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04/01/2017

Planète interdite de Fred McLeod Wilcox, par Francis Moury

Photographie (détail) de Juan Asensio.

Argument du scénario
2 200 après J.-C., le vaisseau spatial militaire C-57D, mandaté par les Planètes unies, arrive en vue de la planète Altaïr-IV où, vingt ans plus tôt, le vaisseau Bellérophon chargé d'une mission d'exploration scientifique, a disparu. Une communication radio met en garde Adams, son commandant qui obtient néanmoins des coordonnées d'atterrissage. Adams constate que le savant philologue Édouard Morbius et sa fille Altaïra sont les seuls rescapés. Les autres passagers du Bellérophon furent mutilés et tués par un monstre invisible mais redoutable. Adams et le docteur Ostrow sont initiés par Morbius aux secrets de la civilisation Krel, une race extra-terrestre défunte dont Morbius a déchiffré l'écriture. Ils ont laissé sur Altaïr-IV les plans d'un robot intelligent que Morbius a assemblé, un laboratoire expérimental autour duquel Morbius a construit sa maison et de gigantesques centrales énergétiques souterraines automatiques. Adams et Altaïra deviennent amoureux l'un de l'autre. C'est le début d'une nouvelle série de meurtres atroces qui déciment l'équipage du C-57D. Morbius est persuadé qu'ils sont commis par le même monstre qui décima le Bellérophon, mais il refuse que sa fille quitte la planète en compagnie d'Adams. Le docteur Ostrow s'approche de la vérité mais le paye de sa vie, favorisant une révélation finale qui coûte aussi la vie à Morbius. Elle permet à sa fille et Adams de comprendre la terrible vérité sur les causes de la chute des Krels, cette même cause qui engendra les morts du Bellérophon et ceux du C-57D... et d'en réchapper juste à temps.

28877194700_e1eaff373f_o.jpgPlanète interdite [Forbidden Planet] (États-Unis, 1956) de Fred McLeod Wilcox est un grand classique du cinéma américain de science-fiction qui fut mésestimé en France par la critique à sa sortie. Il faut en accuser d'une part le mépris dans lequel le genre fantastique et sa succursale science-fiction étaient tenus chez nous en 1955, la politique des auteurs d'autre part : la filmographie de Fred McLeod Wilcox (1907-1964) ne présentant aucune unité esthétique ni stylistique, le genre qu'il illustrait ici étant considéré comme mineur, la France refusa d'honorer son nom. Son génie, peut-être ponctuel (pour en avoir le cœur net, il faudrait visionner la dizaine d'autres titres de genres variés qu'il a signés mais ils sont pour la plupart inédits chez nous au cinéma comme en vidéo) mais ici réel – car Planète interdite conserve dorénavant la mémoire de son nom en tant que grand cinéaste – fut d'abord d'unifier, en artisan modeste mais intelligent, inspiré et compétent (durant l'année 1954, il fréquenta les bibliothèques universitaires afin de se documenter sur les aspects scientifiques et technologiques de la vie future, par exemple la couleur probable du ciel sur une autre planète selon sa position dans notre galaxie) les moyens importants mis à sa disposition par la M.G.M. : décors, trucages, effets d'animation, effets spéciaux, musique électronique.
Ces éléments ont été disséqués par les historiens et les critiques américains sans qu'il soit nécessaire ici d'y revenir en détails. Contentons-nous donc de signaler les éléments d'histoire du cinéma les plus célèbres relatifs à la genèse et à la production de Planète interdite. C'est le premier film long métrage de science-fiction utilisant de la musique électronique dont les circuits émetteurs furent construits par Louis et Bebe Barron à partir de leur lecture du livre de Norbert Wiener écrit en 1948 sur la cybernétique. Un technicien de chez Walt Disney collabora aux effets spéciaux lors de l'apparition du monstre sous l'effet de l'électricité et le tournage fut riche en prouesses techniques détaillées par le directeur de la photographie George J. Folsey (qui utilisa le CinemaScope en format non pas 2.35 mais 2.55 associé au procédé Eastmancolor et à un son Westrex en stéréo utilisant 4 canaux distincts) dans un article célèbre paru en août 1955 dans la revue American Cinematographer. Au départ, la M.G.M. – qui considérait le genre fantastique comme mineur et n'en avait produit que peu (bien que ceux qu'elle ait produits fussent en général très bons), de science-fiction encore moins – considérait Planète interdite comme devant être une série B, mais lui accorda finalement un budget de série A car le producteur Dore Schary et le directeur artistique Cedric Gibbons croyaient au succès critique qui fut d'ailleurs réel aux États-Unis et ne s'est jamais démenti là-bas. Le film de McLeod Wilcox fut, selon Gene Roddenberry, la source majeure d'inspiration de toute la série Star Treck. On sait, en outre, que la M.G.M., durant la phase de production, emprunta au cours de l'année 1955 à Universal une copie chimique de leur titre gros budget This Island Earth [Les Survivants de l'infini] (États-Unis, 1955) de Joseph M. Newman (aidé par les cinéastes Jack Arnold et Virgil Vogel) à des fins documentaires et techniques. Les costumes, les accessoires, certains décors furent réutilisés dans des productions cinéma et télévision postérieures, depuis soigneusement référencées.
«Un robot nommé Robby ayant le sens du devoir accompli et parlant 188 langues. Des vestiges souterrains mettant en évidence les traces d'une civilisation arrivée à un point avancé de développement. Mais parmi les merveilles qui subsistent sur Altair-IV, aucune ne s'avère plus grande ni plus meurtrière que l'esprit humain».
Ce résumé traduit de la publicité américaine qui orne encore le verso du DVD zone 1 NTSC édité par Time Warner en 1999 donne une belle idée de l'enjeu philosophique du film. La vedette féminine Anne Francis se souvient que le jour où elle entra sur le plateau, la première chose qu'on lui demanda fut de prendre au sérieux l'histoire. De fait, le script initial rédigé par Irving Block et Allen Adler s'était transformé, à la fois modifié par les producteurs et par le scénariste Cyril Hume, d'une simple histoire de série B en une histoire très ambitieuse, inspirée à la fois par les mythes grecs de Bellérophon et de la Chimère (le nom du premier vaisseau y fait allusion), par celui de Persée et de la Gorgone (à qui Morbius fait une allusion), par La Tempête de Shakespeare, enfin par la métapsychologie psychanalytique de Freud. La planète Altair-IV est interdite aux hommes depuis que les Krels ont mis au point une machine permettant de matérialiser non seulement la pensée (séquence célèbre de l'hologramme 3D d'Anne Francis visualisée/pensée par son père, sous les yeux incrédules d’Adams et d'Ostrow), mais aussi les désirs et les cauchemars du subconscient. Ce que les Krels n'ont compris que trop tard, raison pour laquelle ils furent décimés en une seule nuit. Et ce que Ostrow et Morbius comprennent aussi trop tard, en dépit du fait qu'ils soient devenus des mutants Krels-humains, des interfaces psychiques et intellectuelles vouées à l'épuisement dans le cas de Ostrow, à l'autodestruction dans le cas de Morbius. Seul moyen d'en réchapper : mourir ou fuir... faute de voir les monstres de l'inconscient se matérialiser puis vous déchirer, vous mutiler et vous tuer.
Cette histoire freudienne d'un père risquant inconsciemment de tuer sa fille et son amant parce que son inconscient refuse leur amour et veut préserver sa toute-puissance démiurgique, elle-même émanation d'une civilisation entière détruite par son «surmoi», c'est bien le génie de McLeod Wilcox de l'avoir prise au sérieux, de l'avoir fait prendre au sérieux par ses acteurs, et par son public, enfantin comme adolescent ou adulte. Une fois qu'on a vu Planète interdite, on ne l'oublie pas tant la trame tragique, œdipienne autant que perséenne ou bellerophonienne, en est profonde, tant sa beauté plastique est intangible, tant son rythme et sa narration sont rigoureux (1).
Dans l'histoire de la science-fiction au cinéma, Planète interdite a connu une postérité thématique, à commencer par cet autre classique qu'est le film anglais Quatermass and the Pit [Les Monstres de l'espace] (G.-B., 1967) de Roy Ward Baker, troisième volet cinématographique (volet mais pas épisode puisque chaque Quatermass est doté d'un scénario indépendant) produit par la Hammer Films après les non moins beaux (2) Quatermass Xperiment [Le Monstre] (G.-B., 1955) de Val Guest et Quatermass Two [La Marque / Terre contre satellite] (G.-B., 1957) de Val Guest.

Notes
(1) Seules les séquences comiques avec le cuisinier alcoolique et le robot furent rajoutées à la demande expresse de la M.G.M. afin de détendre l'atmosphère à deux reprises mais Hume trouva le moyen de les inclure soigneusement au découpage, afin qu'elles s'intègrent rigoureusement à la trame dramatique : c'est ainsi l'interrogatoire du cuisinier qui permet de confirmer que le robot Robby est hors de cause, durant l'enquête menée sur les meurtres des astronautes de C-57D.
(2) À condition de les visionner au format original écran large 1.66 compatible 16/9 : les éditions vidéo au format 1.37 compatibles 4/3 sont, hélas, recadrées.