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28/06/2007
Journal d'une lecture, 3 : Le Tunnel de William H. Gass
Crédits photographiques : Matt Black.
«[...] il y avait autrefois d'authentiques érudits : Burton, Montaigne, Rabelais et autres faiseurs de listes, sir Thomas Browne et Hobbes, à l'époque où un livre n'était pas un simple signal, pareil à un panache de fumée dans un film d'Indiens ou montant d'un emballage de poulet froid à emporter recouvert de miettes, mais un corps empli de sang au sein du monde, un esprit en mouvement comme un boulet de canon», William H. Gass, Le Tunnel (Le cherche midi, coll. Lot 49, 2007), p. 85.
William H. Gass est un auteur difficile plutôt que réellement complexe, n'en déplaise aux very happy few qui en font un génie littéraire. Ce n'est toutefois absolument pas une raison pour donner, de ses essais (non traduits, assez scandaleusement d'ailleurs, en français, comme Fiction an the Figures of Life, Boston, Godine, 1971), de ses nouvelles ou de ses romans un commentaire indigent, dont on hésite à tancer la vacuité prétentieuse ou le ridicule consommé. Jugez-en donc : «Si le narrateur, contrairement à son chat, ne peut pas faire de sa personne et de sa vie une poésie, il lui reste à faire de la poésie sa vie : la nouvelle représente pour lui une tentative pour se constituer poétiquement, en absorbant progressivement tous les objets de son discours, des personnes qui l'habitent au paysage lui-même, en passant par son narrataire, la femme aimée et absente qui n'est peut-être qu'une fiction. Ce mouvement de l'extérieur vers l'intérieur se conjugue, comme dans Mrs. Mean, à un mouvement de l'intérieur vers l'extérieur, éparpillement du moi narratif sur tout ce qu'il décrit.»
Achevons tout de même l'édification de nos foules je le devine stupéfaites en leur donnant la très précieuse conclusion de ce passage qui évoque l'une des nouvelles les plus connues de Gass, Au cœur du cœur du pays : «Le narrateur, comme Gass lui-même, en est réduit à se constituer par l'écriture.»
Bravo !
Tout cela pour un si médiocre résultat me direz-vous ? Bien sûr, c'est même l'un des signes les plus évidents qui nous permettent de reconnaître, du regard le plus distrait, le sabir universitaire, en l'occurrence celui de Claire Maniez, Maître de Conférences à l'Université de Metz et rédactrice d'un petit ouvrage sur William H. Gass paru aux éditions Belin. Les moyens mis en branle pour commenter une seule ligne paraissent totalement disproportionnés avec les conclusions auxquelles nos nains savants parviennent, et encore, cette Claire Maniez a volontairement évité le ridicule de nous proposer une lecture pyschanalytique des livres de Gass, sans cela... Tout de même, quelques passages sont justes, comme celui-ci (p. 106) évoquant Le Tunnel : «le tunnel que le narrateur creuse désespérément, c'est le langage, dans lequel il tente de trouver à la fois une issue de secours, un moyen de se définir et de se justifier, et une façon d'échapper au monde, pour ne trouver que le vide au milieu des monceaux de terre qu'il dégage : comment construire un tout (whole) à partir d'un trou (hole) ?». Un livre entier pour nous proposer en fin de compte quelques lignes rien de plus ma foi que claires et pourtant banales (l'universitaire craint comme la peste bubonique l'originalité la plus minuscule), n'est-ce pas là un assez maigre butin ?