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15/07/2005
La guerre des mondes n'aura pas lieu
«Pourquoi attaqueraient-ils un tigre quand il y a autant de moutons partout autour d'eux ?»
Un expert britannique du terrorisme, cité par Valeurs actuelles, n° du 15 au 21 juillet 2005.
La guerre des mondes, comme celle de Troie, n'aura pas lieu parce que notre ennemi ne trouvera aucun résistant dressé sur sa route, parce que, comme l'explique l'un des personnages du roman de H. G. Wells (sa toute récente adaptation cinématographique réalisée par Spielberg, truffée d'incohérences, ne vaut que par certaines de ses scènes de destruction les plus spectaculaires) au narrateur, les Martiens, pour les moutons que nous sommes devenus par évolution génétique de notre espèce, seront (ou sont) une bénédiction : «de jolies cages spacieuses, de la nourriture à discrétion ; un élevage soigné et pas de soucis» (Gallimard, coll. Folio, 2005, p. 270). Nous retrouvons ainsi la prédiction du Grand Inquisiteur de Dostoïevski parlant au Christ : l'homme vit heureux à condition que sa destinée soit prise en charge par plus puissant que lui, plus clairvoyant, en bref par un maître qui, nous dit le romancier russe, est dans une certaine mesure capable de se sacrifier pour garantir le bonheur de ses ouailles. Ce même personnage imaginé par Wells, qui prudemment, pour atténuer son discours radical, le fait déclarer quelque peu fou par le narrateur, va jusqu'à penser qu'une partie de ces hommes capturés par les Martiens deviendront, pour leurs semblables réduits à se cacher dans les souterrains, de redoutables chasseurs chargés d'étancher la soif de sang humain de leurs maîtres. On connaît la fin du roman d'anticipation, élément d'ailleurs fidèlement retranscrit par Spielberg : les Martiens invulnérables sont anéantis par les microbes terriens, contre lesquels ils ne peuvent rien, comme si la puissance la plus formidable était strictement démunie face aux décrets de l'Invisible.
Eh bien, la puissance occidentale, elle aussi, semble ne rien pouvoir faire contre l'ennemi invisible (n'en déplaise au Transhumain qui a défendu ses vues somme toute humanistes dans un très bel article), contre l'ennemi plus invisible qu'une cinquième colonne, qui est déterminé, c'est le moins que l'on puisse dire, à la faire trembler et vaciller sur ses pieds d'argile, à sectionner, qu'importe le nombre de prétendus martyrs qu'il devra employer pour parvenir à ses fins apocalyptiques, ses trois longues pattes que sont l'Argent, l'Orgueil et le Plaisir. On connaît le mot du général Franco, rapporté par Alexandre Koyré (La cinquième colonne [1945], Allia, 1997), p. 8) : «Les quatre colonnes qui s’approchent de Madrid seront aidées par une cinquième qui s’y trouve déjà». J'invite aussi les sceptiques et les prudents élémentistes qui tentent de promouvoir une sotériologique et brumeuse voie de conciliation que l'on nous promet triomphante dès que le nouvel homme naîtra, à bien méditer la phrase qui suit, signée de Koyré : «L’existence de «l’ennemi intérieur» implique et indique la présence au sein de la Cité de groupes non-intégrés, non embrassés par le lien social ; de groupes qui se refusent à s’identifier avec le Tout de la Cité, ainsi que de se solidariser – dans ce Tout – avec les autres groupes qui le composent et le constituent ; de groupes qui s’isolent – ou qui se trouvent isolés – dans ce Tout ; qui s’opposent à ce Tout ; qui, l’opposition s’intensifiant et s’exaspérant, passent de l’opposition à l’hostilité, de l’hostilité à la haine ; le cas échéant la lutte sourde se transformera en lutte ouverte : la sédition fera son entrée dans l’État».