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15/02/2022

L'Hérédo de Léon Daudet, ou Georges Bernanos emporté par un tourbillon d'hérédismes

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Photographie (détail) de Juan Asensio.

50100602786_17b1c5c0ef_o.jpgLéon Daudet dans la Zone.








1475803788.JPGGeorges Bernanos dans la Zone.








«Hélas ! je suis devenu sec et dur comme un avare. Je n'entends plus ma musique. Je n'ai plus qu'une aile, s'il m'en reste encore une. Je travaille dans la nuit la plus opaque, je me bats avec les images et les mots d'une bataille extraordinaire, chaque page écrite me coûte un monde. J'espère que ce n'est qu'une épreuve du Bon Dieu, qu'il a mis seulement un bandeau sur mes yeux et que je ne donnerai pas le jour à un monstre de noire mélancolie, mais à une belle et lumineuse chose, pareille à celles que j'ai tant aimées».
Georges Bernanos à sa fiancée, 1er janvier 1916 (in Correspondance inédite 1904 - 1934 Combat pour la vérité, Plon, 1971), p. 103.



L'Hérédo-Daudet.JPGGeorges Bernanos n'a probablement jamais oublié l'accueil très franchement enthousiaste que Léon Daudet («Demain, le premier livre, le premier roman d'un jeune écrivain, M. Georges Bernanos [...] sera célèbre») réserva, dans L'Action française du 7 avril 1926, à Sous le soleil de Satan paru cette même année, mais c'est avant même (nous pouvons du moins le conjecturer) que l'imprécateur intraitable ne découvre et consacre l'évident génie romanesque de son cadet, pourtant démissionnaire du mouvement royaliste en 1920, que Bernanos évoqua l'auteur de L'Hérédo, dans un court texte intitulé Léon Daudet romancier demeuré inédit jusqu'à ce qu'Albert Béguin le publie dans Le Crépuscule des vieux en 1956 (1).
Nous savons donc, malgré une note fautive qui nous donne, comme date de composition de l'article en question, 1909 (2), que Georges Bernanos a lu Léon Daudet assez tôt, probablement dès avant ses 20 ans, en 1907 ou 1908 (3), et qu'il a continué de le lire, étant donné qu'il cite L'Hérédo qui fut publié en 1916, un texte avec lequel Bernanos se montre d'ailleurs assez dur, parlant d'un «grand effort de synthèse» qui n'aurait pas «contenté tous ses lecteurs», visiblement pas lui en tout cas, puisque Daudet n'y aurait mené qu'un travail destiné «à se raccourcir, à ramener à des théorèmes les conquêtes de ses intuitions magnifiques», ce qui est juste si l'on se place du seul point de vue romanesque qui est celui qui semble, exclusivement, intéresser Georges Bernanos, et faux bien sûr si l'on lit L'Hérédo comme une espèce bizarre de roman mâtiné d'essai littéraire.
Pourtant, et ce jugement montre que L'Hérédo l'a frappé, Bernanos reprend à son compte une image qui eût pu être l'une de celles que Léon Daudet utilisa dans ce texte, lorsqu'il évoque le drame de l'auteur, soit «l'effort du génie lyrique pour atteindre, à travers le monde des images, la vérité morale la plus nue» (4). Notons que Georges Bernanos y parle encore de «tant de vigoureux fantômes demand[a]nt l'air et l'espace» (p. 918), et de deux personnages féminins, Florence et Badelot qui, «quand elles étaient encore dans les limbes, prévues et non conçues», devaient «obséder l'écrivain» et «charger sa pensée», comme tant des propres personnages de Bernanos obsédèrent sa pensée : «Et de les avoir écrites, quelle délivrance !...» (p. 919), soit le type de propos que Léon Daudet lui-même eût consigné dans son ouvrage pour y évoquer le travail d'accouchement, si douloureux et complexe, d'une œuvre d'art, et qu'il mentionne directement par ces quelques mots dont Bernanos saura bien des fois se souvenir : «Il est des cataclysmes d'images comme il est des cataclysmes cosmiques. Des troubles graves, fonctionnels et organiques, en sont la conséquence», cette assertion, pouvant à elle seule expliquer les fameux désordres du maire de Fenouille, étant directement suivie par cette conclusion extraordinaire : «L'homme vit et meurt de ses images» (5).
De ce même personnage, voyez comment le passage suivant du livre de Léon Daudet explique le mal étrange : «Chacun de ces malades, s'il est interrogé méthodiquement et habilement, retrouvera dans sa mémoire les circonstances où telle image, qui est devenue la substance et la trame de son obsession, est tombée dans son appétit sexuel, et passée ainsi sournoisement à l'état de hantise» (p. 125).
IMG_2468.JPGCe petit extrait du texte, pour le moins étonnant, de Léon Daudet, nous donne d'ores et déjà quelques indices quant à son intention, double, puisque le médecin de formation qu'est l'auteur des Morticoles suppose que son ouvrage pourra aider ses confrères un peu trop abîmés par les thèses si platement matérialistes et puisque le redoutable critique littéraire qu'il aura été durant tant d'années estime, lui, que ses futurs confrères certes beaucoup moins querelleurs et courageux qu'il ne le fut, et s'il en reste bien sûr, ce que nous n'oserions supposer qu'avec la plus extrême prudence, pourront eux-mêmes s'appuyer sur les «données» (p. 307) qu'il nous aura communiquées par le biais de plusieurs exemples de grands écrivains radiographiés selon sa méthode si originale qu'on dirait l’œuvre d'un excentrique.
Nous pouvons aussi immédiatement constater, et c'est là encore un autre rapprochement possible avec Bernanos, que Daudet donne la primauté au spirituel au sens large du terme, sur le matériel, son «exposé», comme il l'appelle sobrement, allant ainsi «à l'encontre des doctrines généralement admises depuis quelque soixante-quinze ans, d'après lesquelles l'inférieur explique le supérieur, la matière l'esprit, le singe l'homme; d'après lesquelles nous serions, nous humains, des captifs attendant, au sein d'une boue immobile, les coups d'une destinée invisible et inconnaissable; d'après lesquelles notre raison ne serait qu'une mince pellicule sur l'immense abîme de la sensibilité ou de l'inconscience; d'après lesquelles la lumière de l'intelligence serait un simple fumeron à côté de la torche de l'intuitivisme; d'après lesquelles les idées, les mots, les souvenirs seraient autant de petites pièces, rangées séparément et par travées, susceptibles néanmoins de réunion et d'agglomération périodiques», lesquelles seraient «étiquetées dans tout autant de petites cases du cerveau, seul et unique siège de la pensée; d'après lesquelles la construction histologique et anatomique dudit cerveau expliquerait très suffisamment toutes les complexités, toutes les finesses et toutes les grandeurs de ladite pensée; d'après lesquelles l'hérédité, conçue d'ailleurs, non dans son ensemble psycho-organique, mais seulement dans ses modalités pathologiques, pèserait irrémédiablement sur la famille et l'individu, sans aucun espoir de réaction, ni de relèvement; d'après lesquelles enfin la Science, avec un grand S, serait à la veille d'avoir dit son dernier mot, lequel correspondrait à ceci : néant» (pp. 301-2).
J'ai cité longuement Daudet, qui n'aura jamais de mots assez durs contre un Charcot ou un Broca (6), mais nous pourrions résumer son propos par cette assertion définitive, commune pensée de tant d'écrivains désespérés par la si sotte et surtout fallacieuse antienne matérialiste : «Le physique ne commande pas plus le psychique que l'homme ne marche la tête en bas» (p. 285).
IMG_2467.JPGEn lieu et place de grossières répartitions de l'intelligence et du génie, de la faculté de parole suivant des aires cérébrales, Léon Daudet propos une véritable «cosmogonie intérieure» (p. 257), dont il décline méthodiquement l'agencement : «Les images héréditaires isolées se présentent à la conscience généralement par groupes ou par systèmes, eux-mêmes réunis en grandes figures congénitales reviviscentes, analogues aux constellations. Chacune de ces images tourne, ou plutôt gravite, devant le soi (7), lui présentant successivement tous ses aspects, avec une vitesse proportionnelle à l'acuité du jugement porté par le soi» (p. 253). Continuons à décrire cette «cosmogonie intérieure», qui est, selon Daudet, «rassemblée en quelques atavofigures, qui compose ainsi la personnalité intellectuelle, morale, organique du moi, susceptible d'être surveillée, dirigée, contrainte, équilibrée par le soi, mais susceptible aussi de masquer et recouvrir le soi, d'émousser sa volonté agissante et de tromper finalement sa sagesse. Une infinité de sphères psychomorales, dessinant par leur ensemble des hérédoconstellations, le tout en perpétuel mouvement, tel est, à mon avis, le tableau le plus juste que nous puissions nous faire, en fin de compte, de notre moi» (p. 258).
Georges Bernanos encore, lorsque Léon Daudet qui, contrairement au grand romancier bien souvent tout près de sombrer dans l'angoisse et même le désespoir, semble penser que le génie sera toujours celui qui est capable, à force de volonté introspective, de mettre de l'ordre, si je puis dire, dans le kaléidoscope fascinant de son moi et ainsi d'expulser, hors de lui, «les images dangereuses» (p. 291), Bernanos encore lorsque l'auteur de L'Hérédo jette loin sa sonde, qui ne va pas manquer de descendre à une vitesse folle dans un territoire très largement inexploré : «La synthèse nous permet de reconnaître quelques-unes de nos grandes figures héréditaires. Mais il en est d'autres, situées dans les profondeurs de la lignée ancestrale, comme des systèmes stellaires au fond des espaces infinis, que l'introspection ne nous permet pas de résoudre, du moins jusqu'à présent» (p. 260).
Cet ordonnancement fantasmatique, cette «cosmogonie intérieure» peuvent prendre le dessus chez bien des femmes et des hommes, quelle que soit leur force et leur culture, qu'il s'agisse d'un ouvrier ou d'un académicien même si, s'amuse Léon Daudet, il semblerait que les natures les plus simples et robustes soient aussi celles qui le mieux résistent à cette féérie personnelle, qui ne remonte à la surface, de la conscience comme du visage, qu'à de rares occasions, mais c'est encore le génie, musical, littéraire, pictural ou scientifique, qui est le seul capable de maîtriser l'ensemble, de remettre à leur place tous ces fantômes et fantômes de fantômes. Voyez ce passage : «La conception philosophique, artistique, scientifique, littéraire, dans son expression la plus haute, n'est pas une création réalisée peu à peu, par augments successifs, comme l'effort s'ajoute à l'effort, ou la journée à la journée. Elle est une irradiation soudaine, par le soi, de tout un pan du ciel intérieur, d'un fourmillement d'hérédosphères. Elle est un embrasement et un ordonnancement d'un majestueux firmament de souvenirs, de présences, d'idées héritées ou autonomes, de penchants, d'aspirations vagues, par l'impulsion créatrice, la volonté et la sagesse, conjointes en un triple et unique faisceau ardent. Le concept humain totalise soudainement la vie de celui qui le porte» (p. 297), Léon Daudet, comparant alors cette fulgurance au trait d'un éclair qui permet à celui qui a contemplé l'orage de reconstituer ultérieurement, «par le souvenir et pièce à pièce, ce tableau subit d'un rouge incandescent» (p. 298), le «peuplement de figures et de sonorités, opéré par ces souverains génies dans le monde d'ici-bas», pouvant dès lors être considéré comme «le déploiement et la répartition d'une éblouissante seconde, que dis-je, d'un millième de seconde créatrice, d'une explosion intellectuelle et pathétique au sein de l'univers intérieur» (p. 299).
Tout lecteur quelque peu familier de l'univers romanesque de Georges Bernanos sait que ce dernier a pu faire souffrir ses propres personnages d'une accumulation de rêves, d’images, de figures dont la surabondance a pu les étouffer, jaillissant bien souvent d'un coup et à l'improviste, et nombreux sont les critiques qui ont étudié tel «flot terrible d'images» (8) lancées dans une furieuse cavalcade dès le premier roman, Sous le soleil de Satan, tout cet amalgame rugissant, «outre les souvenirs complets», de «la poussière de souvenirs, paysages, atmosphères même, qui courent, s'enchevêtrent, s'interfèrent et nous donnent l'illusion d'une foule intérieure, d'un piétinement d'ombres dans la lumière» (p. 12), à tel point qu'ils peuvent envahir une cervelle fragile, une conscience point trop habituée à l'introspection comme l'est celle du minéral Cénabre, jusqu'à ce que, délaissant ce que Daudet appelle «la discipline du vrai», tel ou tel malheureux se jette, «par contradiction, dans celle du faux, bien plus dure et finalement décevante» que l'autre et ne devienne ainsi quelque «Gribouille de sa destinée» (p. 32).
Nous reconnaissons là encore le ton et même, le vocabulaire de Bernanos dont plus d'un personnage, à l'instar de Ouine ou d'Antoine Saint-Marin, pourrait être analysé comme «un tréteau pour la parade du moi» (p. 35) si cher au premier Barrès, chacun de ces personnages romanesques portant «en inclusion, comme emboîtées les unes dans les autres, la multitude en abrégé des existences qui l'ont précédé, la faculté de les faire renaître» (p. 43), plus d'un, du reste, pouvant être considéré comme un hérédo (9).
J'ai mentionné Cénabre qui, «de même que quelques malades possèdent la faculté endoscopique de voir et de décrire exactement les lésions de leurs viscères» (p. 76), est capable de voir et de sentir les différentes voix composant la «dispute de morts» qui a pour siège son esprit, mais nous pourrions aussi bien songer à l'abbé Donissan capable de voir, lorsqu'il croise Mouchette, une foule grouillante d'hôtes plus ou moins bien intentionnés, qui «passent, indécis et grisâtres, parfois brièvement brutaux et tapageurs», s'insinuant «sournoisement», disparaissant tout à coup, et «remplacés par d'autres de même allure, de même maintien. Nous ne pouvons plus rien connaître d'eux, si ce n'est leur influence momentanée, leur succession, leur retour, comme s'ils avaient oublié quelque chose», tous devenant alors «des protagonistes psychiques innominés, des créations demi-héréditaires, demi-imaginatives du moi» (p. 77).
De combien de personnages pourrions-nous dire qu'il sont «des morceaux animés» (p. 94) du pedigree de leur créateur qui, lui aussi, comme ces grands que Daudet mentionne (dont Shakespeare et Dante) (10), doivent composer avec «l'éparpillement des fantômes intérieurs», et tel «écoulement rapide d'images, les unes accélérantes, les autres contrariantes, qui gravitent au fond de sa conscience, s'enflent et crèvent à la façon de bulles de savon» (p. 121), fameux peintres, compositeurs et écrivains de génie ne craignant pas de descendre, pour capturer des images «que de hardis sondages ramèneront», dans les «grandes profondeurs» (p. 159) !
On se dit, aussi, que Georges Bernanos n'aura décidément pas oublié la leçon de «métapsychologie» (p. 190) donnée par Léon Daudet, lorsqu'il évoquera la première Mouchette ou encore le si médiocre Pernichon, sans oublier quelques-uns de ses personnages les plus troubles comme Fiodor, en lisant de tels passages... bernanosiens, de L'Hérédo, où l'auteur retrouve sa plume de romancier pour évoquer ces ascendants qui «crient et tempêtent» puisqu'ils sont devenus «les maîtres de toute la scène» (p. 208), ou encore, à propos d'un de ces «damnés» qui «a joué, pendant de longues années, un certain rôle dans la société parisienne» (p. 184), et que Daudet ne craint pas d'appeler Judas, cette analyse qui annonce Max Picard et rappelle les manifestations de l'hermétisme selon Kierkegaard : «Il tremblait de tous ses membres. Il retenait avec peine, sur ses lèvres pâles, un aveu qui l'empoisonnait. La curiosité psychologique l'emportait chez moi sur le dégoût et je distinguais, comme sur un théâtre, derrière ce pantin désarticulé, une vingtaine d'ancêtres vils et mercantiles, qui le tiraient comme autant de ficelles. Ses paupières, les ailes de son nez, ses joues, étaient parcourues de ces hérédo-mouvements, que la clinique nerveuse appelle fibrillaires, et qui sont comme autant de sonneries, muettes mais visibles, des fantômes du moi» (pp. 185-6), comme si les images pullulant dans les cervelles, accumulées par une transmission de plusieurs siècles, pouvaient aboutir, quasiment, à une véritable forme de possession, ainsi que Daudet le montre dans la suite de sa description : «La voix aussi me frappait beaucoup, constituée de trois glapissements, désharmonisée (11) entre l'aigu et le grave, et semblable à une querelle de complices. Mais bientôt Judas se ressaisit, se rassura, s'apaisa, et j'avais devant moi un homme du monde qui saluait perpendiculairement, dans un veston des plus corrects» (p. 186).
Finalement, il s'agira toujours, pour Léon Daudet comme pour Georges Bernanos, y compris celui qui évoque l'auteur de L'Hérédo, de parvenir à libérer leurs personnages des prisons imaginaires qui les retiennent captifs mais, tout autant, en leur donnant vie, de s'en libérer eux-mêmes, et ainsi, selon Bernanos, de frapper «à grands coups redoublés la porte de son enfer dantesque, pour l'ouvrir à la lumière et à la liberté», et rassembler «ses héros pour les jeter à la conquête de l'ordre comme des soldats dans la mêlée», se battre «à leurs côtés contre toutes les fatalités de la race et du destin, pour la conquête de ce libre arbitre, fondement de la conscience humaine, avec la Foi rédemptrice devant lui, derrière lui le désespoir et le néant» (p. 920).

Notes
(1) Il figure dans le premier tome des Essais et écrits de combat (Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1971), pp. 916-20. Ce n'est pas le seul texte que le romancier a consacré à Daudet, puisque nous trouvons dans ce même volume deux articles parus dans L'Avant-Garde de Normandie en 1913 et en 1914 (cf. pp. 943-9 et 1009-14). Ce n'est que la polémique opposant Bernanos à Maurras et Daudet, en 1932, qui consommera la rupture avec celui qui fut le témoin de mariage du romancier le 11 mai 1917, à Vincennes.
(2) Ce qui ne peut être le cas puisqu'il y évoque l'ouvrage de Daudet que nous avons cité, paru en 1916. François Angelier remarque cette erreur dans sa remarquable biographie : Georges Bernanos. La colère et la grâce (Seuil, 2021), p. 563.
(3) C'est dans une lettre datée de 1926 à Jean Varenne que Bernanos évoquera sa découverte de Charles Maurras (via son introduction au Dilemme de Marc Sangnier parue en décembre 1906) «un jour de printemps», donc en 1906, alors qu'il mentionne sa «découverte de Léon Daudet, l'année d'après», avec la lecture de La Lutte comme il pense s'en souvenir, puis «de tous les autres livres alors parus» (in François Angelier, op. cit., p. 59), soit au moins des titres de romans comme Haeres (1892), L'Astre noir (1893), Les Morticoles (1894), Les Kamtchatka (1895), Le Voyage de Shakespeare (1896), Suzanne (1897), Sébastien Gouvès (1899), La Romance du temps présent (1900), Les Deux Étreintes et Le Pays des parlementeurs (1901), La Déchéance (1904), Le Partage de l'enfant (1905) et Les Primaires (1906) et enfin, donc, La Lutte, roman d'une guérison qui parut en 1907.
(4) Léon Daudet romancier, in op. cit., p. 917.
(5) L'Hérédo. essai sur le drame intérieur (Nouvelle Librairie Nationale, 1916), p. 311. La copie du texte de Daudet est assez propre, malgré quelques fautes de typographie ou d'accentuation, de ponctuation aussi, et quelque erreur grammaticale assez significative tout de même, due à l'inattention de l'auteur : «Le dernier terme de la raison humaine, c'est le miracle, c'est-à-dire la reconnaissance et l'acceptation de cela seul qui la domine, puisqu'il (et non elle] en est l'aboutissement» (p. 111).
(6) «La fiction des localisations cérébrales est au langage articulé ce que l'invention similaire du neurone est à l'association des idées : une plate chimère à base d'orgueil» (pp. 284-5).
(7) Que Daudet définit de la façon suivante, dans ses Conclusions, en l'opposant au moi : «L'individu humain, psychomoral, se compose de deux pôles nettement différenciés : l'un formé des présences extérieures à l'individu et des éléments hérités ou hérédismes, répartis eux-mêmes en tendances, penchants, signes mentaux, signes de signes et aspirations vagues. C'est le moi. L'autre, constitué de trois éléments fondus en un, néanmoins distincts, variant avec l'âge et coagissant. C'est le soi, qui comprend : l'impulsion créatrice, le tonus du vouloir et l'équilibre sage par la raison» (p. 304). Ajoutons que le moi «est transmissible de génération en génération» alors que le soi est, «par définition, intransmissible d'un individu à un autre, d'une génération à une autre. Le moi dure, à travers la lignée, sous diverses formes. mais il peut s'altérer et disparaître, comme l'organisme auquel il est relié. La disparition du soi est inconcevable» (p. 305).
(8) Comme Élie Maakaroun dans Les images et la dynamique de l'imaginaire, in Études bernanosiennes n°12 (Revue des Lettres Modernes, nos 254-259, 1971), p. 158. Notons que ce même commentateur, sans doute sans avoir lu Léon Daudet, a pu écrire : «Mais si les images révèlent un auteur, c'est dans la mesure où il lutte contre elles, car elles fixent des limites à son univers mental. Un roman original est d'abord refus de l'imaginaire hérité», p. 181.
(9) Voici le portrait de l'hérédo selon Léon Daudet : «L'hérédo offre un visage tourmenté et fébrile, parfois beau et fier en quelqu'une de ses parties, mais donnant par ailleurs une impression d'étrangeté ou de gêne. Son regard est inquiet ou trop aigu, son débit nerveux et précipité, son mouvement impatient. Il est sujet aux accès de colère soudains ou, au contraire, aux périodes taciturnes, pendant lesquelles, replié en lui-même, il se cherche vainement dans le dédale de ses ascendants, dans le labyrinthe de sensations, de perceptions, de velléités altérées, je veux dire venues de sa lignée» (p. 49, l'auteur souligne).
10) Dante et Shakespeare, d'autres encore tels Thomas De Quincey, George Meredith, Saint-Simon ou encore Stendhal, ici superbement analysé : «La peur de la générosité d'esprit est très remarquable chez Stendhal. Le Rouge et le Noir est, comme La Chartreuse de Parme, un tour de force de parcimonie sentimentale. L'analyse y est une conséquence de l'avarice, de la réticence poussée au système. Stendhal est le pire des matérialistes, celui qui demeure dans le terre à terre pour faire l'économie d'une effusion et qui craint de rendre à l'universel plus que l'universel ne lui a donné. Le manque d'élan est poussé chez lui jusqu'à la perversion. Il soupçonne tout le monde, y compris lui-même. Il se scrute et se fouille dans ses personnages, ainsi qu'une douane tyrannique, et le moindre lambeau de spontanéité est saisi et mis au rancart par son analyse revêche et crochue» (p. 153).
11) Il me semblerait plus logique de supposer que c'est la voix qui est désharmonisée, et non les «trois glapissements» mentionnés, le texte de Daudet portant le pluriel à l'adjectif.

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