« Arbeit macht frei | Page d'accueil | CPE, Crise Paroxystique Existentielle : la France doit-elle disparaître ?, par Raphaël Dargent »
17/11/2007
Le Prix Goncourt ou les confidences du rien
«M. de Goncourt qui n'a pas de génie, mais qui est plein de cavernes sonores et ténébreuses, est illuminé à nos yeux par le mot RlEN qui se rencontre sous sa plume, toutes les fois qu'il lui faut exprimer une nuance quelconque rebelle à son analyse : un rien de beauté, un rien de mise, un rien d'émotion, un rien de collaboration (vieux farceur!), des riens délicieux, des riens spirituels, des riens pleins de grâce, etc., enfin le rien du rien qui est son livre même et le tréfonds de son esprit.»
Léon Bloy, Les confidences du rien ou la Collaboration infinie, Le Chat Noir (17 mai 1884).
Internet, 17 nov (AFP) - «Devant la terrible médiocrité de l'annonce des premiers prix littéraires, j'appelle ici, solennellement, ce lundi noir, 5 novembre 2007, au soulèvement de la blogosphère», s'est indigné l'éditeur Léo Scheer sur son blog, avant de proposer une liste B (voir ci-dessous) «double parallèle du désolant espace réel».
Goncourt B :
Un roman russe, Emmanuel Carrère.
Renaudot B :
Un roi sans lendemain, Christophe Donner.
Fémina B :
Cendrillon, Éric Reinhardt.
Médicis B :
Paris. Musée du XXIe siècle, Thomas Clerc.
Académie B :
In Mémoriam, Linda Lê.
Interallié B :
Hoffmann à Tôkyô, Didier Da Silva.
Décembre B :
Amende Honorable, Julien Capron.
Flore B :
Corbière le Crevant, Emmanuel Tugny.
Wepler B :
On n'est pas là pour disparaître, Olivia Rosenthal.
Sans doute la consécration de Daniel Pennac par le jury du Renaudot auquel il aura fallu dix tours de scrutins pour se prononcer, aura-t-elle en cette saison 2007 le plus ému et surpris la sphère littéraire, d'autant que ce «cancre» ne figurait pas sur la liste de sélection. L'intéressé affirmera sa «surprise absolue», s'y attendant «d'autant moins» qu'il «n'était pas prévu au programme», notera-t-il lui-même. Pennac, 62 ans, n'aura voulu voir dans cette récompense qu'un «joli clin d'œil», soulignant qu'il avait joué pendant un an et demi dans la pièce Merci, où il se «moquait copieusement des prix». Le jury «s'est vengé», a-t-il ironisé. «Il a dû se passer quelque chose d'amusant», a en outre souligné Daniel Pennac.
Or, ce «quelque chose d'amusant» n'a guère fait rire Christophe Donner, dont Le Roi sans lendemain (Grasset) ne sortait pas d'une pochette surprise et semblait même tout désigné pour remporter le prix. Le jeune écrivain a dès lors pris la décision de retirer son ouvrage «de la course» aux récompenses avant d'accuser, dans un communiqué, Franz Olivier Giesbert (FOG), directeur du magazine hebdomadaire Le Point et membre du jury, d'avoir «manipulé cette année les délibérations du Renaudot». «Je peux comprendre sa colère. Il a écrit un des meilleurs livres de la rentrée [...] il cherche un bouc émissaire», lui assènera FOG.
La colère gronde aussi chez Léo Scheer, dont l'appel a été entendu par la communauté «intertextuelle», où le débat est désormais ouvert : pour ou contre la révolte, la liste B, quelle valeur attribuer aux prix, quelle évaluation, la critique est-elle morte ? Et les blogueurs amis s'y joignent volontiers, à l'instar de Philippe Boisnard. «Un symbole n'est symbole que pour celui qui en reconnaît un (sic) signe», commente-t-il, «Le symbole du Goncourt cela fait bien longtemps que pour beaucoup il n'est plus signe de qualité, mais seulement reconnaissance de marché. On ne s'y trompe pas».
Les interrogations se multiplient, propositions, idées et commentaires jaillissent de toutes parts. La Toile s'agite, sans doute pour ne donner «rien», comme le souligne le féroce critique et essayiste Juan Asensio qui, lui, défend Amende honorable (Flammarion) de Julien Capron, le «SEUL roman», à ses yeux, à dominer cette rentrée littéraire. «Est-ce qu'on n'est pas justement soulevé depuis tout ce temps qu'on est en ligne, pour faire autre chose, parler d'autres livres, mettre en ligne d'autres écritures et dire pourquoi. N'est-ce pas ce que l'on fait chaque jour via échanges, liens ?», questionne pour sa part François Bon, «alors oui, poussons le soulèvement [...] mais surtout pas faire du bis : laissons les momies à leur dérive...».
Et Léo Scheer d'affirmer «ne chercher, dans cette liste B (issue d'une «consultation» et non d'un quelconque «processus démocratique») qu'un «effet de vérité». «Qu'on se dise, en la lisant, que si les jurés avaient fait ces choix, ils auraient démontré au public qu'ils avaient encore la capacité de faire leur boulot», assure-t-il. À ces mots, l'esprit d'Edmond de Goncourt, n'a pu réprimer une brève apparition chez Léo, pour y rappeler que son «Prix» en avait un à l'origine, tout entier voué «au meilleur roman, au meilleur recueil de nouvelles, au meilleur volume d’impressions, au meilleur volume d’imagination en prose, publié dans l’année […]» alors qu'il «priait» pour qu'il «soit donné à la jeunesse, à l’originalité du talent, aux tentatives nouvelles et hardies de la pensée et de la forme […]».
Ndr : il va de soi que cette dépêche, rédigée par une journaliste fictive (donnons-lui tout de même une identité en la nommant poétiquement, par exemple : Zoé Balthus) ayant germé dans l'esprit d'un écrivain pré-borgésien hélas oublié du nom de Macedonio Fernández (auteur d'un titre superbe, No toda es vigilia la de los ojos abiertos), est elle-même imaginaire et qu'elle ne saurait donc en aucun cas anticiper l'inimitable concision de la dépêche que l'AFP publiera peut-être.