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17/02/2007

Jdanov exhumé en guimauve : sur Jacquou le Croquant, par Jean-Gérard Lapacherie

Malévitch, Femme moissonnant, 1912


On sait en quoi consistent les injonctions dites réalistes socialistes en matière de musique, de peinture, d’arts visuels, de littérature : toute œuvre, même la plus insignifiante, telle une photo ou une carte routière, doit être conforme à la ligne, celle du Parti ou de l’État ou du Parti État ou de l’État Parti. L’art n’est qu’un appendice de l’idéologie en place. Il y donne un coup de vernis, il la farde, il la maquille. Ainsi dorée, la pilule est avalée sans dégoût. Des décennies durant, dans tout le Kommunistan, la réalité représentée était socialiste, c’est-à-dire conforme au iota près à ce que l’idéologie affirmait de la réalité ou à l’image de ce que le Parti avait décidé qu’elle serait. Elle était aux autorités ce que la beauté était aux surréalistes : socialiste ou rien. Si ne l’était pas, l’œuvre était interdite et à son auteur était offert un long séjour, tous frais payés, dans une villégiature du Goulag. Le résultat a été à la hauteur de l’idée. Toute forme d’expression en URSS et ailleurs a été fossilisée pendant près de trois quarts de siècle.
Il y a, depuis la seconde guerre mondiale, des esclaves qui, par veulerie ou stupidité, appliquent à eux-mêmes et aux autres les injonctions de ce si mal nommé réalisme : Stil, Garaudy, Wurmser, Vailland, Aragon, Daenincks, Chabrol. En France, le réalisme socialiste survit à tout, même à la chute du Mur de Berlin. La réalité n’étant pas socialiste, ni près de le devenir, c’est dans le passé que le réalisme a ressuscité un socialisme de fantaisie, pittoresque et exotique. Il en est ainsi dans Jacquou le Croquant (1969), téléfilm que Lorenzi, le brave soldat du communisme, a adapté d’un roman de même titre (1899), qui tient de la variante française fin de siècle du réalisme socialiste : le réalisme radical socialiste. L’auteur, Eugène Le Roy (1836-1907), après avoir combattu dans les colonies les «races inférieures», se mue en notable local du département de la Dordogne en devenant fonctionnaire des contributions et, bien sûr, franc-maçon. La République l’a honoré. Dans le Périgord, sous Henri IV et Louis XIII, des paysans se sont révoltés contre les taxes de plus en plus lourdes que l’État centralisé prélevait sur leurs récoltes. Par mépris, ils étaient nommés croquants. Or, dans le roman, ces révoltes ne se passent pas dans la France d’Henri IV, ce qui aurait écorné l’icône nationale que le bon roi Henri est devenu sous la IIIe République; elles ont été déplacées de deux siècles et elles se produisent entre 1815 et 1830, lors de la tentative faite de restaurer l’ancien régime.

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