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05/01/2017
Nouvelle préface de La Montagne morte de la vie de Michel Bernanos
Photographie (détail) de Juan Asensio.
Voici les toutes premières lignes de la préface que j'ai écrite pour La Montagne morte de la vie de Michel Bernanos, un texte aussi magnifique qu'étrange dont il existait jusqu'à présent plusieurs éditions. Je rappelle que j'avais consacré une courte note à ce texte qui, dans l'édition donnée par L'Arbre vengeur, est suivi d'Ils ont déchiré Son image, point évoqué dans ma préface, sinon de façon anecdotique.
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Il faudrait lire, puis relire La Montagne morte de la vie de Michel Bernanos sur une île ou, encore mieux, sur un bateau voguant au beau milieu de nulle part, et ainsi contredire Julien Benda raillant les prétentions des littérateurs : «On évoque le jour où, en raison de cette soif, l’auteur exigera que son œuvre soit lue à telle minute de la nuit, parmi tels meubles, sous telle lumière, dans tel costume» (1). Nulle volonté cynique de faire preuve de byzantinisme dans notre souhait, mais bien davantage la nécessité de nous confronter à l’étrangeté de ce texte énigmatique et somptueux. Il faudrait surtout le lire en ayant pris le soin de le siphonner de tous les commentaires qui, si nous n’y prenons garde, finiront bien par le vitrifier sous une gangue ou bien, pour reprendre une des autres images privilégiées par l’auteur, le dévorer. Ce conseil peut sembler vain ou présomptueux, lui qui s’applique du reste à tout grand texte. Il s’impose pourtant plus que jamais, alors que s’accumulent deux fléaux qui ne sont différents qu’en apparence : l’incuriosité voire le dégoût pour une littérature audacieuse et exigeante et la lèpre dévorante des commentaires, le plus souvent parfaitement creux. Bien sûr, mon propre commentaire s’ajoutera à tous les autres textes qui ont évoqué La Montagne morte de la vie, mais il aura tenté, du moins je l’espère, d’en montrer la complexité et d’en évoquer, sommairement, la possible généalogie littéraire, visible ou invisible. Qu’il finisse lui aussi, comme les autres, par se pétrifier, n’est finalement qu’un des aléas mineurs propres aux langages seconds, accrochés comme des tiques aux flancs des textes dont ils essaient, maigrement, de pomper un peu de sang.
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C’est dans L’Œil dans le ciel, paru en 1957 aux États-Unis et traduit en français en 1976 par Gérard Klein, que Philip K. Dick évoque une «vision déroutante : une sorte de continuum circulaire, d’endroit vaguement brumeux. Était-ce un étang, un océan ? Un lac immense; une eau tourbillonnante. Des montagnes s’élevaient à l’horizon. Et la lisière interminable d’une forêt les dominait». Armés de ces seuls mots, quelque lecteur hardi ou bien totalement inconscient pourrait affirmer que le paysage que décrit le romancier nord-américain évoque tout de même un peu celui que Michel Bernanos fait contempler, non sans crainte, à ses deux personnages...
Note
(1) Julien Benda, La France byzantine ou le triomphe de la littérature pure [1945] (Gallimard, 1981), p. 48.