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26/03/2010

Dracula, 7 : Les maîtresses de Dracula de Terence Fisher, par Francis Moury

Image reproduite avec l'aimable autorisation de Nicolas Stanzick dont le livre Dans les griffes de la Hammer va bientôt être réédité en version revue, corrigée et augmentée.


Résumé du scénario
Transylvanie, à la fin du XIXe siècle : le comte Dracula est mort mais ses disciples poursuivent ses rites sataniques afin d’étendre son culte. La jeune enseignante française Marianne, en route pour rejoindre sa nouvelle affectation à l’Académie Lang, doit faire halte pour la nuit dans une auberge isolée. Elle y fait la connaissance de l’élégante baronne Meinster qui lui propose l’hospitalité de son château jusqu’au lendemain. Marianne accepte puis découvre que la baronne a un fils qui est attaché à un mur par une lourde chaîne en or…

Fche technique succincte
Mise en scène : Terence Fisher
Production : Anthony Hinds et Anthony Nelson Keys (Hot Spurs Films Ltd. + Hammer Film)
Distribution originale : Universal Pictures
Distribution numérique française en DVD : Bach films
Scénario : Jimmy Sangster, Peter Bryan, Edward Percy
Directeur de la photographie : Jack Asher (B.S.C.) en 1.66 Technicolor
Montage : Alfred Cox, supervisé par James Needs
Musique : Malcolm Williamson (supervisée par John Hollingsworth)
Décors : Bernard Robinson
Effets spéciaux : Sidney Pearson
Maquillage : Roy Ashton
Costumes : Molly Arbuthnot

Casting succinct
Peter Cushing (Dr. Van Helsing), Martita Hunt (Baronne Meinster), Yvonne Monlaur (Marianne), Freda Jackson (Greta la gouvernante-nourrice), David Peel (Baron Meinster), Miles Milleson (Dr. Tobler ), Henry Oscar (Herr Lang), Mona Washbournen (Frau Lang), Andree Melly (Gina), Victor Brook (Hans), Fred Jackson (Cure) Michael Ripper (Cocher), Norman Pierce (aubergiste), Vera Cook (femme de l’aubergiste), Marie Devereux orthographié Deveruex fautivement par le générique final (La première villageoise vampirisée), etc.


Critique
Les maîtresses de Dracula [The Brides of Dracula] (Grande-Bretagne, 1960) de Terence Fisher est le plus original des trois films que Fisher consacra au vampirisme.
Son scénario écrit par Jimmy Sangster, Peter Bryan et Edward Percy ne doit pratiquement rien au roman de Bram Stoker alors que Le Cauchemar de Dracula [Dracula / Horror of Dracula] (1958) en était largement inspiré et que Dracula prince des ténèbres [Dracula Prince of Darkness] (1965) lui empruntera le personnage de Renfield. Dracula est mort : on nous le confirme dès le début, en voix-off. Mais le récit – démentiel tel que la géniale actrice Freda Jackson le narre à Yvonne Monlaur – de la jeunesse du baron Meinster établit bientôt le lien qui exista entre Meinster et un de ses disciples. Ce scénario multiplie les scènes-choc, atteignant des sommets inédits : les métaphores incestueuses, lesbiennes, homosexuelles, sado-masochistes envahissent symboliquement l’écran et leur puissance demeure, encore aujourd’hui, sans égale. il se révèle constamment d’une intelligence rare. Raison pour laquelle ses capacités de suggestion demeurent aussi impressionnantes que ce qu’il montre. L’ouverture du film décrivant une organisation criminelle qui amène (au moyen de la ruse et de la terreur imposée par une emprise maléfique immémoriale) Marianne à accepter l’invitation de la Baronne, maintient ainsi exactement la balance, d’une précision et d’une rigueur toutes deux intangibles, entre le dit et le non-dit, d’autant plus terrifiante.
L’interprétation est exceptionnellement riche et novatrice. David Peel compose un vampire (paradoxalement unique, comme toujours) ne le cédant en rien à Christopher Lee. Il faut rendre définitivement justice à Peel. L’actrice française Yvonne Monlaur tient le rôle de sa vie, celui qui perpétue sa mémoire : c’est à cause de ce rôle qu’elle est désormais l’une des trois grandes «Yvonne» du cinéma fantastique anglais : Yvonne Furneaux, Yvonne Romain, Yvonne Monlaur. Freda Jackson est l’un des seconds rôles féminins les plus inquiétants non seulement de toute l’histoire du cinéma fantastique mais encore de celle de la Hammer. Martita Hunt n’a pas vraiment d’équivalent tandis que Marie Devereux incarne une des femmes-vampires muettes les plus érotiques et les plus agressives du cinéma parlant.
La mise en scène de Terence Fisher rend un hommage appuyé à l’expressionnisme allemand dès l’ouverture (Yvonne Monlaur prise de panique à cause de la course folle du cocher) et le dialogue même rend un hommage explicite mais ambivalent à Fritz Lang. «l’Académie Lang» où doit enseigner Marianne est une école favorablement connue de la Baronne, mais il s’avère que son directeur est un imbécile. Faut-il y voir une métaphore filée jusqu’au bout ? Pas nécessairement : donner à une école le nom de Lang suffit à constituer un clin d’œil esthétique intéressant. L’expressionnisme de Fisher est d’une vigueur et d’une violence supérieures à celui de Lang. C’est qu’ici tout y conspire, et tout se tient magiquement. Musique et photographie créent un cauchemar plastiquement tangible : la peur et la folie y guettent les âmes sensibles. Un simple exemple : ce plan du baron Meinster sur le balcon, titubant au bord du vide, vu en plongée par Marianne, est repris quelques instants après… mais Meinster est absent : son absence suggère cruellement l’illusion, sa présence témoignait de la folie objective de la créature qu’il est devenue, et du chaos insoutenable dont il est issu, et qu’il sert désormais. Une telle ambivalence – revendiquée, soulignée, abyssale - est typique du contenu manifeste de tout le film. L’espace imparti nous interdit de développer plus avant une analyse minutieuse, plan par plan, séquence par séquence, du restant : elle mérite d’être écrite.
Peut-être Les maitresses de Dracula est-il, tout compte fait, non seulement un des chefs-d’œuvre mais encore le chef-d’œuvre de Fisher, ce qui en ferait automatiquement le plus beau film fantastique de l’histoire du cinéma ? Nous sommes assez souvent tentés de répondre par l’affirmative. Reconnu à sa sortie par une élite critique puis un peu oublié à mesure qu’il devenait chimiquement et magnétiquement invisible, sa résurrection numérique permet à tout le moins de constater la permanence de son impact.

* Dans le corps de l'article, reproduction d'une carte postale éditée en Angleterre par la London Postcard Company, collection personnelle de Francis Moury.