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31/05/2011

Le livre des fantômes d’Alexandre Mathis, par Francis Moury

Photographie (détail) de Juan Asensio.


9782756103112.jpgÀ propos de Alexandre Mathis, Les Fantômes de M. Bill – Le Fer et le feu, avec illustrations et notes (Éditions Léo Scheer, 2011).
LRSP (livre reçu en service de presse).

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Coïncidence, Le Fantôme de M. Bill sera dans les librairies pour les anniversaires des morts de Jeanne d'Arc (1) et de Dominique Thirel, l'entraîneuse de Pigalle brûlée vive par Georges Rapin, alias «M. Bill» que Mathis a choisi comme sujet du troisième volume de sa seconde trilogie que nous nommons par commodité «la trilogie autopunitive» puisqu’elle est axée sur l'idée d'auto-punition, à distinguer du masochisme avec lequel elle ne se confond pas. Chronologiquement, nous croyons utile de rappeler au lecteur l'ordre de cette trilogie, tel que l'auteur le revendique :
1 - Edgar Poe dernières heures mornes (écrit en 2004 mais paru bien plus tard).
2 - Allers sans retour, écrit en 2006, paru en 2009, un mois avant Edgar Poe dernières heures mornes.
3 - Les Fantômes de M. Bill – Le Fer et le feu (écrit en 2010).
Mathis nous précise en outre que cette biographie romancée (comme l'était déjà son Edgar Poe) de M. Bill constitue une sorte de complément et de variante à celles d'Allers sans retour, notamment à la section intitulée Le Coup de folie de Roger Verdière et qu'elle est donc le dernier volet consacré aux assassins par sentiment de culpabilité avant l'acte. On aperçoit déjà une silhouette féminine qui peut être Dominique Thirel (sans qu'elle soit nommée, bien sûr) dans le dernier volume de la première trilogie romanesque de Mathis, celle que nous avions baptisée sa «trilogie parisienne», à savoir dans Chambres de bonnes, au chapitre Mauvaises rencontres Place Pigalle (p. 175) : il y a le «Tonneau», il y a le taxi Renault G7 qui manque aussi d'écraser Dominique dans Les Fantômes de M. Bill (in § Le Joli mai), les cinémas (dont le Lynx) : «Une jeune femme aux longs cheveux sombres ramenés d'un côté, escarpins roses et bouche rouge, retenant d'une main une jupe de couleur vive soulevée par le vent, regarda avec une curiosité étonnée Lucas arriver vers elle. En courant dans la foule, cela lui avait rappelé ce qu'il avait vu un jour...», après quoi Lucas, poursuivi par le «bandit», et qui vient de sauter de la plate-forme de l'autobus, court vers le cinéma Lynx où il va entrer. Mathis tisse progressivement l'ébauche d'une comédie humaine balzacienne, notons-le au passage, non moins documentée que celle de son illustre prédécesseur. Nous renvoyons, concernant ce livre antérieur, à notre article Mathis visionnaire : surnaturalisme et réalisme dans la trilogie parisienne de Mathis, paru ici même en mars 2005 puis en version revue et augmentée en décembre 2005.
La couverture des Fantômes de M. Bill nous livre d'emblée la photo essentielle du livre (elles proviennent des archives de l'auteur qui n'a pas pu publier toutes celles qu'il possédait, l'ensemble constituant une belle collection) et celle pour laquelle, peut-être, Rapin a vécu puisqu'il avait tenté d'être acteur sous un troisième pseudonyme : son aspect provocateur, son esthétique au carrefour du classicisme documentaire du reportage et de la nouvelle vague au baroque tapageur peut rappeler une autre couverture noir et blanc : celle du livre de Herbert P. Mathese, José Benazeraf. An 2002. La caméra irréductible (Clairac, 2007) qui montrait les jambes d'Eva Christian dans le film noir Les Premières lueurs de l'aube [Plaisirs pervers] (R.F.A.-Fr., 1967) de J. B. (2). Elle a donc l'avantage de situer l'action en en constituant elle-même l'un des moments-clés. Il n'existe d'ailleurs peut-être pas de photos couleurs de M.Bill.
Ce crime qui défraya la chronique policière puis judiciaire de l'année 1959, et pas l'unique crime de Rapin puisqu'il en avoua un second commis plus tôt et qui avait été classé par la police, précipitant sa condamnation à mort puis son exécution en 1960, était-il un acte gratuit ? André Gide (Les Caves du Vatican) serait alors dépassé, Jean-Paul Sartre (Le Mur et autres nouvelles, un passage savoureux d'Érostrate, cité par Mathis,) et Albert Camus aussi (L'Étranger) par cette atroce réalité. Ces trois auteurs que Mathis signale lus, notamment les deux derniers, assez couramment par les adolescents des années 1950-1960... qui ont donc pu être lus par George Rapin / M. Bill. Sur le fond du dossier, peut-être Rapin fut-il un fou masochiste (son père le soutient durant le procès) ayant organisé lui-même sa descente aux enfers, auquel cas la peine de mort aurait été appliquée à un dément mais peut-être tout aussi bien un criminel pur, fasciné par l'idée du mal pour le mal, par l'idée de devenir criminel et prêt à tout pour réaliser cette idée, auquel cas on a eu raison de l'exécuter (3). Un léger doute, obsédant, subsiste qui l'innocenterait totalement : parmi divers faits troublants, retenons pour notre part le témoignage tardif du père de Rapin (dans un extrait du Dauphiné libéré reproduit par Mathis pp. 308-309) sur les menaces qu'il aurait subies durant des mois au téléphone. Il nous semble tout de même curieux et il est non moins curieux, s'il est vrai, il est même ahurissant qu'il ne l'ait pas produit durant les débats. Cela eût évidemment modifié toute l'affaire et pouvait relancer l'enquête (et surtout l'instruction qui fut plus sommaire que l'enquête) dans une direction nouvelle.
Tout crime, selon Paul Valéry, serait un acte de somnambulisme. Cette étrange et belle formule de Valéry cité p. 213 par Mathis à propos de Les Somnambules, l'unique roman (inédit) de Jacques Petit à qui on doit les éditions savantes de Barbey d'Aurevilly et de Léon Bloy respectivement à la Pléiade-NRF et au Mercure de France. Voici le temps des assassins prophétisait Rimbaud, admirablement suivi par le cinéaste Julien Duvivier au cinéma dans le titre et sur le sujet, en 1955. Le Cabinet du Dr. Caligari n'est pas si loin, somnambulisme oblige, sauf que le théâtre y serait remplacé par une influence démoniaque du cinéma et de la littérature (Ascenseur pour l'échafaud, La Vie criminelle d'Archibald de la Cruz et autre titres de «films noirs» d'une part, la collection Gallimard Série noire-NRF d'autre part) puis par un reflux non moins démoniaque du crime de Rapin vers le cinéma contemporain et immédiatement postérieur : un titre peut en être, par un hasard objectif implacable, imbibé (La Brune brûlante (4)), un autre en être inspiré explicitement (Dossier 1413 d'Alfred Rode) car l'espace de ce quartier parisien est imprégné à la fois des crimes réels et de leurs représentations : d'étranges échanges peuvent nourrir chacun de ces deux niveaux de réalité. Témoins, ces plans de films noirs français que Mathis s'est plu à repérer précisément, voire à capturer afin de nous les adresser, corroborant cette frontière entre géographie imaginaire et géographie réelle telle qu'elle s'inscrit obscurément dans Bob le flambeur, Touchez pas au grisbi, témoins aussi ces fragments de dialogues comme ceux, au hasard mais si beaux, de l'admirable Rafles sur la ville de Pierre Chenal qu'il cite en exergue d'un de ses paragraphes.
Par-delà l'espace, le temps littéraire joue aussi son rôle non moins sournoisement fantastique puisque Rapin possédait chez lui l'intégrale de la Série noire publiée par Gallimard-NRF, depuis sa fondation par Marcel Duhamel en 1948 jusqu'à 1959. Environ 500 volumes méticuleusement répertoriés par Mathis dans leur ordre de parution aux pp. 189-193 et dont la lecture, si on l'effectue honnêtement, d'une manière non moins méticuleuse que son établissement, procure assez vite une curieuse sensation de vertige, de descente en spirale dans un monde cauchemardesque et grotesque à la fois : une alliance que Poe envisageait déjà dans ses propres Histoires grotesques et sérieuses. Sur les presque 500 volumes, environ 50 avaient été adaptés au cinéma, et les trois quarts de ces adaptations cinématographiques étaient sorties sur les écrans français, donc susceptibles d'avoir été vues par Rapin. Retour à l'envoyeur, miroir déformant modifiant réellement celui qui se mire trop longtemps dedans. Caligari ici étant non pas un démiurge (le terme est cependant employé par Mathis à l'une des dernières pages du livre) symbolique mais une sorte d'étrange alliage entre le destin, la réalité et l'art : entre ces trois instances, l'enquête de Mathis effectue de continuels recoupements, transversaux, ouvrant comme une succession de feuillets les tranches de perception possible ou réelle de chaque niveau, telles que la conscience de Rapin peut les avoir perçues, et tels que les autres, autour de lui, pouvaient les lui refléter, tels que tous les ont aussi, peut-être, pensées, imaginées, refusées, redoutées, désirées, déniées.
C'est pourquoi il ne faut pas s'étonner que la mise en abîme aille, relativement à cette transversalité, très loin : tel sous-titre de chapitre (Drame dans un miroir / Crack in the mirror de Richard Fleischer, Écrit sur du vent de Douglas Sirk) est un véritable titre de film contemporain ou immédiatement postérieur aux faits relatés, en règle générale. Et un titre qui s'applique souvent avec une profondeur incisive à ce qui est raconté, décrit, voire comparé lorsqu'il s'agit de versions divergentes : les textes cités du commissaire Chaumeil mais aussi du médecin légiste, du juge, du bâtonnier, de l'avocat René Floriot (dont on peut lire encore aujourd'hui le remarquable Les Erreurs judiciaires, Flammarion, 1970) et quelques chroniqueurs ou romanciers (Marcel Haedrich, Alphonse Boudard) contemporains de Rapin font naturellement partie du dossier, sans oublier les coupures de presse souvent savoureuses provenant de Détective, le journal fondé par Joseph Kessel ou provenant de quotidiens tels que France Soir, La Montagne, Le Dauphiné libéré. La psychose paranoïaque selon Lacan n'est parfois pas loin et Mathis cite (p. 216) son texte sur les sœurs Papin, paru dans la célèbre revue surréaliste Le Minotaure. Psychose paranoïaque peut-être fixée (au sens visuel comme au sens chimique, comme, d'ailleurs, au sens temporel : dans les trois sens) sur la célèbre photo de Rapin en M. Bill reproduite en couverture, dans l'escalier de la Première B. T., observé en arrière-plan et en contre-plongé par le commissaire Chaumeil, ce dernier, soit dit en passant, féru non seulement d'enquêtes intéressantes mais encore de poésie et d'histoire ancienne.
Photo qui donne sa couverture au livre, tout naturellement, puisque cette représentation constitue l'aboutissement délirant du sujet (aux deux sens du terme sujet) du livre, son noyau esthétique surtout, puisque à partir de l'étude morale ou juridique, psychologique (5) ou historique, elle permet de refocaliser, de recentrer tous ces rayons qui la composent, et de les renvoyer vers d'autres objets esthétiques (films, livres, affiches, attitudes, thèmes) qui peuvent en avoir été, à leur tour, nourris. Du véritable Rapin, Mathis démontre qu'au fond il existe à peine, qu'il n'existe pas au sens normal du terme : celui qui existe est d'origine, un être multiple décomposé en ses désirs et en ses peurs, en ses reflets dans un miroir déformant, en quête d'une personnalité à endosser, d'un rôle à tenir, d'un film à jouer jusqu'au bout. Non pas un personnage en quête d'auteur mais presque un criminel en quête de crimes. La reconstitution méticuleuse de son univers, puis de ses actes l'intégrant comme acteur, nouveau sujet, nouvel objet, produisant à son tour un nouvel univers, a quelque chose de vertigineux, produit bien l'effet d'une spirale. Aspect démiurgique (Mathis emploie le mot «démiurge» vers la fin de son livre, mais c'est un démiurge différent du Thomas Sutpen de Absalon Absalon ! de William Faulkner), donc démoniaque, à l’œuvre : entre une citation de Jacques Lacan parue dans un volume de L'Évolution psychiatrique, critiquant Henri Ey (celui dont la page sur la conscience ouvrait L'Anthologie philosophique rassemblée et présentée en 1974, sans facilité et même d'une manière assez abrupte donc intellectuellement saine, par Léon-Louis Grateloup) et une page hallucinée de Mathis faisant ressentir l'horreur hugolienne de la terre des suppliciés condamnés à mort, décapités, il y a les films, les livres, la médiation objective qu'ils instaurent entre la parole et l'être, entre l'univers du langage et l'univers de l'expérience. Son livre devient ainsi la zone frontière entre la positivité des faits scrupuleusement rassemblés, et la négativité du langage et du sens. Cette curieuse dialectique du visible et de l'invisible qu'ébauchait en 1959-1960, avant sa mort brutale et inattendue en 1961, Maurice Merleau-Ponty, on peut la voir à l’œuvre plus d'une fois dans le style de Mathis qui décrit chaque être et chaque chose, chaque acte et chaque écrit, chaque témoignage et chaque fiction, comme autant de feuillets ouvrant sur une frontière, un en deçà et un au-delà de l'expérience.
Écriture cinématographique qui instaure des fondus au rideau, des transitions correspondant parfois à celles du langage cinématographique, tel qu'il fut étudié par Henri Agel, Marcel Martin, Jean Mitry ou bien plus près de nous par une Yveline Baticle : de l'histoire de Bill, des signes subsistent, engendrant rapidement d'autres signes métamorphosés à leur tour, recomposant par des effets de montage (y compris entre le texte principal et les notes, souvent denses et toujours essentielles à la compréhension la plus profonde) une nouvelle géographie de l'espace où elle s'est déroulée, une nouvelle temporalité par-delà la temporalité relatée par les témoignages contemporains. Après son exécution, naissent les cinémas Le Mexico et Le Colorado : Jean-Luc Godard, peu soucieux de fantastique en apparence, descendra pourtant l'escalier du Mexico pour filmer dedans un héros ayant peur de ce qu'il voit à l'écran, peur que cela ne traverse l'écran pour le tuer comme à l'époque des origines du cinéma, des Frères Lumière. Retour critique aux frères Lumière, aux origines même du cinéma dans Les Carabiniers. Le fantastique s'introduit magistralement p. 322, après les reproductions de coupures de presse qui éclairent autrement, du dehors pur, le récit de Mathis (et après les récits divers – très différents les uns des autres – des témoins et agents de la dernière nuit et de l'exécution nocturne du condamné à mort) dans la géographie même de l'espace de l'action : les triangles des trois rues les plus fréquentées par M. Bill pendant les dernières années de sa vie, reproduisant la forme géométrique du couperet de la guillotine ! Poétique noire de l'espace, aussi terrifiante qu'objective et qu'aurait certainement appréciée le Gaston Bachelard de la Poétique de l'espace. Du symbolisme au sens le plus profond du terme, à la manière multidisciplinaire dont les Études carmélitaines l’analysaient dans un numéro spécial paru vers la même année 1959 ou 1958 ou bien encore à la manière de Le sens à Pigalle (6) comme il y avait eu Le Désert de Pigalle qu'avait vu, comme spectateur intéressé, Bill. Ajoutons que le titre de ce film noir français classique faisait référence, de toute évidence, au titre bien antérieur du livre Le Désert de l'amour de François Mauriac. Bill le savait-il, lui qui avait tenu (peu et mal, selon lui et les autres, mais enfin il l'avait tout de même tenu quelques temps) une librairie ? Peut-être que oui, probablement que oui !
On a, en somme, la sensation de plonger progressivement dans une spirale en lisant Les Fantômes de M. Bill (qui devait s'intituler initialement M. Bill, R.N. 11 mais Mathis a préféré ce nouveau titre, davantage fantastique, surtout avec le rajout du fer et du feu en sous-titre) qui aurait pu s'intituler aussi, selon nous, «Dr. Rapin & M. Bill». Cette dernière comparaison avait été faite par une couverture de Détective : elle était attendue car la personnalité du prévenu, du reconnu coupable, s'y prêtait. Techniquement très réussi (le jeu sur les temps des verbes est souvent volontairement alterné au sein d'un même chapitre, contribuant à un dialogue concret passé-présent toujours bien contrôlé, aussi bien que les «faux raccords» de Godard, par exemple celui, savoureux, sur une affiche de la Hammer film dont parle Mathis vers la fin du livre) Les Fantômes de M. Bill produit assurément un effet de totalité oppressante, un effet aussi d'irrationalité à jamais inexplicable, en reposant un simple problème psychologique (celui de la fascination du mal : fascination bien mieux illustrée, au cinéma, par Richard Fleischer dans son Compulsion [Le Génie du mal] de 1959 que par le plus ancien, davantage théâtral et un peu trop formaliste La Corde d'Alfred Hitchcock) sur les plans éthiques et esthétiques. Sans oublier cette résurrection concrète du réel, de la totalité du réel artistique, social, juridique, littéraire qu'une conscience pouvait percevoir à cette période charnière 1959-1960, admirablement menée à bien, ou pour mieux dire, remise à jour, en pleine lumière noire.

Notes
(1) Mathis nous précise, par un courriel reçu début mai 2011 : «Le rapport à Jeanne d'Arc n'a jamais été fait avant aujourd'hui ! Ce qui en dit long sur la défense de Floriot ! Personne n'a pensé à regarder... jusqu'à aujourd'hui. Comme tu verras en lisant le livre... qu'il y a 1 chance sur 365... que ce soit l'effet du hasard... et comme dit Eluard, il n'y a pas de hasard, il n'y a que des rendez-vous...».
(2) Les légendes des photos de l'édition Clairac de 2007, nous souffle Mathis, ont été inversées par erreur concernant deux actrices de ce film : les jambes visibles sur la photo utilisée pour la première de couverture, créditées à la belle actrice yougoslave brune Dunja Rajter, sont en réalité celles d'Eva Christian.
(3) Il est connu que bien des criminels ont réclamé l'exécution durant leur procès, disant en substance : «Tuez-moi, sinon je recommencerai !» et, si les causes psychopathologiques du crime sont parfois réelles, elles n'effacent pas la réalité non moins avérée des crimes purs, méritant le retranchement de la communauté humaine par la mort. C'est une des très grandes erreurs de la France et de l'Europe d'avoir renoncé à ce moyen depuis trente ans : sa vertu exemplaire était certes statistiquement médiocre mais sa vertu sécuritaire était évidente car elle empêchait la récidive à coup sûr, dans le cas des pires crapules, et permettait de remarquables économies au système carcéral, aspect non négligeable bien que secondaire parce qu'immoral, de la question. D'ailleurs, les conditions carcérales des années 1960, avec la peine de mort en vigueur, suscitait bien moins de suicides que celles des années 1980-2010 où leur nombre a clairement explosé : la prison actuelle tue donc bien davantage, et souvent à bien moins bon escient que l'ancienne prison... à laquelle il faudrait évidemment revenir, sans renoncer aux apports divers de la modernité. Le paradoxe apparent étant que la mort était distribuée à meilleur escient et en moins grande quantité à l'époque où la peine de mort était en vigueur. Il est cependant juste de remarquer à la fin de cette note (qui pourrait sembler excessivement partiale en faveur de la peine de mort) que le commissaire Chaumeil (depuis sa retraite, Vice-Président de la Fédération Nationale des Écrivains de France) regrettait dans ses souvenirs (cités en note par Mathis) que Bill ait été exécuté.
(4) Hasard peut-être simplement objectif puisque, annoncé dès le no782 du Film Français (15 mai 1959 avec en couverture Les Dragueurs) dans le programme de la Fox 1959-60 sous son titre français, La Brune brûlante est sorti fin juillet. Reste que Mathis fournit globalement au cours de son récit une brillante démonstration d'histoire du cinéma en montrant que l'inconscient du cinéma français (et celui de la distribution française) au tournant 1959-1960 est fait de crimes réels, ces crimes réels retentissant à leur tour eux-mêmes sur la création artistique et même sur le choix des titres... bien sûr le À bout de souffle de Godard (autre histoire, décrite dans une note documentée et encore une parenté de rapport entre un réel et une fiction, et la réception délirante de cette fiction par l'article de France Soir qui assimile «Nouvelle vague» et crimes de Série noire dans l'ahurissant article également cité) et bien sûr Ascenseur pour l'échafaud de Louis Malle mais aussi cette curieuse Brune brûlante qui forme rétrospectivement une allusion en forme de retournement, de déplacement onirique pour brouiller les piste, faisant d'un participe passé (qui s'appliquerait atrocement à Dominique Thirel) un adjectif en forme de participe présent (qui s'applique en clin d'oeil érotique allusif, au figuré, à l'actrice Joan Collins : le titre original américain n'a strictement rien à voir avec le titre français d'exploitation) et allusion uniquement recevable, compte tenu de cette affaire, par le public français...car il n'y a aucune liaison logique sauf une allitération en «b» constituant une liaison poétique mais pas une liaison logique. La distribution française aurait donc fonctionné, créant certains titres, en suivant les mêmes processus de déformation, d'inversion, de détournement, de modification, que ceux à l’œuvre dans la formation des rêves selon Freud.
(5) Concernant l'aspect psychologique, plus précisément psychanalytique, de l'affaire (la mort du frère de Bill, puis l'exécution de Bill aboutissant à la mort des deux fils de la famille Rapin donc de facto à la disparition familiale elle-même, à son engloutissement par la pulsion de mort) elle est évidemment passible de la lecture de la célèbre thèse de doctorat d'Odile Bourguignon, Mort des enfants et structure familiale (P.U.F., collection Le Fil rouge, 1984). Odile Bourguignon avait été une élève du Dr. Francis Pasche, donc soucieuse d'étayer la psychanalyse freudienne sur une stricte documentation positive.
(6) Un article savoureux des années 1975-1978 portait ce titre, paru dans Esprit ou dans Les Temps modernes. Un intellectuel, rompu à la philosophie et à la linguistique, avait stationné dans quelques cafés de la place Pigalle afin d'y décrypter les effets sémantiques et sémiologiques en vigueur dans l'argot du milieu, et aussi ceux en vigueur dans le comportement du milieu, dans ses usages.

Annexe : Bibliographie sélective d’Alexandre Mathis
Œuvres parues :
- Les Fantômes de M. Bill – Le Fer et le feu (Éditions Léo Scheer, 2011).
- Allers sans retour (Éditions Édite, 2009).
- Edgar Poe dernières heures mornes (Éditions Édite, 2009).
- José Benazeraf. An 2002. La caméra irréductible, [signé Herbert P. Mathese] (Éditions Clairac, 2007).
- Chambres de bonnes – Le succube du Temple. Conte fiévreux (Éditions Édite, 2005).
- Les Condors de Montfaucon (Éditions Édite, 2004).
- Le Sang de l’autre, Préface à Le Goût du sang d’André Héléna (Éditions Édite, 2004).
- Minuit Place Pigalle, carrefour des illusions état des lieux aménagement du territoire suivi de Visite guidée dans Paname du parcours, à pinces et pressé, de quelques personnages d’André Héléna, in Polar no23 (Éditions Rivages, 2000).
- Maryan Lamour dans le béton (Éditions I.d.é.e.s./Encrage, Les Belles Lettres, 1999).

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