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17/02/2025

La petite sœur de Mariana Enríquez ou notre tentation de régler quelques comptes avec l’Argentine usufruitière de Silvina Ocampo, par Gregory Mion

Crédits photographiques : Tamara Reynolds (The Guardian)

«Et même le degré d’indifférence qu’affectent les faiseurs.»
José Lezama Lima, Paradiso.


«Pour sûr, on ne s’attend pas à me voir écrire ce que je me sens maintenant obligé d’écrire.»
Martin Walser, Mort d’un critique.


«Tout riche qui ne se considère pas comme l’INTENDANT et le DOMESTIQUE du Pauvre est le plus infâme des voleurs et le plus lâche des fratricides.»
Léon Bloy, Le Désespéré.


IMG_7819.jpgEn choisissant de donner la parole à ceux qui ont connu de près ou de loin l’inénarrable Silvina Ocampo, en écoutant les uns et les autres lui parler de cette femme de lettres qui fut adepte de la forme courte, auteur de poésies et de nouvelles, prospectrice d’images choquantes au détour de l’ordinaire, en recueillant les discours ou les écrits d’individus variés, tantôt habitués aux coups bas et aux traditions de la littérature, tantôt distants de ces perversions et de ces rites parce que loin de toute aspiration pour les choses de l’art (mais peut-être pas moins victimes de l’avilissement général ou de la crédulité spéciale qui touche quiconque a été un peu trop porté à prêter le flanc aux supposés miracles de la création littéraire), en prenant donc le parti d’un complexe vitrail de voix, la romancière Mariana Enríquez propose non pas une biographie rigoureuse, une nécrologie d’historienne ou un rapport médical concernant un corps et un esprit, mais un portrait qui pourrait être aussi bien à charge qu’à décharge, selon nos envies d’accorder plus ou moins d’importance à tel ou tel détail, à tel ou tel témoignage, à telle ou telle réalité empreinte de fiction (quand ce ne serait pas de la fiction empreinte de réalité).
C’est pourquoi la lecture de cette effigie de mots intitulée La petite sœur (1) – et se voulant dans son sous-titre comme un postulat de figuration de Silvina Ocampo parmi tant d’autres théories d’une psyché – nous met tour à tour dans un certain rôle d’enquêteur objectif ou de partial détective à pipe et à monocle : il nous appartient de lire ce livre à l’instar d’une sérieuse collection d’indices relativement organisés mais dont la synthèse finale nous reviendrait de plein droit de sorte à statuer sur le potentiel d’innocence ou de culpabilité de Silvina Ocampo. Mais de quoi serait-elle coupable ou de quoi devrait-elle être innocentée ? La réponse peut tenir en quatre mots : de l’acte sacré d’écrire. Autrement dit : l’écrivain avéré – et même de plus en plus distingué postmortem en Argentine et dans le monde – Silvina Ocampo est-elle un écrivain qui devait écrire, un auteur légitime, ou un écrivain qui n’aurait pas dû écrire ? Cette interrogation est tendancieuse, c’est vrai, toutefois nous ne la formulons pas au hasard tant il nous paraît stimulant de penser que les intentions de Mariana Enríquez, par le très petit bout d’une palpitante lorgnette, ressemblent à un crypto-réquisitoire alors même qu’il s’agit sans trop de doute pour cette représentante de la nueva narrativa argentina de reconnaître des dettes d’écriture, des inspirations, des fascinations probablement. Partant de là, en lisant cette patiente reconstitution polyphonique de Silvina Ocampo, nous n’avons pas pu nous empêcher, sûrement par excès d’audace, par goût de la provocation, de percevoir chez Mariana Enríquez le statut de passager clandestin de son propre texte, comme si, concomitamment à ses admirations, elle faisait deviner ses répulsions, nous amenant sur un terrain beaucoup plus exaltant que la plate cartographie d’une physiologie de la fine fleur d’Argentine saisie dans ses succès et ses extravagances de rigueur : le terrain accidenté, en l’occurrence, d’une corruption avancée des âmes, d’une décadence des hommes et des femmes pour lesquels la littérature serait le cadet de tous leurs soucis – en somme l’ostensible terrain d’une médiocrité typiquement bourgeoise dont l’angoissante fatuité incite à se demander valablement s’il est juste que le bourgeois écrive des livres au lieu d’être de corvée dans les latrines du monde qu’il salit au quotidien par la saleté de son argent et par l’énormité de son leurre.
Ce sont tout d’abord des morceaux choisis – collectivement et originalement rassemblés – qui attirent Mariana Enríquez dans le giron de son équivoque inspiratrice (cf. p. 8), à savoir une Antología de la literatura fantástica composée à six mains, deux plumes masculines et une plume féminine, enviable condition trinitaire (ou trident affûté du Tentateur) de ce qui était une amitié à trois têtes largement passée à la postérité : l’affinité élective entre deux comparses éclairés qui s’appelaient Adolfo Bioy Casares et Jorge Luis Borges, puis l’amour présumé qui unissait le premier de ces écrivains à Silvina Ocampo et qui devait aboutir à un mariage des intérêts en amont d’un mariage des sentiments – telles furent les mains de grand style qui se tenaient filialement les unes dans les autres et qui compulsèrent les pages mondiales de la littérature fantastique pour en extraire la substantifique moelle. Ces trois serpents constricteurs de la littérature ont ensuite serré de tous leurs muscles la vie culturelle de l’Argentine pendant de nombreuses décennies, aussi sûrement qu’ils ont dû siffler leurs sermons sur le berceau de Mariana Enríquez, aussi sûrement qu’ils l’ont influencée esthétiquement au même titre qu’ils ont formalisé une bonne part de la psychologie nationale, et, du reste, ils ont amplement débordé sur le monde pour ce qui était des livres de Bioy Casares et des œuvres universelles de Borges, pesant sur les robustes charnières dialectiques de l’Histoire de l’écriture. Quant à la señora Silvina Ocampo-Casares, tierce-personne sous influence virile ou tyrannique sommet de ce triangle des puissances, quant à cette mujer muy peligrosa, selon nous, sorte de virago dont il est possible d’affirmer qu’elle fut ophidienne par discrétion relative, elle a été, de son vivant, peu à peu expatriée du si convoité continent de la mémoire sélective de ses contemporains, oubliée à l’extérieur comme l’oubli pathologique l’a diminuée de l’intérieur au gré des très cruelles gradations de la maladie d’Alzheimer (cf. p. 10). Elle est morte sur le croulant barreau initial de la haute échelle des nonagénaires, à Buenos Aires, le 14 décembre 1993. L’a suivie dans la mort son époux, le 8 mars 1999, à Buenos Aires également – et tous les deux sont ensevelis au Cimetière de Recoleta dans la vaste capitale balnéaire des Bons Vents.
Les avait précédés au sein des mystères du Tartare, le 14 juin 1986, le cosmopolite Borges, décédé à Genève et enterré là-bas, au Cimetière des Rois, arrogante nécropole réfutant la possibilité d’un succinct cénotaphe tel que celui de Walter Benjamin mais confirmant tout ce que ce dernier avait écrit à propos de la croissante mentalité comptable de la Suisse, nation de chiffres négligeant ses lettres (2), nation qui, depuis fort longtemps maintenant, ne peut plus accueillir sous ses aseptiques pierres tombales quiconque voudrait aspirer au repos éternel après avoir sincèrement aspiré aux sensibilités charitables des apôtres du langage. Aussi faut-il oser soutenir avec une fermeté de tous les instants que l’enterrement de Borges à Genève, nonobstant ses liens de jeunesse avec cette Babylone des Alpes, constitue à nos yeux scrutateurs une pièce à conviction dans l’épais dossier des amis et des alliés de la famille Ocampo, comme si, à l’approche de ces gens détestables par tant d’aspects, quelque chose de soi-même, peut-être quelque chose de comparable au plus profond potentiel de lumière d’un homme, se devait d’être obscurément contraint de basculer du côté des sombres affaires de la volonté. En d’autres termes, sans les intercessions vénales des Ocampo, sans les complicités perfidement codicillaires de Bioy Casares, le destin posthume de Borges eût éventuellement cheminé hors des sous-sols helvétiques et se fût fait le réceptacle de beaucoup de miséricordes – et ce Nobel qu’il attendait au stade anthume serait peut-être venu pour le combler dans ses attentes. On sait en outre que Borges n’était pas à plaindre, mais on sait encore qu’il ne roulait pas sur l’or comme ce pouvait être le cas d’Adolfo et de Silvina (cf. p. 57), or c’est la raison pour laquelle nous déduisons de son amitié avec eux, au fur et à mesure que celle-ci se fortifiait, qu’elle était hypothétiquement visible en fonction des traits anémiés d’un maladif porteur de chandelle qui cherchait à renforcer moins ses pures compétences de philia que ses impures stratégies relationnelles. Encore une fois, le cérémonial funèbre de Genève, les mondaines obsèques de 1986, autorisent tous les jugements aggravants de notre intarissable silo de sévérités, à moins qu’il ne faille tester l’idée finalement bien plus troublante que ce sont les fréquentations de la Suisse durant sa jeunesse qui ont catapulté Borges dans les carnets d’adresse aussi dorés que hantés de l’Argentine, le renvoyant, au soir de son existence octogénaire, sur les lieux familiers de certains matins de sa vie, sous les scellés de granit d’un essaim d’épitaphes à prétentions cabalistiques, tant et tant de pantomimes de l’esprit de profondeur et de délicatesse, tant et tant d’occultes et vaines coquetteries, de sinistre et de savant dandysme, dans l’une des villes devenue l’une des plus superficielles et computationnelles de l’univers.
On a ainsi l’impression que Borges était un être unilatéralement prévisible qui s’efforçait de brouiller les pistes par les libres voies livresques, rivalisant d’érudition et de dilatation des facultés imaginatives, là où, à rebours de cette littérature parfois hermétique, Silvina Ocampo empruntait des sentiers créatifs moins obliques afin possiblement de mieux obliquer dans le district du réel (mais d’aucuns – dont l’une de ses sœurs : la prépondérante Victoria Ocampo – ont un temps jugé sa phraséologie élusive et passable). On disait d’elle des choses contradictoires et on disait encore de ce tempérament ondulatoire qu’il était enclin à «se [cacher]» (p. 13) pour peu que cela fût compatible avec son nom de famille rattaché à une élite aristocratique connue à l’égal du loup blanc. Par conséquent la somme des récits discordants et affectant de la caractériser la comprend comme le biotope idéal d’un préjudiciable symptôme de versatilité, voire, plus exactement, la situe comme actionnaire d’une réserve de vaniteuse polysémie de la conscience, signaux qu’il est indispensable d’étudier à l’aune d’une situation privilégiée (d’un état et d’un empire de femme qui n’a jamais expérimenté la temporalité des vaches maigres) : elle a tout à fait pu se comporter d’une façon différente chaque fois qu’elle changeait d’interlocuteur, et, plus sa chronique ascendance était manifeste, plus il est envisageable qu’elle ait révélé sa véritable idiosyncrasie (comme c’est souvent le cas chez les personnes pourvues de grosses quantités d’argent ou réputées puissantes par un grade ou par un diplôme), c’est-à-dire que, le cas échéant, elle a pu exhiber la rituelle perversion des dominants, la dramaturgie des possédants, le jeu histrionesque de ceux qui ont l’assurance de passer pour des originaux ou des excentriques quand ils sont méprisants, alors qu’ils seraient immédiatement disqualifiés de toute relation sociale s’ils étaient démunis (car il est sûr que l’on concède toujours aux riches ce que l’on refuse toujours aux pauvres), de même que, à l’inverse, moins son ascendance avait les coudées franches dans son expression, plus elle devait vérifier que les forts sont faibles devant les forts après qu’ils ont été si forts devant les faibles.
Il serait fastidieux de citer par le menu les innombrables occurrences consignées dans les paroles des témoins questionnés par Mariana Enríquez et qui pourraient apporter de l’eau claire à notre moulin d’accablement. Il serait pareillement pénible de s’adonner à un tel recensement pour les écrits des uns ou des autres, également utilisés par Marina Enríquez (cf. pp. 240-1 pour se faire une idée), extraits de livres ou de documents diversiformes complétant les archives orales, éclairant quelquefois leurs zones d’ombre (ou les épaississant). Mais, tout de même, si l’on devait relever ne serait-ce qu’une seule attitude représentative des cabotinages, des exubérances et des vices afférents à toute personne lestée de diverses puissances, ce serait, fort naturellement, la déplorable tendance à l’oubli qui s’imposerait (l’amnésie des rendez-vous fixés), le méchant tropisme de distraction, l’adjonction des relâchements et des légèretés, cela, de toute évidence, en vue de montrer que ce sont les Importants qui décrètent systématiquement de la moindre importance de leurs visiteurs ou de leurs associés (alors que ces Importants s’aplatissent et redeviennent hyper-mnésiques des règles élémentaires de la courtoisie aussitôt qu’ils sont visités, contactés ou attendus à telle heure par de plus importantes personnes susceptibles de leur fournir de nouveaux atouts de domination). Telle paraissait être Silvina Ocampo et telle était-elle pour notre impitoyable Saint-Office des âmes gavées de trésoreries : un sordide monstre de mépris volontaire à double fond de couardise et qui prétendait se protéger du tumulte du monde alors même qu’elle avait l’air de s’y sentir comme un fier poisson dans l’eau, digne descendante de prédateurs océaniques, fille de millionnaires, donc fille de criminels de l’archi-possession qui eussent d’emblée reçu l’anathème de Léon Bloy pour l’intégralité des générations à venir et des générations antécédentes, donc, en último término, héritière d’un climat existentiel où l’on ne se trouve jamais que dans les eaux limpides qui nous siéent parce qu’on a tant œuvré à les rendre impraticables pour le reste de la faune et de la flore aquatiques. D’ailleurs nous ne parlons pas du tout de monstruosité à l’improviste étant donné que c’est Mariana Enríquez elle-même qui use du pittoresque vocabulaire tératologique en qualifiant la combinaison d’Adolfo Bioy Casares, de Jorge Luis Borges et de Silvina Ocampo de «monstre» tricéphale (p. 89), comme pour signifier une concevable perspective péjorative derrière la banalité du monstre de la littérature, comme pour insinuer les délits d’une amitié redoutable, écrasante, oppressante à l’égard de toute initiative étrangère à ses fondations, comme pour esquisser une espèce d’Hydre de Lerne qui n’aurait pas croisé la route justicière d’un Hercule afin que cet enfant de Zeus en décapite les multiformes entreprises de démolition. Tout compte fait, il n’est guère difficile d’imaginer là une petite mafia prétentieuse, un réseau de criminalité sur-éduquée, un cartel de faiseurs très prompt à émettre des sanctions ridicules sur les uns ou sur les autres, surtout sur les valeurs objectives du surdoué, telle, par exemple, cette critique de Borges à l’adresse de Saint-John Perse (cf. pp. 91-2), alors que, en matière de neutre comparaison des souffles poétiques, celui-ci démasque celui-là sous les attributs d’un asthmatique pédant et laborieux.
Reste que cette induction d’unilatéralité pour dévoiler Silvina Ocampo entre en conflit avec l’entretien ou la réfection permanente de son baroque tableau de multilatéralité (façon de dire que l’essence même de Silvina est d’autant plus rectiligne et sûre dans sa perversité qu’elle s’efforcerait de courber sa ligne de vie à dessein de la doter de formes virtuellement méritoires). L’artiste Horacio Butler, auquel on suppose une intrigue de literie avec Silvina du temps de leurs intersections parisiennes au début des années 1930, a confessé que cette mante religieuse «fabulait» à longueur de journée (p. 38). Mais lui aussi, par ailleurs, pourrait mentir, procédé pour le moins topique de ces milieux de bohème stérile où il n’y a rien à faire d’autre que de se pavaner en terrasse en profitant d’une vie dépourvue d’angoisse (quoique angoissante pour autrui car ces gens ne sont que puissance d’angoisser). Peu importe alors que l’on se place du point de vue de Silvina ou d’Horacio : ce sont tous les deux des professionnels de la mythographie du Moi, des favorisés qui se donnent des airs, des conquérants de leurs légendes narcissiques respectives, et tout cela, bien que se révélant sous les dehors de la vérité factuelle de leurs accomplissements, n’en est pas moins irrigué par les sources noires du mensonge social qui perpétue le succès du bourgeois et la faillite du déshérité. Peinture, écriture, musique, pour tous les arts la colonisation bourgeoise a saturé les champs de la création, point toujours inadéquatement car le génie comme le Paraclet se signale où il le veut, mais puisque nous devons assumer que le génie est un souffle indépendant, nous devons également assumer que la mythologie des atavismes sociaux a dérouté bien plus de génies qu’elle n’aura contribué à en faire apparaître, et cela dans tous les domaines, à tel point qu’il est renversant de réfléchir à ce qu’il en eût été de la surface civilisée de la Terre si les fonds sacrés de la vérité n’avaient pas été si souvent détournés par des unités organisées de profanateurs de l’Ordre Juste. Et en tout état de cause, les diagnostics d’ores et déjà posés ou suggérés au sujet de Silvina Ocampo nous la font voir comme une prometteuse usurpatrice de son fauteuil de femmes de lettres, se servant des lettres davantage que ne les servant, s’en servant pour asservir et pour rédiger adroitement les fils conducteurs de ses mystifications hors-fiction (cf. p. 12). Redoutons par conséquent les suites de ce que nous avons à mettre en exergue, les corrélations du phénomène et du noumème de Silvina Ocampo, parce que nous risquons de déterrer des momies malfaisantes sous de colossales pyramides d’horreur, parce que, pour l’exprimer à la manière formidable d’Ernest Hello, nous risquons de déceler des «abîmes sous des abîmes» (3).
Il se peut que tout se soit joué précocement dès l’instant où la petite Silvina s’est découverte dans le flagrant délit de théâtralité avec les mendiants qui jouxtaient les environs de sa demeure ou de son acropole. C’est-à-dire qu’elle se hissait sur les branches d’un des arbres plantés dans le parc de la villa estivale des Ocampo, à San Isidro, au septentrion de Buenos Aires, et que là, perchée tel un oiseau de malheur, liserée d’une éclatante rapacité, elle guettait le mouvement des alentours et elle se délectait de l’errance des misérables qui devaient se matérialiser à sa perception à l’instar d’un exotisme divertissant voire galvanisant (car une fois la chose advenue elle accourait dans son palais de princesse en faisant la sirène pour barytonner l’apparition de ces gueux – cf. pp. 19-22). La naïveté de Mariana Enríquez, ou, alors, son cynisme camouflé, postule un sincère amour de Silvina pour les mendiants et même pour les domestiques, une affection cumulative qui aura accouché d’un mauvais poème, tant dans son style que dans ce que ce dernier ouvre de portes terribles pour pénétrer la psyché immonde d’une gamine hilare se riant de la tristesse des insolvables, se fabriquant avant l’heure des souvenirs au détriment de ceux dont on ne se souvient jamais quand il s’agit de leur amener de concrètes consolations, ceux qui n’auront droit, somme toute, qu’aux réminiscences d’une rimaille de mature vaca lechera (cf. pp. 19-20). Ces sauts et ces gambades de l’enfance dorée avoisinant la crasse intempestive et s’en constituant des pseudo-motifs d’apprentissage des vraies valeurs de la vie sont évidemment l’une des pires calomnies de l’univers au regard des tables de la Loi ou des soubassements de la maison de Dieu. La seule scène d’une enfant gâtée s’autorisant des grands gestes et des grands cris d’allégresse à la vue des nomadismes de la pauvreté devrait sub specie æternitatis déshonorer cette fillette de toute attribution du moindre honneur et de la moindre crédibilité en quoi que ce soit – sauf au vilain registre des ténèbres. Car nous ne savons que trop ce qu’il en est de cet archétype de la «putain richissime» (4) enveloppée d’ombres et de hauts maléfices, nous ne savons que trop ce que Nietzsche enseigne poétiquement sur le lumineux et le ténébreux (5), à savoir que l’ardent Lumineux regrette par faiblesse momentanée de ne pas être le froid Ténébreux, cela parce que le lumineux est radicalement aux ordres de la donation pendant que le ténébreux est radicalement aux ordres de la confiscation et de la réception, et, dans l’architecture géante de toutes les vitalités, dans l’organigramme de toutes les coexistences, le donateur se fatigue de vérifier que le confiscateur se repose et reçoit (mais il ne se fatigue jamais du don et son réconfort est d’être environné d’une mystique lumière équivalente à l’indestructible auréole d’un icône orthodoxe), comme le lumineux déplore que le ténébreux puisse avoir l’âme insensible à sa condition fortunée d’irrévocable receveur.
En d’autres termes, si l’on désire concevoir une convaincante manifestation susceptible de saisir la phénoménalité de Silvina Ocampo, si l’on désire apprécier une facette de son émergence en tant que cette facette émergeante serait la plus appropriée pour assez vite remonter aux confins de sa nouménalité, l’on ne peut que recruter ou s’attarder du côté inquiétant des ténèbres, du côté menaçant d’une satanophanie tout de suite satanopraxique (c’est-à-dire : d’un apparaître du malin qui aussitôt indiquerait le dantesque chemin de son atelier), du côté d’une habitude de toujours recevoir et de toujours confisquer, de toujours entraver, tout en ayant toujours incarné un hypocrite principe d’attention aux modestes et aux parias, une infamante liturgie du charlatanisme moral, ce qui, de surcroît, se trahit dans l’absence de concrétisation d’une conscience politique et dans le défaut d’un engagement direct vis-à-vis de la société (cf. p. 20). Ce n’est réellement qu’envers elle-même que Silvina Ocampo a été engagée. Elle ne connaissait rien et ne voulait rien connaître de la sacralité des sensations centrifuges. Dans ce genre de vie absolutiste du gain, non seulement l’on gagne à tous les coups parce que les règles du jeu sont établies par nos familles ou par nos amis, mais, en gagnant, on répand la perte et on devient un agent proactif de l’enténèbrement du monde, de la déperdition de l’humanité, de la propagation des indéfectibles nœuds de l’inégalité. Aussi doit-on faire preuve d’une dureté justifiée au contact de ces maudits rires enfantins de la rieuse opulence, de ces ricanements au milieu des mendiants, et, de la sorte, nous laissons la parole à un inimitable oracle de Cuba, en affirmant que Silvina Ocampo, parmi les va-nu-pieds de passage ou travaillant à San Isidro, s’est dûment déclarée «comme l’encrier où le diable mouille sa plume pour écrire l’histoire de quelqu’un qui désormais appartient à sa milice» (6).
Quel gabarit d’imaginaire a bien pu se forger à l’intérieur de cette tête brune en formation au cœur des lieux les plus désinfectés, les plus protégés, les plus fastes ? Rien de vraiment approfondi, rien d’abyssal, faute d’un travail soutenu, faute d’une nécessité de travailler. Dans le petit bassin de l’imaginaire aggloméré à Silvina, donc, nous repérons les trames attendues de la cruauté colligées à même l’enfance, les hideux tourments d’enfants et les lucifériennes turbulences d’adultes racolés dans l’obscurité congénitale des Ocampo, les psychismes de villa, la récurrence des atmosphères urbaines avec ses dépravations, puis les obsessions de la métamorphose et de la transgression (cf. p. 139). Cet assortiment se dissémine au sein d’anatomies textuelles raccourcies, peut-être pour des raisons de paresse inhérentes à n’importe quel individu n’ayant jamais eu à se lever le matin, peut-être aussi par manque de souffle, par lacune de cette capacité naturelle à vivre dans le prodigieux torrent de la littérature, d’où les éventuels alibis de minimalisme ou de sobriété – réquisitions dogmatiques du journalisme bourgeois pour défendre le bourgeois revendiquant son droit d’écrire. Comme Borges en définitive : que pouvait-on résolument attendre de cet enfant de bourgeois qui vivait son adolescence en Suisse ? Pendant que des millions de soldats mouraient de l’autre côté de la frontière, chaviraient dans les tranchées, Borges, tout à ses affaires, tout à son éducation, lisait des livres et préparait ses futurs syntagmes de savantasse, ses futures circonvolutions de manieur obsédé de la langue – son avenir en reptation. Et Bioy Casares ? Mêmes crimes originels, mêmes outrages que ceux qui devraient s’abstenir d’écrire parce qu’ils n’ont pas grand-chose à écrire, parce qu’ils sont tels qu’en eux-mêmes la démonologie les dépiste, parce qu’ils ont plutôt leur place dans l’immobilier, dans la finance, dans le commerce, tout à proximité, finalement, des exhibitionnistes accomplis de la destruction (alors même qu’en étant admis aux écritures, en se réclamant parfois de l’Écriture, ils ne sont que de fallacieux participants aux constructions humaines fondamentales). À l’image de ses acolytes en privilèges, les superficies de l’imagination, chez Bioy Casares, semblent inversement proportionnelles aux dimensions de ses extensibles propriétés. Natif de cette obscène Argentine des grands propriétaires terriens, le dilettante Adolfo Bioy Casares a été extérieurement instruit des mécanismes de l’appropriation, des tactiques de la cupidité territoriale, et, pour lui, tout ce qui s’est dilaté en conquêtes spatiales s’est simultanément contracté au chapitre intérieur de la conquête d’une âme ou d’une expression crédible de la sensibilité. Il a été d’autant plus insuffisant dans l’intériorité qu’il a été d’une suffisance inouïe dans l’extériorité. Il n’a pas été, même de loin, un Connétable des Lettres de l’Amérique du Sud, mais il a été un Connétable des Chiffres, un total renversement de ce que pouvait représenter l’authentique Barbey d’Aurevilly qui se serait amusé à brocarder ce gaucho contrarié. Il faudrait d’ailleurs invoquer une opération de fossoyeur des lettres en cela que Bioy Casares n’a eu de cesse d’être l’activiste des thanatopraxies de la culture, au même rang que Silvina Ocampo et Jorge Luis Borges, «petite élite consanguine» (p. 45) des homélies de la mort, parasites de la vie et semeurs de létalité à deux niveaux : d’une part au niveau matériel en monopolisant presque toutes les opportunités de se réaliser comme écrivain sérieux en dehors de leur cercle d’influence, et, d’autre part, à un niveau immatériel en existant comme des Antéchrists, comme des principes de constante dénaturation de l’éther.
Une métaphysique de l’Argentine devrait en outre conjecturer que le morbide syncrétisme de ces trois familles a tellement collaboré à la pollution atmosphérique du pays qu’il a d’une certaine manière aguiché sous ces latitudes méridionales un trop gros contingent de monstres nazis à la suite de la défaite du Troisième Reich. Comment ne pas supputer que les médiocrités d’Eichmann ont rencontré là-bas les médiocrités de ces notables ? Car nous ne voyons qu’une simple différence de degré entre ces médiocrités, mais nullement une différence de nature. Au répertoire d’une inversion des rôles et des canevas historiques, nous n’estimons pas du tout inconcevable que Silvina Ocampo eût pu rapidement s’adapter aux exigences du nazisme, de la même façon que Bioy Casares et son ami Borges eussent pu s’acclimater de ces climats de dictature. Il y a une plasticité consubstantielle aux bourgeois et qui explique en eux l’absence de tout mystère de la vocation. Ils vont ou ils peuvent poursuivre leurs dominations endémiques et si cela les engage à devenir des bourreaux plus visibles qu’à l’accoutumée, ils n’hésitent pas une seconde, ils foncent tête baissée. Aussi le bourgeois n’est pas un conservateur invétéré – c’est un flexible organisme qui pénètre les extrémités des révolutions et qui aime à décider du moment où la phrase du récit national doit fléchir ou s’infléchir. L’enjeu, pour eux, consiste à se faire les patents défenseurs de l’énergie du changement tout en souscrivant tacitement au pacte invisible stipulant un invariant des transactions : tout peut se modifier à l’infini tant que ne se modifie pas le malheureux rapport de la lumière aux ténèbres, tant que la première se démunit de tout ce qu’elle possède de sacré au profit des secondes. Or c’est là que notre méfiance a le devoir de se précipiter à l’acmé de sa divination ou à ses plus hyperboliques compétences. Il est en effet vital de se méfier du bourgeois quand il donne ou quand on croit qu’il a donné (alors qu’il est entièrement contre-donation et colporteur d’holocaustes à son avantage et rien qu’à son avantage). Tout ce que le bourgeois nous donne, toute son offre, toute la demande qu’il induit pour nous, c’est chaque fois ce qu’il nous prend simultanément ou bien c’est ce qui nous sera soustrait au centuple ultérieurement.
À supposer donc des générosités en provenance de l’une ou l’autre des trois dents d’acier de cette fourche d’accointances (Ocampo-Bioy Casares-Borges), elles n’ont pu être que des charités mal ordonnées, des cadeaux empoisonnés, comme ce «sou» dont parle Léon Bloy dans Le Désespéré, cette pièce donnée de mauvais gré à un nécessiteux, pièce perceuse de mains et de soleils, pièce préjudiciable à l’algèbre de la Création parce que transmise par des velléités semeuses de chaos et de mortalité. Et encore une fois, par les truchements oraculaires des ancestraux quartiers de La Havane, il est à marquer à l’encre rouge que l’on retrouve cette image théologique et bloyenne de l’argent perforateur et annihilateur parmi les pages magnétiques du Paradiso de José Lezama Lima, à ceci près que la monnaie de singe, ici, se voit assimilée à un «obstacle à la joie d’autrui [produisant] une anarchie [très] vorace» (7). Mais quoi qu’il en soit, l’équivalence travaillée par l’écrivain cubain, citant de surcroît le nom de Bloy, prolonge les métaphores initiales du Mendiant Ingrat et laisse venir à nous l’idée ultime d’une férocité rusée, l’idée d’une entropie propagatrice de désolation sous couvert d’appartenir aux plus efficaces pôles d’harmonisation du monde. Il est ainsi compliqué de démêler le vrai du faux du fait même de cette ruse de l’argent et de ses possesseurs qui prennent un malin plaisir à jouer les bons samaritains : on prend l’argent pour la solution finale alors qu’il est le problème central, et, par un effet regrettable de ricochet, on en vient généralement à tourner la page, à devenir même aveugle quant à l’éléphant qui trône devant nous dans la chambre à coucher. C’est vraiment dire que l’argent doit être considéré comme le meilleur des blanchisseurs et que Silvina Ocampo (receveuse et receleuse de biens sociaux) s’en est lavé les mains. On connaît du reste le fin mot des entités démoniaques : leur adversité s’avère insoupçonnable et il n’y a parfois qu’un différentiel microcosmique pour nous mettre la puce à l’oreille (telle cette lettre d’écart entre Bioy Casares et Bloy – entre le vipérin Bioy anti-biologique et le limpide Bloy disséminateur d’un vitalisme passionné). Et dans l’Argentine qui nous intéresse, dans cette Argentine sous tutelle des démons, la rectification des cieux n’est pas de mise, aussi faut-il descendre encore plus bas dans les enfers, aller encore plus loin dans ce lugubre périple où l’Évangile a subi un retournement, où les premiers autoproclamés somment les derniers de le demeurer et de continuer à se persuader que leur condition serait naturelle plutôt que culturelle – innée plutôt qu’ourdie de main humaine (8).
Par conséquent nous choisissons d’être incrédule lorsque Silvina Ocampo semble déplorer d’avoir été une «etcétéra» de sa famille (p. 12), une sorte de dernière roue de la charrette, d’abord et surtout, à l’en croire, parce qu’elle était la benjamine de six sœurs. On sentirait presque un genre de réclamation de sa part, une prétention de cassation pour une risible sentence, mais elle n’a pas ce droit de réclamer une réparation, elle ne devrait pas l’avoir en tant que destructrice des symétries de la justice, parce que ne peuvent réclamer que les pauvres, eux dont le «manque est la mesure de ce qui [leur] est dû» (9). N’ayant manqué de rien par l’accaparement de tout, cette maniériste de son malheur fardé voudrait nous attendrir par un je-ne-sais-quoi de misérabilisme déplacé, par quelque traumatisme de niña mimada : mais qui détient une «acuité de peseur d’hommes» (10) n’est pas dupe de ces simagrées, de toute cette coupable lourdeur qui espère se réclamer du camp des âmes légères et innocentes. C’est une constante du bourgeois qui a la plainte facile, la parole aisée, tandis que ses victimes – les irradiantes Patries de la Pauvreté – se taisent et se démènent pour disparaître en sus des occultations qu’elles ont endurées. Et s’il est un «etcétéra», une série de points de suspension, le bourgeois ne l’est qu’à travers un parallélisme qui le conduira bientôt dans les continuités de la sécurité, du profit, de la monopolisation. Même ses deuils, ses pertes chères, sont des gains, parce que la mort est un tout-à-gagner pour le bourgeois, et, de ce fait, lorsque Silvina éprouve ce qu’elle appelle une «haine de la sociabilisation» (p. 28) à compter du jour où sa sœur Clara meurt à onze ans d’un diabète juvénile, on ne peut s’abstenir de présager, au verso de ce qu’elle raconte à propos de ses pleurs mimétiques et de ses fuites des dramatisations du deuil (cf. pp. 27-8), la fermentation d’un cœur de pierre, l’envie de se débarrasser de ce cadavre encombrant, d’une Clara spectrale qui reviendra certes dans certains textes à dominante autobiographique, mais jamais comme le frère disparu de Jack Kerouac amorce un retour dans le procès de béatification intitulé Visions de Gérard. C’est que pour l’une la perte fut quasi anecdotique, pratiquement une aubaine afin de s’étaler sur un désagrément au milieu d’une vie d’agréments, et que, pour l’autre, il s’agissait d’une perte absolue de l’univers. D’ailleurs elle s’en est bien remise, choyée par sa société rapprochée autant que par la société qui avalait ses supériorités apparentes, évadée à Paris, pas même trentenaire, pour vivre le romantisme d’une France sélectionnée sur le volet, d’une France de carte postale, puis prendre des cours de peinture auprès de Giorgio de Chirico, car, nous ne l’ignorons pas, ce type d’aristocratie se veut touche-à-tout et talentueux partout, et pour une Silvina, pour une Ocampo, si ce n’avait été la littérature, ç’eût pu être indifféremment les beaux-arts, la musique, la danse, le cinéma, bref la totalité des nomenclatures de la créativité. Pour eux, en dépit des criantes sécheresses de leur amont, il y a toujours du débit en aval, et à rebours de ces mainmises et de ces exploitations d’héritages, les déshérités, eux, se verront toujours contester l’opportunité de montrer les sources intarissables de leur amont en subissant les conspirations de l’aval qui décident à leur insu d’un irrémissible désert. Pour les Ocampo, les Bioy Casares et les Borges, le peu est forcément un beaucoup, et pour tous les autres, le beaucoup est forcément un peu – voire un anéantissement. Et quand ce ne serait pas encore assez d’accumuler du patrimoine artistique aux dépens de tous ceux auxquels on dénie la radicale objectivité de leur talent, on accumule aussi, en même temps, du patrimoine immobilier, de l’espace mastodonte, comme cet immeuble que fera bâtir en 1932 le père de Silvina, le patriarche Ocampo (Manuel), un bâtiment dont chaque étage allait revenir à chacune des sœurs, un édifice enraciné au 1650 de la rue Posadas, en plein quartier de Recoleta, à l’épicentre de toutes les névralgies innervant la ville de Buenos Aires et le reste du pays en vils cercles concentriques (cf. p. 132). Convenons que ce n’est vraiment pas là être une «etcétéra» de sa lignée.
La scrupuleuse pesée de Silvina Ocampo sur l’infaillible balance de Dieu démasque un poids lourd d’argent et de scélératesse, une pesanteur du superflu, une vie de luxe qui avait le luxe d’être nuisible tout en passant pour excellente. Au vu des lignes de départ exonérées de chaînes et de gros boulets, les standards de réussite, à l’arrivée, sont scandaleusement minimes. Ce qui signifie que le métier d’écrire – ou, disons, le délassement de la rédaction – n’était qu’un superfétatoire caprice de femme dont la condición social nécessitait qu’elle participât aux classiques prestiges consacrés. Dans ces environnements sociaux, les barbaries sont diluées dans les activités raffinées, les passions rares, placées au-dessus de tout soupçon. Mais comme la répugnante et fortunée (répugnante parce que fortunée) Hermione Roddice inventée par D. H. Lawrence au long cours de ses Femmes amoureuses, comme ce que l’auteur dit de son haïssable invention, les francs amours de Silvina, ses francs appétits, ne sauraient nous rouler dans la moindre farine, ses réels intérêts n’étant autres que, «en [tout] dernier ressort», de banales croyances «à Mammon, à la chair et au diable, cela au moins [n’étant] pas une imposture» (11). Cela résume parfaitement, du moins à notre vue, la fort probable contexture existentielle de Silvina Ocampo, prototype parachevé de l’héritière jouisseuse et penta-grammaticale dans son effort de coller à la langue satanique. Et les choses n’en seront que plus nettes lorsque les chemins de Silvina et de Bioy Casares vont coïncider, non pas tant par amour que par une mathématique des maléfices désireux de s’additionner. On ne peut en avoir de vision précise et étayée qu’en remontant dans le temps de l’enfance, au temps où Silvina se désennuyait en présence des faméliques et des boniches, au cœur de ce temps pervers durant lequel les parents Ocampo embarquaient leurs filles sur des transatlantiques en prenant soin d’embarquer aussi le très sidérant supplément d’une ou deux vaches afin que les jeunes demoiselles aient du lait frais, sans oublier, cela va de soi, une cargaison infâme de bagages et une procession de petit personnel (cf. pp. 17-8). Qu’on se représente ainsi l’asphyxiante masse de ces voyageurs ! Qu’on mesure à sa juste mesure l’incommensurable surabondance des Ocampo ! Et si l’on avait l’infime et magnanime tentation d’imaginer qu’ils ont pu partager le lait avec d’autres passagers, si l’on espérait les sauver par ce biais, alors n’omettons pas de nous rappeler ce qu’il en est de ces gens et de leurs contrefaites prodigalités : si la pièce qu’ils donnent est une pièce qui transperce des mains, des astres et des murs montés à la force du poignet divin, c’est que, en toute rigueur, le lait qu’ils ont pu faire boire n’a été qu’un venin dévastateur. Or c’est dans le lait, dans son symbole dévoyé, selon nous, que gît la clé permettant d’ouvrir le coffre pan-démoniaque de Silvina Ocampo. C’est le lait de laideur, le lait en tant qu’il a tourné, qui a motivé la rencontre avec Adolfo Bioy Casares, parce que le grand-père de ce dernier, Vicente L. Casares, était patron pérenne de La Martona, «plus grand producteur de lait d’Argentine» (p. 43). C’était donc du petit lait que devait boire le petit-fils Adolfo, semblable au petit lait que buvait Silvina, et ce petit lait, cette blancheur délectable, contenait d’innumérables semences de noirceur quand on veut bien s’apercevoir du suprématiste coefficient de forfaiture au sein de deux enfances abreuvées par tant de prospères mamelles.
Ces concordances autour de la question du lait tendent à justifier le bénéfice d’une terre de fertilité qui serait moins promise que d’emblée réalisée pour Silvina et Adolfo. C’est comme s’ils avaient eu la tierra de promisión non seulement avant les autres, avant tous les Argentins, mais aussi sans la mériter d’aucune façon. Dans un contexte biblique, ils s’apparentent à des membres de la Tribu de Juda qui peuvent profiter du vignoble et du bétail à satiété, de toutes sortes de cornes d’abondance et de situations géographiques favorables, admissibles tant à la douce ébriété viticole qui toucha Noé (Genèse 9-21 : première mention du vin) qu’à la jonction des deux nutriments qui suscite un rentable équilibre par les contraires, une arcadienne stabilité par le noir du vin qui ravit et par le blanc du lait qui nourrit (Genèse 49-12 : première mention du lait (12)). De telles possessions impliquent a priori un devoir de mutualisation, une obligation morale de répartition des richesses, mais les qualités de philanthropie n’étaient pas un motif aveuglant d’évidence dans le quotidien de Silvina Ocampo et d’Adolfo Bioy Casares, tant et si bien que leur usure du lait, leur néfaste délit de lucrative privatisation des dons de la nature avoisine le délit de prévarication. Dit autrement, c’est comme si les familles Ocampo et Bioy Casares s’étaient constituées en associations de malfaiteurs et qu’elles avaient exproprié les Argentins du droit de s’approprier les communes propriétés d’une terre promise. Une minorité s’est ainsi dressée contre la majorité : elle a empêché que se tienne la promesse de la terre promise, la promesse de l’abondance partagée. On dirait même que l’Argentine vit à crédit depuis que tout le lait a été débité pour quelques-uns sur le dos du plus grand nombre. Les Ocampo et les Bioy Casares ont vampirisé le sein suprême de la Terre depuis lequel s’écoule le lait matriciel destiné à la matrice humaine. Ce sont des fautes fondamentalement irréductibles, des crimes imprescriptibles qui confèrent au crime contre l’humanité, des sacrilèges de vampirisation qui choquent la jurisprudence d’ici et d’en-haut. De nous figurer la déviation de tous ces fleuves de lait vers des embouchures aussi scabreuses que les immenses maisons qui servaient d’apprentissage des hiérarchies pour les enfants qu’étaient Silvina et Adolfo, c’est, au fond, nous figurer la logique de leur future rencontre et la recevable hypothèse d’un aryanisme nutritif qui aura permis que ce duo d’enfances soit indûment rassasié pendant que tant d’autres chicos et chicas étaient affamés au-delà de toute mesure. L’injustice est à la fois incalculable et irreprésentable, infiniment injuste, mais il est important de penser que cette infraction superlative du lait réquisitionné aura été fomentatrice d’un invisible basculement de l’Argentine dans les ravins du démon, expliquant d’une part, d’un point de vue réel, les performantes séductions de ce pays à l’égard des nostalgiques de l’aryanisme, et, d’autre part, d’un point de vue irréel, l’éventuelle re-migration du si peu recommandable baron Wenckheim en Hongrie, comme s’il avait découvert, éberlué, que sa potentielle imposture n’était plus exploitable dans la nation des pampas, délogée par des impostures beaucoup plus exercées à la subversion des vérités éternelles (13). Autant dire alors que les fictions les plus pessimistes n’arrivent pas à la cheville des réalités les plus suspectes de cotisation pour le Mal, et, en cela, les boutiques nommées Ocampo, Bioy Casares et Borges ne nous déçoivent pas dans leur chiffre d’affaires. Leur plus-value dans le Mal repousse toutes les limites : à quelque endroit que l’on s’aventure au milieu de ce medio muy corruptivo, on ne manque pas de trouver un squelette dans un placard, encore qu’il faille là, pour être fidèle aux proportions de nuisances, parler d’ossuaires dans des armoires. C’est que, en effet, quand on a bu le lait qui revenait à d’autres, quand on a intentionnellement omis de faire tourner la bouteille de lait qui eût désaltéré des mondes entiers, on a commis des assassinats, des infanticides, et on s’est arrangé pour que las vastas casas de nos vies criminelles contiennent des pièces réservées au remisage des morts.
Et parmi les morts imputables aux létalités directes et indirectes de Silvina Ocampo, nous sommes disposés à lire sur le marbre du froid tombeau le nom de la poétesse Alejandra Pizarnik (cf. pp. 176-181). Ses relations avec l’épouse de Bioy Casares se maintiennent sous les auspices de l’ambiguïté parce que le saphisme de Silvina n’a jamais été qu’une incertitude ou un objet récréatif de spéculation (cf. p. 159). Toutefois, à en croire les dires du poète Fernando Noy, ami et confident d’Alejandra, la relation avec Silvina a bel et bien existé. Elle se serait traduite par une compensation des multiples variétés de la distance au fil d’une pratique épistolaire foudroyante. L’usage des lettres (qu’elles soient d’amour ou d’amitié) se justifie surtout en raison des problèmes psychiatriques d’Alejandra et des peurs notoires de Silvina pour tout ce qui concernait les sphères nosographiques. Elle redoutait les maladies comme c’est souvent la norme des univers bourgeois qui voudraient l’immortalité de leurs galaxies par le biais d’une espèce de retenue sur le salaire de vitalité de toutes les autres galaxies. Il ne fallait donc pas trop compter sur Silvina pour venir rendre visite à Alejandra Pizarnik lorsque celle-ci a dû faire face à un internement de plusieurs mois à la fin de son existence abrégée (cela pouvant du reste éclaircir les propensions d’Alejandra pour un érotisme exagéré dans certains de ses courriers). Néanmoins, et n’en déplaise à tous les chefs d’accusation de folie furieuse que l’on pourrait expédier à la charge de la vibrante Alejandra, si l’on choisissait encore d’entendre ce que Fernando Noy veut nous transmettre, alors il nous faudrait concéder que les vulnérabilités de son amie ont été poussées à bout à cause du dédain de Silvina Ocampo (cf. pp. 180-1). Ce serait ainsi par amour qu’Alejandra Pizarnik aurait chaviré dans le suicide le 25 septembre 1972 (ou qu’elle aurait succombé à une overdose accidentelle de médicaments euphorisants). Elle qui n’avait atteint que les trente-six ans d’âge, elle semblait, contra todo pronóstico, aimer une femme fort peu aimable de presque soixante-dix ans, ce que l’on doit interpréter à l’instar d’un assez typique rapport d’emprise entre une impassible rationalité qui sait toujours où elle va, bougeant ses pions avec méthode, et une fiévreuse irrationnalité qui donne tout ce qu’elle a et qui ne reçoit rien ou quasiment rien. Dans cette chaîne causale qui a conduit Alejandra Pizarnik à conocer a une mala persona, nous voyons d’un côté une jeune femme juive, enfant d’immigrés ukrainiens locuteurs du yiddish, sublime fille d’Israël et par conséquent noble fille de l’immémoriale Terre Promise, et, d’un autre côté, nous voyons une iconoclaste des plus respectables icônes de la promesse, un cœur glacial, une indémontrable et sournoise épiphanie de l’antisémitisme considéré dans son extensibilité la plus dérangeante. Aussi pense-t-on au repos sans doute troublé d’Alejandra Pizarnik au cimetière israélite de La Tablada, à Buenos Aires, comme l’on pense à cette petite dizaine de kilomètres qui la séparent de la dépouille de Silvina, inhumée sur ses terres de Recoleta – dans ses lotissements d’éternité acquis au détriment des mal lotis.
Cette vraisemblable orbite de la malédiction issue de la dynastie Ocampo s’adjoint les vilains services de Victoria Ocampo, sœur aînée de Silvina, bacchante de la «vanité des vanités» par-delà même ce que l’Ecclésiaste a pu extrapoler (cf. pp. 63-81). Elle était un condensé orographique des Alpes et des Himalaya de l’arrogance, de l’orgueil et du despotisme. Elle avait ingurgité tout ce qui séjourne sur l’éventail de la sensibilité littéraire comme les bourgeois vont aux bibliothèques ou aux examens universitaires : dans l’optique de convertir la subtile gratuité des cœurs à l’ouvrage en un calcul des intérêts, ou, pour s’acheminer vers un décuplement de la vérité, dans l’optique de rendre plausible une homologie entre le génie des Anciens et l’inanité des Modernes compris en tant que sociétaires de l’arrivisme. Il est en outre ahurissant de prendre en note que plus le bourgeois a une âme éclaboussée de sottise et de crapulerie, plus il s’évertue à se couvrir de récompenses, de grandes écoles et de procédés de sensibilisation aux domaines de la sensibilité, comme il est stupéfiant de voir que le bourgeois aime aussi prétendre qu’il est un louable passe-muraille des classes sociales, une indulgente oreille pour le petit peuple, voire un déclassé qui n’a jamais été classé (ce dont nous devrions convenir par excès de crédulité en admirant l’utilisation du «parler dialectal argentin» de Silvina Ocampo, utilisation soulignée par Noemí Ulla et notable également dans les livres de Julio Cortázar – cf. p. 122). C’est encore et toujours l’hybridité qui spécifie le bourgeois, sa multiplicité, son talent de duperie qui le fait être à sa place dans toutes les places, qui le fait même être plus ouvrier que l’ouvrier quand il aurait l’outrecuidance de requérir l’attention de ceux qu’il trompe en ayant un outil à la main et un pantalon bleu aux jambes. Le bourgeois mise ainsi sur la réversibilité de son irréversible canaillerie et à ce jeu très malsain de modulation des outrages, Silvina a été beaucoup plus loin que Victoria, à tel point d’ailleurs que celle-ci paraît se trahir totalement dans sa monolithique méchanceté alors que celle-là se glisse dans tous les angles de ce qui déclenche une raison de douter ou une envie de passer l’éponge. Jusque dans son écriture, du moins dans son écriture des débuts, les faux-fuyants de Silvina Ocampo s’amoncèlent, et, à ce titre, l’omnipotente éditrice Victoria Ocampo lui fera le reproche de phrases alambiquées, d’une syntaxe obérée par un «torticolis», la sommant de rectifier le tir de son activité dite littéraire (cf. pp. 105-6).
Non pas que les productions de Victoria soient des péplums de génialité par rapport aux artéfacts de Silvina, mais Victoria s’autorisait des critiques par autoritarisme et par complexe de supériorité eu égard à ses positions éditoriales hégémoniques. Elle était une récapitulation de péchés capitaux et on sait qu’elle était détestée de Bioy Casares, ce qui, nous l’admettrons volontiers, n’est guère une surprise dans la mesure où tout le monde maudit tout le monde au cœur de ces officines où chacun se croit un génie alors qu’il est un médiocre. Et dans la même tendance, Bioy Casares n’a jamais dit que sa femme était une poétesse ou une nouvelliste d’envergure (cf. p. 141), chose rigoureusement vraie, mais chose rigoureusement mesquine dès lors qu’on peut supposer que Silvina Ocampo, en dépit de ses médiocrités propres, pouvait être moins médiocre que son médiocre de mari. On aura bien saisi que ce ne sont là que des postures de l’imposture, comme, par exemple et par exacerbation de notre diagnostic, l’anti-péronisme exprimé poétiquement à l’encontre de Juan Domingo Perón et dans lequel se ridiculise Silvina Ocampo (cf. pp. 201-4). On a affaire ici à un grotesque militantisme de salon et à une symptomatique désaffection de la réalité. Autrement dit l’antifascisme affiché de Silvina Ocampo n’est qu’un fascisme bourgeois qui se croit compétent pour savoir ce qui est bon et mauvais pour la classe ouvrière, et, d’une manière apocalyptique, s’il fallait réellement discerner ce qui est souhaitable ou non souhaitable pour le peuple, il faudrait tout de suite souscrire à l’idée que le péronisme de jadis, eût-il même dû se poursuivre des siècles durant, eût toujours été moins opprimant pour les necesitados que l’existence rapace des Ocampo, des Bioy Casares et des Borges. Prétextant des inscriptions à tout ce qui est de l’ordre de la croissance spirituelle et de l’humanisme en général, les bourgeois laissent entendre qu’ils sont irresponsables de la décadence alors même que celle-ci s’envenime dans les cadences de l’argent où ils sont les premiers activistes, faisant même semblant de n’en pas connaître la valeur quand bien même ce sont les valeurs de l’argent qui les ont toujours valorisés (cf. p. 270).
On suffoque de tant d’impunités, de reconnaissances imméritées, de tranquillités réunies et l’on se prend à espérer des justices qui ne sont pas de ce monde afin de redresser les torts accumulés. Toutefois l’impunité est-elle si certaine que cela ? Peut-on sortir indemne de l’embargo du lait que nous avons identifié comme étant l’ombilic de la malignité ? Ces questions appellent une extension de notre perception et de notre foi : elles exigent que l’on adhère à la certitude d’un châtiment pour tous les contributeurs du malheur, une damnation qui viendra tôt ou tard, frontale ou latérale, mais qui sera exécutée ici-bas. C’est-à-dire que même si les initiateurs du malheur sont en apparence tirés d’affaire, leurs méfaits se verront durement corrigés à travers leurs proches, le plus souvent à travers leurs enfants – soit que ces enfants seront devenus des légataires prévisibles du maléfice, faisant payer à leurs parents la débâcle de leur éducation avant de payer eux-mêmes le prix fort de leur paresse à s’opposer aux malversations familiales, soit qu’ils se seront affranchis de tous les vices de leurs aïeux, se devant pourtant de payer l’addition de ces vices d’une manière ou d’une autre, peut-être à la génération suivante. Il semble alors que le réacteur de félonies entretenu par les Ocampo et les Bioy Casares (assistés de Borges) ait dû rebondir sur la progéniture extra-conjugale d’Adolfo. Effectivement deux enfants sont nés des compulsions donjuanesques de Bioy Casares, peut-être parce que Silvina n’en voulait pas ou ne pouvait pas en avoir, peut-être encore parce que cet homme était un incorrigible pervers et qu’il s’imaginait que n’importe quelle femme était un distrayant vagin et un ventre potentiel pour sa paroxysmique semence de miembro de la alta burguesía. En tous les cas, une fille a vu le jour, Marta de son prénom, née le 8 juillet 1954 de l’union adultérine d’Adolfo avec María Teresa von der Lahr. Neuf ans plus tard, en 1963, c’est au tour d’un garçon de voir le jour, Fabián, né d’une relation doublement clandestine avec une femme mariée – Sara Josefina Demaría Madero (14). S’agissant de Marta, elle est morte accidentellement le 4 janvier 1994 à trente-neuf ans, seulement trois semaines après Silvina Ocampo (cf. pp. 290-1) (15). Sa brusque disparition inspire à Bioy Casares une espèce de parole de contrition : «La vérité, c’est la douleur» (p. 292). On serait d’emblée tenté de dire que toutes les douleurs qu’il a infligées lui sont revenues à la figure dans un impressionnant mouvement de justice corrective. Et s’agissant de Fabián, la vie l’abandonne également très vite le 11 février 2006, dans sa quarante-troisième année. C’est comme si les enfants de la puissance avaient soudainement été repris par le contrepoids tragique de l’impuissance. Ou, articulé d’une autre façon, c’est comme si les puissants avaient été mis en devoir de se souvenir qu’il n’existe pas d’immunité malgré le démenti des sociétés au sein desquelles ils jouissent de toutes les immunités (ou presque). Il est tout à fait défendu de s’habituer à l’irrévocabilité de la civilisation car la mort des puissants (qui afflige les puissants par son invraisemblance) est là pour remettre dans la mémoire des puissants que la mort d’un seul mendiant devrait leur retourner l’estomac – elle est là pour leur apprendre que c’est d’abord à cause d’eux que les pauvres périssent. Mais nous émettons de sérieux doutes sur les capacités des puissants à retenir quoi que ce soit d’humain parce qu’ils ont l’inhumanité en commun depuis des millénaires. Est-ce que Bioy Casares avait appris quelque chose du décès de Marta ? Le cas échéant, il se serait empressé de reconnaître son fils Fabián (ce qu’il a mis des années à faire). Et la mère de Fabián ? Elle était l’épouse d’un millionnaire et il n’est pas étonnant qu’elle ait été séduite par une déclinaison pure de l’argent et de la puissance académique en s’amourachant autrefois de Bioy Casares – on se rend ainsi compte des sédiments de puissances qui offrirent à Fabián une incarnation. On réalise aussi à quel point tout cela s’enroule dans des rubans de mauvaise odeur, dans des origines pestilentielles, des noyaux méphitiques, et, à tout dire, il est mieux que nous ne progressions pas davantage dans cette jungle qui doit forcément nous amener, par l’un de ses passages, à tous les repaires nazis de la nation d’Argentine et à toutes leurs variantes mondiales du crimen de lesa humanidad.

Notes
(1) Éditions du Sous-Sol (2024). Traduction d’Anne Plantagenet.
(2) Cf. Gottfried Keller (article recueilli dans Le capitalisme comme religion).
(3) Cité par Stanislas Fumet dans Mission de Léon Bloy.
(4) Léon Bloy, Le Sang du Pauvre.
(5) Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra (deuxième partie – Nocturne).
(6) José Lezama Lima, Paradiso.
(7) José Lezama Lima, ibid (chapitre deuxième).
(8) C’est Simone de Beauvoir qui met en évidence ce summum de l’oppression, à savoir que l’oppressé ne peut quasiment plus sortir de sa condition à partir du moment où il a métabolisé la sensation et la conception que sa position dans le monde ne dépend pas d’une cause humaine, mais d’une cause naturelle incompressible (cf. Pour une morale de l’ambiguïté).
(9) Stanislas Fumet, Mission de Léon Bloy, op. cit.
(10) Thierry Maulnier, Nietzsche.
(11) D. H. Lawrence, Femmes amoureuses.
(12) Et le lait se trouve associé au vin dans ce passage (les deux produits renvoyant aux richesses équilibrées de la Tribu de Juda).
(13) Cf. László Krasznahorkai, Le baron Wenckheim est de retour.
(14) Adolfo Bioy Casares ne reconnaîtra cet enfant que très tard, un peu avant sa mort, alors qu’il avait quatre-vingt-quatre ans et son fils trente-cinq ans.
(15) Signalons du reste que Silvina Ocampo avait délibérément cessé d’adresser la parole à Bioy Casares en 1990. Est-ce une marque de rancune ou est-ce une autre de ses perversions ? La question reste pendante (cf. p. 285).