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13/11/2006
Dune de Frank Herbert, 1

Passons. Dans ce premier volume de la série, m'a surtout frappé l'insistance avec laquelle Herbert a légitimé l'inexorable apparition du djihad conduit par les légions fanatiques de Paul Muad'Dib par le simple fait que, risquant d'être frappées d'une dangereuse immobilité, les races (pardonnez-moi cet horrible et très réactionnaire vocable mal-pensant, d'ailleurs trouvé dans le livre même d'Herbert) désirent mélanger leurs gènes dans un vaste brassage. Et quel meilleur brassage que celui provoqué par une guerre mobilisant des centaines de milliards d'hommes et de femmes répartis sur des milliers de planètes ? Dans sa préface à Dune, Gérard Klein insiste sur l'agnosticisme de Frank Herbert : il a raison mais il ne m'a pas semblé assez sensible à certaines évocations qui, tout au long du cycle, saturent les aventures de Paul Atréides et de ses descendants de références bibliques (nous sommes en terrain connu) mais surtout de discrètes allusions à la puissance de Dieu, allusions qui m'étonnent puisqu'elles ne se réfèrent pas au judaïsme, à l'Islam et au christianisme, ces trois terreaux culturels dans lesquels l'auteur a puisé son inspiration et bien des termes de son lexique de l'Empire, mais à une sphère que nous pourrions définir comme étant privée. Frank Herbert en croyant ? La proposition a, je le sais, de quoi choquer les puristes et je ne tiens surtout pas à faire de l'auteur un mystique qui s'ignore, ce qu'il n'est à l'évidence pas.
Certes, la question religieuse (disons, en un mot fourre-tout, le théologico-politique dans son sens le plus large) est au centre des thématiques nourries par Herbert, du moins dans la série de Dune. Certes encore, cette conception d'une religion au service exclusif du pouvoir trouve sa lointaine systématisation théorique dans les essais de Gaetano Mosca pour lequel le sacré n'était que pur artifice de mythes, symboles et rites, très consciemment employés à des fins strictement utlitaires ou, dit l'auteur, charlatanesques. Mais, n'est-il pas évident, de même, que je n'ai entrepris cette relecture du cycle de la planète Arrakis qu'à seule fin de vérifier un élément qui, il y a bien des années, m'avait profondément surpris et intrigué et dont je ne me souviens, à présent, que fort imparfaitement : la réapparition des Juifs, dans le tout dernier volume, je crois, de la série intitulé La Maison des Mères ? Nous verrons bien ce que Frank Herbert a tenté de faire avec ce motif et s'il s'agit uniquement, comme le dit un peu sottement sans doute Klein dans sa préface, de rééquilibrer en faveur du judaïsme les innombrables emprunts faits par le romancier au monde islamique.
Parler des Juifs, y compris dans un livre de science-fiction (le cycle de Dune est évidemment plus que cela), voilà qui ne peut, en aucun cas, être anodin.
Et, si ce motif, décidément, devait n'être qu'anodin, alors il me faudrait me rendre à l'évidence et affirmer que Frank Herbert n'a strictement rien compris au mystère du judaïsme.
Lien permanent | Tags : littérature, critique littéraire, science-fiction, dune, frank herbert | |
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