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04/02/2006
Allahou Akbar
«Une démocratie ne saurait instaurer une police de l'opinion, sauf à fouler aux pieds les droits de l'homme.»
Le Monde, éditorial du 2 février 2006.
Dieu est grand bien sûr, et la Presse est toute petite, qui tente pourtant de Lui ravir sa place, qui prétend Le chasser du Saint des saints et, abomination de la désolation de la Parole, se repaître des sacrifices immolés à l'Idole. Regardez quel dédain à l'égard des croyants, de toute personne même qui, incroyante, respecterait tout de même le sacré, regardez quel extraordinaire mépris ces chiens hirsutes (qui de la religion ne croquent le plus souvent rien de plus que quelques clichés aussi jaunis que les dents de l'increvable pourriture Voltaire à la mamelle sèche duquel s'abreuvent une multitude de petits Onfray), témoignent à celles et ceux qui prient Le Dieu pour ensuite, ô scandale inadmissible, s'étonner que les fidèles les plus rigoristes profèrent à leur égard des menaces de mort à peine voilées, c'est le cas de le dire. Certes, il est bien vrai que les hyènes de la Presse n'étaient guère habituées, jusqu'alors, à une quelconque réaction venant des catholiques, sinon de pure forme, se limitant bien souvent à une bulle fulminée par le vieillard irascible depuis longtemps claquemuré dans l'in-pace de sa maladie ou, à défaut, telle lettre sentant bon l'encens épiscopal, de facto jugée inoffensive par le Tribunal révolutionnaire de la sempiternelle répétition, cette Presse qui ne peut ni admettre ni surtout comprendre l'intrusion d'une parole souveraine. Dans ces conditions humides, où les champignons de la libre pensée, de la tolérance de droit divin, du devoir intangible de la Presse à se répandre, poussaient d'un bel élan consensuel vers le soleil blafard du lieu commun, il était de bon ton de moquer les catholiques (souvent, aussi, tout chrétien), le Christ fait Homme, son Père et bien évidemment, sa représentante visible, qui il est vrai a perdu de sa superbe depuis quelques siècles au moins, se contentant de nos jours de vanter les vertus de la séparation entre les pouvoirs temporel et religieux. L'Église pouvait ainsi se déclarer profondément choquée par telle campagne de presse (il y a quelques années déjà, l'affiche du film Amen de Costa-Gavras) où ses ouailles étaient tirées comme des lapins, levées comme des palombes; elle pouvait encore témoigner du désarroi de ses millions de fidèles face aux caricatures les plus grossières, rien à faire : le Veau gras de la Presse se déclarait lui-même scandalisé qu'on ose se scandaliser et, de la sorte, qu'on tente de limiter sa prescience miraculeuse, sa ravageuse alacrité, sa mordante ironie à l'égard de tout dogme, aussi impénétrable, aussi suspect à ses yeux que le sens d'une destinée mystique de saint.
L'affaire était donc vite conclue même si, bien rarement, de belles voix dénonçant courageusement l'odieux chantage forçaient les dos de quelques fidèles précautionneusement prosternés devant l'Idole à se redresser et obligeaient même le veau d'or à se regarder dans une glace à sa toute petite mesure. Qu'y voyait-il, dans ce reflet, l'espace d'une trop courte seconde ? Certes pas un animal sauvage, noble, libre. La Presse est une hyène et, adoptant avec un mimétisme assez remarquable les coutumes de cette espèce charognarde, impudique et veule, sait parfaitement qu'il serait mortel, pour elle, d'attaquer un tigre autrement que mourant, crevant de ne plus pouvoir bondir dans l'immensité, de zébrer l'espace de sa signature divine. La Presse a grossi dans le cadavre deux fois crevé de la France et de l'Église. La Presse, pour naître et grandir indéfiniment, a dû se nourrir de la carne putrescente de ces deux charognes.
Charogne de la France devant sans cesse se battre la coulpe et proférer, contre le risque d'être déclarée relapse, de pénibles amendements à sa propre histoire, ni bonne ni mauvaise, mais tout simplement grande, et petite lorsque elle a systématiquement voulu se renier, s'excuser, s'abaisser, cracher sur elle-même bref, faire amende honorable qui la mena tout droit au déshonneur, et à la sortie de l'Histoire aussi. Charogne de l'Église que la Presse, cette communauté invisible annonçant la bonne parole de l'opinion universelle, promettant le paradis de la conscience vide à ses milliards de fidèles communiant dans une sainte jouissance du fait divers, a réduit à n'être plus que la portion congrue, l'os qu'elle n'a de cesse de ronger où s'accrochent encore quelques lambeaux de liberté de culte, tout juste tolérée malgré les vertueuses professions de bonne foi des oulémas de la plus stricte obédience. La Presse, étant une hyène, ne saurait tout de même ne point s'abaisser à lécher sans relâche le corps immense en décomposition, abandonné de tous, surtout de ses sœurs protestante, orthodoxe et anglicane mais il lui faut encore, pour excuser ses amours décomposées, que chaque chrétien admette avec candeur que sa croyance ne peut qu'être embastillée dans la sphère étroite de la vie privée. Alors, réjouie, la hyène peut reprendre sans le plus petit scrupule sa patiente dévoration, et se contenter de sucer l'os plutôt que de vouloir le broyer.
Comme il est amusant, aussi, de voir que la carcasse de la France ne cesse de trembler devant le tigre de l'Islam, qui s'en est déjà repu et flaire de plus nobles conquêtes, et ce quels que soient les sursauts nous faisant croire, peut-être, au fait que le cadavre bouge encore. Comme il est drôle de constater, encore, que le cadavre de l'Église, habilement, cherche à ne point salir la robe altière du tigre, fût-ce d'un de ses crachats de puceron : l'heure, mesdames et messieurs, est à l'œcuménisme et quiconque affirmera le contraire méritera de finir sur le trébuchet de l'inquisition publique, puisque l'Église n'a plus le pouvoir d'exécuter elle-même ses décrets. En somme, elle, cette Église, autrefois grande comme la France, grande parce que la France, entre autres intersignes d'honneur, avait été désignée pour l'accomplissement d'une mission, demeurait sa fille aînée et était elle-même grande, en somme cette Église rend son propre cadavre présentable pour attirer le Prince messianique qui, d'un baiser ô combien douloureux, lui rendra peut-être la vie, la jeunesse, la grandeur de son scandale : Dieu fait Homme, ce que nul n'a osé proclamer avant ou après Elle, ce que nul n'osera plus faire dans les siècles des siècles.
Ainsi le tigre est revenu, il s'est réveillé de siècles d'assoupissement, comme s'il était l'un de ces sept dormants mystiques qui doivent se lever au Jour du Jugement. Et le tigre cherche maintenant, selon l'ancienne prédiction de l'apôtre, qui dévorer, ses adversaires de longue date bien sûr, les Juifs, mais aussi ses placides brebis, parquées dans le parc européen, qu'il contribue à engraisser en les gavant de manne pétrolière. Et bientôt, n'en doutons pas, ce sera au tour de l'Occident tout entier d'être dévoré, à moins qu'il ne soit vassalisé comme, ici ou là, le prétendent quelques romanciers et écrivains immédiatement taxés de folie et à leur tour parqués, cette fois dans l'horreur du camp de concentration réactionnaire diligemment ouvert pour eux par la Presse. Et puis enfin, annonçant le Silence dernier, ce sera au tour de la hyène d'être mangée, cette Presse qui, avant de se coucher puis d'écarter les cuisses dans une évidente parade de séduction censée la protéger des morsures du félin, hurle qu'elle est serve, c'est-à-dire qu'elle est libre, libre de reprocher au tigre sa force, libre de lui dicter sa conduite et de décider quel sera l'empan de ses bonds, la taille de ses crocs, la note, au crépuscule, de ses terribles feulements, la couleur même de ses déjections. La force se soucie-t-elle de comptabiliser les dégâts qu'elle fait ? Non bien sûr puisque la force n'a nulle nécessité de légitimer son action, qu'elle soit désacralisée et alors les milliers de figures dolentes rejoignent sans un mot de plainte (ou presque) le bord du charnier communiste où elles vont être jetées dans quelques instants ou qu'elle soit religieuse, et qu'elle tente ainsi de justifier l'horreur de ses guerres saintes qui se passent de raisons mais creusent toujours le puits sans fond de la légitimité. Le faible quête toujours la légitimité qu'il n'a pas, convoquant les arcanes de la Tradition et sondant les puits, souvent peu profonds et nauséabonds, du Sacré. Le fort, lui, se revêt de cette légitimité comme d'un manteau impérial dont il ne se dépouillera qu'au moment, tragique, où il s'avisera d'en définir les pouvoirs mystérieux, d'en repriser le tissu impalpable. La force détruit et c'est bien là tout ce que nous sommes en droit de constater, sans pouvoir le lui reprocher. Le faible, lui, qui inverse la triple prière du père de tous les croyants, Abraham, et la transforme en un ignoble marchandage où caquettent les dupes, la hyène n'hésite pas à demander au tigre de se rendormir, afin d'abord que le fort ne dévore point les brebis qui ont été mises là de toute éternité par Dieu pour nourrir son animal roi et flatter la méchanceté du faible, afin ensuite que le tigre ne prétende point tout de même se repaître de la propre graisse suintante de mots profanés que ricane la hyène, enfin pour qu'il ne soit pas trop violent avec le cadavre de la France, celui de l'Église ayant été depuis longtemps jeté sans ménagement dans la fosse commune, et oublié.
Le tigre dévorera bien sûr les brebis et, s'il n'a pas assez de force pour jeter à terre l'immense Idole à mufle porcin, espérons au moins qu'il ne se gênera pas pour la transformer en ridicule borne compissée. Reste à savoir si le lion, évidemment de Juda, acceptera que l'Islam prétende l'asservir et le détruire, s'il acceptera que le tigre veuille conquérir son territoire de déserts et de rares sources qu'il a gardé durant des millénaires d'une veille inquiète, jamais relâchée, l'ardeur et la patience demeurant cachées au plus profond du cœur des Juifs. Reste à savoir si nous saurons, nous, chrétiens s'il en demeure, et, eux, vous, musulmans, s'il en demeure n'étant point fascinés par la violence du guerrier et la drogue des assassins, faire nôtre la prière de Louis Massignon (intitulée : Pour une paix sereine entre chrétiens et musulmans dans Parole donnée) que voici : «Ce n'est que dans l'honneur partagé, avec un «pain licite», des camarades de travail, qu'ils [Massignon évoque les «ultras» français et musulmans] trouveront la parole de vérité, libératrice.» Reste à savoir surtout si le tigre, lui aussi flatté par les prestiges faciles de l'Occident et que ce dernier prétend «intégrer» à son propre corps pourri, «assimiler» c'est-à-dire dissoudre dans sa mélasse tiède, trouvera assez de force pour se garder de toute compromission avec la horde innombrable des hyènes, leur puanteur inaliénable, partagée comme un étrange schiboleth par chacun des membres de la confrérie jamais silencieuse, ricanant dans le désert, foulant de ses pattes toute trace sainte des dieux enfuis, du Dieu introuvable. Je ne suis pas certain en effet que la fierté qu'évoque Massignon dans un autre de ses textes, sublime (Les trois prières d'Abraham père de tous les croyants), soit encore bien longtemps de quelque contenance face à la morsure de l'acide de la médiocrité, distillé à l'occidentale, c'est-à-dire sans que nous nous en rendions compte, sans que nous comprenions que le poison envahit lentement notre sang, tôt ou tard vicié. La saignée prochaine, qui ne peut que nous être prescrite par le savant docteur qu'a toujours été l'Islam, cette saignée indispensable nous videra, nous tuera et, peut-être, nous régénèrera si nous ne sommes pas dès à présent invinciblement pourris.
Aujourd'hui, l'Islam crève du cancer de l'Occident, qui s'attaque ainsi au dernier organe encore relativement sain de l'Orient (à moins, je l'ai dit, qu'il n'y ait là qu'apparence de santé et que le mal, désormais, soit irréparable), puisqu'il ne peut plus rien consommer de son propre cadavre, que même les hyènes hésitent désormais à venir renifler. Massignon donc, l'amoureux de l'Islam, désignant pourtant, contre nos petits docteurs gentiment optimistes, gentiment lettrés, gentiment béats : «Pour l'Islam, toute paix en ce monde est bâtarde, qui n'est pas fondée sur la reconnaissance du Dieu d'Abraham. Et même avec les Chrétiens et les Juifs, qu'ils tolèrent, les Musulmans n'envisagent d'accord que sous forme de menace d'ordalie, de «capitulation» vassalisante, abandonnant d'ailleurs dédaigneusement à ces deux groupes tout ce qui, dans la vie économique joue idolâtriquement sur les «faits de Dieu», assurances maritimes, taxes indirectes, commerce des métaux précieux et usure, bourses. Le Musulman ne veut pas de ces avantages, suspects à ses yeux autant que les privilèges religieux dont ces deux groupes se targuent.» Je crois au contraire que le Musulman moyen, tout comme le Chrétien moyen, s'il n'y a pas là quelque évident pléonasme, veut ces assurances, ces taxes et les métaux précieux, et l'usure, et le profit invisible de la Bourse, et les putains superbes stériles car engrossées par l'argent facile. Si l'Islam obtempère, si le tigre somptueux et implacable se laisse dresser comme un caniche de cirque, si la hyène triomphe de la bête indomptable, alors la Chrétienté, elle aussi, faute de cet intercesseur caché, maintenant révélé sous son terrible éclat de violence qui, pour elle, signifie la mort et la renaissance, alors la Chrétienté disparaîtra sans même que soit conservé son pieux souvenir, si ce n'est par quelque fulgurant et mélancolique Hallâj futur.
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