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07/06/2005

La forfaiture, par Serge Rivron

Crédits photographiques : Rodrigo Abd (Associated Press).

Dimanche 29 mai 2005, 55% des Français se prononcent contre la ratification du Traité constitutionnel européen.

Lundi 6 Juin 2005, la nouvelle ministre française des affaires européenne, Catherine Colonna, déclare officiellement que la France trouve souhaitable que la processus de ratification continue.

C'est apparemment ce qu'on appelle représenter son pays. En d'autres temps, on appelait ça un crime de haute trahison.
Alors que la médiature fait mine de s'inquiéter du fossé qui la sépare de plus en plus évidemment de l'écrasante majorité des Français, alors qu'elle tente par tous les moyens de justifier ses privilèges et sa morgue par des pseudo-analyses consternantes d'aveuglement sur les résultats du référendum, et soulage ses angoisses charlatanesques par l'annonce des remèdes en peau de lapin qu'elle ne croit même plus de taille à endiguer la Colère que son assourdissant mépris fait mûrir depuis des années, sa bêtise fondamentale est en train de solder les comptes de la démocratie, et elle ne s'en aperçoit même pas.
La médiature : je n'ai trouvé que ce terme pour désigner le conglomérat de privilèges économiques, politiques et surtout médiatiques qui rassemble ce qui s'auto-proclame encore les «élites» de notre pays (et de la plupart des pays d'Europe occidentale) : une grande majorité des élus des collectivités territoriales, nationales et des instances de l'Union européenne en font évidemment partie, mais également la plupart de leurs techniciens-technocrates, des haut fonctionnaires et bien sûr l'écrasante majorité des «communicants» de tous bords qui jouent sans cesse à renvoyer la balle en attendant que l'ascenseur revienne, sondeurs, marketeurs, publicitaires, journalistes.
La médiature n'est pas innombrable, et elle est unie dans une suffisance d'elle-même qui dépasse largement ses clivages économiques internes et ses divergences de méthodes et quelquefois idéologiques. C'est elle qui nous repaît depuis des années d'une «opinion» dont elle ne dissocie plus la mesure de la fabrication, qu'elle saucissonne par pragmatisme en «segments» et autres CSP qui salopent l'esprit et désespèrent le cœur. C'est elle aussi qui nous repaît de «Démocratie» sans jamais questionner ni le concept, ni les moyens mis en œuvre par la République pour le réaliser, ni surtout l'adéquation du fonctionnement réel de nos institutions et du pouvoir en général avec le premier principe de la démocratie, celui de la délégation majoritaire du pouvoir des citoyens à leurs représentants et de la légitimité de ceux-ci en tant qu'ils agissent conformément à ce mandat.
En omettant depuis les temps déjà lointains de l'utopie fondatrice de questionner et d'évaluer régulièrement le concept et le fonctionnement de la démocratie, la médiature, dont le règne se confond à peu près avec elle, a d'abord imposé le principe démocratique comme meilleur (jusque là on peut être d'accord, monsieur Churchill), puis comme seul principe possible de gouvernement d'une société. Puis, plusieurs guerres récentes dont celle d'Irak en sont le résultat, comme fin en soi, épuisant du même coup sa fragile nature dans cette aporie qu'il est dès lors possible d'imposer la démocratie à un peuple.
Pendant les quelques semaines où, la médiature prenant soudain la mesure de la rébellion inattendue de la majorité des Français, elle fit assaut de toutes les intimidations, de tous les anathèmes, de tous les trucages et de toutes les divisions pour tenter d'endiguer la vague du NON, c'est en même temps cette évolution du principe démocratique vers sa fin qu'elle consacrait, vidant le concept de ses dernières forces en ne cessant de l'invoquer pour mieux le ternir, et d'une façon d'autant plus définitive qu'elle s'y employait devant ce peuple même qui l'avait fait renaître.
Les Français ont majoritairement dit NON à la ratification du Traité constitutionnel. Au lieu, comme on l'attendrait, que nos représentants s'emploient à faire respecter par l'Union cette décision pourtant très claire, on nous propose des emplâtres à base de priorité à l'emploi et de remaniement ministériel bidon, pendant que nos analystes appointés se font frissonner le clapoir sur le thème «ne serions-nous pas en situation pré-révolutionnaire?». La trahison patente et assumée de la dernière volonté démocratique de ce peuple par un Président de la République en état de forfaiture sonne bel et bien le glas de l'espérance démocratique. Il reste à espérer que le peuple français trouve dans la force et la patience de son histoire la volonté de construire, par-delà la tempête qui s'annonce, des lendemains qui ne désenchantent que ceux qui l'auront poussé à bout.