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23/11/2016
La mort d'Artemio Cruz de Carlos Fuentes
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Que la littérature ait le pouvoir inimaginable de vaincre la mort, Carlos Fuentes nous le montre dans La mort d'Artemio Cruz, un roman paru en 1962 et traduit quatre ans plus tard en français, qui semble représenter un étonnant mélange entre deux romans de William Faulkner, Tandis que j'agonise et Absalon, Absalon !. Riche et puissant, Artemio Cruz meurt à 71 ans d'un infarctus du mésentère, mais sa mort prolongée assistée d'un curé dont il ne veut absolument pas, lui qui rejette les fariboles de la dernière consolation, des apôtres (comparés à des «agents de relations publiques», p. 113), du Christ et de Dieu le Père, sa paradoxale vie dans la mort, sa «vie morte» (p. 348) (ou inversement, et nous songeons à Coleridge), entouré de sa femme et de sa fille, est encore l'occasion d'un long monologue qui semble faire resurgir le souvenir du Valdemar de Poe. La mort ne peut rien tant que l'agonisant, le déjà-mort en fait, continue de parler, de parler bien sûr en silence puisque Artemio Cruz est incapable d'articuler le moindre son, de parler pour son seul théâtre intérieur, dans lequel les lecteurs que nous sommes sont confortablement installés, pour assister au spectacle des souvenirs du mort, dénouer la trame de cette mort sans fin comme l'écrivit le poète José Gorostiza, occasion de retrouver soi-même comme un autre, «un homme identique à lui-même, mais si lointain» (1) qu'il en devient le plus inconnu, à moins qu'il ne soit le plus connu, puisque la mort, enfin, réunit ce qui jusqu'à elle était séparé.
Car à l'heure de notre mort, il semble que les polarités s'inversent à moins que, si elles ne s'inversent décidément pas en étant déformées par le puissant attracteur, elles ne se résolvent dans une équivalence scandaleuse aux yeux des vivants : «Toi-même tu empêcheras l'oubli : ton courage sera le frère jumeau de ta lâcheté, ta haine sera née de ton amour, toute ta vie aura contenu et prévu ta mort : car tu n'auras été ni bon ni mauvais, ni généreux ni égoïste, ni fidèle ni félon» (p. 45), même si Artemio Cruz a trahi Gonzalo Bernal pendant la Révolution mexicaine, Gonzalo l'idéaliste magnifiquement évoqué par le romancier, Gonzalo dont Artemio Cruz épousera la sœur, Catalina, prolongeant ainsi son existence fantomatique, «comme si Bernal, en mourant, avait délégué les possibilités de sa vie tronquée à la sienne propre. Peut-être les morts des autres prolongent-elles notre vie, pensa-t-il» (p. 57), les morts des autres ou bien les mots, «maudits chapelets de syllabes qui allument le sang et les illusions de ceux qui doivent se contenter de passer rapidement dans cette courte vie et de jouir, en échange de leurs épreuves de mortels, de la vie éternelle» (p. 60).
La suite de cet article figure dans Le temps des livres est passé.
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