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14/06/2007
Sophie Scholl, les derniers jours ou la puissance de la Parole, par Germain Souchet
Afin d'accompagner la diffusion sur Arte du film de Marc Rothemund sur Sophie Scholl ce soir à 20H40 (rediffusion le 18 juin à 0h50), je remets en Une de la Zone le beau texte de Germain Souchet. Je me permets également d'indiquer, en lien, mon texte sur l'ouvrage de Theodor Haecker, Le chrétien et l'histoire, en rappelant que cet auteur fut l'un des inspirateurs de La Rose blanche. Haecker avait d'ailleurs lu des passages de son ouvrage à Hans et Sophie Scholl (qui écrivit en évoquant ces heures de lecture : «jamais personne ne m’a à ce point persuadée par un visage») au lendemain de la defaite de Stalingrad.
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Il y a, je crois, deux types de films marquants : ceux qui, par la simple force de leur esthétique, parviennent à défendre une thèse ou à exposer une pensée et les autres, qui, pour atteindre au même résultat, sont plus didactiques, en un sens, moins artistiques. Dans la première catégorie, je classerais volontiers Il faut sauver le soldat Ryan de Steven Spielberg, film qui nous parle, justement sans nous en parler, mais simplement en filmant les combats, de la nécessité de conserver le sens de l’humain au cœur d’une guerre impitoyable, ainsi que de la dette des jeunes générations envers les soldats qui se sont sacrifiés pour leur liberté.
Il serait tentant de classer dans la seconde catégorie Sophie Scholl, les derniers jours, comme beaucoup de critiques l’ont fait. Il est vrai que la mise en scène est d’une grande sobriété, presque «clinique», selon un mot que j’ai lu à plusieurs reprises. Il est également vrai que le propos – la défense des valeurs humanistes et chrétiennes face au régime nazi – apparaît clairement dans les dialogues. Est-ce à dire que le film en tant que film n’apporte rien au spectateur ? Je crois que ce serait passer à côté de «l’esthétique de la dialectique» développée par ce film. L’expression est peut-être un peu facile, mais je crois qu’elle reflète justement ce qui fait la force de ce long-métrage allemand. L’univers dépeint est glacial et profondément déshumanisé : comment le représenter, si ce n’est en posant une caméra dans la froideur d’un bureau éclairé par une lampe à la lumière crue ? Est-il nécessaire de faire tourner la caméra autour des acteurs, d’ajouter des effets plus ou moins spectaculaires, comme le cinéma moderne en use et en abuse ? Ce serait, je crois, un contre-sens artistique. De fait, le choix effectué par le réalisateur permet de mettre l’accent sur le jeu des acteurs : tous sont excellents, capables d’incarner l’insignifiance désincarnée des rouages de la machine totalitaire, qu’ils soient actifs au sein de celle-ci – les agents de la Gestapo, les juges, les gardiens de prison –, collaborateurs actifs – le concierge de l’université –, ou collaborateurs passifs par lâcheté – les avocats commis d’office. Hans et Sophie Scholl, à l’inverse, tranchent par leur humanité, par leur présence véritablement incarnée et semblent briller au milieu de ce film comme le feraient des personnages en couleur au milieu d’un tableau en noir et blanc. Ce n’est donc pas un hasard si le réalisateur s’attarde sur le pâle soleil d’hiver accompagnant à plusieurs reprises le chemin de croix de Sophie Scholl : ce soleil, à la fois symbole de sa foi et de la présence de Dieu dans ce monde, nous montre aussi que, loin de craindre la Lumière qui révèle toutes choses et à laquelle aucun des replis de l’âme ne saurait échapper, elle l’attend et l’espère.
On peut naturellement regretter une bande son assez insignifiante, voire par moments inappropriée car trop rythmée, trop martelée, sans véritable rapport avec l’image. On peut penser qu’un réalisateur hors du commun aurait su trouver des plans, des façons de filmer qui, sans se détacher de cette «esthétique de la dialectique» que j’évoquais plus haut, aurait réussi à en gommer les aspects les plus académiques. Néanmoins, Sophie Scholl, les derniers jours reste un beau film, tant par la splendeur du message délivré que par la façon dont il est présenté au spectateur. Dans le texte qui accompagne cette présentation sommaire, on verra, je pense, comment certaines scènes, sans qu’elles soient explicitées ensuite par un quelconque dialogue, transmettent des messages d’une puissance aussi grande que les tirades de Sophie Scholl dans le bureau de l’inspecteur de la Gestapo ou devant le Tribunal du Peuple.
«Pilate lui dit : […] Ne sais-tu pas que j’ai le pouvoir de te relâcher comme j’ai le pouvoir de te faire crucifier ?
Mais Jésus lui répondit : Tu n’aurais sur moi aucun pouvoir s’il ne t’avait été donné d’en haut […].»
Jean (19, 10-11).
«On n’écrit vraiment librement que du fond d’une cellule.»
Maurice G. Dantec.
La sortie internationale de La Chute avait suscité une polémique à propos de la question suivante : était-il légitime de représenter Hitler sous les traits d’un homme ? Le malaise de certains critiques révélait la difficulté de notre société post-moderne à penser le Mal et à comprendre comment un homme, supposément naturellement bon, pouvait entraîner à sa suite un peuple, pourtant héritier de Goethe et de Beethoven, dans l’expérience totalitaire la plus effrayante du vingtième siècle. D’aucuns sentaient confusément que la réponse se trouvait dans le rejet de Dieu par les sociétés européennes, et plus précisément dans le rejet du christianisme, remplacé par le scientisme, le positivisme, le darwinisme, etc. Que le nazisme ait quelque chose à voir avec le fait d’avoir érigé en dogmes, en explications ontologiques et existentielles des sciences ou des systèmes de pensée athées, voilà qui était intolérable aux apôtres de la bien-pensance. De fait, il était plus facile de considérer Hitler comme un fou, voire un monstre, ce qui permettait de faire l’économie d’une réflexion philosophique et théologique sur les racines du Mal national-socialiste… qui n’aurait pas manqué de révéler quelques points de convergence avec certaines pratiques de nos sociétés, comme l’analyse Patrice de Plunkett dans le premier chapitre de son excellent ouvrage, Benoît XVI ou le plan de Dieu. La même incompréhension médiatique s’est d’ailleurs retrouvée dans les commentaires des homélies ou des discours du Pape allemand, qui a plusieurs fois évoqué ce régime «néo-païen», Mal absolu parce que négation absolue du Christ et de l’humanisme chrétien, qui l’avait conduit à l’époque à entrer au séminaire, afin d’opposer la Parole vivante aux discours de Mort d’Hitler, Goebbels, Himmler et tant d’autres.
La sortie récente en France de Sophie Scholl, les derniers jours est en revanche passée totalement inaperçue. La Chute nous montrait, par une plongée infernale dans le bunker d’Hitler au cours des derniers jours de la guerre, que le régime nazi ne pouvait qu’écraser le monde entier sous le poids de son idéologie folle ou s’autodétruire, lui et tous ses dignitaires – d’où cette débauche de suicides – une fois la défaite certaine. Le film consacré aux dernières heures de la vie de Sophie Scholl constitue en quelque sorte le pendant lumineux de La Chute. Si le fonctionnement totalitaire du nazisme y est très largement abordé, que ce soit dans l’interrogatoire mené par l’agent de la Gestapo ou dans le jugement sommaire du Tribunal du peuple dont le verdict – la condamnation à mort – était déjà rédigé avant l’audience, c’est pour lui opposer la puissance discrète mais incontrôlable de la Parole. La grande force du film est en effet de ne pas avoir passé sous silence la foi chrétienne, protestante, pour être précis, de Sophie Scholl, source évidente et primordiale de sa résistance pacifique et intellectuelle au IIIe Reich. Dans ses moments de désespoir, alors qu’elle comprend qu’elle n’échappera plus à la mort, la jeune étudiante de 21 ans, membre fondatrice du réseau La Rose Blanche trouve en effet refuge dans la prière; en appelant à l’aide Dieu, dont elle dit ne pas savoir précisément qui Il est, mais en Qui elle place toute sa confiance, elle trouve la force de faire face à son destin avec courage et dignité. Dès lors, bien que dramatique, le film reste dominé par l’espérance chrétienne dont aucune force terrestre, fût-elle déployée par la mécanique glaciale et impitoyable de l’idéologie nationale-socialiste, ne peut triompher.
Certes, je ne suis pas naïf au point de penser que la résistance pacifique aurait suffit à renverser Hitler et sa clique. Le recours à la force, la guerre totale, même, contre l’Allemagne nazie était inévitable, d’autant plus que le Führer refusa jusqu’au bout de capituler. Il n’y avait donc pas d’alternative à l’écrasement militaire du Reich. Mais triompher du nazisme n’était pas tout : encore fallait-il, aux lendemains de la guerre, reconstruire une Allemagne démocratique, capable de se réconcilier avec les valeurs humanistes qu’elle avait abandonnées une quinzaine d’années plus tôt. Pour cela, il était indispensable que le peuple allemand soit arraché à la fascination qu’il avait éprouvé pour une idéologie lui promettant bonheur et prospérité pour les mille ans à venir, sorte d’eschatologie temporelle et terrestre qui, pour tenir ses promesses, se devait de détruire le monde pour le remodeler selon la sinistre vision d’Adolf Hitler. Ce n’est qu’ainsi qu’on peut comprendre l’utilité de la résistance intellectuelle, morale et même spirituelle de la Rose Blanche. J’ai lu l’article d’un célèbre critique de cinéma américain qui semble considérer que l’action de Hans et Sophie Scholl était idéaliste et téméraire… en un mot, inutile. C’est décidément ne pas comprendre que ces six tracts, d’abord distribués à Munich, puis envoyés dans toute l’Allemagne, avant que la Royal Air Force ne lâche – après le démantèlement du réseau de résistance par la Gestapo – un million d’exemplaires du dernier document au-dessus de la Bavière, ont joué un rôle fondamental dans la défaite post-mortem du nazisme : comment ne pas voir, en effet, que les idées défendues par Sophie Scholl, à savoir le respect de la dignité humaine, la démocratie, la liberté d’expression, la liberté de culte, le fédéralisme, sont précisément celles qui ont triomphé dans la Loi fondamentale allemande de 1949 ? Comment ne pas voir que ces idées ont été plébiscitées lors des élections de l’après-guerre avec les succès répétés du centre-droit démocrate-chrétien – la fameuse CDU – de Konrad Adenauer ? Comment, enfin, ne pas comprendre que la construction européenne, promue dès les années 1950 par les catholiques Schumann, Adenauer et De Gasperi, constituait le prolongement naturel du projet fédéraliste et chrétien de Hans et Sophie Scholl ? La résistance de la Rose Blanche ne fut pas simplement un acte de courage admirable mais irréfléchi; il aida bien à vaincre définitivement le démon national-socialiste.
La Parole et la Croix du Christ sont des signes de contradiction dont on ne mesure pas toujours la puissance. Face à un ouvrage jugé indestructible, comme le régime nazi, elles commencent par ouvrir quelques brèches, presque imperceptibles; l’eau vive s’infiltre alors dans ces interstices, puis, lentement mais sûrement, exerce une pression qui finit par faire voler en éclats la digue la plus solide, censée pouvoir arrêter le flot de la liberté. Ces quelques brèches, cet affaiblissement de la terreur, ce grain d’humanisme inséré dans la mécanique bien huilée du totalitarisme, Sophie Scholl, les derniers jours en donne trois illustrations saisissantes.
La première intervient au cours de l’interrogatoire de la jeune étudiante par un agent de la Gestapo. Alors que le jour de son arrestation, elle avait été confrontée à un petit fonctionnaire d’autant plus zélé qu’il devait au régime d’être devenu quelqu’un, comme il le lui expliquera plus tard – en réalité, il croyait être devenu quelqu’un, alors même que, individu modeste mais homme à part entière avant l’arrivée au pouvoir du NSDAP, il n’était devenu qu’un rouage de la machine nazie – elle n’a plus affaire le lendemain au même homme. À n’en pas douter, Robert Mohr a été troublé par l’attitude de la jeune femme la veille : après avoir nié en bloc être mêlée à la rédaction et à la diffusion des tracts, dans la tentative bien naturelle de sauver sa vie, Sophie Scholl a ensuite reconnu être membre de la Rose Blanche quand elle a lu les aveux signés de la main de son frère, ajoutant même qu’elle était «fière» de ce qu’elle avait fait. La sérénité avec laquelle elle prononce ces paroles, sans la moindre once d’agressivité ou de haine, cette tranquillité de l’âme et cette certitude d’avoir agi conformément à la Justice véritable, même si elles n’excluent pas une crainte légitime pour son avenir, sont à la fois stupéfiantes et bouleversantes. Il est évident que cette force intérieure qu’elle oppose de manière effrontée à cet agent de la Gestapo, symbole de la terreur sur laquelle reposait le régime, lui vient de sa foi en Dieu, capable de transcender tout Homme et de lui faire braver tous les dangers pour rester au service de la Vérité.
Le lendemain, donc, Robert Mohr sort totalement de son rôle d’inspecteur pour débattre avec Sophie Scholl du national-socialisme : ce faisant, il accepte d’entendre les arguments de la jeune femme – alors que son rôle est de traquer et de faire taire ceux qui les énoncent dans les tracts de la Rose Blanche – qui lui parle de respect de l’Homme, dénonce l’extermination des Juifs, dont son frère, alors soldat sur le front de l’Est, a été témoin, et qui lui promet la défaite finale d’Hitler. Son attitude est donc un aveu de faiblesse : s’il était absolument persuadé de la validité morale du nazisme, s’il croyait vraiment que l’Allemagne avait retrouvé sa grandeur grâce au Führer, pourquoi n’enregistrerait-il pas simplement les aveux de Sophie Scholl, «ennemie du Reich», l’envoyant ensuite vers une mort certaine ? En réalité, ce petit agent de la Gestapo doute; il ne cherche pas à convaincre Sophie Scholl, mais à se convaincre lui-même que ce qu’il fait est bien, que la stricte application de la loi, même inhumaine, est juste. Le rouage, l’homme réduit à un livre de procédures appliquées scrupuleusement, se souvient brutalement qu’il est un être humain, qu’il a une conscience… et que la jeune femme qu’il interroge a le même âge que son fils. Lui qui était d’abord apparu comme un monstre de froideur, impénétrable et cynique, révèle sa détresse : il est tenté de faire une exception, d’épargner Sophie Scholl. Il lui demande, la supplie presque de signer de faux aveux affirmant qu’elle avait été entraînée dans cette aventure par son frère. Mais elle refuse parce que, dit-elle, ce n’est pas vrai. Voilà ce qui sépare ces deux êtres : la conscience de la Vérité. Le débat est d’ailleurs interrompu de manière virulente par Robert Mohr qui répond à Sophie Scholl que «Dieu n’existe pas !». Naturellement, pour abandonner toute conscience individuelle au profit d’un seul homme, de ce Führer supposé être omnipotent, il faut être athée. Bien qu’ébranlé, l’agent de la Gestapo ne peut donc chercher une réponse aux doutes qui l’assaillent auprès de Dieu; il ne peut, du moins dans l’immédiat, redevenir pleinement un Homme et épargner, au risque de sa propre vie, Sophie Scholl. Mais il n’est plus tout à fait un simple rouage. On le retrouvera d’ailleurs à la fin du film, venu voir une dernière fois la jeune femme avant son exécution. Une première brèche s’est ouverte…
La deuxième illustration de la puissance de la Parole se trouve dans la scène du jugement – mais peut-on qualifier ainsi ce simulacre de procès dont le seul but est de revêtir de l’apparence de la Justice un assassinat ? – de trois membres de la Rose Blanche par le Tribunal du Peuple. Je passe sur la folie furieuse du président de ce Tribunal, Roland Freisler de sinistre mémoire, véritable enragé hurlant en permanence sur les accusés, les insultant, les humiliant autant que possible. Ce qui est plus intéressant, c’est de voir qu’après chacune de ses tirades injurieuses, il se retourne vers ses assesseurs ou vers la salle, composée uniquement de militaires, afin de chercher une forme d’approbation. On retrouve de nouveau le thème de l’individu qui cesse de penser par lui-même pour être pensé par le système, caractéristique de tout régime totalitaire. Si, dans un premier temps, l’approbation est franche et systématique, après le passage à la barre de Christoph Probst, de Hans Scholl et de sa sœur, on constate que quelque ressort de cette horlogerie diabolique est cassé. En effet, la comparution de Sophie Scholl est suivie d’un murmure dans la salle : les spectateurs de cette confrontation entre l’humble servante de la Vérité et l’exécuteur zélé des basses œuvres du régime nazi semblent commenter ce qui vient de se passer. Ils prennent donc du recul par rapport à cet événement, l’analysent peut-être, ce qui est absolument impensable dans un régime totalitaire où tout est imposé, où les événements ne souffrent aucune interprétation. Le malaise est encore plus perceptible quand, répondant par une nouvelle éruption aux propos de Hans et Sophie Scholl, qui lui promettaient qu’il serait bientôt «sur le banc des accusés», le président du Tribunal n’obtient cette fois aucune réaction de la salle. Pas de désapprobation, certes, mais pas non plus d’approbation… Le mal – où plutôt le bien – est déjà fait.
La scène du procès se conclut par un des moments les plus forts du film, bien qu’un des plus discrets. À l’entrée du Tribunal, les militaires répondent à son salut hitlérien par un «Heil Hitler» bien synchrone, comme un seul homme. Or, à la sortie du Tribunal, après la lecture de la condamnation à mort des trois accusés, le «Heil Hitler» n’est plus prononcé en même temps par tous les spectateurs. On n’a plus affaire à un seul homme, mais à un groupe d’hommes. Une deuxième brèche – et elle est de taille ! – s’est ouverte.
La troisième illustration du pouvoir de transformation de la Parole tient, encore une fois, à un petit détail que la plupart des critiques ne remarqueront même pas, incapables de comprendre ce que le nazisme était réellement et, de fait, incapables de voir que notre société tend à dériver de plus en plus vers des procédés totalitaires. Alors qu’elle croyait disposer de quatre-vingt-dix-neuf jours avant son exécution, Sophie Scholl apprend qu’elle doit être guillotinée le jour même. Après avoir écrit une lettre d’adieu à son fiancé, également soldat sur le front de l’Est, elle reçoit la – trop brève – visite de ses parents; son père lui déclare qu’elle a bien agi et qu’il est fier d’elle et de son frère – quelles paroles magnifiques !; au lieu, dans son désespoir, de l’accabler de reproches, il lui permet ainsi d’aller à la mort sans remords – et sa mère lui dit seulement : «Souviens-toi, Jésus». Ce à quoi Sophie répond, avec une simplicité valant tous les discours du monde : «Oui, mais toi aussi, maman».
Déjà, le moment est venu de passer dans l’antichambre de la mort. Sophie Scholl retrouve son frère et Christoph Probst. Et là, l’inimaginable se produit : la gardienne de prison lui tend un paquet de cigarettes en lui faisant remarquer que «c’est contre le règlement, mais…». C’est contre le règlement : cette phrase peut paraître d’une banalité extrême pour nous, habitués à voir les règles être bafouées. Mais le règlement, dans un régime totalitaire, est tout. Il est le fondement de l’autorité des échelons hiérarchiques, qui le font respecter par la terreur. Dans un régime qui avait décidé d’exterminer le peuple de la Loi, au nom d’une idéologie qui était aussi anti-chrétienne, comme l’a un jour affirmé Jean-Paul II – n’oublions pas que le christianisme est la religion de la Loi pleinement révélée – la règle, le règlement avaient été érigés en principes absolus, ne souffrant aucune exception, et dont la transgression entraînait des sanctions systématiques, sans possibilité de Pardon ni de Miséricorde. Que cette femme, par un élan d’humanité, transgresse le règlement pour offrir un dernier plaisir terrestre à Sophie Scholl, sur le point d’être guillotinée, est tout sauf anodin. Il montre que la compassion l’emporte en cet instant sur la terreur, que l’humanité fait son apparition au cœur d’une procédure qui n’avait plus rien d’humain. Une brèche s’est ouverte dans la règle, dans le règlement. Le régime est attaqué à son fondement.
Sophie Scholl, les derniers jours nous montre donc comment un réseau de résistance pacifique a pu, par la simple diffusion de la Parole, contribuer à affaiblir le IIIe Reich avant d’aider à enterrer son cadavre sous les fondations de la République Fédérale d’Allemagne de Konrad Adenauer. Ce film nous parle aussi de l’espérance chrétienne, présente de bout en bout, malgré l’horreur de la situation et du sort réservé aux trois jeunes gens. Cette espérance se lit dans le sourire de Sophie Scholl, de retour dans sa cellule après avoir avoué toute la vérité. La peur semble alors dépassée; elle sait qu’elle va à la mort, mais elle ne la craint plus, se résignant à son sort et s’en remettant à Dieu et à son Fils Unique, Jésus-Christ.
Mais cette espérance est surtout résumée par le plus beau plan du film, celui où Sophie Scholl est assise sur le lit de sa cellule, illuminé par un simple rayon de soleil passant à travers les barreaux de la fenêtre. En cet instant, elle est prisonnière et, déjà, bien que son procès soit encore à venir, condamnée à mort. Et pourtant, elle n’a jamais été aussi Libre et Vivante.