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25/08/2009

Le Golem de Paul Wegener et Carl Boese, par Francis Moury


Fiche technique et casting succincts
Production : Projektions-AG Union PAGU (Berlin) + UFA
Réalisation : Paul Wegener & Carl Boese
Scénario : Paul Wegener & Heinrik Galeen
Direction de la photographie : Karl Freund
Décors : Hans Poelzig & Kurt Richter
Paul Wegener (le Golem), Albert Steinrück (le rabbin Loew), Lyda Salmonova (la fille du rabbin Loew), Ernst Deutsch, Otto Gebühr, etc.
Distribution numérique en France : MK2 éditions.

Suppléments
L’empire des fantômes : le Golem et la tradition expressionniste allemande : (v.o.s.t.f., 4/3 N&B, durée 15’ environ) est composé d’extraits de classiques expressionnistes allemands mis bout à bout et commentés par un texte de R. Dixon Smith, historien anglais du cinéma passionné par le fantastique et aussi historien de la littérature anglaise. Ce texte a été traduit et lu en allemand puis sous-titré en français. Mine de rien, c’est peut-être la meilleure introduction à l’écran démoniaque, la plus efficace et la plus pédagogique que nous ayons visionnée. Son rapport «qualité-durée-pertinence des images et du commentaire» nous semble imbattable. Cela dit, une réserve quant à son contenu : le spectateur qui ignore tout de l’histoire du cinéma et de l’histoire de la littérature pourrait croire, après l’avoir visionné, que Le Golem (All., 1920) est la source d’inspiration majeure du Frankenstein (É.-U., 1931) de James Whale. C’est inexact de ces deux points de vue, en dépit de quelques similitudes plastiques entre certaines idées ponctuelles de mise en scène.
Les racines du Golem : entretien avec Jeanne Rossille : (v.f., 4/3 couleurs, durée 24’11’’ environ) est une utile présentation d’histoire des religions puis d’histoire de la légende et de ses avatars culturels (littéraires notamment) voire sociologiques : elle est très claire et précise même si cursive. On la complétera, si on s’intéresse au sujet, par la lecture in extenso du livre de Gustav Meyrink dont une bonne traduction française était parue vers 1970 dans la Bibliothèque fantastique (volume N° 387) des éditions Marabout [livre depuis paru dans la collection GF, NdJA]. Quelques réserves cependant : Jeanne Rossille assimile le Golem à tous les monstres créés par la littérature fantastique occidentale au XIXe siècle : c’est abusif et absurde. Dracula ne doit rien au Golem et on trouve des vampires ou des loups-garous dès l’antiquité ! Quant à l’interprétation relative à la colonisation, elle est intéressante, mais sans rapport direct avec le sujet. Si le Golem explique tout, il n’explique plus rien… En revanche, on apprend l’originalité précise de la version de Rosenberg, que nous ignorions !

Résumé du scénario
À Pragues au XVIe siècle, l’Empereur fait annoncer par son messager Florian au rabbin Loew que la communauté juive qu’il dirige sera chassée. Loew évoque alors un Démon qui lui révèle le mot dont il avait besoin pour animer le Golem, une statue d’argile à la force colossale et capable de renverser la situation. Mais le Golem se révolte contre lui… et le remède est bientôt pire que le mal.

Critique
Der Golem, wie er in die Welt kam [Le Golem] (All., 1920) de Paul Wegener et Carl Boese est la troisième adaptation du sujet dans la filmographie de Wegener qui dirige mais aussi interprète le rôle de la créature fantastique. Heinrik Galeen a écrit cette troisième version avec Wegener; les décors hallucinants furent conçus par Hans Poelzig et Kurt Richter. Cette version de 1920 est la plus connue des trois réalisées par Wegener : c’est elle qui fut le plus souvent projetée en France, même si les copies utilisées étaient infiniment moins belles que celle-ci, qui est enfin vivante de nombreuses teintes monochromes produisant un effet esthétique absolument fantastique.
Sur l’origine et le sens de l’histoire, nous nous permettons de fournir ici quelques indications complémentaires à celles délivrées dans les documents, déjà très honnêtes, offerts en supplément.
David Bakan (in Freud et la tradition mystique juive, trad. française avec Préface du Dr. Francis Pasche et Postface d’Albert Memmi, éd. Payot, 1964, p. 74) assure qu’on a parfois désigné Le Golem sous le nom de Joseph et qu’il semblerait «doté de quelques-unes des caractéristiques du Messiah ben Joseph». La signification morale de l’histoire épouse naturellement sa signification psychanalytique et kabbalistique telle qu’elle est résumée en 1944 par Nandor Fedor, cité par le même Bakan : «Il est un meilleur chemin. Nous le trouverons quand nous ne chercherons plus l’union avec le divin dans le phantasme de retour au sein maternel, dans l’espoir de recouvrer la sensation fœtale de toute-puissance, mais quand nous prendrons conscience de la présence du Shem dans notre âme et que nous maîtriserons la puissance du Golem pour régénérer le monde». Ce «Shem» dont parlent Fedor et Bakan, c’est le principe de vie qui anîme le corps, principe divin de liberté et d’énergie qui permet au corps de quitter l’état de poussière et d’accéder, comme composé vital de corps et d’âme, à la liberté créatrice, soumise à celle du premier créateur, donc Dieu d’un point de vue théologique.
C’est ici que nous invitons le lecteur à lire quelques synthèses classiques comme, par exemple, celle de Claude Tresmontant, Essai sur la pensée hébraïque (éd. du Cerf, coll. Lectio divina vol. 12, 1953) notamment ses chapitres I (La création et le créé) et II (Schéma de l’anthropologie biblique) ou encore les livres de Scholem, et bien sûr, également les manuels généraux d’histoire de la philosophie médiévale tels que ceux d’Étienne Gilson qui permettent de recadrer ces éléments dans notre culture occidentale.
Un mot aussi sur l’autonomie juive au XVIe siècle décrite par le film, autonomie connue sous le nom de «ghetto» : l’organisation religieuse, sociale et même politique est fidèlement décrite par le film. Seuls les décors sont peut-être irréalistes, outre certains éléments purement fantastiques (tout ce qui concerne le Golem lui-même et aussi la démentielle séance de projection) mais le reste a valeur documentaire. Ainsi la menace du pogrom provoque un réflexe constant : celui de la résurgence du mysticisme, ici pervertie en pratique magique qui se retournera contre le magicien.
Certains plans typiquement expressionnistes du Golem sont célèbres (celui du Démon prononçant et émanant le mot magique, ceux de la foule paniquée dans la rue principale du ghetto) et d’autres témoignent d’influences moins évidentes. Ces petites filles jouant à la sortie du ghetto et offrant des fleurs au Golem afin de l’amadouer évoquent assez les communautés naturistes allemandes de l’époque, communautés qui étaient fascinées par la Grèce antique, son culte du corps et de la nature. De tels plans évoquent autant l’anthropologue et psychologue Magnus Hirschfield que tel plan de la projection en chambre telle scène de Cabiria (Ital., 1914) ! L’idée qui provoque la mort du Golem nous évoque rétrospectivement mais anachroniquement une autre mort, celle du géant Talos dans le génial Jason et les argonautes (G.-B., 1963) de Don Chaffey.
Décidément, ce Golem est plus riche que ne le pensait Jean Boullet – pourfendeur excessivement sévère du cinéma fantastique muet – qui avait écrit : «Le Golem, lui, roule des yeux en jeton de loto et fait les courses au marché, cabas à la main. Le Dieu vengeur d’un peuple opprimé ferait excellente figure au palmarès de «La Reine d’un jour» ou de «La Cendrillon idéale» d’un jeu télévisé» (in Ciné-documents n° 3, janvier 1964).
Il faut revoir, décidément, ce jugement à la lumière de ce DVD.