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12/05/2005
Hamburger Hill, par Francis Moury
Malgré l'évident anachronisme, je ne puis résister au plaisir douloureux de choisir, plutôt que l'une des innombrables photographies prises au cours de cette fameuse guerre du Vietnam, celle d'un certain soldat américain devenu subitement célèbre (Lance Copland James Blake Miller), combattant en terre irakienne. Les guerres n'ont qu'un seul visage, qui de toute éternité est le même : de pure cruauté. Un seul regard aussi, de déroute tragique, d'hébétude totale mais encore, je crois, plein d'un calme, d'une paix et, pourquoi ne pas le dire avec Patočka, de cette fraternité des damnés ou solidarité des ébranlés qui nous demeure parfaitement, rigoureusement incompréhensible, à nous, les Assis, ceux de l'Arrière, nous qui par lâcheté, routine et compromission quotidiennes, nous taisons et refusons de regarder ce qui se tient pourtant devant nous.
De l’avis de la plupart des spectateurs «professionnels» (les soldats de carrière), le film le plus fidèle du point de vue de la reconstitution des décors naturels (inutile de rappeler qu’aucun film sur la guerre du Viêt-Nam n’a été tourné… au Viêt-Nam, mais souvent, comme c’est le cas ici, aux Philippines), de l’exactitude des accessoires (équipements collectifs et individuels des hommes), de la véracité de la psychologie et de l’exactitude de la tactique (ou action) elle-même est Hamburger Hill (USA, 1987) de John Irvin. Hamburger Hill est ainsi l’un des grands films témoins sur cette guerre avec d’autres, de première main, comme Platoon [Platoon] (USA, 1987) d’Oliver Stone qui fut soldat là-bas ou The Green Berets [Les bérets verts] (USA, 1968) de John Wayne et Ray Kellog (tourné pendant le conflit). Hamburger Hill se révèle néanmoins supérieur à ces derniers : sa structure est plus rigoureuse que celle du second film et ses personnages moins allégoriques que ceux du premier.
Fidélité empreinte d’un lyrisme sourd qui jaillit à la fin de la dernière séquence, est préparé par des plans d’introduction du Viêt-Nam Mémorial et inscrit au générique final par un poème en prose (un réquisitoire en forme d’éloge ou son contraire, dont la beauté littéraire évoque autant Matthew Arnold que Lucain) d’une quinzaine de lignes, rédigé par un officier américain ayant sans doute participé aux faits.
Fidélité empreinte d’horreur physique grandissante : pratiquement tous les protagonistes (tous jeunes) finissent tués ou mutilés. Ce qui rend la vision du film d’autant plus cruelle que lesdits protagonistes ne sont pas des pantins caricaturaux, des abstractions, des caractères convenus mais des individus que l’on a largement eu le temps de découvrir (casting d’acteurs remarquables mais à l’époque inconnus et dont la plupart mis à part Dylan Mc Dermoth ou Steven Weber, n’ont guère réapparu ensuite : ce qui renforçait la force du film, en appliquant avec justesse une idée issue en droite ligne des préceptes des néo-réalistes italiens) et d’appréhender. Leur peinture psychologique est rapide mais toujours juste. Le remplacement de leur âme individuelle par une sorte d’âme collective est progressif et augmente d’intensité et de visibilité au moyen d’une maîtrise spectaculaire du découpage dans la seconde partie, celle consacrée aux 10 days : pas d’attaque mais de nombreux dialogues – attaque – repos et moins de dialogues – attaque pire – repos et dialogue plus bref – attaque encore pire –, pratiquement plus de dialogue mais quelques mots, des regards, des soupirs… jusqu’à l’attaque finale au cours de laquelle les derniers survivants ne vivent plus que pour deux actions alternées jusqu’à la nausée : être tués ou tuer d’une part, progresser vers le sommet de la Hill 937 d’autre part.
La suite de ce texte figure dans Flammes sur l'Indochine, l'ouvrage érudit de Francis Moury récemment paru aux éditions Ovadia, ici.