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27/11/2011

Antoni Casas Ros, une imposture pas même littéraire ?

Crédits photographiques : Alex Brandon (AP Photo).

Rappel
Le théorème d'Almodóvar.
Mort au romantisme.
Enigma.
Chroniques de la dernière révolution.

«Il trouverait un oiseau si on le lui demandait. Sa capacité d'observation, d'analyse, d'imagination est remarquable. Il lui est arrivé de retrouver des cibles qui avaient changé de continent, de visage, d'identité. Dans le métier, on l'appelle L'Aigle».
Antoni Casas Ros, Enigma (Gallimard, 2009), pp. 49-50.

«Le critique aussi est un guide, ou un agent voyer. Il souligne la route, signale les gués et les ponts, supprime les méandres, les déviations, les voluptés de l’aberrance et les volutes de la distraction».
Georges Blin, Ex-voto Sur quelques obligations de la critique, in La cribleuse de blé. La critique (José Corti, 1968), p. 81.

«Mais la presse culturelle est dans une telle autonomie de pouvoir, sans compte à rendre à qui que ce soit, que certains journalistes sont portés logiquement, sans être malhonnêtes individuellement, à faire taire tout esprit critique, tout contradicteur, à censurer par mégarde, à tourner entre eux, à perdre le contact avec le réel, donc avec la littérature, que leurs lecteurs commencent à discerner mieux qu’eux et là ça devient gênant.»
Jean-Philippe Domecq, Qui a peur de la littérature ? (Mille et une nuits, 2002), p. 86.

«En général le mal de la presse quotidienne consiste en ce qu’elle est faite tout exprès pour gonfler l’instant et, si possible, le grossir d’importance des milliers, des dizaines de milliers de fois plus qu’il n’en a déjà ! Alors que toute éducation morale consiste avant tout à sevrer les hommes de la sujétion de l’instant.
Toutefois je ne vivrai pas assez pour le voir, mais je suis bien assuré qu’on en arrivera un jour jusque-là. Comme la Chine s’est arrêtée à un point de son développement, l’Europe s’arrêtera à la presse, elle restera comme un memento rappelant que l’humanité a fait là une invention qui a fini par prendre le dessus sur elle.»
Sören Kierkegaard, Journal, t. 2 (1846-1849) (Gallimard, coll. Les Essais LXX, 1954), IX A 378, p. 358.

«Ce que la vérole a épargné sera dévasté par la presse. Avec le ramollissement cérébral de l'avenir, la cause ne pourra plus s'établir avec certitude.»
Karl Kraus, Dits et Contredits (Ivrea), 1993, p. 79.


L'histoire était trop belle pour être vraie... J'emploie à dessein l'une des images journalistiques les plus ridicules et jaunies, pourtant toujours gaillarde malgré d'innombrables décades de bon et loyal putanat puisque, dans toute imposture, surtout littéraire, la part de la presse est essentielle.
Pas d'imposture sans relais de l'imposture, et ces relais du rien ne sont autres que des journalistes et toute la cohorte d'ombres bavardes qui s'agitent dans leur sillage, vagues pigistes d'un seul article, attachées de presse aussi expertes, lorsqu'il s'agit de littérature, qu'un malade atteint de démence sénile auquel on demanderait de nous résumer la lecture d'un tome de Kierkegaard, microscopiques bestioles de la Toile qui se nourrissent des plus petites miettes de cadavres en putréfaction, au cas où, dans une de ces particules de pourriture, se cacherait l'événement pardon, le scoop qui leur assurerait une renommée d'une seule nanoseconde.
Antoni Casas Ros, qui n'est assurément pas un journaliste, ne serait néanmoins rien sans eux et sans de vagues lecteurs auxquels, sur son profil Facebook, récemment désactivé (bien qu'il y dispose toujours d'une page officielle) puis réactivé, il proposait des recettes de morue à la catalane. Il a dû bien s'amuser à les rouler dans la farine (celle dont on fait les grasses fritures de son pays) et, ma foi, je ne le lui reprocherai jamais de s'être ainsi amusé, aux dépends de ces nigauds endémiques.
La renommée journalistique d'Antoni Casas Ros, bien réelle et ayant même augmenté depuis l'époque où, timidement, il apprenait à utiliser Internet comme il le confiait chez Léo Scheer en faisant de la réclame pour son propre blog aujourd'hui supprimé, cette renommée est un fait clairement établi lorsque l'on s'avise de constituer une rapide revue de presse depuis la parution de son premier roman.
Toutefois, toute maladie, même la vérole pour reprendre l'exemple choisi par Karl Kraus, connaît des stades de rémission qui peuvent nous faire croire que le patient va guérir.
Ainsi, je pourrais me réjouir du fait que cette même renommée doive désormais être comprise selon les lois de la physique régissant l'univers : en raison des prodigieuses dimensions de celui-ci, la lumière, qui se déplace pourtant à la vitesse bénigne de 300 000 kilomètres par seconde, peut mettre des dizaines de millions d'années avant de frapper nos rétines ou une plaque photographique (du moins, son équivalent électronique).
Voir, un soir d'été, les myriades d'astres composant la Voie lactée, notre galaxie, c'est plonger sa vision dans des temps indiciblement éloignés et contempler des fantômes d'astres qui, depuis que leur lumière a été émise, n'existent peut-être même plus, se sont lentement dépouillés de leur matière ou ont explosé de façon dramatique. Si j'avais à me prononcer sur la renommée réelle des livres d'Antoni Casas Ros, je dirais que cette dernière n'existe plus de facto et que, lorsqu'elle nous a donné l'illusion de son existence, c'était uniquement pour la raison qu'un certain nombre d'imbéciles, volontairement ou pas, ont, comme on dit, joué le jeu, saluant un astre non pas puissant ni même lointain, pas même mort comme un cadavre de naine brune ou glouton comme un de ces terrifiants trous noirs mais simplement inexistant, géante gazeuse ayant échoué à allumer, dans ses propres entrailles, les mécanismes qui auraient pu la faire se transformer en jeune étoile à la lumière bleue.
La renommée d'Antoni Casas Ros n'est donc non seulement absolument plus rien, ce que même les journalistes commencent à apercevoir, mais elle n'a jamais été rien d'existant, ni même de vague et d'inconsistant. Deux évidences qui toutefois ne préjugent en rien de l'avenir de la réputation journalistique d'Antoni Casas Ros qui, au prochain livre peut-être, retrouvera les faveurs de nos journalistes qui détestent qu'on les déçoive et qui n'aiment jamais rien tant que d'être menés en bateau, la caravelle intrépide s'avérât-elle sac poubelle, on le sait fort peu recyclable, hélas. Pour rassurer nos nigauds, notre énigmatique auteur devra donc taper fort. Mais comment taper fort alors que, de son propre chef, il s'est enfermé dans la prison de la pose esthétique ? Comment étonner, une nouvelle fois, des journalistes qui ont probablement, sincèrement, voluptueusement cru à la fable inepte que leur a servie celui qui s'amuse derrière Casas Ros, sous un grand rire qu'il cachait derrière son masque de gueule cassée de la littérature pour révolutionnaire érotomane de boudoir ?
Comment faire pour monétiser à nouveau, à peu de frais, les mots pourris d'un journalisme qui ne sait plus ce qu'est la critique littéraire, au point, nous en avons des dizaines d'exemples (y compris dans les plus récentes notes publiées sur ce blog, voir, en pied de note, le mot-valise rentrée littéraire 2011), de confondre le talent et son absence, le génie et son contraire, l'honnêteté et l'imposture ?
Casas Ros nous le dira et son prochain livre, de facto, est désormais condamné, d'une façon ou d'une autre, à nous rendre des comptes, à rendre des comptes à des lecteurs qui, comme moi, se sont sentis floués par ses textes.
Dans un de ces entretiens aussi oubliables que consternants ayant pullulé dans bien des journaux et des revues (ici, il s'agit du Figaro Magazine du 19 janvier 2008), Anthony Palou ose, dans un énigmatique éclair d'intelligence rebiffée, demander à l'intéressé s'il existe vraiment, en arguant, manie typiquement journalistique, un certain nombre de bruits de couloirs et peut-être même de toilettes pour asseoir sa mirifique déduction quant à la réalité de ce qu'il appelle un fantasme du monde littéraire parisien. Bravo Palou. N'oubliez pas, si la rédaction du Figaro licenciait, de proposer vos étonnantes capacités déductives à quelque brigade de recherche de gendarmerie, ces gens-là aiment les fins limiers.
Moins prudent que Palou parce que nous ne sommes pas journaliste, nous pouvons avancer cette évidence : Antoni Casas Ros, du moins en tant qu'écrivain, c'est-à-dire, permettez-moi de le rappeler, en tant qu'individu dont le moyen d'expression est une écriture digne de ce nom, n'existe tout simplement pas.
Ainsi, Casas Ros a raison de dire qu'il n'existe pas. Mais il se trompe lorsqu'il affirme que seul l'écrivain compte, pas la personne physique qui écrit puisque, si Casas Ros n'est tout simplement pas un écrivain, nous devons bien nous rabattre sur quelque chose, que de fait il nous refuse, une personne à laquelle adresser nos doléances, nos plaintes concernant des textes qui n'en sont pas, un écrivain qui n'en est pas. Double imposture donc, l'une pouvant être rattachée à la littérature, l'autre, journalistique, voulant se faire passer pour littéraire, l'une et l'autre nous donnant le chiffre de ce qui se trame depuis quelques années quand même, une littérature journalistique, au sens le moins noble de cette expression, que quelques beaux exemples (comme celui-ci ou celui-là) ne suffisent point à racheter de l'insignifiance.
Car ce sont des journalistes qui ont crié au génie lorsque Antoni Casas Ros a publié son premier livre, Le théorème d'Almodóvar qui a reçu, en Espagne, le Prix du premier roman. Car ce sont encore des journalistes, en tout cas de fort piètres critiques littéraires comme un certain Hugo Pradelle pour La Quinzaine littéraire qui n'ont pas hésité à évoquer son dernier roman, les nullissimes Chroniques de la dernière révolution que j'avais ici qualifiées d'imposture, dans les termes les plus ridiculement dithyrambiques. Nous pourrions multiplier ces exemples, par exemple en citant le cas d'Éric Bonnargent qu'un curieux tropisme rend aussi sensible qu'une vierge dont on aurait effleuré la joue aux rinçures de notre cacographe, qu'ils ne nous prouveraient qu'une seule chose : la critique littéraire journalistique n'existe plus en France, du moins en tant que garante d'une certaine rigueur intellectuelle qui aurait pu nous prémunir d'un phénomène finalement aussi prévisible que l'émergence du cas Casas Ros, choc syllabique peu seyant.
Ce premier roman, Le théorème d'Almodovar, n'en était pourtant pas un. Espérons que le dernier roman de Casas Ros, lui, soit bien le dernier.
Ce premier roman, ce «magnifique premier roman-récit [qui] tient la ligne jusqu'au bout» selon une certaine Émilie Colombani pour la revue Technikart du 3 janvier 2008, n'était, selon toute vraisemblance, pas le premier roman d'Antoni Casas Ros, ou plutôt de l'homme qui se cache derrière cette marionnette sans visage, auquel la presse, comme un seul troupeau dépourvu de cerveau, par exemple sous la truelle de Nathalie Crom pour Télérama (n°3025, 5 janvier 2008), a donné un visage romantique en diable, elle qui écrit : «Tenant la plume, voici donc ­Antoni Casas Ros. Il a 35 ans, est mathématicien de formation, et passe ses journées sur la terrasse de son studio, à ­Gênes, les toits de la ville en ­guise de paysage. L'homme fuit la foule, le regard des autres, depuis qu'un accident de voiture, quelques années plus tôt – une nuit, un grand cerf qui traverse la route... –, l'a laissé défiguré». Réclame publicitaire sous les dehors d'une enquête journalistique bien évidemment absente.
Ainsi lancé par quelques vilaines fées qui se sont penchées sur son berceau, le faux-né Antoni Casas Ros est né, il va désormais publier tous ses livres chez Gallimard.
Celui qui se cache derrière le visage paraît-il défiguré de cet écrivain, lui, est mort, du moins son existence officielle n'est-elle plus de mise puisque son fantôme profitablement commercial a pris le relais de ventes pour le moins peu significatives, alors que celles des livres de Casas Ros, à l'exclusion, sans doute, du dernier de ses livres qui a déçu même ses plus ardents défenseurs, ont été généreuses, en grande partie grâce à la profonde incurie dont la majorité des critiques littéraires a fait preuve en évoquant les textes du Catalan vaporeux.
Pourtant, il existe bel et bien, notre écrivain sans visage (il en a même un) et quelques rapprochements pour le moins troublants évoqués dans une précédente note entre les romans de Casas Ros et ceux d'Hugues Jallon montrent quelle est la marche à suivre pour celle ou celui qui, sans peur et surtout en supposant que pareille enquête puisse être passionnante pour un esprit qui ne serait pas la copie conforme de l'enquêteur Dupin de Poe, voudrait affirmer, alors que nous n'avons fait que nous interroger : une étude stylistique et thématique comparée, aussi exhaustive que possible, entre les écritures que déploient ces deux auteurs ou, du moins, entre l'écriture si aisément réductible à une longue enfilade de clichés de Casas Ros et celle de tel ou tel auteur dont on pourra le rapprocher avec plus ou moins de bonheur.
Celle d'Hugues Jallon pourquoi pas qui, à tout prendre, est quand même meilleure que celle du Catalan imaginaire.
Notre chasse, elle, est en tous les cas finie, faute de gibier digne de ce nom et nous ne pouvons nous dire, comme Michel Crépu l'affirme à propos d'Henri Guillemin évoquant Chateaubriand, «inquisiteur en quelque sorte amoureux de son prévenu».
Comment être, en effet, amoureux de l'ombre d'une ombre ?