'origine, le livre était paru en deux tomes, cf. note de l'index général en haut de la p.253 de la première partie) nous fournit l'occasion de proposer, infra, un outil original permettant un accès plus aisé à ce livre. Il s'agit d'une table générale des matières rédigée par nos soins et réunissant les deux tables séparées, donnant au lecteur une représentation détaillée de la richesse du livre.
Contribution à une table générale des matières de Les Mages hellénisés regroupant les deux tables du volume : la table intermédiaire située pp. 292-297 et la table finale située pp. 411-412. Les numéros entre parenthèses renvoient aux premières pages de chaque chapitre.
1) Première partie : études, addenda, 1 index, 1 table
Introduction.
Étude sur Zoroastre.
I) Vie de Zoroastre (5); II) Doctrines de Zoroastre (56), III) Oeuvres de Zoroastre : témoignages anciens (85), les livres sacrés (89), écrits philosophiques (102), les quatre livres sur la nature (107), le lapidaire (128), livres d'astrologie (131), livres de magie (143), l'alchimie (151), apocryphes gnostiques (153), oracles attribués à Zoroastre par Gémiste Pléthon (158)
Étude sur Ostanès
I) Vie d'Ostanès (167), II) Œuvres d'Ostanès : théologie, angélologie, démonologie (175), la nécromancie (180), les vertus des herbes et des pierres (188), l'alchimie (198), appendice : lettres d'Ostanès à Pétasius, de Démocrite à Leucippe, textes syriaques et arabes (208).
Étude sur Hystaspe
I) Vie d'Hystaspe (215), II) Œuvres d'Hystaspe : l'apocalypse (217), le livre de la sagesse (222), écrits astrologiques (223)
Addenda et index général de la première partie (253-292)
Table de la première partie (293-297)
2) Seconde partie : textes, 3 index, 1 table
La pagination repart de zéro !
Textes sur Zoroastre
Témoignages biographiques (7), doctrines et appendice : textes syriaques, livres sacrés (63), les quatre livres sur la nature (158), extraits des Geoponica (173), le lapidaire (197), Astéroscopiques et apotélesmatiques (207), appendices (233), écrits magiques (242), apocryphes gnostiques (249), Zoroastre, prétendu auteur des Oracles chaldaïques (251)
Textes sur Ostanès
Témoignages biographiques (267), fragments religieux et magiques (271), Alchimie (309)
Textes sur Hystaspe
Témoignages biographiques (359), Fragments de l'Apocalypse (361), le livre de la sagesse (376), écrits astrologiques (376).
Index de la seconde partie
I) index des sources bibliographiques (379), II) des noms propres (385), III) des mots grecs et latins (397). Ces trois index concernent uniquement la seconde partie, à laquelle ils se rattachent en réalité directement bien que leur présentation, en fin de volume, puisse naturellement faire croire qu'ils couvrent l'ensemble du volume. Les numéros des pages renvoyant donc uniquement à la seconde partie (textes), nullement à la première (études).
Table de la seconde partie
Cette table des pp. 411-412 ne couvre que la pagination de la seconde partie et de ses trois index.
La pagination totale du livre est donc approximativement de 710 pages.
Notes
(1)«[...] L'un des plus chers amis belges et ancien collègue de Cumont à l'ancienne Université de Gand était Joseph Bidez. Ils publièrent en collaboration étroite l'admirable édition des Lettres de l'Empereur Julien dans la collection Budé en 1922 et un recueil de documents sur l'influence de Zoroastre en Grèce : Les Mages hellénisés, en 1938. Mais les occupations relatives aux conceptions antiques de la survie dans l'au-delà furent la note dominante des dernières années de Cumont. Ce fut l'objet de multiples études encore sur l'eschatologie du «mysticisme astral» et de deux volumes imposants rédigés dans l'atmosphère lourde et périlleuse de la guerre : Recherches sur le symbolisme funéraire des Romains, 1942, et Lux Perpetua, resté manuscrit et publié en œuvre posthume par les soins de la marquise de Maillé et de Louis Canet, ses amis parisiens, en 1949, mais dont le thème avait été développé en de brillantes leçons au Collège de France en 1943. On y trouve les fruits d'une longue carrière scientifique, consacrée aux angoissants problèmes de la mort et de la survie, tels que les ont considérés les philosophes, les mystiques, les artistes, les écrivains et le simple peuple de l'Antiquité, d'après les témoignages écrits ou figurés, qui en sont parvenus jusqu'à nous [...]», F. De Ruyt, Franz Valéry Marie Cumont in Biographie Nationale [belge] (1976, t. 39), pp. 211-222, recopié in Academia Belgica ici.
Nous suggérons au lecteur de lire l'intégralité de cette intéressante notice. De ces deux amis et collègues académiciens belges que furent Bidez et Cumont, c'est indéniablement Cumont qui fut le plus brillant (biographiquement comme intellectuellement) des deux.
(2) Cf. Claude Tresmontant, Saint Paul et le mystère du Christ (Éditions du Seuil, collection Maîtres spirituels, 1956), pp. 188-189, qui cite, outre Cumont, Les Religions orientales dans le paganisme romain et Lux Perpetua, les ouvrages non moins classiques de A.J. Festugière (1898-1982) et, en particulier : L'Idéal religieux des Grecs et l'Évangile (1932), Le Monde gréco-romain au temps de Notre Seigneur (1935), La Révélation d'Hermès Trismégiste (1942-1953 puis nouveau tirage en un seul fort volume de 1 700 pages aux Belles lettres en 2006 dans la même belle collection reliée que ce Bidez et Cumont) sans oublier De l'essence de la tragédie grecque (Éditions Aubier-Montaigne, 1969) que Tresmontant n'avait pas encore lu.
(3) Cf. Simone Pétrement, Le Dualisme chez Platon, les Gnostiques et les Manichéens (Éditions P.U.F. 1947) et H.-C. Puech, Le Manichéïsme, son fondateur, sa doctrine (Musée Guimet, tome LVI, 1949 repris en partie, avec quelques corrections et mises à jour, in En quête de la Gnose, tomes I & II (Éditions Gallimard-NRF, Bibliothèque des sciences humaines, 1978).