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08/06/2015
Heidegger ex cathedra, 2 : philosophie antique, par Francis Moury
Photographie (détail) de Juan Asensio.
Á propos de Martin Heidegger, Concepts fondamentaux de la philosophie antique (1926), traduction par Alain Boutot (et François Fédier), éditions Gallimard, NRF-Bibliothèque de philosophie, 2003.
LRSP (livre reçu en service de presse).
ἁρμονίη ἀφανὴς φανερῆς κρείττων
Héraclite, Fragment 54.
Heidegger ex cathedra, 1 : religion.
Cette traduction d’un cours professé durant le semestre d’été 1926 par Heidegger, complété par quelques annexes et surtout par des notes prises à l’Université de Marbourg par deux de ses étudiants, offre un intérêt exceptionnel.
Au lieu d’être consacré à un texte ou à un penseur particulier de la Grèce antique (voir par exemple son cours de 1924-1925 sur Le Sophiste de Platon où il est d’ailleurs presque davantage question d’Aristote que de Platon, et voir plus tard son célèbre séminaire de 1966-1967 sur Héraclite), c’est une initiation à l’histoire classique de la philosophie antique grecque depuis Thalès de Milet jusqu’à Aristote. Cours professé alors que Heidegger achève la rédaction de la première partie d’Être et temps. Mieux vaut tard que jamais : prononcé par Heidegger en 1926, édité en 1993 en Allemagne au prix d’un gros travail de vérification et de déchiffrage dont la postface allemande décrit précisément les progrès, sa traduction française est parue en 2003.
Le cours manuscrit de Heidegger occupe les pp. 13 à 224, les notes de ses deux étudiants occupent les pp. 225 à 348. Le manuscrit est parfois rédigé d’une manière schématique, indicative alors que les notes sont rédigées d’une manière plus ample, littéraire, développée. On peut dire que le cours est l’armature squelettique et que les notes constituent la chair qui recouvre ce squelette, permettant ainsi d’offrir au total un corps complet à condition que le lecteur joue bien le jeu : il doit se munir de deux signets et lire chaque note au moment où il tombe sur son appel numéroté, afin de profiter pleinement du dialogue entre les deux structures, et reconstituer mentalement la parole de Heidegger. Les divergences entre le cours et les notes, lorsqu’elles apparaissent, ne portent que sur la forme, jamais sur le fond.
Son érudition historique et sa rigueur philologique le situent sans peine au niveau des meilleures sources allemandes, françaises et anglaises de son temps. On peut toutefois se demander pourquoi il couvre la période hellénique mais pas la période hellénistique et romaine. Heidegger n’en fait pas mystère aux pp. 33-34 : outre cette évidence qu’il est plus sage de s’en tenir là pour un semestre d’initiation, Heidegger reprend presque à son compte la périodisation tripartite hégélienne de la philosophie ancienne qui considère Aristote comme son point d’apogée problématique et théorique, la suite (stoïcisme, épicurisme, néoplatonisme) comme marquant une relative décadence, une perte de vitalité, une réintégration progressive du philosophique dans le religieux. Une remarque ici : à mesure que les Gesamtausgabe (œuvres complètes) de Heidegger sont éditées en Allemagne par V. Klostermann, à mesure qu’elles sont traduites en France et en Angleterre, on découvre que ses cours ont traité de la totalité de l’histoire de la philosophie. Mais si on dispose déjà de cours et de séminaires célèbres sur la philosophie antique, la philosophie moderne et la philosophie contemporaine, il manque encore bien des choses. J’attends, pour ma part et par exemple, avec intérêt la traduction française du cours intitulé Geschichte der Philosophie von Thomas v. Aquin bis Kant (1926) qui couvre, ainsi que l’indique son titre, une vaste période de l’histoire de la philosophie allant du XIIIe siècle à la fin du XVIIIe siècle.
La première partie (Introduction générale à la philosophie antique) qui traite des penseurs grecs avant Socrate, depuis Thalès de Milet jusqu’à Héraclite et Parménide, reprend en la commentant de près, l’histoire qu’en proposait Aristote lui-même au début du livre A de la Métaphysique. Le lecteur contemporain fait donc d’une pierre deux coups en lisant cette première partie : il est simultanément initié à la philosophie présocratique et à la conception aristotélicienne de cette période. En réalité, il fait même d’une pierre trois coups : il est également initié à la conception hégélienne de cette période, conception sans laquelle celle de Heidegger n’est pas vraiment compréhensible en profondeur. Car ici encore, Heidegger reprend, sous couvert d’un simple semestre d’initiation universitaire, l’ambition titanesque de Hegel : penser la totalité du passé antique à la lumière du devenir de son histoire, d’une manière autant philologique que réflexive, d’une manière toute dialectique au sens hégélien davantage qu’au sens antique.
Héraclite (placé et examiné avant Parménide) est crédité du franchissement décisif pour la pensée grecque : celui consistant à avoir pensé l’unité symbolique de l’identité et de la différence, avant que, bien plus tard, Hegel ne pense l’identité de l’identité et de la différence. Si les apories caractérisant les relations de l’être et de l’étant semblent conceptuellement plus développées par les Sophistes, Platon et Aristote que par les Présocratiques «physiciens», Heidegger mentionne pourtant déjà en quoi les Présocratiques ont saisi le problème de l’être. Il crédite notamment K. Reinhardt d’avoir le premier posé (en 1916) Parménide et Héraclite en dehors du cercle des «physiciens» et de les avoir envisagés ensemble dans un rapport dialectique, bien que sa thèse, à cause du rôle qu’il fait jouer au concept allemand moderne (néo-kantien) de théorie de la connaissance, doive elle-même, selon Heidegger, être dépassée. La dialectique hégélienne est une plate-forme à partir de laquelle Heidegger reconsidère sous un nouvel angle (qui n’est pas celui de Husserl bien qu’il lui emprunte certains instruments) le problème classique de l’ontologie. Écrire «sous un ancien angle», serait plus exact, d’ailleurs : la question du rapport de l’être à l’étant est déjà tout entière posée par le contenu des fragments d’Héraclite et de Parménide qui sont contemporains l’un de l’autre, mais elle n’est pas posée d’une manière conceptuellement satisfaisante car ni Parménide ni Héraclite n’ont eu connaissance de la méthode phénoménologique (celle de Hegel d’abord, de Husserl ensuite), seule à même de la poser en toute connaissance de cause. Voir, sur tout cela, le schéma de la p. 123 (hélas partiellement reconstitué) du paragraphe 36 intitulé Sur le rapport fondamental de l’ontologie et de la dialectique. C’est aussi dans cette perspective qu’il faut comprendre la formule très hégélienne de Heidegger sur l’histoire de la philosophie : ceux qui étudient les philosophies du passé ne sont pas assurés de les comprendre mais s’ils les comprennent, alors ils les comprennent mieux qu’elles ne se sont elles-mêmes comprises.
Les Grecs ont manqué la dimension temporelle autant qu’ils ont manqué la dimension subjective et celle de l’histoire : leur angoisse n’était pas tout à fait la nôtre. Raison pour laquelle leur métaphysique demeure limitée, raison pour laquelle il est, pense Heidegger, possible de tenter d’édifier une métaphysique de leur métaphysique. Il ne s’agit pas tant, d’ailleurs, de dépasser la métaphysique hellénique que de la situer aujourd’hui à sa place dans un processus que seule l’ontologie fondamentale de Heidegger prétend pouvoir éclaircir, «dévoiler». Dévoilement qui pourrait être contrarié par la contingence initiale du rapport de l’étant à l’Être. Par exemple, les quatre causes différenciées par Aristote, qui permettent à l’essence de se manifester, ne sont pas trois ni cinq : il n’y a pas de raison à cela, ni aucun principe de raison suffisante au sens moderne leibnizien. Il y a donc bien une différence ontologique (chaque cause caractérise un type de manifestation de l’être à l’étant) mais il n’est pas certain qu’on puisse remonter à une essence unique de la manifestation en raison même de cette contingence. C’est cette contingence que la phénoménologie ontologique de Heidegger a voulu précisément reprendre en charge, ces ténèbres qu’il a voulus conjuguer à la lumière grecque du «logos», terme d’ailleurs déjà plurivoque chez les Présocratiques, encore davantage chez les Sophistes, Platon et Aristote.
A noter que les Sophistes (notamment Gorgias à qui Aristote avait pris la peine de consacrer une réfutation) ne sont pas traités à la légère bien que Heidegger leur consacre assez peu de pages. A noter aussi que Socrate est rangé dans leur section. A noter enfin que tous, des Présocratiques à Platon puis Aristote, sont constamment analysés en fonction des recherches phénoménologiques de Être et temps : selon que les éléments permettant d’établir le rapport phénoménologique du «Dasein» à l’Etre sont plus ou moins explicités, Heidegger module ses jugements et ses analyses. Il faut lire son analyse (notamment ses pp.117-120) à la fois phénoménologique et philologique du mythe de la caverne dans la République de Platon pour avoir une idée de ce que peut produire une telle orientation. La section platonicienne est ensuite consacrée à une étude serrée des rapports entre vérité et être dans le Théétète. Alain Boutot écrit dans sa présentation qu’en 1926 Platon n’est pas encore considéré par Heidegger comme le promoteur de la métaphysique, donc de l’oubli de l’être. Or on sait que Platon n’est pas celui qui a été l’occasion de l’émergence de ce terme dans l’histoire : ce sont certains écrits d’Aristote qui furent rassemblés sous cette appellation. (1)
L’intérêt de la section finale consacrée à Aristote par Heidegger me semble double. D’une part elle constitue une parfaite introduction aux questions aristotéliciennes telles qu’on les discute en histoire de la philosophie : Heidegger résume l’état des problèmes et pose toutes les questions nécessaires, notamment celles posées par W. Jaeger relatives à la chronologie et à l’évolution du système d’Aristote. Heidegger considère que Jaeger s’est enfermé dans une impasse méthodologique (p.162). D’autre part, il me semble que Pierre Aubenque n’avait pas tort de considérer Heidegger comme le plus grand lecteur d’Aristote, celui qui avait le premier mis en évidence le caractère aporétique de son système. La métaphysique d’Aristote n’est pas un système onto-théologique au sens médiéval en dépit des contresens récurrents sur l’adaequatio médiévale (contresens parfois commis aussi par Heidegger, Hamelin et bien d’autres maîtres occidentaux selon Aubenque). Heidegger a parfaitement saisi en quoi la vision systématique, médiévale, théologique d’Aristote est problématique : son cours de 1926 explique comment la théorie aristotélicienne du langage se situe sur trois plans différents : logique, psychologique et ontologique. En quoi Aristote est d’abord l’auteur d’une recherche infinie et aporétique, Aubenque l’a montré, en 1962, dans son étude monumentale Le Problème de l’être chez Aristote. Heidegger en avait eu la profonde intuition dès les années 1925. Heidegger tenait alors Platon et Aristote non pas pour des auteurs de système mais pour des chercheurs travaillant tous deux dans l’aporie. Sa perspective était déjà celle d’Aubenque qui nous confirma, durant un de ses séminaires (2) de la chaire Étienne Gilson (tenu pendant l’hiver 1997-1998) qu’il considérait toujours Heidegger comme le lecteur le plus pénétrant d’Aristote. Relisant le livre d’Aubenque simultanément pour l’occasion, il me semble clair que certaines remarques de Heidegger annoncent son propre programme de recherches (3), et cela en dépit du fait qu’Aubenque ait parfois, comme je l’ai déjà indiqué supra, corrigé certaines méprises (parfois importantes) de Heidegger sur Aristote.
Les bibliographies fournies par Heidegger n’ont pas vieilli, citant des éditions et des études classiques dont certaines (au premier chef, celles des maîtres Bonitz, Brandis, Burnet, Diels et les autres qu’il faudrait tous citer par ordre alphabétique jusqu’à Tredelenburg, Waitz et Zeller inclus car ce sont ceux-là qui furent les maîtres de la Sorbonne et d’Oxford, ceux-là dont Nietzsche fut parfois le contemporain au moment où il rédigeait son admirable Naissance de la philosophie à l’époque de la tragédie grecque) encore aujourd’hui indispensables à l’étudiant helléniste comme à l’étudiant philosophe. L’apparat critique allemand original – dont les notes forment un bel outil philologique et bibliographique – a été soigneusement conservé. On lui a ajouté une traduction française des phrases grecques anciennes les plus longues : du coup la traduction française est supérieure à l’édition allemande originale dans laquelle aucune phrase grecque n’était traduite. On regrette cependant que tous les mots grecs n’aient pas été systématiquement traduits (mots isolés ou courtes expressions ne le sont pas partout ni toujours : il arrive aussi qu’ils le soient une fois mais plus ensuite) et qu’on n’ait pas pris la peine de constituer un glossaire recensant les traductions du vocabulaire technique grec par Heidegger en allemand avec l’équivalent français ici adopté. Un tel outil eût été bien utile au lecteur français ni germaniste, ni helléniste ! La traduction a pris, en revanche, l’appréciable soin de préciser les éditions-traductions françaises de certains textes allemands classiques d’histoire de la philosophie, cités comme sources par Heidegger et qui faisaient partie de sa bibliothèque privée ou bien des salles de lecture des Universités où il professait : on sourit en découvrant parfois, à cette occasion, les délais pour disposer en France de la traduction de telle étude de Cassirer ou de Dilthey : parfois une cinquantaine ou une centaine d’années, pas moins ! Le retard à la traduction est une constante française qui serait presque comique (confinant parfois au grotesque) si sa conséquence n’était pas l’ignorance.
Certaines approximations dépareillent cependant parfois un peu la très haute tenue technique de ce volume : les éditions Les Belles lettres ne se sont pas contentées, à partir d’août 1920, d’établir le texte grec des Œuvres complètes de Platon sous les auspices de l’Association Guillaume Budé, mentionnée p.110. Ils l’ont aussi traduit en français. Même remarque concernant la mention p.28 de l’édition Émile Bréhier des Ennéades de Plotin qui offre, comme d’habitude dans cette Collection des Universités de France, non seulement le texte mais aussi la traduction. Est-ce que Heidegger avait ces éditions entre les mains au moment de rédiger ses bibliographies ? Toujours est-il qu’il eût fallu mentionner qu’il s’agit d’une édition du texte et de sa traduction : l’association Guillaume Budé a ennobli la France par cette collection en la mettant enfin au niveau d’Oxford et de Berlin qui, jusqu’en 1920, nous devançaient philologiquement(4). Attention aussi à une coquille gênante : il faut lire, aux pages 27 et 110 non pas le fautif «I. Burnet» mais bien le correct «J. Burnet» (5) d’ailleurs correctement orthographié «J.» (pour «John») à la page 48, note 3.
Ce volume NRF de la collection Œuvres de Martin Heidegger, n’est pas numéroté. Ni l’éditeur allemand Franz-Karl Blust dans sa Postface de 1993 parue aux éditions V. Klostermann, ni Alain Boutot dans sa Préface de 2003 ne mentionnent dans quel volume des Gesamtausgabe se range ce cours de 1926. J’épargnerai à mon lecteur de rechercher sur internet l’information, pas si aisée à découvrir qu’il n’y paraît : il s’agit du volume 22. Voici le programme (lisible uniquement par ceux qui sont germanistes et/ou anglicistes) numéroté par volumes des Gesamtausgabe de Heidegger tel que l’éditeur allemand V. Klostermann le publie.
Après l’avoir étudié un instant, j’ai d’abord cru que sa numérotation suivait un ordre chronologique…mais pas du tout ! Elle obéit à d’autres critères numérologiques qui ne me semblent pas si évidents que cela à discerner. Je pose donc la question : à quels principes obéit le classement numéroté des volumes de l’édition Klostermann ?
En attendant d’avoir une réponse, je suggère, pour les traductions françaises éditées par Gallimard-NRF, le classement bibliothécaire suivant : adopter systématiquement l’ordre chronologique ascendant, du texte le plus ancien en remontant vers le texte le plus récent. Un tel ordre offre deux avantages évidents :
- suivre la progression théorique de la philosophie de Heidegger dans l’ordre naturel de son évolution d’une part,
- la relier aux événements historiques et philosophiques contemporains d’une manière non moins naturelle et aisée, d’autre part.
A la limite, si on le fait proprement de manière à ne pas abîmer ni dépareiller les dos de ces beaux volumes, on peut étiqueter chaque dos en rajoutant l’année (ou bien, si on souhaite un degré supérieur de précision, la section universitaire de l’année) de la rédaction du texte. Dans le cas de ces Concepts fondamentaux de la philosophie antique, on peut donc lui coller au dos une étiquette portant la mention : «été 1926».
Notes
(1) Je dois renvoyer le lecteur à mon article sur Les 5 métaphysiques d’Aristote, qui résumait une partie de la discussion historique et technique du problème depuis W. Jaeger ainsi qu’à celui sur Le Positivisme spiritualiste d’Aristote.
(2) Je pense naturellement à la conférence sur la phénoménologie qui avait été essentiellement consacrée à Heidegger. Heidegger qu’Aubenque nous avouait lire avec un intérêt qui allait sans cesse grandissant. Cf. P. Aubenque, Faut-il déconstruire la métaphysique ? (éditions P.U.F., collection Chaire Étienne Gilson, dirigée par P. Capelle, 2009).
(3) C’est notamment le cas des chapitres 2 et 3 de la section consacrée à Aristote par Heidegger : Le Problème ontologique de l’être et l’idée de recherche philosophique (p. 166 et sq.), Les Questions fondamentales de la problématique de l’être (p. 176 et sq.) A cette époque, ce ne sont pas tant les traités métaphysiques d’Aristote que sa Physique et son Traité de l’âme qui sont caractérisés comme «ontologiques» par Heidegger, le Traité de l’âme étant qualifié de «source primordiale pour une ontologie aristotélicienne de la vie» à la p.201.
(4) Ils nous devancent toujours, soit dit en passant, concernant la Métaphysique d’Aristote. Je viens de vérifier les quinze pages du catalogue Internet des Belles lettres, section «philosophie» de la partie «textes grecs» des CUF : toujours rien ! Quand l’association Guillaume Budé publiera-t-elle enfin une édition texte et traduction de la Métaphysique ? Il y a ici ce qu’on pourrait nommer un problème de politique éditoriale : il faudrait considérer qu’Aristote est prioritaire sur le Pseudo-Hermogène ou sur Eunape de Sarde ! Car il faut se rendre à l’évidence : l’association Guillaume Budé publie parfois des textes mineurs alors que le monument d’Aristote se fait attendre depuis…1920. On a les Œuvres complètes de Platon correctement et complètement éditées depuis 1964, ce qui a donc pris quarante-quatre ans. Mieux vaut tard que jamais mais dans le cas du texte d’Aristote, on se demande si ce ne sera pas «jamais» ? «L’édition des philosophes est une affaire de longue haleine… avec dix volumes déjà parus, l’édition d’Aristote est encore loin de son achèvement» écrivait A. Dain dans son rapport sur le programme d’édition de l’Association en 1962, paru dans le Bulletin de l’Association Guillaume Budé 1962, volume 1, n°2, p. 248. Il ne croyait pas si bien dire.
(5) John Burnet qui mérite d’autant plus que son prénom ne soit pas écorché que Heidegger le crédite (p.110) d’avoir établi la meilleure édition critique du texte grec de Platon, ce qui, sous sa plume, n’est pas un mince compliment. On sait, par ailleurs, en quelle estime Léon Robin tenait John Burnet : qu’on relise sa recension élogieuse (in Revue des études grecques, volume 43, année 1930, pp. 332-333) des dernières leçons de Burnet sur le platonisme. Ce dernier ouvrage paru à Berkeley (Université de Californie où Burnet les avait prononcées) en 1928, est cité en note 3 de la p.105, avec renvoi matériel à ses pp. 18 et sq. On peut donc en déduire que, deux ans après avoir professé son cours, Heidegger avait jugé l’ouvrage de Burnet digne d’être rajouté en note à son manuscrit de 1926. On sait que l’éditeur allemand a systématiquement collationné les ouvrages provenant de la bibliothèque personnelle de Heidegger lorsqu’il s’agit de mentions bibliographiques.