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05/08/2010

Les rendez-vous de la clairière de Robert Penn Warren

Crédits photographiques : Finbarr O'Reilly (Reuters).


2827293822.2.jpgRobert Penn Warren dans la Zone.





CCSza7jWEAAXz7A.jpgLes rendez-vous de la clairière sur Amazon.


Rendons au moins cet hommage aux préfaciers des romans de Robert Penn Warren : tous sont intéressants dans leur propos, peut-être parce qu’ils reconnaissent sans aucune peine qu’ils sont aux prises avec une œuvre aussi magnifique que profonde. L’admiration pour une œuvre semble avoir pour vertu première de répandre quelque peu de l’intelligence et de la beauté de cette dernière sur les textes, pourtant ancillaires dans leur nature même, qui prétendent la commenter, accompagner les lecteurs dans sa découverte. C’est Robert André qui a présenté aux lecteurs français, dans la première édition datant de 1972, le remarquable roman intitulé Les rendez-vous de la clairière dont le titre est la transposition exacte d’un vers de John Clare («Meet me in the Green Glen»), écrivant des personnages du romancier : «Tous existent vicariously, par personnes ou choses interposées. Cependant chaque rêve individuel se heurte à un autre qui ne poursuit pas les mêmes ombres et chacun n’étreint finalement qu’un fantôme. La vérité de soi-même échappe ou mène à la mort, au suicide. On est vécu. Le destin est ici le rêve de soi-même, un perpétuel futur antérieur…» (1). Belle expression que ce «rêve de soi-même» que Penn Warren n’aura en fait pas même hésité à transformer en rêve d’un rêve, en cauchemar donc : «À la fin écrit-il ainsi, dans ce monde de l’uniformité, où rien ne s’était jamais produit, où rien ne se produirait jamais, il arrivait, à condition d’attendre assez longtemps, à dormir. Il savait que le rêve qui avait coutume de l’éveiller, suant de frayeur et de culpabilité, ne viendrait plus. Il devait être là, dans le noir, en attente, en instance, mais maintenant, de nuit en nuit, il fermait les yeux sur la certitude qu’au moins il n’aurait pas à le rêver… pas encore. Il savait qu’il vivait un autre rêve et celui-ci était le prix qu’il payait pour ne pas rêver l’autre» (p. 171). C’est Angelo Passetto, un homme du trouble passé duquel nous ne savons pas grand-chose, qui semble ne point pouvoir se libérer de ces rêves, alors même, nous le verrons, qu’il a le don le plus rare aux yeux du romancier, celui de transformer la réalité par ses gestes quotidiens : je ne parle pas seulement de la transformation qu’il fera subir à celle qui a décidé de l’accueillir sans lui poser de questions mais, plus modestement, des travaux de réparation qu’accomplit le Sicilien dans la demeure de sa protectrice. Faire, refaire, réparer, restaurer, l’aube d’un nouveau jour déjà, qui peut-être sera clair de n’être enfin plus noirci par le guignon et la lente dégradation des choses abandonnées par ceux qui les utilisent, c’est déjà une façon de lutter discrètement contre le terrible pouvoir de l’uniformité et peut-être même, aussi, creuser un jour dans l’épaisse muraille des cauchemars, qui jouissent de plus de réalité que la vie même, à mesure que grandit leur empire trompeur.
Revenons au terme, riche d’enseignements, qu’a employé Robert André dans sa préface. Adverbe anglais pour le moins difficile à traduire que ce «vicariously», que pour ma part j’avais évoqué dans une note sur Les Fous du roi en utilisant l’image des hommes creux popularisée par le grand T. S. Eliot qui lui-même ne faisait que se souvenir d’une expression de Shakespeare dans Jules César, où Brutus déclare (en IV, 2) : «There are no tricks in plain and simple faith; / But hollow men, like horses hot at hand, / Make gallant show and promise of their mettle». Que font les hommes creux ? Rien, et leur extrême nervosité semble être le fruit de cette inaptitude ontologique à toute forme d’action, à toute profération d’une parole d’un peu de poids. Ils agissent pourtant ? Ils agissent, certes, mais jamais à fond, leurs gestes ne sont que les ombres d’ombres, ils rêvent leurs actes, leurs actes en apparence les plus spontanés ne peuvent se débarrasser d’une espèce de traîne d’impalpable culpabilité qui les fait s’interroger sur le sens de leur action et, bien sûr, son intérêt même. Finalement, en évoquant l’ombre d’une ombre, le rêve de l’acte plutôt que l’acte, Penn Warren rejoint l’intuition profonde de Shakespeare telle qu’il l’aura exprimée, une fois pour toutes, dans son génial Macbeth : tout le mal provient du fait que l’homme ne peut vaincre ce perpétuel écart entre ce que son esprit projette et ce que son corps, de guerre lasse, finit par accomplir. L’acte cruel (comme le meurtre du roi Duncan) à peine perpétré, voici même, suprême disgrâce, que l’esprit malade se remet en chasse vers de nouvelles proies dangereuses, images ténébreuses qui n’en finiront pas de danser dans la cervelle tourmentée de Macbeth, dans le cœur pourri de son épouse, Lady Macbeth. Ces forfaits paraissent pourtant commis dans un état second, par d’autres, suggérés qu’ils ont été par les miasmes d’une nature complètement bouleversée, un univers où «fair is fool and fool is fair», un monde où la nuit est longue qui jamais ne débouche sur le jour qui en pourrait juger et réparer les actions atroces. Le vicaire quoi qu’il en soit est celui qui accomplit un geste, qui prononce une parole en lieu et place d’un autre qui l’a revêtu, le temps de son absence, de son autorité. Vicaire est celui qui sait que son importance temporelle et son autorité surnaturelle seront reprises par Un qui le dépasse. Pour qui les personnages de Robert Penn Warren agissent-ils ? Ils ne le savent bien évidemment pas, ils semblent même être les premiers étonnés par les conséquences de leurs actes. La plus ridicule des lectures, du moins pour Les rendez-vous de la clairière, serait toutefois celle qui ferait de ces somnambules des représentants, des vicaires du Dieu enfui, dont pas un seul mot, dans ce roman ténébreux par excellence ayant éradiqué toute trace d’une quelconque sphère religieuse, ne paraît trahir la présence ni même la simple absence (2).
Agissant sans agir, agissant sans raison impérieuse d’agir, ils paraissent n’être que les ombres d’ombres, se tenir à leur place dans l’attente d’un événement qui ne viendra jamais ou plutôt qui sans cesse se produit, sorte de petite voie que nul ne songe à emprunter alors qu’une multitude de signes, dans la nature environnante, toujours somptueusement décrite par Robert Penn Warren, en indique la lénifiante présence. Ces ombres, toutefois, ne sont pas définitivement emprisonnées dans des limbes fuligineuses, ces somnambules parfois se réveillent, l’espace d’un éclair qui chargera, pour un temps indéterminé, l’atmosphère lourde d’une charge électrique que suivront immanquablement d’autres éclairs pour se frayer un chemin vers le sol. Dieu, du moins le divin se tiennent peut-être là, dans les romans de Penn Warren, dans ce minuscule couloir ionisé brutalement brûlé par la foudre, route (via rupta) qu’empruntera désormais à loisir la lumière pour ensemencer les champs plongés dans la nuit. La damnation, chez Penn Warren, malgré les apparences, n’est point totale puisque, parfois, l’écrivain permet à ses personnages déchirés et fatigués de comprendre, en une très brève épiphanie qui sera vite engloutie par l’obscurité du dehors, qu’ils peuvent, d’un seul geste, d’une parole unique, racheter leur vie lamentable. «L’acte, a raison d’écrire Robert André, la prise en charge de l’existence, n’est plus dès lors l’obéissance somnambulique à l’héritage du passé et de l’Histoire, mais un consentement libre à ce qui est, où il n’y a plus de regrets, mais cet effort pour faire en somme de son mieux avec ce que l’on possède, ce qui revient sans doute à cesser d’être vécu par sa vie, puisqu’elle prendrait alors, si peu que ce soit, un sens» (p. 15). Il y a cependant, dans cette acceptation, quelque relent suspect de résignation. Il y a aussi le contresens, frôlé, qui désignerait le seul présent comme puissance salvatrice.
Vide, somnambulisme, monde cassé, l’univers que décrit Penn Warren dans ce roman est le même que celui qu’il a génialement peint dans Les Fous du roi. Toutefois, dans Les rendez-vous de la clairière, titre qui ne rend point justice de l’urgence érotique de l’original, l’action est plus resserrée, donc plus rapide, l’unité de lieu (la plupart du temps, la demeure de Cassie Spottwood) étant elle aussi parfaitement circonscrite. Les traits de force des romans de Penn Warren n’en sont donc que plus visibles, comme cette certitude qu’il y a, dans la coïncidence entre sa vie et le destin, une «joie étrange», point tout à fait saine, qu’expérimentera chacun des personnages principaux du roman, qu’il s’agisse de son héroïne, de son ancien amant Cy Grinder, de l’avocat Leroy Lancaster ou de Murray Guilfort, qui trouvera la paix en se suicidant (3) : «Sa vie était un point fixe dont toujours il y avait éloignement. Elle [Cassie Spottwood] était là dans la cuisine et elle faisait l’expérience de la joie pure qui accompagne la pleine et libre reconnaissance de la destinée, équivalente à la reconnaissance de soi-même» (pp. 137-8) puis «C’était l’un de ces instants où l’ampoule éblouissante semblait fuir et, quoique cet éloignement fût affreux, une idée se faisait chemin dans sa tête : si on parvient à se persuader que ce qui vous arrive – si affreux que ce soit – ne peut se produire d’une autre façon et que ce processus est lié vraiment à votre manière d’exister, alors vous en retirez à jamais une joie étrange» (pp. 141-2). Une fois son mari impotent assassiné (par Angelo Passetto, par elle-même ?), Cassie Spottwood, déclarée folle et enfermée dans une maison de repos, n’aura de cesse de défendre son ancien amant qui va être conduit sur la chaise électrique. Penn Warren semble dès lors ne plus s’intéresser directement à son héroïne, se contentant de nous la montrer, indirectement, par le biais d’autres personnages comme s’il ne s’intéressait plus à elle. C’est bien le cas du reste puisque Cassie a compris qui elle était, quel était le sens de sa vie, à l’instant même où elle a su que son amant infidèle l’avait, littéralement, sauvée de la mort spirituelle. En fait, elle n’a plus aucun intérêt romanesque puisque c’est la quête de l’illumination, de la vérité, qui intéresse Penn Warren, non point l’illumination ou la vérité elles-mêmes.
J’évoquai plus haut le fait que, selon le préfacier, des Rendez-vous de la clairière, l’instant pur de la coïncidence avec le présent était peut-être l’unique espoir de s’échapper de la prison de l’Histoire, tenter de vivre sans se soucier du passé ni même de l’avenir. C’est l’étrange conception que Cy prête à Angelo Passetto, le «métèque», comme le surnomment les bonnes gens du Sud, qui d’ailleurs le rosseront parce qu’il aura couché avec une jeune femme mulâtre, fille illégitime de l’époux de Cassie, explique auprès de celle qui est devenue sa maîtresse : «Taisez-vous, dit-il avec lassitude, c’est de toujours penser qui fait mal. Vous ne vous souvenez de rien. Vous n’attendez rien. Vous gardez juste le présent en tête. Un homme peut tout supporter s’il garde seulement en tête le présent, maintenant. Alors plus rien ne compte» (p. 392). Bien sûr, nous comprenons qu’un homme qui a eu, selon toute apparence, quelques démêlés avec la justice, un fugitif, un vagabond recueilli par une femme vivant seule avec son époux perclus, Cassie, vieillie avant l’âge alors qu’elle n’a que la quarantaine, soit comme une espèce de gibier traqué qui n’ose plus exprimer le moindre souhait quant à son futur et préfère tenter d’oublier son passé. Mais vivre comme une bête n’est qu’une déchéance, un vieux rêve malsain qui ne peut mener qu’aux pires désillusions. D’un autre personnage, Penn Warren déclare : «Il songeait que sa maudite existence aboutissait à cela : rester enfermé dans des cabinets où il frissonnait comme s’il avait peur, à se répéter le présent, le présent, parce que si vous parvenez à vivre dans le présent, sans avant ni après, vous êtes capable de tout supporter…». Pourtant, le constat, implacable, ne tarde pas à très vite tomber : «Mais c’est impossible à l’homme. Il s’en apercevait. Car une sorte de main géante pénétrait entre ses côtes, une main assez large pour empoigner son cœur comme un torchon mouillé et le presser jusqu’à le réduire en une pelote que la main ensuite déchirait en l’arrachant, et il ne pouvait plus respirer, prisonnier d’une abominable angoisse» (p. 395). Si le vent, dans les romans de Penn Warren, délie tous les nœuds, cette main, elle, est celle de la fatalité.
L’homme ne peut prétendre vivre, ou plutôt exister, dans l’inconcevable ouverture, au sens où Rilke évoquait le royaume de l’Ouvert, qui ici serait béance sans histoires, éradication fantasmatique du passé et du futur, rien d’autre que la permanence innocente et instinctive d’un présent confondu avec l’éternité. Moins, d’ailleurs, que le futur qui de toute façon ne dépend pas seulement de nos propres actions mais aussi des tensions et vibrations de l’immense toile d’araignée, où les décisions et gestes des uns et des autres sont retenus prisonniers et interagissent entre eux, c’est le passé qui contamine les personnages de Penn Warren : «Était-ce à cela que toute chose aboutissait en fin de compte ? Si vous retiriez seulement de la vie des souvenirs auxquels il était impossible de rattacher les sensations qui y correspondaient, cela signifierait-il que l’existence elle-même – et pendant que vous la viviez – était semblable à cela ? Tout ce que vous faites, à l’instant même, rien de plus que ces mouvements vides de votre ombre dans ces souvenirs qui maintenant, dénués de sens, étaient le seul reste de cette existence et de ses travaux ?» (p. 169).
Pour oublier le passé ténébreux, sans se soucier de l’avenir, rien de mieux, alors, qu’un sommeil bien ivre sur la grève, peuplé de cauchemars. Horizon borné, échappatoire refusée comme, une fois encore, Angelo le constate avec aigreur sinon désespoir : «À la fin, dans ce monde de l’uniformité, où rien ne s’était jamais produit, où rien ne se produirait jamais, il arrivait, à condition d’attendre assez longtemps, à dormir. Il savait que le rêve qui avait coutume de l’éveiller, suant de frayeur et de culpabilité, ne viendrait plus. Il devait être là, dans le noir, en attente, en instance, mais maintenant, de nuit en nuit, il fermait les yeux sur la certitude qu’au moins il n’aurait pas à le rêver… pas encore. Il savait qu’il vivait un autre rêve et celui-ci était le prix qu’il payait pour ne pas rêver l’autre» (p. 171).
Rêve d’un rêve, à nouveau : le Sicilien tentera de faire de celle qui est devenue sa maîtresse, Cassie, une nouvelle femme ou plutôt, le modèle le plus ressemblant possible d’autres femmes, des putains peut-être, qu’il a connues ailleurs, tout comme Murray Guilfort a dépensé des milliers de dollars pour recevoir les soins de celles qu’à l’époque on appelait des cover girls. Échec bien sûr, même s’il nous est peint dans un somptueux chapitre (le septième) décrivant la lente transformation érotique d’une femme sous les yeux et par la volonté de son amant. Mais, après tout, ces quelques heures de bonheur faites d’attente anxieuse et d’exacerbation fébrile du désir ne sont-elles pas un trophée suffisant ? En tous les cas, c’est leur seul souvenir qui mènera la femme bafouée, délaissée et trompée par son amant, Cassie, à défendre coûte que coûte celui qu’elle a invité à partager sa vie alors que, comme un vagabond, il marchait sur la route sans destination où aller.
Que reste-t-il à faire ? Quelle porte de sortie emprunter pour quitter les tréteaux où se joue ce qui a tout l’air de ressembler à l’une de ces noires tragédies si impeccablement mises en branle, jusqu’à leur conclusion fatale, par William Faulkner ? (4) Comment, aussi, se débarrasser de l’immense toile d’araignée où les personnages de Penn Warren se trouvent pris (5) ? La réponse est d’une simplicité confondante et semble, a priori, la plus éloignée de toute préoccupation métaphysique. En agissant bien sûr, afin de tenter de desserrer, au moins une seule fois dans sa vie, l’étau qui nous emprisonne et paralyse nos gestes et notre volonté. C’est d’ailleurs le vent, toujours signe, dans les romans de Penn Warren, d’irruption de la nouveauté, que l’on retrouve associé à la nécessité d’agir dans le passage suivant : «La voix semblait descendre d’une grande hauteur, s’abattre sur lui. En l’entendant, il pensa que seuls les conquérants ont une valeur» (p. 196). Agir, car enfin il faut bien «qu’un homme obtienne quelque chose, dans sa vie» (p. 197), n’est-ce pas ? Étrangement, même Sunder, l’époux de Cassie paralysé à la suite d’un accident, et que cette dernière s’obstine à soigner alors qu’il l’a traitée, lorsqu’il était bien portant, comme une brute et un goujat, Sunder qui, par son immobilité même, me paraît être le cœur véritable de ce roman, semble avoir conquis le droit d’être libre, puisque c’est sa prostration même qui est le signe qu’il a touché pour de bon cette mystérieuse lumière dont la moindre lueur est signe de libération. Coïncider avec elle, ne faire plus qu’un avec la lumière qui, jusqu’alors, avait persisté à se tenir éloignée de vous, c’est devenir libre, qu’importe ensuite si, comme ce Sunder qu’à bon droit nous pouvons caractériser comme ayant été un parfait salaud, nous sommes réduits à ne plus pouvoir articuler un seul mot et à dépendre totalement des bonnes grâces d’une autre personne pour survivre de façon misérable ! Mieux vaut, apparemment, une vie d’arsouille accompli, qui au moins aura été libre (ou cru qu’il l’a été) qu’une vie de médiocre obligé, comme le riche Guilfort, à monnayer les services de belles putains : «La face rougeaude, le regard de feu, la brutale suffisance de Sunder avaient été – cela le frappait maintenant – l’accomplissement d’une destinée par-dessus toutes les mesquineries et les tromperies du monde…» (pp. 180-1).

Notes
(1) Robert Penn Warren, Les rendez-vous de la clairière [Meet me in the Green Glen, 1971] (traduit de l’anglais pas Robert André, Actes Sud, coll. Babel, 1996), p. 13. Les chiffres entre parenthèses renvoient à cette édition.
(2) Constat exact à une réserve près, qui dans notre roman comme d’ailleurs dans Les Fous du roi, s’exprime à plusieurs reprises par la métaphore d'un vent venu de nulle part dont la puissance déracinante détruit les murailles derrière lesquelles les âmes des personnages se meurent jour après jour et les force à s’avouer la vérité : ils ne sont que des fantômes et ils doivent, au moins une seule fois dans leur vie, à tout prix prendre une décision qui les engagera : «Il replaça [l’écouteur] contre son oreille : un grésillement continu semblable à celui du vent dans les fils du télégraphe, le vent qui souffle venu de la profondeur obscure où sont les étoiles» (p. 379).
(3) «Avant la fin, Murray Guilfort reprit une lueur de conscience. Il lui sembla voir une main plonger dans l’obscurité du coffre-fort où, tels des feux follets, la robe rouge, l’escarpin, la lettre luisaient dans l’ombre et une terreur lointaine, muette, surgit : On saurait, on les trouverait ! Puis la terreur se dissipa à mesure qu’il s’enfonçait plus profond, s’enfonçait dans la vérité qui était lui-même, quel que fût ce moi, comme dans une suprême joie, enfin !» (p. 449, l’auteur souligne).
(4) Sur ce terme de tragédie, grecque en l’occurrence, nul besoin de rappeler la retentissante préface d’André Malraux pour Sanctuaire.
(5) «Il se sentait oppressé : tout se tenait dans le noir tissu de lois qu’était le monde, l’un menant à l’autre […]. » (p. 100).